Michel GALICHET

             ( 1928 – 20.. )

  "  JE NE REGRETTE RIEN "

           (Air connu. E. Piaf)



Le récit de ma vie

L’église de Somme-Suippe

Dans mon bureau à Bobo-Dioulasso

 

  

"  Dieu écrit droit avec des lignes courbes "

(Proverbe espagnol ou portugais) Août 2007

 

 

 

 

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INTRODUCTION *

Première PARTIE : Enfance *

L’ ADOLESCENCE. *

LE PETIT SEMINAIRE. *

LA LIBERATION. *

LES COLONIES DE VACANCES. *

DEUXIEME PARTIE : 1947-1963 JEUNE PRÊTRE. *

LE GRAND SEMINAIRE. *

LES ORDINATIONS ET PREMIERE ANNEE DE MINISTERE. *

TROISIEME PARTIE : 1963-1969 * PRETRE "  FIDEI DONUM  "  EN AFRIQUE . *

VIE NOUVELLE *

JUILLET – AOÛT 1968 : UNE VIREE VERS L’EQUATEUR *

FIN DE L’ANNEE 1968 ET PREMIER SEMESTRE 1969 A BOBO. *

QUATRIEME PARTIE : 1969 – 1972 RETOUR EN FRANCE *

LA READAPTATION. *

STAGE D’ELECTRICIEN AU CENTRE F.P.A. DE ROMILLY *

TRAVAIL EN USINE AU " COQ SPORTIF  " *

CINQUIEME PARTIE :1972–92 CHANGEMENT D’ ORIENTATION *

CAP SUR LE SUD, LE SOLEIL, MARSEILLE. *

"  ECHANGES ET DIALOGUE " *

ECHANGE DE LETTRES AVEC MONSEIGNEUR PIERARD. *

JE QUITTE MARCILLY *

LES RANDONNEES PEDESTRES. *

A LA DECOUVERTE DE MARSEILLE. *

LE MARIAGE AVEC ODILE. *

ELECTRICIEN DU BATIMENT *

EMMAÜS *

ELECTRICIEN D’EQUIPEMENT INDUSTRIEL *

NOTRE FILS PATRICE *

LES CHANTIERS NAVALS DE LA CIOTAT *

DROGUISTE A LA CITE MICHELIS ( Marseille 11°) *

NOTRE FILLE CELINE. *

VACANCES EN CHAMPAGNE *

SIXIEME PARTIE : LA RETRAITE 1992 - 20 .. *

FIN DE L’ETE ET L’AUTOMNE *

L’APICULTURE *

"  UN PETIT COIN DE PARADIS  " A ROQUEVAIRE. *

LE CHŒUR "  PRO MUSICA " *

L’ASSOCIATION : " AMITIES MARSEILLE DIEBOUGOU *

AU BURKINA " *

LE MARIAGE DE PATRICE AVEC FREDERIQUE *

LE MARIAGE DE CELINE AVEC PHILIPPE. *

LA PAROISSE DE LA VALBARELLE. *

POURSUIVRE *

LA CHORALE "  LA  CANTILENE  " *

INTERNET *

ODE A ODILE *

Lettre du Burkina *

TABLE DES MATIERES *


INTRODUCTION

Chers amis lecteurs

Chères amies lectrices,

Voici déjà quatre ans que j’ai commencé la rédaction du récit de ma vie. Comme l’a si bien dit le poète : " Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage. " De ce fait vous trouverez en cours de lecture des ajouts ou des références à des événements récents.

Par ces quelques pages relatant les faits et gestes de ma vie je n’ai pas la prétention de réaliser une œuvre littéraire irréprochable et d’un très grand intérêt.

J’ai simplement voulu mémoriser mes souvenirs et les écrire afin qu’ils puissent subsister. " Les paroles s’envolent, les écrits restent " " Scripta manent " disent les latinistes.

Dans ce récit vous allez suivre au fil des ans les événements qui ont marqué ma vie. J’ai essayé de les remettre dans leur contexte, en décrivant l’ambiance générale dans laquelle je les ai ressentis. Comment ma vocation sacerdotale a éclos et a mûri ? De quelle manière comme beaucoup d’autres prêtres, religieux et religieuses j’ai dû affronter en ce 20° siècle ce rude problème du célibat ? J’ai essayé en mon âme et conscience d’y apporter une solution individuelle, tout en souhaitant que des mesures générales acceptables soient élaborées. Quand les lois sont trop vieilles et inadaptées il faut les changer.

En effet, durant ces dernières décennies bien des choses dans la société française ont été remises en question. Les conditions de vie actuelles ne sont plus les mêmes qu’au Moyen-Âge, époque à laquelle a été érigée par l’Eglise la loi du célibat ecclésiastique.

Les lois ne sont pas intangibles. L’Eglise qui sait prêcher qu’il faut respecter toute personne, qu’il faut promouvoir " la dignité de la personne humaine " a du mal à réaliser ce beau projet dans ses propres structures. Elle s’emploie à briser des femmes et des hommes qui étaient prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes pour que le monde d’aujourd’hui connaisse

toujours davantage de Liberté, d’Egalité, de Fraternité. Affaire à suivre !

L’aide apportée par ma famille, Odile tout particulièrement, et bien des ami(e)s, à la réalisation de cet essai, m’a été précieuse. Je les en remercie bien vivement

Je fais une première édition de 50 exemplaires. Si je vois que vos réactions sont positives, j’envisagerai d’en faire un second tirage avec des améliorations (arbre généalogique, détails sur l’Afrique avec des éléments géographiques et géopolitiques). N’hésitez pas à formuler vos critiques et suggestions. Les premiers échos d’amis à qui j’ai donné quelques bonnes feuilles sont assez encourageants.

Je vous souhaite à chacun et à chacune qui lirez cette brochure, de ressentir en la lisant, autant de joies et d’ émotions que j’ai éprouvées moi-même, en les rédigeant.

Avec toute mon amitié. M.G.

Première PARTIE : Enfance

DIMANCHE 3 AOÛT 2003

 

En cet été caniculaire qui voit partir en fumée le Massif des Maures, en ce début de mois d’août qui voit Marseille s’alanguir dans une chaleur moite, alors que tout invite à la sieste et au farniente, soudain, le courage m’envahit et m’invite à écrire mes souvenirs, avant qu’il ne soit trop tard. Et, si l’on songe, de plus, que c’est un dimanche matin, vous mesurez aisément l’ampleur de cette démarche paradoxale

Il est vrai que le désir de mettre par écrit les moments importants de ma vie me poursuivait depuis quelque temps et le fait que j’avais rédigé et mis en forme les " Notes autobiographiques de Monsieur Alfred Galichet ", mon père, me permettait de constater que ce genre d’exercice, quoique long et très prenant , n’était pas du domaine de l’impossible. Je ne pense pas que le récit que j’entreprends, soit d’un intérêt majeur, mais il me semble qu’il peut servir de témoignage, parmi tant d’autres, de ce qu’a vécu un Français moyen en ces années charnières qui nous ont fait passer du 20° au 21° siècle.

