L'atelier Ecriture 2012 le 16 janvier

Consignes :
  • un homme plutôt rustre et bourru
  • une femme de tempérament opposé
  • un événement les fait se rencontrer et pourrait être le début de quelque chose de sentimental
  • Oui mais voilà ....
  • Je t'écris pour te dire ...
Textes : de Nicole, de Marc,  de Madeleine


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Bruno
Bruno est plombier. Bruno est un brave gars, consciencieux et travailleur. Depuis 20 ans qu’il est à son compte, personne n’a eu à se plaindre de son travail.
Bruno est célibataire. Pourtant il aime les femmes ; qu’est ce qu’il aime les femmes ; ça pour les aimer, il les aime. Mais bon, de là à s’en coltiner une, rien qu’à lui, tous les jours de la vie, faut pas exagérer quand même. Non, une femme c’est comme un chantier : on prend contact, on discute et si on tombe d’accord, on fait le boulot et puis voilà quoi.
Bruno il est heureux comme ça. Comme les marins qui ont une femme dans chaque port. Oui c’est ça comme tous ces gens qui ne s’attachent jamais.
Bon, faut pas croire, il a un cœur quand même. Mais bon voilà quoi. C’est la vie qu’a pas voulu que … enfin voilà quoi c’est comme ça.

Eléonore
Eléonore est critique d’art. sa vie c’est les musés, les vernissages, les cocktails, les artistes … la vie d’Eléonore est hyper fun. Les plus grands magazines s’arrachent ses articles. Elle peut, de quelques lignes, propulser vers des sommets, la carrière de n’importe quel jeune créateur dont les œuvres l’auront séduite. Elle peut aussi mettre un terme aux espérances de n’importe quel jeune créateur dont le travail ne l’aura pas convaincue. Dans son domaine elle est une référence.
Eléonore est célibataire. Son petit ami Hugo habite New York. Elle va le voir, lui ne vient jamais, il trouve qu’on étouffe en Europe. Il faut dire qu’il est plasticien très célèbre et que, alors que la France a très mal accueilli ses œuvres de jeunesse, aux States, ça a marché immédiatement.
Entre eux, c’est au-delà de l’amour, un amour si haut, intellectuellement, qu’ils n’ont pas besoin de se voir, de s’appeler, de partager le même lit… vous voyez toutes ces choses … oui Eléonore et Hugo c’est au-delà de l’amour.

 Et puis un jour donc …
Bruno répare les WC d’un musé ; Eléonore est venue peut être sur les nouvelles œuvres exposées. Elle va aux toilettes et tire la chasse, elle n’aurait pas du. Elle était persuadée que le panneau « Prière de ne pas utilisé » avec un vocabulaire hasardeux, faisait partie de l’expo.
Bruno, maculé, est furieux. Elle le prend pour un artiste. La discussion tourne en quiproquo. Le temps que les deux êtres prennent conscience de tout ce qui les sépare et les portes du musé se sont refermées sur eux. Ils sont prisonniers de ces hauts lieux de l’art contemporain où les téléphones portables ne peuvent franchir le brouillage installé pour garantir la sérénité des visiteurs et où les téléphones fixes n’appellent pas à l’extérieur. On est lundi. En France les musés sont fermés le mardi. Ils vont devoir cohabiter jusqu’au mercredi matin.

Dans un film sentimental ces deux là passeraient des heures à se disputer et, par quelques retournements de situation habilement glissés dans le scénario, ils finiraient par se rapprocher pour nous montrer que les différences ne font pas qu’éloigner les êtres mais qu’elles peuvent aussi rapprocher les cœurs. Enfin bref, tous ces bons sentiments qui font vibrer les cordes sensibles de la brave ménagère de cinquante ans. Et le « The end » laisserait deviner l’hypocrite : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » des contes de notre enfance.
Oui mais voilà, dans la vraie vie les critiques d’art n’épousent pas les plombiers.

