Solange la solitaire
Solange est assise tantôt ici
tantôt là dans le jardin public. C’est dimanche et régulièrement, ce jour
là, on la voit passer d’un banc à un autre suivant l’exposition au soleil.
L’été elle porte un chapeau, un grand chapeau de paille d’où émerge sa
longue tresse qui lui descend jusqu’au milieu du dos. L’hiver elle est enveloppée
dans un grand anorak rouge.
Elle lit un livre de poche qui lui fait sa journée, elle le rend le mardi
matin au club et en prend un deuxième plus conséquent pour le reste de la
semaine.
Par moments elle se lève, sans doute pour faire un entracte et elle parle
en marchant. Rien d’étonnant : qui n’a jamais rencontré une personne seule
parler, dialoguer avec un interlocuteur virtuel, sur un téléphone portable,
dans la rue ? En fait Solange récite ce qu’elle vient de lire. Il parait
que c’est un bon moyen pour entrainer la mémoire.
A 13h elle sort de son sac une pomme et quelques noix. C’est très complet
et nourrissant revèlent les manuels de diététique. Elle casse les noix en
les plaçant sous son talon et par un petit coup sec elle arrive à ne pas
les écraser. Parfois elle se donne plusieurs essais mais jamais elle ne pulvérise
le fruit.
A 17h elle rentre chez elle, sans doute pour prendre le thé et à 18h,
elle verrouille sa porte qu’elle n’ouvre à personne ensuite. Qui viendrait
voir Solange ? Elle se suffit à elle-même et ne s’occupe de personne. Elle
est curieuse pourtant, elle vit dans ses livres ou en regardant la télé
mais déteste qu’on lui pose des questions. Elle les oublie systématiquement
à peine en a t elle prit connaissance.
On peut voir la lumière chez elle jusqu’à deux heures du matin.
Ce dimanche Solange est inquiète, un message, sur son répondeur, l’intrigue.
Une voix d’homme qu’elle n’arrive pas à identifier ; une voix qui l’invite
non pas à aller faire la fête mais à représenter l’atelier Ecriture, dont
elle faisait partie, à une manifestation.
Pourquoi elle ? Elle qui ne fait plus partie de l’atelier depuis deux
ans. Oui, la majorité des participants étaient des hommes et leurs écrits
prenaient un tour qu’elle n’appréciait pas du tout : des allusions au sexe
sous des apparences de poésie, c’en devenait inconvenant.
Alors cette voix ? C’est peut-être celle de l’un d’entre eux ? Lequel
? Est ce celle du vieux barbu qui n’arrêtait pas de prendre des photos sans
qu’on s’y attende et les collait ensuite sur les pages du site de l’atelier
? Est ce celui … Non celui là, je n’en parlerai pas et ne veux même pas y
penser, murmure t elle, tout fort...
Solange met un peu de musique et cherche à reprendre son travail en tentant
d’oublier le message.
Difficile de se concentrer et de trouver des enchainements pour élaborer
le livre qu’elle écrit sur les coutumes des Indiens d’Amérique du Nord avant
1830. Les idées reviennent pourtant et Solange poursuit son travail.
Lundi coup de théâtre vers 14h ; le téléphone sonne et Solange ne décroche
pas. Elle entend la même voix ; cette fois elle croit reconnaitre le correspondant
et son cœur s’affole : « Si c’était vraiment lui ? »
Solange prend sa décision : « Si demain, il rappelle, je décroche et je
dis que j’ai décroché trop tard mais que je suis prête à raccrocher, enfin
à retourner à l’atelier et assister à la réunion de mercredi. »
Mais voilà demain ce sera mardi et le jour de la bibliothèque. Solange
ne peut pas manquer son rendez vous avec les livres.
Le téléphone sonnera et sur le répondeur la voix annoncera qu’elle va
s’arranger autrement.
Qui était cet interlocuteur ? Sur l’appareil s'affiche : « Correspondant
inconnu » … En faisant le 3131 : personne. Solange mourait d’envie de parler
à cet étranger qu’elle pensait reconnaitre.
Oui c’était Henri qui appelait Solange. C’était Henri qui prenant en charge
la mission qui lui était confiée cherchait à reprendre contact avec Solange
dont les écrits lui restaient en mémoire. Elle l’intriguait particulièrement.
Il espérait, au bout du compte, qu’elle accepterait de sortir de sa solitude
pour partager la sienne.
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