Mon témoignage pourra aussi aider à comprendre le cas de conscience qui s’est posé à de nombreux prêtres à propos du célibat, difficile à vivre dans un monde où les mœurs ont évolué rapidement. Rappelez-vous de " Mai 68 ".

J’espère aussi, ne pas vous lasser et pouvoir retenir votre attention jusqu’au bout de mon bavardage.

( Cf. " Notes autobiographiques de Mr Alfred Galichet ", commencées à Somme-Suippe le 29 mars1985 et terminées à Somme-Suippe, le 22mai 1996).

UN PEU DE GEOGRAPHIE .

Permettez-moi, tout d’abord, de me situer dans l’espace et le temps. Je suis originaire de la Champagne, province connue dans le monde entier grâce à son vin pétillant si réputé. Qui n’a, une fois ou l’autre dans sa vie, eu l’occasion de déboucher une bonne bouteille de Champagne ? Région, qui malheureusement, connut plus souvent qu’à son tour, les affres des combats et de la guerre. La plaine champenoise est irriguée par la Marne qui passe à Vitry-le-François, Châlons et Epernay. Cet affluent a donné son nom au département, dont la ville principale est Reims célèbre, entre autres, par sa magnifique cathédrale.

La Champagne s’étend sur deux zones assez distinctes. D’une part, la région viticole comprenant - grosso modo - la vallée de la Marne avec Epernay et la Montagne de Reims, et d’autre part, la Champagne crayeuse ou pouilleuse englobant la plaine de part et d’autre de la Marne, avec Suippes, Mourmelon au nord, et Fère-Champenoise, Sézanne, au sud. Me croirez-vous, si je vous dis que je trouve cette région très jolie et très attachante ? Evidemment, vous me taxerez de partialité. Mais si un jour, vous avez l’occasion de passer par là, prenez le temps de découvrir et d’apprécier son charme et sa convivialité sous des apparences austères.

Les livres d’histoire comportent des pages et des pages nous relatant les innombrables faits et gestes qui jalonnèrent la vie de ces contrées au cours des siècles. Sans remonter à la nuit des temps, qui n’a pas entendu parler du trop fameux Attila, roi des Huns ? Il existe, près de Suippes le village de La Cheppe, dans la vallée de la Noblette, où Attila en l’an 451 installa ses bases arrière ; on peut y voir encore actuellement le camp d’Attila formant une grande cuvette délimitée par des remblais de 2 à 3 mètres de haut. Ce sont les champs catalauniques. Les Catalaunes étaient un peuple venu des régions nordiques. Ils s’implantèrent si bien dans la région qu’ils donnèrent leur nom à la ville qu’ils bâtirent : Châlons - Catalaunensis- en latin.

C’est dans cette ville de Châlons-sur-Marne, qu’on appelle depuis quelques années Châlons-en-Champagne, que je vis le jour le jeudi 16 août 1928 à 2 heures 45 du matin, à la maternité anglaise, avenue de Strasbourg. Je pesais 4 kilos. Cette maternité se trouvait à proximité de la Porte Sainte-Croix, lieu historique. C’est là, en effet, que le futur roi Louis XVI rencontra solennellement, pour la première fois, le 11 mai 1770, Marie-Antoinette, venant de Vienne en Autriche. C’est en ce lieu que fut scellé leur funeste destin.

Sans tarder, le 23 du même mois, je fus baptisé par un cousin de ma mère, le Chanoine Mérry Mauclert qui était curé de la paroisse Sainte-Pudentienne, près de la gare, sur la rive gauche de la Marne. J’ai retrouvé dernièrement un extrait de mon acte de baptême. Mon parrain fut Edmond Raulet de Bussy, qui était marié avec Madeleine Galichet cousine germaine de mon père. Ma marraine, fut Agnès Bertus, sœur cadette de Maman. En ce temps là, il fallait baptiser le plus rapidement possible. Maintenant, les parents prennent le temps de la réflexion ou même décident de surseoir, estimant qu’il faut laisser à l’enfant le temps de grandir afin qu’il puisse s’engager lui-même dans cette voie, en toute connaissance de cause.

Bientôt, après les quelques jours réglementaires passés à la maternité, je rejoignis la famille à Somme-Suippe, petit village de 300 habitants à 28 kilomètres au nord-est de Châlons. Cette bourgade se trouve sur la nationale 31 qui relie Reims à Verdun, en passant par Suippes et Sainte-Menehould.

Somme-Suippe est situé au cœur de la Champagne crayeuse que certains appellent pouilleuse à connotation péjorative. La pouille était une herbe poussant sur des terres pauvres, servant tout de même de pâture aux nombreux troupeaux de moutons qui prospérèrent durant des siècles sur ces zones arides.

Pas très loin, à 15 kilomètres, en direction de Verdun, se situe Valmy, avec son illustre moulin perché sur la colline qui domine le village. C’est là que Kellermann et Dumouriez, le 20 septembre 1792, tinrent tête aux forces coalisées qui voulaient renverser les armées révolutionnaires.

Plus récemment, la région fut à nouveau le théâtre de combats acharnés durant la guerre de 1914-1918. Des villages entiers furent rayés de la carte tel que Perthes-les Hurlus, Tahure. Ces territoires dévastés forment maintenant le camp militaire de Suippes et de Mourmelon. A la limite des villages de Souain, Sainte-Marie-à-Py et Somme-Py, se dresse le monument souvenir de la ferme de Navarin, où le sculpteur Real del Sarte érigea le buste de trois soldats, un français, un anglais, un américain faisant face à l’ennemi, venu de l’est, comme toujours. Les cimetières militaires de Souain et Somme-Suippe témoignent de la sauvagerie des combats qui se livrèrent quotidiennement sur le front de Champagne durant ces quatre années terribles.