Je t’écris pour te dire, ma Didi, de ne pas trop croire ce que tu vois dans les films d’amour, dans les romans à l’eau de rose, ou dans les téléfilms de TF1 l’après midi. Fais confiance à ta vieille marraine. Qui se ressemble s’assemble mais qui ne se ressemble pas, une fois les émois de la découverte éteints, finissent par se haïr, se déchirer. Mais je t’en dirai plus une autre fois si ce que pense une vieille femme intéresse tes seize ans.



Paulo

Paulo habite là bas au fond du jardin. Un palais avec vue sur la nature, au milieu des pins et des étendues d’eau. Il ne voit pas grand monde sauf quand il va à la boulangerie chercher son pain. Il prend alors son vélo c’est plus écolo et ça lui fait prendre l’air. Et ce n’est pas tous les jours car il a un frigo qui lui permet d’entreposer quelques réserves. Le plus souvent il reste enfermé pour « travailler ». Oui il travaille, il écrit sur son ordinateur. Il dit qu’il n’a pas de plan et qu’il suit ses idées selon son inspiration. Pour s’y retrouver et afin donner une certaine cohérence à son œuvre il note sur un papier les noms de ses personnages(le lecteur, lui, se débrouillera).
Ne croyez pas que Paulo refuse la compagnie, il adore que l’on vienne l’écouter et il est intarissable sur tous les sujets, ceux qu’il maîtrise car il est cultivé et ceux dont il s’est fait une idée approximative. Cependant il ne fera jamais la démarche d’aller à votre rencontre, vous appeler au téléphone (à moins qu’il soit vraiment pris de court) ou vous envoyer un mail pour s’inquiéter de votre santé, à croire qu’il ne veut s’attacher à personne.
Il vit donc seul et ne se plaint jamais, il se contente de ce qu’il a mais a-t-il des émotions ?

Marie Elisabeth, elle, loge dans un pavillon qu’elle a acheté dans un quartier résidentiel de banlieue après son divorce. Elle est plutôt petite, blonde et elle aime raconter sa vie à tout ceux qu’elle rencontre. Sa vie ou s’inquiéter de celle des autres, elle appelle ça « refaire le monde » ; elle vous fera des commentaires sur la meilleure façon d’élever ses enfants ou comment il faut s’y prendre pour réussir les iles flottantes. Elle est rarement satisfaite, néanmoins c’est une femme de devoir,  précieuse, elle n’oublie jamais les fêtes à souhaiter ou les anniversaires. Elle est dévouée mais ne sait pas rester en place ou à sa place. Elle n’est pas faite pour vivre seule mais elle rend rapidement sa présence difficile à supporter.
Après avoir fait une tentative de compagnonnage, elle vient de se remarier. Elle est persuadée qu’elle a raison dans tous les cas de figure et sans états d’âme, se mettra en quatre pour le démontrer.

L’autre jour en traversant la route principale alors qu’il allait chercher son pain, Paulo s’est fait renverser par une voiture. Il lui avait fallu passer juste au moment où Marie Elisabeth avait affaire dans le quartier.
Apparemment l’accident ne semblait pas trop grave mais le vélo de Paul restait coincé sous le véhicule qui était en travers de la route et de ce fait bloquait toute la circulation. Un passant avait déjà appelé les pompiers et les chauffeurs des voitures immobilisées prenaient partie pour donner leur solution afin de dégager la route selon un scénario habituel.
Alors le temps se fige, Paulo reste hébété ne sachant plus quelle décision prendre. Marie Elisabeth, lentement, mue par une inspiration divine semble t il, s’approche de Paulo comme s’il était tombé du ciel et non de bicyclette. Elle le regarde, lui tend la main et finalement se jette à son cou d’une façon absolument inattendue dans de pareilles circonstances.
Est-ce le début d’une nouvelle aventure sentimentale ?

Je t’écris pour te dire, ma chère Camilla, qu’il ne faut pas croire que les choses s’arrangent si facilement et qu’il vaut mieux être prudent en traversant la route.
Oui voilà, le roman d’amour est vite abrégé. Les pompiers arrivés sur place emmènent Paulo à l’hôpital pour les vérifications et le bilan d’usage ; la dépanneuse mandée par la police dégage le vélo et embarque la voiture d’Elisabeth qui n’en croit pas ses yeux du bistro où elle rédige sa déclaration non pas d’amour mais d’accident.

