L'atelier Ecriture 2012 le 13 février : la vision *
le 27 : le prénom
*







le texte de Marc
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Le visionnaire

Samedi dernier, en début d’après midi pour ne pas avoir trop froid, je suis sorti pour donner à manger aux pigeons. Ces bêtes ne craignent pas les basses températures mais elles sont sottes, elles sont incapables de se débrouiller seules pour trouver la nourriture. Il faut dire qu’à cette époque, en plein hiver, il n’y a pas grand-chose à manger pour les oiseaux quels qu’ils soient. Par le fait, ils deviennent très vulnérables, ils se rapprochent des lieux habités et sont alors une proie facile pour les chats et autres prédateurs.

Ces animaux, malgré leur bêtise, me reconnaissent mais là, surprise ! Plutôt que de se précipiter vers moi comme d’habitude, ils se réfugient en rangs serrés sur le toit de la maison.
Etonné, je cherche autour de moi la cause de leur frayeur et en regardant le ciel, je vois un rapace qui tournoie au dessus de nous. Je me mets à l’abri pour observer. L’oiseau, sans un seul battement d’aile continue à décrire des cercles
sans doute pour endormir sa proie ; il reprend de la hauteur en allant contre le vent à chaque fois qu’il se dirige vers le Nord .
J’ai l’impression d’être envouté à mon tour. Sans comprendre, je vois se dessiner, dans le nuage où vient de disparaitre l’oiseau de malheur, un bateau, oui un cuirassé c’est « Potemkine »

La voix chaude et profonde de Jean Ferrat sort de je ne sais où :
"M’en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi au bruit de l’océan
M’en voudrez vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents

Mon frère mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint…
Marin ne tire pas sur un autre marin !

Ils tournèrent leur carabine, Potemkine …"

Des mots qui me touchent et que j’interprète à ma façon.
Ce serait par exemple :
•    N’écoute pas les consignes de qui veut te faire entrer dans l’inimaginable
•    Munis toi toujours d’une gomme qui puisse effacer ce que tu viens d’écrire
•   Ne fais confiance qu’à toi-même ; quand tu t’adresses à quelqu’un, n’attend pas d’être compris mais cherche à accepter
comme il est ton interlocuteur.
•    Quand tu iras sur la glace vérifie qu’elle est bien solide. D’une façon ou d’une autre, ne tente pas l’irréparable

Je comprends alors que je dois laisser de côté mon désir d’être entendu et continuer à expliquer à ma façon le sens de l’existence.

Elie ou Henri ? (par Marc)

« C’est un garçon ! »
La sage femme encore toute embarrassée des accessoires de l’accouchement, tient le nouveau né à bout de bras ; elle se régale d’annoncer la nouvelle à la récente mère. Sa récompense à elle après plusieurs heures de soins et d’attentions ; la joie de mettre au monde un nouvel être humain et d’être la première à identifier le bébé avant de le remettre à sa mère. Des efforts, oui aussi, peut-être moins intenses que ceux de la parturiente mais que, au-delà de la technique, il faut gérer avec à propos et prendre ses responsabilités dans les moments délicats.
Marie Hélène, épuisée, le visage rayonnant, sourit d’aise en voulant déjà oublier les douleurs de l’enfantement. Pour elle c’est un accomplissement une fierté indicible, sa plus belle récompense. Pensez ! Un garçon ! Elle se délecte de son exploit comme si le monde entier allait l’envier et lui manifester sa reconnaissance.
« Oui c’est un garçon. Alors, comment allez-vous l’appeler ? »
« Henri, non Elie ! Enfin non, Henri c’est le prénom de mon mari répond Marie Hélène. Elie celui de ses aïeux.»
«  Il est d’usage, dans nos familles, de donner le nom du père au garçon premier né mais nous, Henri et moi, nous hésitons.»

« Que dites vous ? Je ne comprends pas. »
« Comment allez vous appeler votre fils ? Je dois le noter sur le registre. »
« Attendez un peu ! supplie Marie Hélène. C’est important ! »
C’est un choix difficile car l’enfant va devoir l’assumer toute sa vie. La loi permet de changer son patronyme une fois adulte mais le prénom, il colle à la peau.
« Votre mari ne porte pas le prénom de son père ? »
Non, en effet, et c’est une histoire qui a posé beaucoup de problèmes ; le père d'Henri s'appelait Jean.
Tout a commencé à la naissance de son grand père Georges qui n’a pas hérité du prénom Elie de l’arrière grand père. Pensez donc, s’appeler Elie, le nom d’un grand prophète de la tradition judéo chrétienne ! La grand-mère qui était une femme défendant la laïcité, a trouvé que ça pouvait prêter à confusion et elle a refusé. Le fil était alors coupé et les descendants se sont crus autorisés à ne pas la reprendre.

Bien que !
Il parait qu’à la naissance de Jean, père de « Mon Mari » donc du grand père de ce bébé, il était fortement question de reprendre la tradition. Jean aurait du s’appeler Elie. Mais voilà ! Notez bien que les aïeux précédents Elie ont été appelés Laurent et Jean Paul. Mais alors, la mode n’était plus à Elie, ce genre de prénom, était d’un autre temps.
En plus, dans la famille, les garçons étaient médecins de père en fils et par des registres professionnels Georges avait appris que son père, Elie donc, aurait accepté de faire des avortements pour son personnel. Le bruit courait aussi  qu’il aurait pu être le partenaire géniteur.

Il n’était plus question donc pour « mon époux » d’avoir le prénom de son arrière grand père. Et puis, rendez vous compte ! Je n’aurais jamais pu m’habituer à partager la vie d’un homme du nom d’Elie ! Imaginez ce qu’on aurait pu dire de nous :
« Elie lit au lit et sa femme pâlit ! »

« Alors, reprit la sage femme, que dois je inscrire sur le registre ? »
« Attendez encore un peu, supplia la jeune femme, Henri va arriver. Peut être se décidera t il à reprendre la tradition de ses ancêtres. Elie passe parfaitement maintenant.
Je me vois bien dire à mon fils :
Elie, mon enfant, mon chéri, je t’aime, tu es le plus beau, tu seras l’honneur de la famille ! »