Enfin, en 1940, " la drôle de guerre " rappela de mauvais souvenirs à nos aînés. Pendant quatre longues années, encore, nous dûmes subir l’occupation nazie jusqu’au moment tant attendu de la Libération. Ce qui arriva dans le courant du mois d’août 1944, lorsque les chars américains, venant de Reims, par la nationale 31, jalonnée maintenant par les bornes de la Voie de la Liberté, nous apportèrent un nouvel air de bien-être et de joie de vivre. Je leur en suis infiniment reconnaissant.

Donc, en août 1928, je rejoins ma famille dans ce sympathique village de Somme-Suippe qui a la particularité d’être bâti à la source de cette petite rivière qu’on appelle La Suippe.

Somme indique qu’à cet endroit se trouve le sommet du cours d’eau, son point culminant. Plusieurs villages environnants tirent leur nom de cette même particularité. Ainsi en est-il de Somme-Bionne, Somme-Tourbe, Somme-Py, Somme-Vesle, etc…La Suippe est un petit cours d’eau qui se jette dans l’Aisne à Condé-sur-Suippe, arrosant 24 communes, sur un parcours de 65 kilomètres. C’est sous l’église même, bâtie sur une butte, que jaillit la source de la Suippe, qui sort de terre 20 mètres plus loin. L’eau était retenue par une vanne, afin de constituer un petit bassin où les lavandières venaient terminer la lessive et rincer leur linge. C’était " Le Lavoir ". Il fut malheureusement supprimé en 1967.

Je m’aperçois que la Suippe n’est pas tout à fait méconnue car j’ai noté au cours de mes lectures, dans un livre de Henri Amouroux " La vie des Français sous l’occupation " chez Fayard, page 124, qu’il existait en 1940 un torpilleur français " La Suippe "qui avait permis à des hommes de l’Ile de Sein de gagner la Grande-Bretagne où les accueillit le général de Gaulle.

UN PEU D’HISTOIRE LOCALE.

D’après certains documents historiques, Suippe en 1236, s’écrivait " Sopia ". Ce qui laisse à penser que le mot Suippe doit son origine au terme grec " Sophia " qui veut dire " La Sagesse ". Par déformation, au fil du temps, sophia serait devenu soppia. De quoi donner aux habitants de cette commune un certain degré de fierté. Habiter à la source de la sagesse n’est pas donné à tout le monde. Faut-il voir dans ces considérations un reliquat des coutumes de nos ancêtres les Gaulois, qui accordaient aux sources d’eau des pouvoirs bénéfiques, encouragés en cela par les druides. Les sources étaient souvent devenues des lieux de culte où l’on vénérait les dieux anciens, dont peut-être, le dieu de la sagesse à la source Sophia.

Permettez moi, en cette occasion, de laisser la muse me dicter à l’oreille, ce petit poème :

Il est un petit village,

Qui a l’immense avantage,

D’accueillir les sages

Sans grand tapage.

Ce petit bourg champenois,

Somme-Suippe, on l’appela,

Où, bientôt, cahin-caha,

Je fis mes premiers pas.

C’est là, que vécurent mes ancêtres,

Dans la foi et le bien-être.

C’est là, que je passai mon enfance

Dans la joie et l’insouciance.

Merci à tous ceux et toutes celles,

Qui dans une ambiance fraternelle,

M’aidèrent à prendre mon envol,

Dans un monde sans boussole.

Somme-Suippe est riche d’un passé historique. C’est en 1053, sous le règne d’Henry Ier, qu’on trouve pour la première fois mentionné le nom de ce village, dans une lettre de Guy de Chastillon, archevêque de Reims, adressée à l’Abbesse d’Avenay, Madame Aelys : il lui confirme sa volonté de faire don, à elle et aux abbesses qui lui succéderont, de la paroisse de Somme-Suippe qui est placée sous la protection de Saint Pierre, ainsi que de tous les biens y attenant.

En 1579, sous Henry III, lors des guerres de la Ligue ( guerres de religion entre catholiques et protestants), Somme-Suippe obtint la permission de s’entourer de remparts et de fossés pour se protéger.

En juin 1768, les habitants demandent d’être " autorisés de faire entre eux une garde de quatre hommes pour veiller à leur sûreté, tant pendant la nuit que pendant les services divins, les jours de dimanche et les jours de fêtes ".

En 1759, une épidémie de choléra ravagea le pays. Il y eut cette année là, 45 morts contre 24 baptêmes et 3 mariages seulement.

L’église, magnifique, date du 12°-13° siècle, comme celle de Suippes. Ces deux églises dépendaient des Abbesses d’Avenay. C’est grâce aux revenus des terres qu’elles possèdent dans la contrée et aux redevances qui leur sont versées annuellement qu’elles peuvent réaliser de telles constructions.

Le 5 juillet 1828, la foudre mit le feu au clocher. Une souscription fut organisée dans tout le département. Elle permit de couvrir les frais de remise en état. Les habitants de la commune y participèrent généreusement. Au cours des années qui suivirent de nombreux travaux d’embellissement furent réalisés.

Malheureusement, la guerre de 14-18 va de nouveau occasionner de graves dégâts à ce cher bâtiment, ainsi qu’à l’ensemble des maisons du village, comme en témoignent les écrits de Monsieur l’Abbé Aloïs Metz, datant de 1919, année où il fut nommé curé de la paroisse, par l’évêque de Châlons

 : " Dans vos ruines, je ne pus repérer un gîte. Le soir même, je rentrai chez moi. Deux mois plus tard, je résolus de faire une nouvelle tentative. J’emportai, cette fois, un petit matelas de campement, décidé à m’installer au patronage, en contact avec les soldats qui l’occupaient. Dans la seule chambre disponible, je fis boucher avec des toiles les fenêtres sans vitres. J’installai mon matelas sur un lit de fer, échappé à l’incendie de l’orphelinat ; une table d’emprunt, un poêle à réchauffer les fers à repasser et même un vieux fauteuil " rescapé ", tel fut le premier ameublement que put se constituer votre curé avec le concours de quelques paroissiens bien dévoués ".

Plus loin, l’Abbé Metz décrit la situation telle qu’il la trouve à cette époque : " Les vitraux de l’église défoncés, cachés par des toiles, son mobilier en partie disparu ; l’école occupée par les Malgaches, mutilée de toutes façons ; le presbytère réquisitionné par le central téléphonique mais n’ayant plus de vitres, ni de plafonds, déclaré d’ailleurs inhabitable…D’un côté, pas d’argent, pas de matériaux, pas d’ouvriers. Par contre, en face de nous, ricanant presque de notre misère, deux mille prisonniers… sans emploi. Un peu révolté de cette attitude, je pris le parti de me rendre, sans plus tarder, à Paris, pour exposer notre situation de misère à un membre du Parlement, Mr Margaine. Je reçus de lui le plus cordial accueil. Il donna rendez-vous, de suite, aux députés des régions dévastées et, deux jours après, je recevais l’avis que le ministère mettait les prisonniers du front à la disposition des communes, pour y relever leurs ruines. De ce fait, 1 200 Allemands du camp furent affectés à la remise en état des maisons détériorées, des jardins, des champs et des routes éventrées par les bombardements, les tranchées et les abris. Huit d’entre eux, artistes en tout genre, furent choisis pour la réfection de l’église et pour les travaux plus délicats de l’intérieur.

