Bruno
Bruno est plombier. Bruno est
un brave gars, consciencieux et travailleur. Depuis 20 ans qu’il est à son
compte, personne n’a eu à se plaindre de son travail.
Bruno est célibataire. Pourtant il aime les femmes ; qu’est ce qu’il aime
les femmes ; ça pour les aimer, il les aime. Mais bon, de là à s’en coltiner
une, rien qu’à lui, tous les jours de la vie, faut pas exagérer quand même.
Non, une femme c’est comme un chantier : on prend contact, on discute et
si on tombe d’accord, on fait le boulot et puis voilà quoi.
Bruno il est heureux comme ça. Comme les marins qui ont une femme dans
chaque port. Oui c’est ça comme tous ces gens qui ne s’attachent jamais.
Bon, faut pas croire, il a un cœur quand même. Mais bon voilà quoi. C’est
la vie qu’a pas voulu que … enfin voilà quoi c’est comme ça.
Eléonore
Eléonore est critique d’art. sa vie c’est les musés, les vernissages, les
cocktails, les artistes … la vie d’Eléonore est hyper fun. Les plus grands
magazines s’arrachent ses articles. Elle peut, de quelques lignes, propulser
vers des sommets, la carrière de n’importe quel jeune créateur dont les
œuvres l’auront séduite. Elle peut aussi mettre un terme aux espérances
de n’importe quel jeune créateur dont le travail ne l’aura pas convaincue.
Dans son domaine elle est une référence.
Eléonore est célibataire. Son petit ami Hugo habite New York. Elle va le
voir, lui ne vient jamais, il trouve qu’on étouffe en Europe. Il faut dire
qu’il est plasticien très célèbre et que, alors que la France a très mal
accueilli ses œuvres de jeunesse, aux States, ça a marché immédiatement.
Entre eux, c’est au-delà de l’amour, un amour si haut, intellectuellement,
qu’ils n’ont pas besoin de se voir, de s’appeler, de partager le même lit…
vous voyez toutes ces choses … oui Eléonore et Hugo c’est au-delà de l’amour.
Et puis un jour donc …
Bruno répare les WC d’un musé ; Eléonore est venue peut être sur les nouvelles
œuvres exposées. Elle va aux toilettes et tire la chasse, elle n’aurait
pas du. Elle était persuadée que le panneau « Prière de ne pas utilisé »
avec un vocabulaire hasardeux, faisait partie de l’expo.
Bruno, maculé, est furieux. Elle le prend pour un artiste. La discussion
tourne en quiproquo. Le temps que les deux êtres prennent conscience de
tout ce qui les sépare et les portes du musé se sont refermées sur eux.
Ils sont prisonniers de ces hauts lieux de l’art contemporain où les téléphones
portables ne peuvent franchir le brouillage installé pour garantir la sérénité
des visiteurs et où les téléphones fixes n’appellent pas à l’extérieur. On
est lundi. En France les musés sont fermés le mardi. Ils vont devoir cohabiter
jusqu’au mercredi matin.
Dans un film sentimental ces deux là passeraient des heures à se disputer
et, par quelques retournements de situation habilement glissés dans le scénario,
ils finiraient par se rapprocher pour nous montrer que les différences ne
font pas qu’éloigner les êtres mais qu’elles peuvent aussi rapprocher les
cœurs. Enfin bref, tous ces bons sentiments qui font vibrer les cordes sensibles
de la brave ménagère de cinquante ans. Et le « The end » laisserait deviner
l’hypocrite : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » des contes
de notre enfance.
Oui mais voilà, dans la vraie vie les critiques d’art n’épousent pas les
plombiers.
Je t’écris pour te dire, ma Didi, de ne pas trop croire ce que tu vois
dans les films d’amour, dans les romans à l’eau de rose, ou dans les téléfilms
de TF1 l’après midi. Fais confiance à ta vieille marraine. Qui se ressemble
s’assemble mais qui ne se ressemble pas, une fois les émois de la découverte
éteints, finissent par se haïr, se déchirer. Mais je t’en dirai plus une
autre fois si ce que pense une vieille femme intéresse tes seize ans.
