Lorsque Jean fit la connaissance
d’Anna, celle-ci menait une « petite vie simple » et par cette phrase tout
était dit. Elle était comme transparente Anna mais pourtant elle existait
pour Vincent chez qui Jean venait souvent.
Quand on sonnait chez elle, enfin chez Vincent, après vous
avoir fait entrer, elle s’effaçait
rapidement car évidemment
ce n’était pas elle qui était intéressante mais Vincent. Elle était garde
malade, infirmière, dame de compagnie, cuisinière, secrétaire et bien d’autres
fonctions peut être. Vincent, lui était paraplégique.
Il avait 26 ans quand il a eu un accident un soir de balade
avec ses copains. Il dormait à l’arrière de la voiture qui après avoir dérapé
est tombée dans un ravin près de Manosque.
Elle était mignonne Anna et Jean l’avait bien repérée mais
il ne savait pas comment attirer son attention jusqu’au jour où il apporta
un disque de Jacques Brel pour le faire écouter à Vincent.
A peine les premiers accents du chanteur ont-ils résonnés
qu’Anna apparut dans l’entrebâillement de la porte, l’air passionné. « Vous
permettez ? » dit-elle en se jetant sur l’enveloppe du CD et en épluchant
tous les détails.
« Dans le port d’Amsterdam, y a des marins qui … »
Il n’était plus question de parler d’autre chose. Anna subjuguée
demande le silence.
A la fin du disque la vie reprend son cours et Anna retourne
à la cuisine sans rien dire. Jean croit alors pouvoir profiter de l’occasion
et n’écoutant que son désir frappe à la porte de l’office pour avoir quelques
explications. Anna lui expose son admiration sans bornes pour Jacques Brel.
Jean tout émoustillé d’avoir accroché l’attention d’Anna se branche sur le
sujet et bientôt lui raconte tout ce qu’il savait sur le chanteur. Et puis
pour se faire valoir sans doute ou montrer la solidité de ses informations
il glisse le détail invraisemblable que Brel avait eu une aventure qui lui
avait valu d’être le père naturel de Vincent.
Quoi ! Est-ce possible ?
Anna semble bouleversée. Elle reste stupéfaite, prostrée,
hagarde, n’osant plus entrer dans la pièce où Vincent écoutait les autres
chansons enregistrées. Son adoration pour Jacques Brel prenait un sens nouveau.
« Je suis sure que c’est lui qui m’a conduite ici. J’ai trouvé la mission
qui doit être la mienne. » Alors, comme illuminée, Anna se remet au travail,
elle tire le tiroir de la table et en tire un épluche légume, s’assoit et
pèle les pommes de terre.
Jean s’est éclipsé, ne comprenant rien à ce qui se passait
et déçu qu’Anna ne porte aucune attention à lui.
Dans la pièce à côté, Vincent appelle, il voudrait soulager
un besoin pressant. Anna ne bouge pas. Elle se voit en train de prendre un
grand tournant dans sa vie, il faut qu’elle se décide, qu’elle intervienne.
Elle ne supporte pas de savoir cet horrible secret qui ternit l’image de son
idole. Il lui vient l’idée de supprimer Vincent. Non, elle va se marier avec
lui et peut être aura-t-elle un enfant qui sera, grâce à elle, un prolongement
de Brel.
Et, à quelques mètres, dans une inondation désagréable :
« Les bourgeois, c’est comme des cochons, plus ça devient vieux …. »
(Marc)
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