ATELIER SOCIO-POLITIQUE

LE CULTE DE LA PERFORMANCE

 

 

Le 22 Octobre 2009 chez Jacqueline ; préparation Jacqueline et Aline ;
étaient présent(e)s :

 

 

Le mot « Performance »

Au XIX° siècle il est déjà employé sur les deux rives du Channel pour désigner dans les milieux hippiques les possibilités d’un cheval. Nous sommes alors dans le monde sportif et de la compétition.

Dans le monde industriel naissant nous ne retrouvons pas l’idée de compétition, mais plutôt celle de (bon) achèvement d’une tâche.

Puis au vingtième siècle le mot performance est introduit dans de nombreux domaines de l’activité humaine avec des nuances qui leur sont propres. Ainsi il est employé dans le milieu des arts, où on ne l’attend pas précisément, pour évoquer les qualités d’une œuvre éphémère.

Ensuite le mot est employé couramment et son sens ne prête pas à ambiguïté dans des domaines qui sont devenus assez familiers

·          Industrie : lorsqu’on parle des performances d’une machine

·          Sport pour les performances d’un athlète

·          En psychologie pour le résultats de tests.

. Il est intéressant de souligner que la performance se traduit par des résultats chiffrés qui permettent facilement les comparaisons et le classement..

 

Et maintenant, au XXI° siècle ?

L’idéologie de la performance a envahi l’ensemble des domaines de la vie sociale entraînant de multiples conséquences implicites :

 

èAcceptation du modèle de concurrence y compris dans le champ  éducatif.

èValorisation de l’effet, du résultat, de l’efficacité  .On cherche un effet visible et spectaculaire (médiatisation)

èApologie de la raison causale et instrumentale.

La performance s’inscrit dans un ordre téléologique qui articule fins et moyens. Elle suppose une efficacité et une instrumentation propre à la pensée occidentale

è.Primat de l’autonomie et de la responsabilité individuelle. Il s’agit de réussir,   de chercher son  bien-être. Cela entraîne une société individualiste qui s’oppose à une société solidaire.

èEnfin cette idéologie  présente des risques pour la personne : effondrement  ( « fatigue d’être soi ») et conduite à risques pour se surpasser.

 

Le mot performance caractérise plutôt un exploit réalisé à titre individuel et dépassant ce qui n’avait jusqu’alors jamais été réalisé (exemple : en alpinisme, une hivernale en solitaire). A titre collectif le concept de performance englobe en plus des caractéristiques quantitatives de l’ouvrage réalisé des notions qualitatives (esthétique, organisation).Mais connaissant les ressorts qui animent les organisations humaines, l’Homme  ne manquera jamais de chercher à dépasser  les autres : une organisation économique ne manquera pas d’essayer d’atteindre une situation de monopole en éliminant ses proches concurrents.

En ce tout début du XXI° siècle, les yeux sont braqués sur les mondes économique et financier. Inutile de s’attarder  sur les conséquences dramatiques des « performances » des banques ou des investisseurs qui, eux, s’en tiennent aux objectifs chiffrés de « retour sur investissement » sans entrevoir un instant les dégâts occasionnés sur la collectivité. Dans le monde économique, il en va un peu différemment,  même si l’industrie ou les services sont très dépendants, parfois aussi victimes, des banques. Là, les objectifs chiffrés peuvent coexister avec bien d’autres paramètres non mesurables et cependant essentiels ; par exemple l’épanouissement d’un collectif de travail. Je remarque en passant que les mots nouveaux comme «  ingénierie financière » ou «  industries culturelles » entretiennent une confusion des valeurs en laissant croire que la Finance se soucie du fonctionnement harmonieux de la collectivité et que la Culture ait à se soucier de la rentabilité de sa production et de ses résultats économiques.

La performance a aussi une relation avec ce qui n’est pas durable puisque c’est ce qui est produit à un instant donné ; on ne connaît pas bien la longévité de ce que l’industrie culturelle produit, alors qu’une œuvre d’art peut tendre vers un intérêt durable qui traverse le temps.

