Atelier écriture – Lundi 25 nov 2013

A cette époque-là, sur terre, deux peuples se partageaient le territoire. Il y avait les Tamarites, qui vivaient dans les déserts et les contrées verdoyantes, et les Rivelains qui avaient colonisé toutes les plaines glacées du Nord et s’étaient éparpillés à travers les océans. La Terre, d’ailleurs, ne portait plus un tel nom depuis des milliers d’années. Les temps anciens avaient emporté ce nom avec eux. Pour l’ère nouvelle qui s’était offerte à ce monde, terre avait été surnommée Agaedis par les tamarites et Nomira par les rivelains, ce qui signifie « la douce et puissante ».

Grands et robustes, les tamarites arboraient une couleur brune, propre à leur exposition à cette étoile brûlante, autour de laquelle le monde faisait ses rondes perpétuelles. Ils étaient certes quelque peu humanoïdes, mais l’on pouvait déceler leur côté canin à travers leurs corps taillés pour l’endurance. Ils arboraient aussi un museau proéminent, ainsi que deux grandes oreilles duveteuses, qui captait le moindre son à des kilomètres lorsqu’ils étaient en chasse. Leurs pieds et mains étaient munis de griffes longues et effilées, et leurs mâchoires puissantes étaient garnies de dents larges et longues. Gouvernés par un roi et une reine, dans le château, situé tout en haut du plus haut volcan du monde, d’où ils devaient veiller sur leur peuple, les tamarites vivaient dans de larges villes, qu’ils avaient reconstituées à partir des cités humaines des temps anciens. Les monarques se succédaient de façon naturelle, et seul l’ainé avait le droit de gouverner. La sélection du compagnon ou de la compagne, se faisait avec le cœur, et les frères et sœurs de l’ainé, s’il y en avait, devenaient ainsi ses dauphins. En terme tamarite, ils étaient les canines de leur futur roi ou future reine. L’armée était la partie la plus importante du peuple tamarite. Les finances n’existaient pas, ils avaient décidé que tout un chacun était chez lui n’importe où, du moment qu’il mettait la main à la patte, et que ce qui était à l’un appartenait à tous… la seule exception était le couple bien évidemment.
Ce peuple vivait en parfaite harmonie, il n’y avait nulle guerre civile, nul conflit interne, nulles représailles. Sédentaire et monogame jusqu’à la fin de sa vie, le tamarite ne vivait que pour ceux qu’il considérait comme étant ses frères et sœurs. Les jours étaient rythmés par les chasses quotidiennes, les six repas journaliers et les enseignements du maniement des armes. Les enfants étaient élevés par le village où ils voyaient le jour, et souvent, un tamarite vivait à jamais là où il avait grandi. Ce n’était pas une nécessité, bien sur, mais l’harmonie était telle dans ce peuple, que leur désir n’était pas de quitter leurs amis, leurs parents, leurs frères et sœurs.
Lorsqu’il avait l’âge de chasser, le jeune tamarite avait le droit de passer la voltige extrême. Les adultes les plus aguerris partaient capturer l’une des créatures les plus redoutées du monde, et la présentait au jeune. Ce dernier devait faire ses preuves en tuant le monstre à la fin d’un duel. Cette épreuve faite, il avait l’honneur d’entrer dans l’âge adulte, le droit de choisir celui ou celle qui partagerait la fin de ses jours, ainsi que le travail qu’il exercerait et la ville où il vivrait.
Leur grande force résidait en leur remarquable loyauté envers leur peuple, et en cette touchante affection qui les liait, tels les membres d’une seule et même grande famille. Jamais ils ne laissaient l’un des leurs derrière eux, jamais ils ne cédaient à de basses ambitions si c’était pour porter atteinte à l’un des leurs, jamais ils ne laissaient la jalousie les emporter… ils n’étaient pas les plus intelligents, mais les plus forts et les plus courageux, les plus droits et les plus fiers, les plus respectueux et les plus doux.

