Ci-joint quelques lignes, car sur le site il y a beaucoup d' extraits
d'article de grands journaux, qui disent beaucoup sur le dernier film d'Agshgar
Fahradi. (Alain LG)
Ce film m'intéressait par son scénario. Puis lors de la projection,
je me suis senti littéralement scotché. D'abord, ça commence par un tremblement
de terre qui oblige la petite communauté
qui logeait dans un immeuble à évacuer leur appartement, dont
le couple qui va former la trame de l'histoire.
L'action se passe en Iran, pays en zone sismique, comme nous
le savons. Mais l'Iran est un Etat islamique et théocratique, un pays où
les artistes, les cinéastes et les gens de théâtre en particulier, font
l'objet dune surveillance tatillonne. Alors, ce film tourné
là-bas (à la différence du précédent, La séparation) c'est un signe
d'une censure moins forte, mais aussi d'une grande habileté du cinéaste.
On peut s'en réjouir. En effet, le cinéaste livre, sous le couvert d'un
fait divers, un exposé percutant sur l'état moral du pays. Car que
se passe-t-il dans la tête des deux protagonistes, la femme agressée dans
sa salle de bains, en position de victime, le mari indigné mais honteux
de vivre cet affront? On remarquera: pas de police, pas d'inspecteur, pas
d'enquête. Le mari fera lui-même l'enquête et démasquera l'agresseur, mais
à quel prix. Il crée "un tremblement de terre " dans la famille de l'agresseur.
Et le couple n'en sortira pas indemne. Le style est sobre, sans grands effets,
à l'image du mari, remarquablement interprété par Hosseini (prix d'interprétation à
Cannes).. Le film fait de nombreuses allusions aux défauts de la
société iranienne, et son côté tranquillement subversif m'a laissé admiratif.
Sans effet de manche, voilà un pied de nez à la censure!
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LE CLIENT/Asghar Farhadi
Elle/par Anne Diatkine
Une pépite. Asghar Farhadi, dont on a adoré « Une séparation » et « Le
Passé », c’est le regard du spectateur qui construit le sens,[cf Didi Hubermann]
et l’on garde un sentiment d’incertitude sur ce qu’on a vu au fur et à
mesure des rebondissements. le propre d’Asghar Farhadi, comme dans ses
précédents films, est de nous captiver par sa familiarité avec ce qui est
montré. Un nouvel appartement est prêté au couple. La précédente locataire,
qu’on ne voit jamais, y a laissé ses affaires. Rana se fait agresser sous
la douche. Ellipse de l’agression, mais pas du sang qui coule sur son visage.
Dès lors, le film se transforme en thriller énigmatique. Emad mène-t-il
l’enquête pour se venger ou pour sauver son honneur ? Y a-t-il eu méprise
sur l’identité de l’agressée ? Le film d’Asghar Farhadi est intéressant
aussi sur des détails : par exemple, la scène où la commission de censure
trouve huit points litigieux dans la pièce « Mort d’un commis voyageur
» montée par la troupe d’Emad et Rana...
Positif/ par Vincent Thabourey
Asghar Farhadi excelle à orchestrer ce ressac temporel. Conviant tous
les outils du cinéma avec un savoir-faire discret, il assume sans forfanterie
son côté bâtisseur d'histoires. "Le Client" est un magnifique système,
une habile construction.
Charlie Hebdo/par Sigolène Vinson
Le réalisateur ne semble pas prendre position sur les questions qu'il
pose. Son talent peut-être est-il un point de vue.
Transfuge/par Damien Aubel
C'est brillant mais, heureusement, les zones d'ombre restent inentamées
(...), la direction d'acteurs, réglée au millimètre, prenant le relais sur
la narration pour faire ressortir cette inquiétude permanente : l'incapacité
de rester dans la quiétude d'un endroit qui serait à soi.
Le Nouvel Observateur/par Pascal Mérigeau
De retour en Iran après une parenthèse française ("Le Passé"), le cinéaste
se comporte une nouvelle fois en architecte, bâtissant un scénario implacable,
dont chaque pièce s’assemble sans que le spectateur en ait toujours conscience,
sans que jamais les personnages ne mesurent les effets produits sur leur
existence. Emad et Rana, également partenaires sur scène, où ils jouent
"Mort d’un commis voyageur", emménagent dans un nouvel appartement, dont
la locataire précédente, "une femme qui a de nombreux compagnons" (autrement
dit, une prostituée), refuse de débarrasser ses affaires. C’est là qu’un
soir, Rana, seule, a ouvert la porte sans demander qui sonnait, persuadée
qu’il s’agissait de son mari. Quand celui-ci est entré, il a trouvé des traces
de pas ensanglantés et Rana blessée à la tête, traumatisée.