 

 

Le culte de la performance

 

Les adolescents sont très tôt en concurrence. Cela se traduit par exemple par la course au diplôme d’autant plus exacerbée qu’il serait le moyen le plus sûr pour trouver un emploi devenu rare en ces périodes de chômage. La performance scolaire se trouve sacralisée car elle permet d’intégrer des filières de choix. La réussite individuelle prend le pas sur toute autre valeur et ne prépare en rien à la coopération ou au travail en groupe.

Ensuite, l’adulte entre dans le monde du travail où règne une idéologie qui découle du culte de la performance, c’est celle de la productivité se résumant à : Produire plus et moins cher. Le culte de la performance sert parfaitement cette idéologie de la productivité toujours croissante. Tout cela ne se passe pas sans conséquences. S’il est bon de se fixer pour soi-même des objectifs un peu ambitieux, c’est autre chose de se voir fixer de l’extérieur des objectifs toujours plus ambitieux jusqu’à devenir inatteignables.

Dans de nombreux domaines nous pouvons être soumis à de tels objectifs mais c’est dans celui du travail qu’ils sont le plus contraignants tout en touchant la société dans son ensemble.

Dans le secteur de la production le culte de la performance se décline par : Toujours plus de quantités produites dans des délais plus courts avec des coûts moindres pour faire des matériels –ou rendre des services plus performants et de meilleure qualité.

Chacun de ces « plus » pris dans cet ensemble est discutable ou pour parler autrement on ne peut pas gagner sur tous les tableaux contrairement aux messages publicitaires ou les mots d’ordre circulant dans les entreprises. Analysons en les conséquences sociétales :

-          Il est actuellement beaucoup question de suicides de salariés de grosses entreprises, mais le stress au travail touche tout le monde car la concurrence entre travailleurs, groupes de travail, entreprises et même entre pays est acharnée.

-          Les chaînes de décision font pression les unes sur les autres pour atteindre chacune de leur côté leurs propres objectifs. D’où le développement du chacun pour soi, de l’individualisme, des relations humaines détériorées, de l’absence de concertation.

-          Des modes pervers de management comme celui d’instaurer une prétendue autonomie sans en donner les moyens viennent souvent compléter ce gâchis. L’autonomie peut concerner un individu comme un « centre de profit ».Ceux qui n’arrivent pas à s’adapter, la filiale qui « plombe les résultats » sont considérés comme les moutons noirs qui freinent la progression de l’ensemble et nécessite leur mise à l’écart. Les chaînes hiérarchiques ne sont pas responsables, c’est l’individu qui a des problèmes ou la filiale qui est incapable d’atteindre les résultats qui lui ont été assignés.

 

Malgré toutes ces atteintes psychologiques pouvant aller jusqu’à la perte de l’estime de soi, il faut bien reconnaître que le travail est communément reconnu comme le meilleur moyen de vivre honnêtement (n’est pas mafieux ou trader qui veut) et de s’insérer socialement.

 

Et nous,  les retirés de ce monde sans pitié ? Il faut reconnaître que nous avons connu d’autres ambiances nous semblant autrement plus satisfaisantes. Nous sommes souvent atterrés par les cursus chaotiques et stressants vécus par nos enfants sous l’effet de ce culte omniprésent de la performance. Personnellement, le culte de la performance nous concerne directement en tant que consommateurs de produits que nous ne produisons plus ; et cela d’une manière d’autant moins brutale que nous avons le recul procuré par notre temps et expérience disponibles. Nous, seniors, pouvons témoigner qu’il y a d’autres manières de vivre sans verser dans un activisme qui se voudrait performant  tout en nous maintenant jeunes et qui nous éviterait toute interrogation sur notre fin.

 

« Il ne suffit pas d’entreprendre pour arriver ;  il convient de reprendre maintes   fois   et   de revenir »

Cette sagesse qui fait que l’on accorde de la valeur à l’essai, l’esquisse, l’inachevé, l’éphémère n’est pas propre aux artistes et à ceux qui créent. On peut la cultiver et penser que le manque, le peu, et même l’échec ont une fonction. Alors  que l’idéologie de la performance semble l’ignorer.

 

Prochaine réunion de l’atelier sur Solidarité-Fraternité le 19 Novembre chez Jacqueline Moulin, 80 rue Consolat - Marseille