Notre pauvre église avait ses murs délabrés par la pluie et la gelée, sa toiture d’ardoises percée de toutes parts, son clocher en partie découvert des suites du camouflage dont on l’avait dissimulé.

Que d’incidents on pourrait rappeler à l’occasion de ces travaux ! Il n’y avait pas d’ardoises. J’avisai la Préfecture qui en expédia un million à Suippes, dont 10 000 pour nous…Des chaises sont achetées pour remplacer les anciennes qui avaient été enlevées dans les tranchées ou les baraquements du front. "

Devant ces travaux d’Hercule qui attendaient le nouveau pasteur, rien ne devait freiner son ardeur. En effet, il terminait son récit par cette phrase optimiste : "  Ceux qui, avec moi, ont connu ces heures héroïques, les revivront peut-être avec plaisir. Comme à l’un des héros de Virgile, " il leur plaira de se souvenir des jours tragiques du temps passé. "

Si je me suis un peu attardé sur l’histoire de notre église c’est que j’y ai passé bien des heures de mon enfance et y ai vécu des moments chargés d’émotions tant au plan personnel que familial ou paroissial.

 

 

 

 

 

MES RACINES : MES ANCETRES.

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Il n’est pas facile, en ces temps où la généalogie est à l’honneur de ne pas céder à la tentation de suivre cette mode. Du côté de mon père, d’après les différentes recherches entreprises surtout par mon frère Roland, nous retrouvons trace de notre arrière, arrière …grand-père en la personne de Jacques Galichet, né à Hurlus en 1709. Du côté de ma mère, d’après les écrits de notre cousin, l’Abbé André Mauclert, nous remontons jusqu’à Réole Mauclert, né à Somme-Suippe, aux environs de 1660.

Une lettre de mon filleul, Philippe Bertus habitant Reims, datée du 15 octo-

bre 2005 me donne des précisions et des informations très intéressantes. Ce qui

m’oblige à apporter quelques modifications à mon texte initial.

A propos de Réole, il y a erreur. C’est un Pierre Mauclert qui est notre

ancêtre par lignée paternelle par six fois alors que Réole ou Raulin né vers

1667 et décédé le 31-7-1699 ne l’est que par trois fois.

Je vais procéder en deux temps pour permettre de mieux s’y retrouver dans le dédale de toutes ces branches ancestrales. D’abord, je dresse un schéma succinct des ascendants et ensuite, je donnerai plus de détails qui permettront de mieux suivre les événements familiaux.

Du côté de Papa, Alfred Galichet, né à S-S., le 29-5-1898.

 

 

Jacques Galichet, né à Hurlus en 1709, cultivateur

Jacques-Alexandre Galichet, né à La Croix, le 2-11-1753,cultivateur

Alexandre-Remy ,, , né à Minaucourt en 1787, boulanger

Jean-Baptiste Remy ,, , né à ,, le 1-10-1823, boulanger

Jules ,, , né à Bussy-le-Château le 15-2-1870

cultivateur-apiculteur.

S’est marié avec Estelle Ronez, le 26-1-1895, à S-S.

Estelle était fille de Victor-Désiré Ronez, fils de Pierre-

Antoine Ronez, marié avec Pélagie Dez, fille de

Maurille Dez qui était menuisier à S-S. selon une

délibération municipale de 1793.

 

Alfred Galichet , né à S-S. le 29-5-1898

Agriculteur.

S’est marié avec Marie-Louise Bertus, le 15-5-1923 à S-S.

Michel Galichet , né à Châlons le 16-8-1928.

 

 

Du côté de Maman : Marie-Louise Bertus, née à Ste-Marie-à-Py, le 10-5

1903.

Marie-Louise était fille de Gustave Bertus (1873-1915), mon grand-

père maternel marié avec Pia Mauclert, (la fameuse famille

des " TATASS " ( déformation de Stanislas)

 

Lignée de la famille Mauclert :

Non pas Réole, mais Pierre Mauclert, cultivateur

né à S.S. , vers 1649, décédé en 1729

Jean ,, ,, , en 1698 , ‘’ 1759, cultivateur

Maurille né à S.S. , en 1741, décédé en 1816 cultivateur

Maurille ,, ,, ,en 1777, ,, 1846 ,,

Barthelémy ,, ,, , en 1807, ,, 1874 ,,

Stanislas ,, ,, , en 1833 ,, 1913 ,,

dit " le Tatass ", s’est marié le 2-2-1875 avec Anna Viart, la

" Nana ", pour les intimes, (1855-1934),maman de Pia Mauclert,

ma grand-mère maternelle.

Lignée de la famille Bertus :

Ponce Bertus né vers 1784 aux environs de Monthois dans les Ardennes

décédé à Manre le 14-11-1864.

Marie Auguste Bertus né à Manre le 19-1-1820

décédé à Sainte-Marie le 13-2-1890

Pierre-Célestin Bertus, né à Ste-Marie le 26-10-1847

décédé à Reims le 9-7-1906 à 59 ans. Cultivateur.

Gustave Bertus , né à Ste-Marie en 1873

décédé le 3-2-1915, à l’hôpital militaire de Châlons. Cultivateur.

s’est marié avec Pia Mauclert.

Marie-Louise Bertus, ma maman.

En retraçant le cours de mes origines, comment ne pas être émerveillé par la diversité et la richesse de ces liens ? Naturellement me vient à l’esprit l’image de ruisselets qui descendent en cascade, qui mêlent leurs eaux diverses d’où surgit un nouvel élan vital..

Je vais essayer de donner vie à ces personnes évoquées sommairement, d’après les documents et les souvenirs racontés par mes parents. Je désirerais également illustrer ce texte par des photos. Je ne possède pas encore la technique. Espérons qu’en cours de route, le problème trouvera sa solution.