Que s’est-il passé ? C’est ce qu’Emad tente de savoir, menant sa propre
enquête, mais la question essentielle est de comprendre comment cet incident,
les interrogations qu’il fait naître et, plus encore, le regard porté par
les autres sur le couple vont insidieusement modifier la relation jusqu’alors
sans nuages entre un homme et une femme. A force de chercher, le mari finit
par trouver et il piège le coupable, en qui il ne tarde pas à voir un double
de celui que, chaque soir, maquillé, vieilli, il interprète sur scène,
le misérable Willy Lomax créé par Arthur Miller.
L’humiliation est au cœur du drame, celle vécue par Rana, dont on ne
saura presque rien, celle endurée par Emad, confronté à la pression exercée
par ceux qui veulent qu’il venge l’honneur de son épouse et le sien propre.
Cette fois-ci, la femme est au centre du tableau dessiné par Farhadi, c’est
elle qui, tout en silences, tout en regards, fait naître la tension, et
la maintient jusqu’au dernier plan, délicieusement énigmatique.
La Croix/par Arnaud Schwartz
Primé au Festival de Cannes, le nouveau film de l’Iranien Asghar Farhadi
propose une exploration morale vertigineuse, où se dérobe l’évidence du
jugement. paysages changeants de la faute. Asghar Farhadi propose une exploration
morale vertigineuse, où se dérobe l’évidence du jugement.
Avec une prédilection pour la faute, la culpabilité, la responsabilité
dans la multitude des points de vue moraux. Nul hasard si la pièce que
le couple joue est celle d’Arthur Miller, dans laquelle un vieil homme
usé se perd entre dignité et pardon.
Le cinéaste, jamais preneur de réponses toutes faites, n’a pas son pareil
pour mettre ses spectateurs au travail, faisant évoluer la perception que
l’on a de ses personnages en fonction des situations auxquelles ils sont
soumis. « Pour savoir qui est coupable de quoi, il faut entendre tous les
personnages, note-t-il. Les justifications de l’un peuvent influer sur le
jugement de l’autre. Plus on dispose d’informations, plus on comprend que
personne n’est tout à fait coupable. Chacun a de bonnes raisons d’agir comme
il le fait, et ce qui complique encore l’affaire, c’est que ces raisons
sont très souvent inconscientes au moment où les actes sont commis. »
Comme dans ses films, la réalité iranienne n’est pas binaire : « Mon
propos est de m’adresser à tous, confie-t-il. Y compris aux membres de
la commission de censure, qui sont aussi des êtres humains. Si je parviens
à ce qu’au bout d’un quart d’heure ils oublient qu’ils sont là pour repérer
ce qui leur pose problème et se laissent porter par le film, tant mieux.
C’est ça qui m’intéresse : les inclure au public. »
L'Humanité/par Magali Jauffret Le choix cornélien de la vengeance ou
du pardon
Une nouvelle fois, le cinéaste iranien bouscule le confort d’un jeune
couple de la classe moyenne pour le confronter à une situation dramatique,
nous plongeant dans la complexité de l’humain.
Après la Séparation, le Passé, Ashgar Farhadi est rentré filmer ce thriller
psychologique en son pays, dans une ville de Téhéran surpeuplée, où il
est très difficile de se loger et qui bruisse, tout au lond du film, tourné
dans un dédale anarchique d’escaliers et de toits-terrasses. D’emblée, on
entre en métaphore : les fissures de l’immeuble nous plongent dans les fêlures,
les fractures de la société iranienne…
Un film construit sur le non-dit et le contournement. Entre drame théâtral
et drame réel, atermoiements, doutes et contradictions de l’un ou l’autre,
nous voilà, nous aussi, transformés en limiers, dans la situation de soutenir
l’un, puis l’autre, de compatir ou pas. Nous aussi, nous cherchons la vérité,
nous nous interrogeons, incapables de trancher. C’est d’autant plus prenant
que les personnages sont ambivalents, les situations ambiguës, que le film
se construit sur l’ellipse, le contournement, le non-dit, que tout se passe
dans les silences, les regards, sans compter le jeu avec la censure du
ministère de la Culture et de l’Orientation islamique qui se confond avec
le récit. Une intimité a été violée
Critikat.com/par Benoît Smith
La pertinence de l’observation est indéniable, cependant le handicap
qui l’accompagne l’est tout autant : une tentation pour le spectateur de
jauger les contours de ce qu’il faut bien appeler le système Farhadi, un
système qu’il est légitime de trouver verrouillé. Comme dans d’autres de
ses films, l’engrenage que le cinéaste se plaît à mettre en branle reste
avant tout scénaristique, reposant sur une écriture au cordeau des situations,
des échanges, des confrontations – et sur la faculté de la mise en scène
de s’appuyer sur le scénario pour matérialiser une tension du regard, en
faisant durer les plans et les silences, en aménageant du hors-champ et
des ellipses. C’est efficace, et mené ici un peu plus habilement que dans
Une séparation (où une certaine ellipse semblait conditionner toute la lecture
du film). Mais cela ne nous débarrasse pas de l’impression un peu étouffante
que de tels films, et le regard qui s’y exerce, roulent sur des rails rigides
dont on aimerait parfois les voir sortir pour respirer un peu, oser regarder
légèrement de côté. De telles sorties se produisent néanmoins à l’occasion,
comme ici au cours d’une filature à travers Téhéran où le film semble s’offrir
l’option de bifurquer librement du programme suivi jusqu’alors.