Les rivelains, souples et fins, plutôt allongés, étaient taillés pour la vitesse plus que pour la force. Mais ils avaient fait de cette faiblesse un atout, et leurs techniques de chasse avaient évolué avec eux, les mots d’ordres pour cette partie-là de leur vie étaient la discrétion et la surprise. Leur pelage blanc, fait pour se fondre parmi les neiges et les vagues, se trouvait parfois tacheté de gris, et leur regard étaient noirs comme les ténèbres. Les rivelains n’étaient pas aussi robustes que leurs voisins diurnes, les tamarites. Certes plus légers, ils étaient aussi de composition plus faible. Leur museau était court et arrondi, de même que leurs oreilles. De plus, ils possédaient une longue et fine queue qui leur servait de balancier, lorsqu’ils se lançaient dans une course effrénée, où ils atteignaient souvent une telle vitesse de pointe qu’il en devenait difficile de les distinguer clairement. Mais leurs crocs étaient moins longs et leurs doigts ne possédaient que des ongles, à peine solides. Ainsi, ils avaient trouvé le moyen de palier à cette faiblesse, et leurs outils de tous les jours et leurs accessoires de chasse étaient donc largement à la hauteur de la puissance de leurs voisins canidés.
Par leur aspect plus gracile que celui des tamarites, ils avaient trouvé un autre domaine, dans lequel ils excellaient : c’était la science. Ils avaient bâti là où les hommes des temps anciens avaient échoué, et ils avaient réussi dans le domaine de l’intelligence, là où leurs voisins pêchaient. Leur esprit labyrinthique parvenait à bout de toutes les énigmes, résolvait en quelques secondes les pires problèmes mathématiques, et pouvaient passer quelques minutes à réaliser un pamphlet que même des hommes auraient pris plusieurs dizaines de jours à écrire, voire à imaginer. Ils étaient passés maîtres dans le maniement des mots, et dès qu’un enfant était en âge de créer des stratégies de chasses, il était abandonné dans la nature, livré à lui-même, et normalement capable de se défendre, de retranscrire ce qu’il remarquait et de vivre tout seul. Ainsi, le jeune rivelain découvrait les richesses du monde qui l’entourait, décryptait les signes de la nature pour s’en faire une arme, tant morale que physique, et souvent, préférait la vie de nomade à celle de sédentaire, pour pouvoir répondre à cette soif de connaissances qui l’habitait.
Solitaires dans l’âme, ils ne pouvaient vivre en groupes de plus d’une dizaine d’individus, car sitôt un trop grand nombre atteint, ils ne pouvaient s’empêcher de se haïr les uns les autres. Contrairement au tamarite qui ne pouvait vivre sans ses pairs, le rivelain n’était pas capable de supporter les siens. Il obtenait un meilleur résultat s’il travail seul plutôt qu’en groupe. Pourtant, il arrivait parfois que certains se réunissent pour se livrer à de grandes fêtes. Cela pouvait avoir lieu n’importe où et à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Ils n’avaient pas besoin de raison pour se rassembler et se livrer à leurs deux jeux préférés : les débats philosophiques et les joutes verbales. C’était sans doute le seul moment de paix et de sérénité qu’il pouvait y avoir entre les membres de ce peuple, car ils s’enrichissaient mutuellement de savoir. Leurs appels au défi étaient dénués de toute animosité, et ils prenaient plaisir à jouer, peu importait s’ils gagnaient ou perdaient.

Par leurs origines primitives – les tamarites étant les descendants de races canidae et les rivelains, de races felidae – ainsi que par les grandes différences qui les séparaient, les deux peuples, sans se vouer une haine farouche, n’avaient pas le moindre contact l’un avec l’autre. Bien sur, chaque peuple connaissait l’existence de l’autre. Chez les félins, les tamarites étaient décrits comme étant une race inférieure mais dont la puissance avait été donnée par les étoiles et pouvait défier celle des montagnes. Chez les canidés, les rivelains étaient connus, par des légendes diverses et variées, pour être les immortels esprits des temps anciens, fourbes mais ayant accès à toutes les connaissances du passé, du présent et du futur.
D’ailleurs, ils ne souhaitaient pas réellement se rencontrer un jour, car ils savaient tous, grâce à cet inconscient collectif qui régissait leur façon de se comporter, que s’il devait y avoir une guerre entre les deux peuples, nul n’en sortirait vivant. La vitesse de l’éclair des rivelains n’avait d’égale que la force colossale des tamarites.

