Je vous envoie ci-dessous le compte rendu des échanges que nous avons eus après la séance de cinéma de lundi dernier : "Une famille heureuse". Passez des jours sereins en attendant la prochaine séance qui aura lieu le lundi 12 Juin. Amicalement. Jacqueline Moulin

« Une famille heureuse » : une tribu à Tbilissi

Dans cette chronique bienveillante, trois générations partagent le même appartement dans la capitale géorgienne.

LE MONDE | 09.05.2017 à 07h49 |Par Thomas Sotinel

Ia Shugliashvili dans le film géorgien et allemand de Nana Ekvtimishvili et Simon Gross, « Une famille heureuse » (« Chemi Bednieri Ojakhi »).

L’avis du « Monde » – à voir

C’est un plan tout simple : à la fenêtre d’un ap­partement quelconque, une femme mange un gâteau à la fraise en écoutant la Marche turque. Il n’y a pas à aller chercher plus loin la clé du comportement de Manana, la très ordinaire héroïne d’Une famille heureuse : il s’agissait tout bêtement de s’extraire du chaos. Dans ce film signé par un couple, Nana (Ekvtimishvili) et Simon (Gross), les scènes de la vie conjugale, familiale, amicale ne produisent rien de plus que ce qu’elles produisent dans la vie ordinaire : des malentendus, des colères, des regrets, des fâcheries et des réconciliations. Les portes vers l’excès, et, a fortiori, la tragédie, restent résolument closes.

Cette banalité dessine la limite du film, elle en fait aussi la force. Porté par des acteurs formidables (au premier rang desquels Ia Shugliashvili, dans le rôle de Manana), Une famille heureuse pose un regard bienveillant et paisible sur les tribulations dérisoires et vitales d’une tribu géorgienne, dont, au début du film, trois générations partagent un même appartement. Les metteurs en scène (elle est géorgienne, lui est allemand) s’amusent un temps à dessiner les personnages, certains plus grands que nature (la grand-mère qui voudrait entraîner tout le clan dans sa vision catastrophiste de la vie), d’autres d’une banalité ­confondante (le jeune homme qui n’a pas entendu sonner la fin de son adolescence)…

Ce regard gentiment affligé est aussi celui de Manana, quinqua­génaire, mère de famille, fille dévouée, professeure de littérature au lycée, qui prend conscience que sa vie a été faite de trop de gros plans sur ses proches, et qu’il lui faut maintenant prendre du champ.

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Une famille heureuse/Nana Ekvtimishvili, Simon Gross

Géorgienne et son compagnon allemand,

Une famille heureuse apparemment, une famille surtout très prégnante, dans laquelle la mère de deux enfants décide pendant son repas d’anniversaire de se retirer dans sa chambre puis dans un nouvel appartement, au calme. Elle a 52 ans et, soudain, elle « met les voiles ».

Manana étouffe dans sa famille et ne supporte plus sa vie familiale, où cohabitent ses parents (sa mère insupportable, envahissante, archétype d’une famille patriarcale, l’aïeule est une vraie « mama » autoritaire), son mari plutôt terne dans son foyer, leurs deux grands enfants et leur gendre. Puis arrivent les proches et amis qui débarquent pour lui souhaiter son anniversaire et faire la fête. Sans un mot, sans une larme, sans un regret, elle part ensuite s’installer, seule, dans un studio. Peu lui importe d’être mal jugée par les siens et la société. Enfin, peu importe les jugements de son entourage elle a le courage de choisir la liberté.

Professeur dans un lycée de Tbilissi, elle réapprend le plaisir de petites choses : lire, écouter de la musique et contempler, depuis son balcon les arbres, au printemps. C’est un éloge de la fuite et un hymne à une seconde vie, loin des siens. Loin aussi de tout égoïsme, sereine, elle encourage une de ses élèves enceinte qui rate son cours ; elle montre quelques gestes de tendresse à sa fille.

Nous y voyons un voisinage ici comme ailleurs, un quartier ou un village qui contrôle tout un chacun. Surveillance, protection, commérages. Son frère protecteur charge les nouveaux voisins de Manana de contrôler les visites inattendues qu’elle pourrait avoir et nous assistons à une méprise.

Lors d’une rencontre festive animée de chants traditionnels interprétés pour notre plus grand plaisir, par un chœur d’amis, Manana est dans un coin, entourée de vieilles amies papotant, puis conversation évoluant, celles-ci lui annoncent que son mari la trompait. Nouvelle éprouvante pour elle ! Elle doit faire bonne figure, alors hésitante sous l’insistance de l’entourage, elle interprète à son tour de sa belle voix un chant, vibrante d’émotion.

Le film en VO (le géorgien) a été trouvé lent, certains d’entre nous avouent avoir somnolé, quoique nous avons ainsi eu le temps de lire le sous-titrage ! Les acteurs sont bons, particulièrement la protagoniste principale.

Le film laisse deux interrogations : d’abord le titre sans ponctuation significative : « Une famille heureuse » est-ce un euphémisme ? est-il ironique ? une raillerie ? Hors l’oppression, la famille dans sa banalité ne montre pas de problème majeur.

L’autre question : le film se termine par la question que Manana pose devant (ou à) son mari : « et toi qui es-tu ? », une invite à réfléchir sur lui-même ?

Mon point de vue : le film féministe, sobrement et sans émotion fait craquer le vernis d’une famille pas si heureuse dans laquelle chacun a une place déterminée. La femme se sauve (dans les deux sens du terme) pour respirer : « je pose un acte de libération donc je suis », laissant son machiste de mari désorienté sans elle, sa place d’homme conventionnelle ébranlée.

La majorité du groupe a trouvé le film intéressant, sans plus, sauf l’avis d’une personne qui l’a trouvé décevant.

Jacqueline Moulin