Une première remarque saute aux yeux, à la vue de ces schémas ; je veux dire, la concentration géographique. Pour la famille Galichet, il y a une certaine délocalisation. On va de Hurlus, village détruit pendant la guerre 14-18, rayé de la carte, à Somme-Suippe, en passant par La Croix, Minaucourt, Saint-Rèmy, Bussy-le-Château et La Cheppe. Par contre, la famille Mauclert ne quitte pas son village d’origine. Six générations dans la même commune. Ce n’est pas très sain. Cela laisse supposer bien des risques de consanguinité, et des mariages entre personnes ayant quelques années d’écart, voire des décennies, comme ce fut le cas pour le Tatass et la Nana, 23 ans de différence au compteur ; ce qui ne les empêcha pas de mettre au monde neuf enfants dont sept vivront.

 

Du côté de mon père :

Au moment de ma naissance, en 1928, mon père avait 30 ans et ma mère 25. Avant moi, étaient nés déjà deux garçons, Roland le 15 janvier 1925 et Roger le 16 juin 1926.C’est peu à peu que j’ai dû faire ma place et m’insérer dans la famille, ainsi que dans la trame de cette histoire locale, au passé si chargé. Je n’y ai passé que quelques années d’enfance et de jeunesse mais qui m’ont marqué pour la vie.

C’est seulement maintenant que j’ai le loisir et la possibilité de remonter le temps. En lisant la brochure éditée à l’occasion du centenaire de l’école libre de S-S.(1891-1991), je remarque qu’il est fait mention d’une délibération du conseil municipal du 8 octobre 1793 ainsi rédigée : " Pour se conformer aux lois républicaines qui ordonnent de faire disparaître les emblèmes de la ci-devant Royauté et de la Féodalité, considérant que la croix qui est sur le clocher est garnie de différentes " fleurs de lit " et qu’il est instant de la faire descendre, désigne le Sieur Maurille Dez, charpentier, et décide que la croix sera descendue à ses frais, moyennant une somme de 225 livres. "

Or, en remontant dans la branche des ascendants de ma grand-mère paternelle ( voir le schéma ci-dessus ) nous trouvons Pélagie Dez, née en 1792. Nous savons par les registres de l’époque, qu’elle avait 41 ans lors de la naissance de son fils Victor-Désiré, né à 5 heures du soir, déclaration faite en présence de Pierre Haimart, 48 ans, maréchal, beau-frère du déclarant et Jean Grandjean, 48 ans, instituteur. Je suppose que Pélagie Dez était la fille du ci-devant Maurille Dez dont il est fait allusion dans la délibération du conseil municipal en 1793.Peut-être sera-t-il possible de remonter plus haut dans la branche de ma grand-mère paternelle ?

La maman de mon père, Estelle Ronez, est née à S-S., le 26-4-1863. Elle est décédée le dimanche 19 juin 1932 à l’âge de 69 ans, je n’avais pas encore 4 ans. Sa famille, d’après ce que nous a dit papa, était pauvre. Avant son mariage, et peut-être même après, elle allait travailler à l’usine de filature Buirette à Suippes. Elle devait faire tous les jours 4 kilomètres à pied pour partir le matin et autant pour le retour, le soir. Papa avait une grande vénération pour sa maman. Je pense que ce fut une femme très courageuse et pieuse. Son père, Victor-Désiré Ronez, s’était retrouvé orphelin à l’âge de 5 ans. Il a été "  spolié "  par sa famille.

Papa nous a parlé d’une montre en or qui lui a été remise, en dédommagement, par la cousine Arsénie Haimart,( parente de Pierre Haimart , je suppose, beau-frère de Pierre-Antoine Ronez dont il est question plus haut), qui était restée célibataire. Elle habitait à Châlons où elle a travaillé toute sa vie à la Haute-Mère-Dieu. Elle était nièce du grand-père d’ Estelle.

La sœur aînée d’Estelle, ma grand-mère paternelle, Marie-Virginie Ronez avait épousé Louis Galichet, originaire de Bussy-le-Château. Et il se trouve que de fil en aiguille, le petit frère de Louis, Jules, devint amoureux de la sœur de sa belle-sœur. Les deux sœurs Ronez de S-S. épousèrent les deux frères Galichet de Bussy.

Je garde un vague souvenir de mon grand-père Jules Galichet, né à Bussy le 15-2-1870. Il est décédé subitement, d’une angine de poitrine, le dimanche 29 avril 1934. J’avais à peine six ans. Il était cultivateur-apiculteur. Il avait aménagé deux ruchers, l’un à La Croirelle, pas très loin du camp militaire de Suippes, et l’autre dans le bois de Saint-Jean. La chasse le passionnait. Il était bon musicien. A l’âge de 19 ans, en 1889, il s’engagea pour une période de trois ans au 4° Chasseurs d’Afrique à Tunis. Son copain Jesmy faisait son service au 4° Zouaves dans lequel était adjudant Charles Camuset, également originaire de Bussy.

Lorsque mon grand-père Jules rentre du régiment en 1892, à Bussy, il se remet au travail dans la ferme familiale. Entre temps, son frère Louis s’était marié avec une jeune fille de Somme-Suippe qui s’appelait Marie Ronez. Sachant que sa belle-sœur Marie avait une plus jeune sœur, il désira faire sa connaissance. Dans ce but plus ou moins avoué, il réussit à se faire embaucher chez Mauclert-Lopin, commerçant en grains à S-S. Une certaine journée de printemps à Bussy, où la famille s’adonna aux plaisirs de la cueillette des cerises en compagnie d’Estelle venue chez sa sœur, semble avoir été décisive dans les étapes du cheminement vers le mariage. Jules travaillant à S-S. eut ainsi de nombreuses occasions de rencontrer Estelle. Ils se marièrent le 26 janvier 1895. Estelle avait 32 ans, lui 25.