PS : Paulo ne rentrera pas dans son palais de la journée et il va falloir aller éteindre le chauffage en attendant.




Proxi
Du nouvel épicier de la Rue principale, qu’y avait-il à dire ? Tout et rien. C’était un costaud qui portait deux caisses à la fois quand il déchargeait sa camionnette. Il était massif. Il avait un accent bizarre. Il disait nonante et septante. Belge ou Suisse ? On déduisit qu’il était plutôt belge parce que les Suisses traînent en parlant. Lui, c’était rapide et bref comme une baffe. Il vous regardait en dessous. Etait-il sournois ? Sorti de ses boîtes de conserve, de ses fruits et légumes de ses pots de yaourt et de sa charcuterie sous plastique, qu’était-il ? des muscles. Les gens disaient : « Il n’a pas de conversation. » Par comparaison, la bouchère, le buraliste et la boulangère étaient de brillants conférenciers. Le dimanche à 13 heures, il disparaissait au volant de sa camionnette et ne reparaissait que mardi matin aux aurores avec son chargement. Et puis il ne vous disait ni monsieur, ni madame, ni mademoiselle, ni miss, ni choupette, ni ma belle. Rien. Il vous plongeait dans l’anonymat dont lui-même n’était pas sorti. Proxi étant le nom peint au-dessus de sa vitrine, on l’appelait Proxi.

Ségolène O’Brien était une ancienne rédactrice du journal régional. Elle  avait pris une retraite très anticipée pour donner des leçons de chant, soit aux m’as-tu-vu qui visaient une carrière à l’opéra, soit aux timides qui voulaient poser leur voix, respirer ou accéder à la sérénité. Elle avait d’autres cordes à son arc. L’hiver, en gardant une vaste maison délaissée par ses propriétaires, elle pouvait louer son studio. Elle écrivait aussi. Quoi ? elle ne le disait pas mais elle avait tant d’allure avec ses lunettes octogonales et ses boucles rousses qu’on n’aurait pas été surpris de la voir passer à FR3. D’ailleurs, pour un oui pour un nom, elle vous donnait sa carte de visite, une mini-carte bleutée qui vous informait qu’elle était, de plus, orthophoniste.
Aramis, le chat de Ségolène, seigneur tigré de la Rue Principale, qui feulait et fuyait et refusait toute familiarité avec quelque créature que ce soit, mangeait, paraît-il, tout crus, les écureuils du petit jardin public.

Un beau matin d’été, la camionnette de Proxi fit une embardée vers Aramis qui resta tout raide étendu par terre. Proxi pila, gara plutôt mal son véhicule ramassa l’animal et courut vers le vieux kiosque du jardin. Ségolène, alertée par la rumeur publique s’y précipita. Un coup de vent claqua la porte derrière elle. On n’entendait rien à l’intérieur, ni cris, ni insultes. Cela dura un bon moment, où les paris se multiplièrent. Et puis, ils frappèrent pour qu’on les délivre.
Dans un roman, on aurait vu sortir les deux héros, tout éplorés, réconciliés, unis pour le meilleur et pour le pire, tenant, chacun par une anse le panier-cercueil du tigre miniature. Oui, mais voilà, dans la vraie vie, les artistes n’épousent pas les épiciers.

Je t’écris pour te dire que Proxi s’appelle Sylvain Vanderbeck. Dans sa jeunesse il n’avait pas pu être vétérinaire. Pour se consoler, il fait partie d’une équipe de protection civile. Quand il a emporté le chat, c’était pour lui faire tranquillement un massage cardiaque. C’est dans ses bras que la bête est sortie du kiosque bien vivante et sans protester. Quant à Ségolène, l’apprivoisera-t-il aussi? Fatalement, pour le remercier, elle lui a proposé des leçons de chant. Entre nous, ce mutique en a bien besoin. Affaire à suivre…