vers l'atelier 2013


Claudine
Consignes :

La thérapie de Claudine
Attendez, je vais fermer la porte, je ne veux pas qu’on m’entende, personne ne doit m’entendre.
Pas moyen de communiquer : au risque de déranger, je ne téléphone pas.
Pour tout arranger, je suis sans antivirus et en panne de clavier.
J’ai quarante cinq ans, pas d’homme, pas d’enfant, un boulot peut être mais pas d’amis si ce n’est une copine en mauvaise santé qui est encore plus seule que moi.
Un de mes frères s’est suicidé il y a quelques années et je n’ai pas envie de faire comme lui, mes parents n’y survivraient pas et ils ne méritent pas ça.

L’autre jour, Bernard m’a dit, Bernard c’est mon copain, il faut bien … mais je n’en parle pas, il m’a dit que la seule solution pour moi serait de faire une thérapie. Ce Bernard, quel poids ! J’aurais bien envie de l’envoyer aux oubliettes, comme les autres mais voilà, il est le seul, le seul qui accepte de me regarder, de m’écouter, de me toucher, là il doit aimer ça aussi …. Je ne suis pas unique dans sa vie, loin de là mais je préfère le voir de temps en temps plutôt que d’être complètement isolée.
Faire une thérapie ! Quelle idée ! Je hais les psys. Ils se croient intelligents, à les écouter tout se négocie. On croirait qu’ils connaissent les solutions aux problèmes que vous avez avant même que vous ne les ayez exposés. Ils se permettent de poser des questions et je déteste les questions, ça me bloque.
Figurez vous que pour faire plaisir à Bernard qui insistait et qui me tannait en avançant que c’était indispensable dans mon cas, il m’a même donné des adresses, j’ai fini par accepter de la faire sa thérapie. Alors j’ai pris rendez vous avec la première, oui, une femme bien entendu. Il croit sans doute que j’ai peur des hommes ou bien ce serait trop risqué pour lui quelque fois qu’un autre s’intéresserait à moi de trop près.
Donc je suis allée chez cette thérapeute, elle doit être bien gentille mais, sans la regretter, elle n’a pas du apprécier ma visite pour sa réputation. Je suis un cas d’école. Comme elle n’est pas analyste, ces gens là sont pires encore, ils vous laissent parler, elle a commencé par me poser une ou deux questions auxquelles je n’ai pas répondu évidemment, pour terminer par celle-ci : « En somme quel est le problème ? » Le tout a duré quarante cinq minutes durant lesquelles je n’ai pas ouvert la bouche. C’est long, très long mais apparemment elle a assumé mes silences et m’a fait payer le prix convenu soit 90 euros.
En refermant la porte elle m’a dit : « Pour un autre rendez vous, quand vous serez prête, vous pouvez m’appeler quand vous vous voulez. » Je n’y suis pas retourné bien entendu et Bernard était catastrophé.

Pour moi, la seule solution qui puisse me donner le goût de vivre, serait d’avoir un enfant et il n’y a pas besoin de faire une thérapie pour y arriver mais à 45 ans il faut que je me dépêche.
Tiens ! Bernard, ça sera lui qui me le fera.
(Marc)


Le conte illustré
 
en vidéo : "La bucolique Amélie" (Marc)
(cliquer sur les images pour les agrandir)

(Madeleine)


Seuls à Paris

Elle est là, assise au pied d’un pilier dans le grand hall de la gare de Lyon, au début du quai où doit arriver le train de nuit venant de Marseille. Elle s’est levée de bonne heure mais elle dort mal depuis une dizaine de jours. Elle a vécu le départ d’Olivier quasiment en direct.
Oui, elle est là, recroquevillée, au milieu de la foule qui manque à tout instant de la piétiner. On pourrait croire qu’elle fait la manche ou qu’elle est prise d’un malaise. Elle est persuadée que je ne pouvais pas la rater. En effet, descendant du train dans les premiers, je ne vois qu’elle et nous voici réunis, seuls au monde entourés de milliers de personnes qui nous bousculent ou nous cognent avec leurs valises.