Tamarites et Rivelains vivaient depuis des centaines d’années, sans le moindre contact les uns avec les autres. Mais un jour, tout bascula avec l’apparition d’une créature qu’ils n’avaient jamais vu auparavant, et qui se mis à arpenter le monde, sans cesse. L’être avait une forme humanoïde, lui aussi. Cependant, il ne ressemblait en rien aux félins ou aux canidés. Son visage recouvert de plumes rouge où luisaient deux yeux d’un noir absorbant, était à moitié caché par une large cape noire, qui tentait de dissimuler aussi d’immenses ailes dans son dos, et au lieu d’avoir un museau comme les autres, il était pourvu d’un long bec noir légèrement recourbé vers le bas.
La première fois qu’ils le virent, tamarites comme rivelains, prirent peur d’une telle chose, qu’ils considéraient chacun comme un mauvais présage. L’apparence d’une nouvelle espèce humanoïde était redoutée, pour tous, car elle signifiait la fin de leur ère. Dès qu’ils l’apercevaient, chaque membre des deux peuples prenait ses jambes à son cou et se cachait des yeux de la créature. De crainte, leur sentiment passa à légèrement méfiant, puis certains osèrent l’approcher. L’être disait se nommer Aïs, mais les uns le surnommèrent « Darrim » et les autres l’appelèrent « Noctae » qui signifiait dans chacune des deux langues « le mauvais auspice ».
Pourtant, les jours passaient, et nul ne vit la fin du monde arriver. L’être sillonnait leur planète, sans trouver de pied-à-terre, rejeté par l’un et l’autre des deux clans. Les tamarites, plus simplets que leurs voisins rivelains, finirent par tolérer la présence de l’étranger, qui ne perdit pas de temps à s’installer parmi eux, presque comme l’un des leurs. Lorsqu’il se sentit en confiance du peuple canidé, il décida d’ôter son voile qui recouvrait la plus grande partie de son corps, et l’on put voir que ses membres inférieurs et supérieurs étaient aussi longs, noirs et effilés que son bec, et se terminaient par des serres comparables à celles des oiseaux des marais. Les tamarites lui découvrirent une personnalité, aussi douce que son esprit était vif.
Découvrant par certains racontars des tamarites fiers de leur nouvelle situation, ce qu’il était advenu de l’étranger, et y trouvant une partie d’eux-mêmes dans son intelligence et sa finesse d’esprit, les rivelains se mirent à jalouser l’autre peuple. Beaucoup décidèrent de rompre avec leurs principes de ne jamais approcher les tamarites, cherchèrent à convaincre l’étranger d’abandonner les faibles d’esprit pour s’entretenir spirituellement avec eux et leur en apprendre plus qu’ils ne pouvaient déjà en savoir. Chacun des deux peuples se mit à ériger des contes et des représentations, tant visuelles qu’orales, de celui qui avait été communément appelé « le Grand Ibis ». Tous voyaient un avenir où le Grand Ibis les guiderait sur une voix pleine de sagesse et de vigueur grandeur. On oublia l’époque où il était méprisé, on oublia même l’époque où il n’existait pas.
C’était sans compter sur le grand ibis lui-même. Car un jour, après des décennies de communion entre les deux peuples, il disparut. Nul ne sut ce qu’il était advenu de lui, et nul ne put retrouver sa trace.

Alors les deux peuples, qui avaient fini par tisser des liens, malgré leurs profondes différences, au lieu de prendre de nouvelles distances, se mirent à pleurer ensemble leur bienfaiteur. De nouvelles légendes virent le jour, et décrivaient l’histoire d’un oiseau rouge tombé du ciel, réunissant par ses paroles et sa simplicité, deux peuples qui étaient voués à ne jamais s’accepter. Certains se demandèrent si cet être n’avait pas réellement été ce présage d’une nouvelle ère qu’ils avaient pressenti lorsqu’ils l’avaient vu pour la première fois. Ce n’était pas un signe mauvais, bien au contraire. C’était celui d’une ère mêlant la force des tamarites à l’intelligence des rivelains. Les êtres apprirent les uns des autres, le nouveau souverain tamarite choisit une rivelaine pour épouse, et du mélange entre ces deux peuples, n’en fut plus qu’un. Les ibisérions. Et ils écrivirent ensemble les débuts de notre ère.
Rena Circa Le Blanc