Sa critique social : s’avère aussi à double tranchant, en tant que partie
intégrante de ce système. Dans Le Client peut-être plus encore que dans
ses autres films, aucun personnage (du couple à leurs camarades de théâtre
en passant par les voisins : on n’exceptera guère qu’un petit garçon) n’est
épargné par cette machine à relever les ambiguïtés, les travers sournois,
les petites lâchetés, parts d’ombre savamment exposées par des dialogues
aux mots pesés, ou suggérées par de petites ellipses judicieusement choisies.
Les scènes sur la scène de théâtre semblent exister pour appuyer la posture,
quand le réel s’invite inopinément dans la représentation pour la perturber
On note que si Farhadi se fait juge, il ne condamne pas vraiment : d’abord
parce qu’à l’arrivée tous les personnages auront été soumis au même niveau
de regard critique, si bien que nul n’est vraiment plus fautif qu’un autre ;
ensuite parce qu’au moins pour certains, quelques instants (comme les derniers
plans sur le couple désuni mais prêt à remonter sur les planches) suffisent
pour rappeler que l’engrenage de l’étouffement dans la culpabilité n’est
pas une fatalité, qu’une sortie est possible, même du plus bas. Et puis,
dans ce regard inquisiteur qu’il fait circuler sur son théâtre à lui, une
dimension plus discrète transparaît. Si les personnages se dérobent, dissimulent,
biaisent voire trichent, le film laisse toujours deviner au-dessus d’eux
une dimension – sociale, traditionnelle, religieuse aussi sans doute, quoi
jamais clairement désignée – qui les incite tacitement à ces arrangements
avec la sincérité. De ce poison qui circule de scène en scène, ils sont responsables
mais contraints. Le cinéaste ne les dédouane pas, mais reconnaît que leurs
actes critiquables trahissent autre chose qui les dépasse. Au moins pour
ce témoignage en filigrane, pas si surplombant qu’il peut s’en donner l’air,
le cinéma de Farhadi invite à surmonter son abord peu amène.
Le Monde/par Jacques Mandelbaum
Le redoublement du théâtre et de la vie, qui aurait pu être fructueux
si la partie théâtrale avait pu être autre chose qu’un décor destiné à contenir
l’idée d’une mise en abyme, mais où rien ne se joue vraiment pour le film.
Le sentiment d’une déception l’emporte donc, aussi intéressante et inventive
la métaphore fût-elle.
Télérama/par Cécile Mury
C'est l'ambiguïté d'Asghar Farhadi face à son sujet qui crée le seul
vrai malaise. Si on retrouve le talent du cinéaste (...), son sens de l'ellipse
et de la fluidité nerveuse du mouvement, on ne cesse de se demander ce
qu'il dit vraiment, tant chaque situation, chaque dilemme, peut faire l'objet
d'interprétations contradictoires.
Après un détour en France (Le Passé, 2013), le cinéaste revient donc
au pays, avec les mêmes procédés : il pose ses personnages dans une labyrinthique
enfilade de huis clos domestiques, d'appartements en cages d'escaliers,
enfermés ensemble dans une vision métaphorique et étouffante de la société.
Mais cette fois, c'est presque trop littéral. Au début du film, l'immeuble
des héros, Emad et Rana, un couple de théâtreux trentenaires, menace de
s'écrouler. Manière de nous suggérer, sans grande subtilité, la décrépitude
qui guette ce petit monde, aussi bien dans l'espace public que dans la sphère
privée
Le conte moral qui en découle se veut dérangeant, une lecture cruelle
des manques, des préjugés et des hypocrisies de chacun — y compris les «
victimes » de l'incident. C'est pourtant l'ambiguïté d'Asghar Farhadi face
à son sujet qui crée le seul vrai malaise. Si on retrouve le talent du cinéaste
d'Une séparation, son sens de l'ellipse et de la fluidité nerveuse du mouvement,
on ne cesse de se demander ce qu'il dit vraiment, tant chaque situation,
chaque dilemme, peut faire l'objet d'interprétations contradictoires. Dénonciation
du carcan moral dans l'Iran des mollahs ? Ou mépris flou, désabusé et hautain,
pour la nature humaine en général ? Sans véritable prise de position, le
film finit par n'être qu'un habile exercice de style, soigneusement calibré
pour éviter de justesse la censure. — Cécile Mury