Nous rejoignons l'arrêt des bus et prenons une place dans la queue, curieusement nous sommes les derniers. Le bus arrive, se remplit et part bondé, nous nous retrouvons seuls à attendre le suivant qui arrive à son tour. Nous montons et il part aussitôt. Nous sommes les seuls passagers et j'ai l'impression que le chauffeur se charge de nous faire visiter la capitale sans s'arrêter pour prendre d'autres voyageurs. Quel étrange voyage !
Il pleut dehors, nous sommes bien mais au bout d'un moment, intrigué j'interpelle le chauffeur : "Nous sommes bien en direction d'Issy les Moulineaux ?" Pas déponse.
Je me laisse aller, Anne est tranquille aussi, plus rien n'a de l'importance, elle me raconte tout ce qu’elle a vécu depuis notre dernière rencontre et particulièrement autour de ce dernier grand événement pour moi qu’elle a pris en charge affectivement.
Le bus emprunte les quais de la Seine et je vois défiler l’Hôtel de ville de Paris, le Louvre, la Concorde, la Tour Eiffel, le pont de l’Alma …
Je ne sais plus comment le trajet s'est terminé mais nous sommes arrivés enfin chez Anne, à La Clé, cette villa où je devais intervenir auprès d’un groupe de six ou sept personnes. Anne a repris son esprit pratique en organisant avec une très libérale autorité, l’accueil des participants.

Je connaissais Anne depuis quelques semaines ; quelque chose de merveilleux est passé entre nous au cours d'un stage, par mes mains principalement alors que je faisais sur elle une démonstration de relaxation aidée. Il lui incombait d’accueillir ce fluide qui venait d’ailleurs dont j’étais le canal et que je transmettais sans le maitriser. Elle y a vu les applications de ce qu’elle étudiait avec Michel son mari, le corps éthérique, enveloppe immatérielle de l’âme.
Or c’est à cette époque que survint l’accident d’Olivier mon fils. Elle à Paris, lui dans le Sud. Elle s’est vue chargée d’une mission extrasensorielle ; elle a été mon guide vers la lumière.

Dans ma poche, le minuscule carnet de notes qu’elle m’a donné ce jour là. Il tient dans le creux de la main et à chaque page juste la place d’une petite phrase. Longtemps après, je le retrouverai dans un tiroir de mon bureau ; il contient des mots d’amour que je n’ai jamais su dire à qui que ce soit.

(Marc)
 PS :
je sais que ces autres mots d'amour retrouvés étaient tous inspirés et co signés d'Olivier
je lui parle encore souvent tu sais
Signé : Anne (le 31 janvier 2013)


Le voyage silencieux


Debout, dans le grand hall des courants d’air, les yeux fixés sur le tableau de départ, nous attendons au milieu de nos valise, de nos sacs et de nos paquets. Plus bas, au pied des grands escaliers de la Gare Saint-Charles, Marseille plonge jusqu’à la mer et monte vers la Bonne Mère. Nous, ici, nous sommes plantés devant des lettres et de chiffres qui scintillent dans un grand espace noir. Le train pour Toulouse part dans vingt minutes et nul retard n’est prévu. Mais vers quel quai me précipiter, avec ma valise à roulettes et mon sac à dos ? Enfin le mur s’exprime en chiffres de feu : 16 ! Un peu loin, mais très jouable : fonçons ! Et je cours ! Personne sur le quai. Les autres sont déjà montés. Renseignés comment ? Peu importe. Je galope vers la voiture 13, la plus lointaine, celle qui sera en tête à l’arrivée. Ouf ! j’y suis. Je grimpe sans aide ni bousculade, et pour cause. Je pousse ma valise à gauche, dans le casier aux gros bagages, heureusement vide, et je m’affale à ma place et même à la place voisine où je pose mon sac. Quand l’autre individu montera, il sera temps d’aviser. A peine suis-je installée que le train Corail Marseille-Toulouse, sans prévenir, glisse silencieusement sur les rails et m’emporte.

Je me retourne pour exprimer à mes futurs compagnons tout mon soulagement de les avoir rattrapés in extremis. Mais personne n’est là, le wagon est vide… Je me dirige vers la voiture 12 et jette un bref coup d’œil. Personne, non plus. J’examine en revenant les dossiers des sièges. Pas de réservations. J’attends la prochaine annonce. Apparemment, la SNCF a fait vœu de silence, c’est son droit. J’aurais pourtant aimé entendre son petit indicatif musical et rassurant. J’en saurai sans doute plus à la prochaine gare. Le train Corail ne s’arrête pas à Miramas, c’est normal. Un peu plus tard, une autoroute que je longe un moment indique Saint-Martin de Crau. Je vais donc contempler une fois de plus la farandole peinte sur le mur de la gare d’Arles. Farandole enlevée, farandole passée… J’exagère : le train a ralenti le long du quai, mais à peine. Où fuyons-nous ? Je dis nous parce qu’il y a le conducteur, que je devine dans sa cabine. Y a-t-il quelqu’un d’autre ? Allons-nous seulement en direction de Toulouse ? Serai-je à Nîmes dans moins d’une heure comme l’indique mon billet ? Oui, puisque j’ai traversé Arles dont l’arrêt a été bizarrement supprimé… Au dehors, les voitures circulent, les oiseaux volent et se posent. Les entrepôts se succèdent et les nœuds d’autoroutes se dénouent. Les convolutions de nuages ne me disent rien de passionnant, biffées qu’elles sont par d’inévitables traînées d’avion. Rien n’annonce un drame dans ce paysage post-industriel. Et pourquoi ce convoi pour moi seule, alors que je sais, – on l’a assez dit – que la SNCF fonctionne à flux tendu ? Qui suis-je ? Un être atteint d’un virus ultra- dangereux ? La voyageuse invisible d’un train fantôme ?