Dans une lettre du 23 janvier 2005 Roland me donne des informations complémentaires : " Vers 1910, Jules et Estelle avaient une petite culture. Grand-père ramassait le lait pour la fromagerie Guérault à Fère-Champenoise. Le lait était emmené à la gare de Suippes pour " l’heure du train ". Par la suite un camion de la laiterie de Courtisols venait chercher le lait. Grand-mère Estelle tenait une épicerie. Pendant la guerre 14-18, le commerce s’est développé. "

Au régiment, Jules avait eu l’occasion de s’initier à l’art de la musique ; si bien que par la suite il communiqua son savoir à des collègues du village. Ils décidèrent alors, de mettre sur pied un petit orchestre qu’ils appelèrent " La Fanfare Saint-Pierre ". Mon grand-père en fut le directeur ainsi que le chef d’orchestre durant plusieurs années. Il était chantre à l’église et n’aurait jamais manqué son service sous aucun prétexte. Il montait à la tribune en compagnie de Georges Viart, près des orgues tenues par Colette Ronez. Le dimanche après-midi, il quittait une partie de chasse pour venir chanter les vêpres. Monsieur l’abbé Metz, curé de la paroisse lui rendit un hommage appuyé, lors de ses obsèques, dans son oraison funèbre. En voici le texte in extenso :

" Mes bien chers frères,

Notre église est en grand deuil. Elle perd un serviteur dévoué, le cher Monsieur Galichet n’est plus. Il nous est ravi soudain, celui qui tenait une si haute place dans l’estime de tous et dans notre vie locale ; cet homme de bien qui par son exquise simplicité, synthèse de toutes les qualités, par sa bonhomie, sa complaisance, son inlassable serviabilité, avait conquis les sympathies de tous ceux qui le connaissaient ; celui qui par les services multiples rendus à notre paroisse a droit à la gratitude de tous.

Il était , en effet, de ceux qui ne savent rien refuser et qui, le cœur sur la main, sont toujours prêts à donner ou à se donner, même en se gênant et en aliénant sa liberté.

Sans sortir du milieu paroissial, combien de fois nous avons rencontré chez lui des preuves non équivoques de cette chrétienne et franche générosité.

Après avoir passé sa jeunesse au lutrin de Bussy, son pays natal, n’a-t-il pas été le maître de chant assidu et bénévole de votre église depuis 40 ans ?

Fonction bien humble en apparence, peu appréciée des hommes du siècle, mais combien précieuse devant Dieu dont elle sert la cause et rehausse le culte, combien estimée de l’église dont elle relève les offices et l’aide à solenniser ses fêtes avec tout l’éclat que le concours humain doit apporter aux choses divines.

Tant d’individus, en ces temps d’égoïsme passent sur la terre , jouissent toujours, sans jamais donner, vivant exclusivement pour eux sans se soucier de leurs frères, ni de leurs fils, pas plus de la génération présente dont ils méconnaissent les besoins que la génération future dont ils foulent aux pieds les droits sacrés. Tout pour nous, après nous le déluge, telle est la devise de ces épicuriens modernes.

Lui, il a voulu payer sa large part à la société actuelle, il a aussi su réserver la part de l’avenir en laissant derrière lui des descendants qu’il a voulu initier par l’exemple et par l’éducation à sa foi, à sa piété, à sa charité, à l’observation intégrale des obligations sociales. C’est l’œuvre méritante de toute sa vie.

Le fanion familial de la charité chrétienne, il l’a transmis à de dignes enfants qui sauront à l’égal de leurs vénérés parents le porter hautement et fièrement, labarum d’honneur et symbole de victoire ; Dieu est toujours avec ceux qui aiment.

Ce bon Monsieur Galichet meurt, si nous en croyons le diagnostic médical, victime de son cœur, très délicat, il était très sensible. Les dernières épreuves de sa vie n’ont certes pas été sans exercer une influence néfaste sur sa fin prématurée.

Malgré toutes les prévenances affectueuses dont l’entourait sa belle famille, il ne put se consoler de la mort de son épouse. Il supporta difficilement les douleurs de son deuil et ce fut, sans doute, ce qui provoqua la catastrophe inattendue que nous déplorons, ce qui suscite chez nous les plus profonds regrets.

Cher ami, vous nous quittez, vous quittez cette église où vous avez si bien prié, allez, allez avec confiance au lieu de votre repos béni de Dieu et béni des hommes pour y attendre la résurrection promise à tous ceux qui ont passé en faisant le bien.

Allez à votre Maître et Seigneur qui sait récompenser royalement ses bons et loyaux serviteurs. Tant de fois, vous avez au départ des cortèges funèbres, chanté l’antienne : In paradisum deducant te Angeli.

A votre tour , que les anges vous conduisent en paradis et vous escortent dans les vestibules du ciel où le Seigneur vous appelle. Tant de fois, sous les voûtes de cette belle nef, vous avez lancé de votre voix vibrante, le cri d’espérance des vaincus de la mort : Ego sum resurrectio et vita.

Ecoutez, prêtez l’oreille, voici que le Christ vous adresse à vous-même cette parole d’espérance : " Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il est mort, vivra ; aucun de ceux qui croient en moi ne souffrira de la  mort " Tant de fois vous avez chanté le Miserere de cette vallée de larmes ; maintenant, dilatez votre cœur au spectacle des splendeurs célestes ; chantez avec les anges et les saints l’Hosanna d’adoration, le Magni-ficat de reconnaissance, le Te Deum de louange et d’allégresse à la gloire de celui qui vous a créé, racheté et sauvé. .

Nos pensées, nos vœux, nos prières vous accompagnent dans les ravissements, les extases, les joies de l’éternité. Bon et loyal serviteur, entrez dans le Royaume de Dieu et que Jésus vous associe à son repos et à son bonheur.

Pie Jesu, dona ei requiem. "

A l’issue de la messe de Requiem, dans le cimetière qui jouxte l’église, Monsieur Jules Ronez, maire du village, prononça ces quelques mots touchants : 

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, devant cette tombe prématurément ouverte, m’incombe le devoir de dire un dernier adieu, au nom du Conseil Municipal, à l’homme qui fut toujours prêt à se dévouer

pour le service de tous.

Originaire de Bussy, il se maria à Somme-Suippe où il fonda une belle famille estimée.

En 1919, il entra au Conseil où, toujours affable, émettant des avis pleins de bon sens, il tint une grande place au milieu de nous, où il remplit son rôle avec cœur et conscience méritant amplement la confiance qu’on avait en lui et qui lui fut renouvelée jusqu’à ce jour.

Mr. Galichet, toujours en tête du progrès, accepta la présidence de la Société coopérative d’électricité, lors de la fondation en 1923 et qu’il conserva jusqu’en 1932. Là, il ne marchanda pas sa peine pour mener à bien la lourde tâche qu’il avait acceptée, et doter la commune d’un beau réseau.

Joignant l’agréable à l’utile, une partie de ses efforts fut consacrée à la création de la Fanfare Saint-Pierre dont il fut le chef autorisé, patient et bon, pendant de longues années.

Mais la maladie parvint à terrasser la robuste constitution de Mr Galichet et aujourd’hui devant le cercueil nous ne pouvons que dire la peine que nous éprouvons. Nous prenons part bien sincèrement à la douleur des vôtres auxquels j’adresse ici l’hommage de notre respectueuse sympathie.

