Lucien et l’objet
La perceuse-ponceuse-visseuse,
vous connaissez ?
C’est un outil particulier, jadis on l’appelait une chignole.
Il fallait mettre de l’huile de coude pour la manœuvrer mais quel plaisir
quand on a pu adapter la mèche adéquate et faire un trou dans le mur pour
y placer une cheville, une vis ou tout autre accessoire et répondre au besoin
du moment sans avoir à taper, souvent très longtemps, sur un burin.
Aujourd’hui cet outil existe plus perfectionné. Il se branche
sur le courant ou bien possède une batterie qui lui permet une autonomie de
fonctionnement intéressant. Vous pouvez alors visser, dévisser sans mal une
série de vis de toutes tailles. Alors qu’à la main il vous aurait fallu plusieurs
heures, en quelques instants vous avez fait le travail. En adaptant une tête
différente vous pouvez faire une perceuse, une ponceuse et même d’autres
instruments que vous ne soupçonnez pas.
Lucien est un brave garçon qui passe les moments, que son cancer
de la gorge lui accorde, à bricoler. Il signe ses œuvres Luchty. Il se fait
valoir en dépannant à droite ou à gauche des amis, ceux qui acceptent avec
patience ses infirmités car il est aphone et a des maladresses. Sa bonne
volonté ne résout pas tous les problèmes. Oui il est précieux Luigi, on l’appelle
aussi de cette façon ; il fait tous les petits travaux dont il se croit capable
: poser un rideau ou faire des joints. Il peut faire des bêtises quand il
n’est pas bien, traverser le mur par exemple quand il fait un trou pour enfoncer
une cheville ; ou bien il disparait pendant plusieurs jours sans donner de
nouvelles.
Il est équipé Lucien. D’abord il est autonome, il a sa voiture
et non seulement il se déplace avec tous ses outils mais il peut aussi transporter
ou aller chercher ce dont il a besoin. Tout ce qui peut lui être nécessaire
dans ses interventions, il a. Tournevis, marteau, scie, rabot, burin etc…
gisent en vrac dans sa boite à outil. Mais voilà, il n’a pas de visseuse-perceuse-ponceuse
électrique bien sûr. Il perd un temps fou pour assembler deux morceaux de
bois ou démonter la porte d’un placard.
La première fois que Lucien est tombé sur cet objet « fantastique
» c’est lorsque David
(clic) est venu assembler les pièces de ce qu’on appelle le chalet. Il
avait apporté dans un vulgaire sac en plastique une sorte de pistolet mitrailleur
digne d’armer Batman avec une gâchette et un chargeur sous la poignée… un
chargeur escamotable qui est en fait la réserve d’énergie, une batterie rechargeable
sur une prise de courant. Avec l’embout adéquat cet appareil peut enfoncer
des vis d’une dizaine de centimètres dans une pièce de bois en moins de temps
qu’il n’en faut habituellement pour faire un trou de pré vissage à la main.
Et puis, s’il y a erreur d’emplacement, aucune importance, la pièce est retirée
et replacée après une petite pression sur le poussoir spécial de la machine.
Lucien n’en revenait pas. Il l’avait pris délicatement, l’avait
examiné et admiré sur toutes les coutures. Il l’avait même essayé quelques
instants avant de la remettre religieusement dans le sac en plastique.
La perceuse-ponceuse-visseuse est repartie avec David et, en
rêvant Lucien a continué avec les outils classiques son travail commencé.
Pour faire semblant de négliger son désir, il s’est concentré
sur le lissage de la dalle sur laquelle était monté le chalet. Là il est dans
son domaine car il est carreleur de son métier.
Pelle classique, truelle, maillet, échelle démontable remorque
pour aller chercher le mélange à béton, font partie de son équipement et lui
paraissent nécessaire, indispensables même. Il pense bien à acheter une bétonneuse
mais il peut s’en passer ; il adore mélanger le ciment et le sable avec sa
pelle. Mais … mais il rêve à la visseuse-ponceuse-perceuse. Un seul objet
vous manque et le monde est un désert …
A la pause-café, en tournant sa cuiller dans sa tasse, Lucien
pensera longtemps à la perceuse-visseuse-ponceuse. Il pensera qu’il aurait
bien les moyens de s’offrir cet outil génial s’il se faisait payer tout ce
qui lui est du et qu’il n’ose pas demander tellement il se sous estime.
Mais … mais aurait-il le temps de s’en servir ? Car il sait,
qu’à cause de son cancer, ses jours sont comptés.
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