J’ai eu, quand j’étais très petite, une impression semblable. Je pique-niquais avec mes parents, mes frères, ma grand-mère et des cousins. Et puis, je suis passée de l’autre côté d’une haie. Je n’entendais plus personne. J’ai dû ensuite tourner à droite au lieu de tourner à gauche, totalement désorientée. J’étais perdue loin de tout. En fait, à quelques mètres…

C’est sans doute ce qui m’arrive. Je suis montée dans un autre train. Ou peut-être y en a-t-il qui sont comme les trous noirs du territoire, qui aspirent les habitants vers le néant. Je vais m’engloutir de l’autre côté du réel. Il y a, dit-on, une centaine de disparitions définitives chaque année en France, sans adieux, sans cadavre, et sans retour. Je suis sur la piste oubliée. Une gomme géante m’efface avec mes bagages et mon identité. Et Nîmes, plus loin Montpellier, Béziers, Narbonne resteront dans la réalité…

C’est alors que retentit l’indicatif de la SNCF. Il annonce l’entrée en gare de Nîmes : « Nous espérons que vous avez fait un agréable voyage, veillez à ne rien oublier en descendant. » Le convoi s’arrête à la nuit tombante, dans la station toute illuminée. Des autres voitures, descendent d’autres voyageurs. Pourquoi étais-je la seule en voiture 13 ? Pourquoi l’arrêt d’Arles a-t-il été supprimé ? Quelque chose s’est-il détraqué dans mon cerveau au point de ne m’avoir pas laissé voir tout à l’heure ces passagers qui descendent de la voiture 12 ? En me dirigeant vers la sortie, je me faufile dans la foule. J’ai l’impression d’être invisible.

Mon beau-frère et ma sœur, sur le trottoir d’en face, me font signe. C’est moi, c’est bien moi ! je commençais à en douter et quelque chose me dit que je n’en serai plus jamais totalement persuadée.
(Madeleine)