Cher collaborateur et ami, Adieu ! Dormez en paix.

Papa l’accompagna puis lui succéda à la tribune ; et c’est notre frère Denis qui reprit le flambeau. Le chant a toujours été apprécié dans la famille. Certainement que le grand-père Jules nous a transmis ses gènes.

Il était fils de Jean-Baptiste Rémi Galichet, né à Minaucourt le 1-10-1823 (mort en 1880) qui s’était marié en première noce avec Marie-Reine Henriet à Bussy, dont il eut un fils Julien, et en seconde noce avec Marie-Adèlise Bertrand à St Rémy-sur-Bussy, le 11-1-1847, famille très honorable. Un ascendant, Paul Bertrand, a été avoué, maire de la ville et député de l’arrondissement de Sainte-Ménehould . Parmi ses descendants on note aussi des membres de la famille Francart. Le papa d’Adèlise était, je crois, Conseiller Général et tenait une boulangerie. Ils eurent cinq enfants. Auguste, né en 1848 qui fut camionneur à Verdun. Alfred, né le 5-5-1849. Il fit la guerre de 1870 dans l’armée de la Loire et fut tué, en 1871, à Paris lors de l’insurrection de la Commune. Louis, né en 1858 qui s’est marié avec Marie Ronez de S-S. Marie, née en 1866, qui s’est mariée avec Léon Tillois de Courtisols. Enfin, Jules mon grand-père, né le 15-2-1870 à Bussy.

Jean-Baptiste Rémi, était fils d’Alexandre Rémi Galichet, né en 1787 à Minaucourt. Il était boulanger. Il se maria en 1807 avec Marie-Antoinette Gadbois , née en 1784 à St-Rémy. Ils eurent neuf enfants. Jean-Baptiste était le 7°.

Alexandre Rémi était fils de Jacques Alexandre Galichet, né le 2-11-1753 à La Croix. Il se maria à Hurlus, le 30-6-1779 avec Remiette Champenois

Jacques-Alexandre était fils de Jacques Galichet, né à Hurlus en 1709. Il se maria avec Françoise Deschamps à La Croix. Il est décédé dans ce village le 12-2-1792 à l’âge honorable de 83 ans. Sera-t-il possible de remonter plus haut dans les origines de la famille Galichet ?

Du côté de ma mère :

 

Ma mère, Marie-Louise Bertus, est née à Sainte-Marie à Py, le 10-5-1903. Sa maman-" la Mémé Pia " - Pia Mauclert (1877-1968) était la seconde fille de Stanislas Mauclert et de Anna Viart "  La Nana ". Stanislas était appelé familièrement par les gens du village " le Tatass " , point de départ de la tribu des Tatass …( contraction de Stanislas) qui compte actuellement 200 à 300 descendants. Qui pourrait en dire le nombre exact ? Nous en reparlerons.

D’après les recherches faites par l’Abbé André Mauclert, cousin germain de ma mère, dont il a transcrit l’essentiel dans ses mémoires, nous trouvons trace de la famille Mauclert à Somme-Suippe dans les années 1660. En effet, Stanislas, né en 1833 était fils de Barthèlemy (1806-1874), lui-même fils de Maurille (1777-1846) qui était fils de Maurille (1741-1816), lui-même fils de Jean (1696-1759), celui-ci étant fils de Réole Mauclert, ( né vers 1667 décédé le 31-7-1699) avait pour femme Marguerite Ronez…D’après la lettre de Philippe Bertus, ce n’est pas Réole qui est le père de Jean mais Pierre. Il est bien probable qu’on ne remontera jamais plus haut. C’est déjà pas mal. Qui sait ?

Je reprends la lignée des Mauclert, d’après les notes de Philippe Bertus.

Pierre Mauclert ( v.1649 – 15-9-1729), marié avec Louise Camut (v.1649 - 18-8-

1721) .Ils ont eu plusieurs enfants, dont Jean le jeune.

Jean Mauclert ( 27-1- 1698 - 15-12-1759) s’est marié le 16-1-1720 avec Elisabeth

Thiery (19-5-1702 - 12-7-1753). Ils ont eu au moins 9 enfants, dont le plus

jeune s’appelait Maurille.

Maurille Mauclert (3-8-1741 - 25-5-1816) s’est marié le 22-1-1763) avec Margue-

rite Christine Drouet (11-3-1742 - 26-4-1813). Ils ont eu 8 enfants dont

le 6° s’appela comme son père Maurille.

Maurille Mauclert 2° ( 9-9-1777 - 15-5-1846) s’est marié deux fois. La première

fois avec Marie-Anne Mauclert ( 3-3-1772 - 3-4-1816) le 3 pluviôse An X.

Marie-Anne est descendante de Réole Mauclert. Ils ont 4 enfants :

François, Marie-Jeanne, Clotilde, Marie-Elisabeth-Flore qui sont morts en

bas-âge, et Pierre-Barthélémy ( le père de Stanislas).

Maurille s’est ensuite remarié avec Marie-Claudette Jacquart. Ils ont eu

cinq filles.

Pierre-Barthélémy Mauclert (22-8-1806 - 20-3-1874), cultivateur, s’est marié le

1er juillet 1828 avec Jeanne Marguerite Virginie Mauclert ( 24-6-1806 -

13-9-1875) elle aussi descendante de Réole Mauclert.

Pierre Barthélémly et Jeanne Marguerite Virginie eurent 8 enfants :

Marie Virginie Ronez. Ils ont eu 6 enfants.

le 2-2-1875 avec Marie Françoise Anna VIART

( 24-7-1855 - 29-4-1934 ) ont eu 10 enfants dont 3 sont

morts à moins d’un an.

1843 ) .

16-11-1842.

Roselyne Colmart. Ont eu 2 garçons qui furent ordonnés

prêtres tous les deux, les cousins Albert et Merry Mauclert.

Mon arrière grand-mère, Anna Viart, la " Nana " était fille de Nicolas Cyrille Viart, né le 30-7-1820 à Omey, village situé en bord de Marne entre Châlons et Vitry-le-François. Il était venu à Somme-Suippe pour épouser Augustine-Irénée Macquart ( 2-2-1827 - 5-2-1901). Les Viart sont en fait originaires de Togny-aux-Bœufs. Anna avait 20 ans quand elle se maria avec Stanislas alors que lui en avait 42. Ils eurent 10 enfants, dont 7 vivront.