Paulo
Paulo habite là bas au fond du jardin. Un palais avec
vue sur la nature, au milieu des pins et des étendues d’eau. Il ne voit
pas grand monde sauf quand il va à la boulangerie chercher son pain. Il
prend alors son vélo c’est plus écolo et ça lui fait prendre l’air. Et ce
n’est pas tous les jours car il a un frigo qui lui permet d’entreposer quelques
réserves. Le plus souvent il reste enfermé pour « travailler ». Oui il travaille,
il écrit sur son ordinateur. Il dit qu’il n’a pas de plan et qu’il suit
ses idées selon son inspiration. Pour s’y retrouver et afin donner une certaine
cohérence à son œuvre il note sur un papier les noms de ses personnages(le
lecteur, lui, se débrouillera).
Ne croyez pas que Paulo refuse la compagnie, il adore que l’on vienne l’écouter
et il est intarissable sur tous les sujets, ceux qu’il maîtrise car il est
cultivé et ceux dont il s’est fait une idée approximative. Cependant il
ne fera jamais la démarche d’aller à votre rencontre, vous appeler au téléphone
(à moins qu’il soit vraiment pris de court) ou vous envoyer un mail pour
s’inquiéter de votre santé, à croire qu’il ne veut s’attacher à personne.
Il vit donc seul et ne se plaint jamais, il se contente de ce qu’il a mais
a-t-il des émotions ?
Marie Elisabeth, elle, loge dans un pavillon qu’elle a acheté dans un quartier
résidentiel de banlieue après son divorce. Elle est plutôt petite, blonde
et elle aime raconter sa vie à tout ceux qu’elle rencontre. Sa vie ou s’inquiéter
de celle des autres, elle appelle ça « refaire le monde » ; elle vous fera
des commentaires sur la meilleure façon d’élever ses enfants ou comment
il faut s’y prendre pour réussir les iles flottantes. Elle est rarement
satisfaite, néanmoins c’est une femme de devoir, précieuse, elle n’oublie
jamais les fêtes à souhaiter ou les anniversaires. Elle est dévouée mais
ne sait pas rester en place ou à sa place. Elle n’est pas faite pour vivre
seule mais elle rend rapidement sa présence difficile à supporter.
Après avoir fait une tentative de compagnonnage, elle vient de se remarier.
Elle est persuadée qu’elle a raison dans tous les cas de figure et sans
états d’âme, se mettra en quatre pour le démontrer.
L’autre jour en traversant la route principale alors qu’il allait chercher
son pain, Paulo s’est fait renverser par une voiture. Il lui avait fallu
passer juste au moment où Marie Elisabeth avait affaire dans le quartier.
Apparemment l’accident ne semblait pas trop grave mais le vélo de Paul
restait coincé sous le véhicule qui était en travers de la route et de ce
fait bloquait toute la circulation. Un passant avait déjà appelé les pompiers
et les chauffeurs des voitures immobilisées prenaient partie pour donner
leur solution afin de dégager la route selon un scénario habituel.
Alors le temps se fige, Paulo reste hébété ne sachant plus quelle décision
prendre. Marie Elisabeth, lentement, mue par une inspiration divine semble
t il, s’approche de Paulo comme s’il était tombé du ciel et non de bicyclette.
Elle le regarde, lui tend la main et finalement se jette à son cou d’une
façon absolument inattendue dans de pareilles circonstances.
Est-ce le début d’une nouvelle aventure sentimentale ?
Je t’écris pour te dire, ma chère Camilla, qu’il ne faut pas croire que
les choses s’arrangent si facilement et qu’il vaut mieux être prudent en traversant
la route.
Oui voilà, le roman d’amour est vite abrégé. Les pompiers arrivés sur place
emmènent Paulo à l’hôpital pour les vérifications et le bilan d’usage ;
la dépanneuse mandée par la police dégage le vélo et embarque la voiture
d’Elisabeth qui n’en croit pas ses yeux du bistro où elle rédige sa déclaration
non pas d’amour mais d’accident.
PS : Paulo ne rentrera pas dans son palais de la journée et il va falloir
aller éteindre le chauffage en attendant.
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