L’insatisfait
Quand on est comme moi un insatisfait permanent
la vie n’est vraiment pas facile.
C’est vrai, je pourrais être
content. Vu de l’extérieur, je suis comblé. Je fais partie des gens aisés
et j’ai tout pour être heureux. J’ai toujours quelque chose à dire mais
j’ai de grosses difficultés d’élocution, je n’articule pas et ma voix n’est
pas claire. Souvent on me fait répéter et d’un autre côté, je n’y vois pas
suffisamment au point d’avoir du mal à reconnaitre mes clients. Pour compenser
je choisis les lunettes avec de grosses montures mais c’est du leurre et
j’ai l’impression d’avertir mes interlocuteurs de mes défauts.
Je voudrais que tout ce que je fais soit parfait et vous comprendrez facilement
que c’est loin d’être le cas ; plus on souhaite la perfection moins on y
arrive.
Je suis joueur et mettrais facilement ma situation en péril, je fais semblant
d’être décidé mais je doute de mes idées.
Je voudrais être aimé, admiré, je n’obtiens le plus souvent que de la méfiance,
au mieux de la tolérance quand ce n’est pas un rejet catégorique.
Hier encore ma femme m’a dit : « Regarde ! Tu renverses ta soupe, tu baves
et tu fais du bruit en mangeant. » Je peux vous assurer que c’est faux mais
c’est très désagréable à entendre et comme je ne veux pas créer de conflit,
je fais attention quitte à me défouler sur autre chose en allant compter
mes sous par exemple.
Je voudrais blaguer mais qu’on me prenne pour un vrai blagueur et non voir
mon entourage rire d’un air condescendant à mes plaisanteries.
Vraiment la vie n’est pas facile.
Et pourtant ! « C’est pas grave » comme dirait ma grand-mère !
Je suis créatif, c’est ma principale qualité. Je préfère être comme je
suis plutôt que comme tel ou tel que je connais et que je suis amené à fréquenter
à l’atelier Ecriture. La personne à laquelle je pense a peut être trente
ans de plus que moi et elle, enfin il, vous m’avez compris, cherche à se
valoriser en racontant sa vie d’une façon déguisée en fiction. Encore s’il
restait discret et modeste mais non, ce sont toutes ses conquêtes qu’il nous
étale sur la table en se cachant derrière les consignes. Je reste familier
avec lui mais, dans le fond, je le plains.
Moi, les consignes je n’en ai rien à faire, je griffonne comme un grand
artiste et mes textes sont vraiment poétiques. Je sais aligner les expressions
savantes et imagées avec des références aussi bien dans les grands auteurs
classiques mais surtout dans les contemporains. Et puis je prends un air décidé
pour adopter un style que les autres respectent.
Quand je ne suis pas en forme, ce qui arrive car j’ai mon lot de soucis,
je ne suis pas à la retraite moi, je ne fais pas semblant, je quitte les
lieux sans avoir rien écrit comme si j’avais reçu une communication importante
sur mon téléphone dernier cri.
Sans parler de l’atelier Ecriture qui n’est qu’un moment de détente dans
ma vie, pour que tout aille bien pour moi, il faudrait que je sois heureux
de ce qui m’arrive et non pas toujours désirer ce que je n’ai pas.
Mais ! Me direz vous, que te manque t il ? Tu as une belle situation, une
famille qui t’aime et que tu aimes, des amis partout qui ne manquent pas
de te rendre visite dans ta boutique, un environnement communautaire qui
te permet de te sentir relié à tes racines et l’assurance d’être reconnu
ici bas et dans l’autre monde, un métier qui satisfait ta créativité et tes
besoins de sécurité, que vouloir de plus ?
Et bien, vous ne le répéterez à personne, il me manque l’Amour, le vrai
amour, non pas ce qui y ressemble mais l’amour qui transporte et qui rend
heureux.
En fait, je vis dans l’illusion, l’agitation, le bonheur serait sans doute
pour moi d’être comme mon voisin de gauche, peu importe qu’il soit de Gauche,
il est vieux mais il parait jeune dans sa tête. Il ne pense qu’à jouer comme
un enfant et il semble croire que le plus important est d’être en contact
avec son âme.
(Marc ... ou Paul)
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