Il y a bien longtemps


Tout a commencé il y a  bien longtemps, l’an 1492, à l’époque où presque tous croyaient la terre plate.
Elle, c’était Anna-Agostina, Reine de la Péninsule, et lui, c’était Roland de Roncevaux, neveu de Pépin le Bref. Ils passaient deux fois l’an par chez nous, et j’adorais leur théâtre, ses rois, ses reines, ses héros. Sûr, je révérais Anna-Agostina bien plus que notre impérieuse souveraine, Isabelle de Castille. Et je préférais le Roland à cet Amiral de la mer océane qui était parti, promettant des  merveilles, avant de s’engloutir dans l’ouest lointain du monde.
Tandis qu’Anna-Agostina ! elle était somptueusement vêtue. Dans le moindre village où ils installaient leurs tréteaux, elle et le Roland, ce n’était que musique, chansons, danses, cabrioles. Et Anna-Agostina pouvait être aussi princesse des Iles enchantées, Reine des fées ou déesse du monde souterrain. Et le Roland n’était pas simple neveu de Pépin le Bref, donc cousin de Charlemagne mais aussi le Prêtre Jean, Empereur d’Ethiopie, le Roi Salomon qu’entourait une centaine de djinns et toute une armada de tapis volants ou encore le diable qui promettait mille prospérités à ceux qui acceptaient de lui vendre leur âme.
Moi, à l’époque, j’avais treize ans. Mon père voulait me marier au Pedro, le fils d’un riche. Le Pedro était maigre et sec. Il ne riait jamais. A la fête de Saint Jacques, il restait comme un empoté, ne cessant de nous reluquer, nous, les filles. A croire que nous l’obsédions. Si encore il n’avait reluqué que moi, j’en aurais peut-être été émue : il aurait ainsi montré son bon goût, sa perspicacité, son sens du discernement car j’étais leste et bien faite. Mais non, c’est une girouette qu’il avait à la place de la tête et le vent qui la mouvait, je le trouvais sale à faire danser la poussière parmi nos poules et nos cochons ! Certes, je m’estimais bien au-dessus de toute créature à bouche, à bec, à gueule ou à groin. J’étais fort orgueilleuse mais si on ne l’est pas à treize ans, quand pourra-t-on jamais l’être ? je savais broder, je savais danser et chanter mais le Pedro n’en avait rien à faire…
Tandis que le Roland ! Et l’Anna-Agostina ! Ils m’apportaient de l’ouvrage. Et pendant que j’achevais une couture, ils écoutaient mes chansons. Vrai, j’avais envie de faire partie de leur troupe. Je rêvais de m’échapper. Si j’avais pu teindre mes cheveux noirs ! Ou me déguiser en moricaude ? Ou en garçon ? Oui, en garçon : restée jolie fillette, j’aurais attristé Anna-Agostina qui n’avait d’yeux que pour Roland, même quand elle écoutait l’une des chansons que je tenais de ma grand-mère Fatima. Ainsi, j’échapperais au Pedro qui ne regardait que les filles et à mon père qui ne regardait que les riches. Et mon complice Goêl, le poulain de notre jument, presque un cheval, maintenant, ne demandait qu’à courir le monde avec moi.
Ce que je ne savais pas encore, c’est que, cent ans auparavant, très loin d’ici, mais pas de l’autre côté de la mer océane, Messire Gutemberg avait inventé l’imprimerie. Comment l’aurais-je su ? aucun livre jamais n’avait pénétré dans nos chaumières. Les prières et les chansons nous les apprenions en écoutant. Pareillement, l’Agostina et le Roland répétaient des rôles qu’ils avaient ouïs. A l’église, le prêtre mettait en paroles les images peintes sur un grand livre.
Et voilà que le Pedro, que je croyais si bête, en sortit un beaucoup plus petit de la sacoche accrochée à la selle de son cheval. Les pages n’en étaient pas de parchemin mais de papier. Il paraît qu’il s’était tellement ennuyé, godiche et timide comme il était, qu’il avait galopé jusqu’à Burgos, pour s’instruire. Il me fit signe de m’asseoir à côté de lui, puis commença la lecture d’une histoire. C’était  justement celle de Roland, qui n’était pas le neveu de Pépin le Bref, mais de Charlemagne. Et après, ce fut celle de Rodrigue et de Chimène…
Goêl avait beau hennir, je ne songeais plus à parcourir la péninsule à la suite de mes amis saltimbanques. Je trouvais que Pedro ressemblait à Rodrigue et je suivais du doigt les lettres noires qui disaient que la terre était ronde et qu’elles en étaient l’un des innombrables chemins.
(Madeleine)


Textes divers


L’adieu

L’aube blanche naissait sur la terre
Sa robe étincelant de lumière
Le bateau tel une fourmilière
Trois quatorze c’était hier

Vers ton destin tu iras de même
Toi le maitre suprême
Parsemé sur le même thème
D’étoiles magiques et blêmes

Pourtant dans ce désordre sublime
Il a suffit d’une rime
Hier grandit l’abime
Mais mon cœur l’anime

Quand surgira la haine
Douze coups venant du vallon
Sonneront comme une fontaine
Dans le rire d’enfant blond

Elle aimait le matin noir
Le vert de la campagne le soir
Parfois elle laissait le pouvoir
Un mois entier sans me voir

Un jour grâce à sa volonté
Lorsque le message plein de charité
Avec des regrets et de la bonté
L’autre tombe creusa à grandes pelletées.
(Marc)



L’aube blanche naissait sur  terre
Sa robe étincelante de lumière
Le bateau tel une fourmilière
Trois quatorze c’était hier
 
Vers mon destin j'allais de même
me rêvant  maitre et suprême
Parsemé sur le même thème
D’étoiles magiques et souvent blêmes
 
Pourtant dans ce chaos sublime
Il n'a suffit que d’une rime
Pour voir qu'au fond grandit l’abime
là où parfois mon cœur s’anime
 
Elle aimait chaque matin noir
Le vert de la forêt le soir
Parfois me laissant le pouvoir
Un mois entier sans la revoir

Plus tard quand surgira la haine
Les Douze coups de carillon
raisonneront dans les fontaines
et dans les rires des enfants blonds

 
Un jour de grande volupté
dans un message de charité
Avec regrets et volonté
sa tombe s'est creusée... à grandes pelletées.
(revu par Nicole)