Elie
ou Henri ? (par Marc)
« C’est un garçon ! »
La sage femme encore toute embarrassée des accessoires de
l’accouchement, tient le nouveau né à bout de bras ; elle se régale d’annoncer
la nouvelle à la récente mère. Sa récompense à elle après plusieurs heures
de soins et d’attentions ; la joie de mettre au monde un nouvel être humain
et d’être la première à identifier le bébé avant de le remettre à sa mère.
Des efforts, oui aussi, peut-être moins intenses que ceux de la parturiente
mais que, au-delà de la technique, il faut gérer avec à propos et prendre
ses responsabilités dans les moments délicats.
Marie Hélène, épuisée, le visage rayonnant, sourit d’aise
en voulant déjà oublier les douleurs de l’enfantement. Pour elle c’est un
accomplissement une fierté indicible, sa plus belle récompense. Pensez !
Un garçon ! Elle se délecte de son exploit comme si le monde entier allait
l’envier et lui manifester sa reconnaissance.
« Oui c’est un garçon. Alors, comment allez-vous l’appeler
? »
« Henri, non Elie ! Enfin non, Henri c’est le prénom de mon
mari répond Marie Hélène. Elie celui de ses aïeux.»
« Il est d’usage, dans nos familles, de donner le nom du
père au garçon premier né mais nous, Henri et moi, nous hésitons.»
« Que dites vous ? Je ne comprends pas. »
« Comment allez vous appeler votre fils ? Je dois le noter
sur le registre. »
« Attendez un peu ! supplie Marie Hélène. C’est important
! »
C’est un choix difficile car l’enfant va devoir l’assumer
toute sa vie. La loi permet de changer son patronyme une fois adulte mais
le prénom, il colle à la peau.
« Votre mari ne porte pas le prénom de son père ? »
Non, en effet, et c’est une histoire qui a posé beaucoup
de problèmes ; le père d'Henri s'appelait Jean.
Tout a commencé à la naissance de son grand père Georges
qui n’a pas hérité du prénom Elie de l’arrière grand père. Pensez donc,
s’appeler Elie, le nom d’un grand prophète de la tradition judéo chrétienne
! La grand-mère qui était une femme défendant la laïcité, a trouvé que ça
pouvait prêter à confusion et elle a refusé. Le fil était alors coupé et
les descendants se sont crus autorisés à ne pas la reprendre.
Bien que !
Il parait qu’à la naissance de Jean, père de « Mon Mari »
donc du grand père de ce bébé, il était fortement question de reprendre la
tradition. Jean aurait du s’appeler Elie. Mais voilà ! Notez bien que les
aïeux précédents Elie ont été appelés Laurent et Jean Paul. Mais alors, la
mode n’était plus à Elie, ce genre de prénom, était d’un autre temps.
En plus, dans la famille, les garçons étaient médecins de
père en fils et par des registres professionnels Georges avait appris que
son père, Elie donc, aurait accepté de faire des avortements pour son personnel.
Le bruit courait aussi qu’il aurait pu être le partenaire géniteur.
Il n’était plus question donc pour « mon époux » d’avoir
le prénom de son arrière grand père. Et puis, rendez vous compte ! Je n’aurais
jamais pu m’habituer à partager la vie d’un homme du nom d’Elie ! Imaginez
ce qu’on aurait pu dire de nous :
« Elie lit au lit et sa femme pâlit ! »
« Alors, reprit la sage femme, que dois je inscrire sur le
registre ? »
« Attendez encore un peu, supplia la jeune femme, Henri va
arriver. Peut être se décidera t il à reprendre la tradition de ses ancêtres.
Elie passe parfaitement maintenant.
Je me vois bien dire à mon fils :
Elie, mon enfant, mon chéri, je t’aime, tu es le plus beau,
tu seras l’honneur de la famille ! »
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