L’histoire des Tatass mérite qu’on s’attarde quelque peu sur ses origines et certains épisodes valent le détour. Je me permets d’emprunter au récit du cousin André Mauclert qui est né le 21 février 1913, le jour même où décédait son grand-père Stanislas à l’âge de 80 ans, dans la maison voisine. Dans la même cour se trouvaient trois logements différents. Je cite : " Presque contiguë à la maison de mes parents, était la maison des " tantes ". " Les tantes ", c’étaient 2 sœurs de mon grand-père Stanislas, deux vieilles filles prénommées Alina et Philomène. La troisième maison en face de celle des " tantes " était la maison ancestrale, habitée par mon grand-père Stanislas et sa femme Anna…Trois maisons dans une seule cour n’ayant qu’une seule issue vers la rue ; cour unique sur laquelle s’ouvraient portes et fenêtres des trois maisons. Au fond, en clôture de la cour, deux granges, des écuries et étables, des remises, des " rangs " à cochons, le poulailler, le clapier avec tout ce que cela suppose de va et vient…Et dans la " maison ancestrale " entre 1876 et 1892, une jeune maman qui met au monde dix enfants. Cour unique, trois maisons, une quinzaine de personnes de tous âges, cela devait bien poser quelques problèmes !

Les problèmes venaient " des tantes " : vieilles filles d’une quarantaine d’années, lors du mariage (tardif) de leur frère, n’ayant rien d’autre à faire que de la broderie, elles s’instituèrent facilement régentes douairières du domaine familial rassemblé sous leurs yeux. Leur frère (pourtant leur aîné) avait été trop habitué à vivre à l’ombre de leurs mantilles et dans le sillage de leurs longues jupes noires pour pouvoir s’en libérer. Peut-être aussi était-il faible de caractère et dépassé par leur loquacité ! …Bref, ce fut la jeune épouse de 20 ans qui fut la cible des observations, études, remarques désobligeantes et critiques de ses omnipotentes belles-sœurs ! Dans le village, on les appelait " les pétroleuses " marquant par ce terme leur capacité à allumer des incendies moraux dévastateurs…

De leurs fenêtres-observatoires, rien ne leur échappait et tout fut passé au crible de leurs jugements peu amènes : ma mère, qui fut témoin, dix ans durant, de ces tracasseries malveillantes, me disait que la pauvre Nana avait subi là un calvaire épouvantable, fait de ragots, de soupçons, de calomnies, d’insinuations perfides distillées à l’oreille du mari et des relations de ces " demoiselles ", à tel point qu’un jour, le grand-père Cyrille Viart vint mettre " les pieds dans le plat " et menaça de reprendre sa fille chez lui. Ma mère se portait garante de l’honnêteté et de la bonne conduite de sa belle-mère, avec laquelle elle entretint toujours des relations filiales. Mais ce disant, on comprend que demeura dans le cœur de Nana une rancune tenace et une impossibilité de pardon, même par delà la mort. Elle exprima plusieurs fois son refus formel d’être enterrée dans la même tombe que ses belles-sœurs, et quand elle mourut en 1934, vingt ans après son mari et dix à quinze ans après ses belles-sœurs, elle fut inhumée dans la tombe où reposaient son père et sa mère, de l’autre côté de l’église et où vint la rejoindre son fils Raoul, non marié et grand mutilé de la guerre de 14-18 au cours de laquelle, il avait perdu un bras. Dans le cimetière de Somme-Suippe, l’église qui fut témoin de leur union pour la vie les sépare pour l’éternité ! " Fin de citation avec des variantes et des ajouts.

Reprenons la suite de la généalogie Mauclert. Stanislas et Anna eurent dix enfants :

- Une première fille vint au monde en tout début de 1876,mais elle

  était morte-née, et ne reçut pas de nom.

Melzicourt, petit village de l’Argonne.

à Sainte-Marie-à-Py.

les Hurlus, village détruit par la guerre.

Jules Ronez qui fut maire du village.

village que ma grand-mère Pia, à Sainte-Marie-à-Py.

- Marie Constant Maurille(1888-1889).

- Raoul(1892) mutilé de guerre, ne s’est pas marié, a vécu avec sa

maman Anna dans la petite maison, face à l’église.

Il manque un enfants à cette liste. Des informations complémentaires pourront peut-être un jour combler cette lacune.

A la vue de ce tableau, je constate que pour la première fois des Mauclert quittent le village. Je suppose que des personnes très liées à la famille se soucièrent de mettre en relation les jeunes Mauclert avec des jeunes gens de bonne famille des villages plus ou moins éloignés. En ce temps là, les moyens de communication n’étaient pas très développés. M’est idée que les deux cousins Abbé Merry et Albert Mauclert jouèrent les intermédiaires. Une consultation chez les notaires pouvait aussi parfois se révéler fructueuse. En ce domaine, je crois avoir entendu dire que c’est par l’intermédiaire de l’Abbé Merry, qui était curé-doyen d’Esternay que notre oncle Raphaël Bertus put faire l’acquisition d’une imprimerie à Sézanne.

Pour clore ce paragraphe sur la famille Mauclert, je me permets à nouveau de citer quelques lignes des mémoires du cousin André. Il écrit : " Tous les "  Mauclert " dont le nom est ainsi écrit se terminant par un " t ", où qu’ils habitent, sont (je crois pouvoir l’affirmer) originaires de Somme-Suippe. Quel est le " scribouillard " lointain qui un jour, avant le XVII° siècle, commit une faute d’orthographe sur un registre local ou un acte juridique en déformant le " surnom originel " de "  Mauclerc " (avec un " c ") pour en faire ce qui est resté depuis lors le " nom " familial " Mauclert " ?… Nul ne le sait ! "

Je reprends le texte du cousin André : " Toujours est-il que, dans cet arbre, une branche a poussé, qui porta de nombreux fruits, et qui forme encore, au jour d’aujourd’hui, une fourmilière humaine compacte dont l’origine est dans la terre crayeuse de Somme-Suippe, même si les vents des siècles en ont porté les graines au loin, aux quatre coins de la France et même de cette Europe, qui aujourd’hui, tend à devenir un peuple d’Etats unis. Cette fourmilière passe par le grand-père Stanislas, dont il a été question dans les pages précédentes, décédé le jour de ma naissance, et qu’à Somme-Suippe, on appelait " Le TATASS " qui n’était ni un saint, ni un savant, mais qui pour les centaines de ses descendants aujourd’hui éparpillés, est devenu le " point commun ", le rassembleur, un " mythe ", le " mythe TATASS " qui fait que, lorsque se rencontrent aujourd’hui un Mauclert, un Pommois, un Collart, un Bertus, ou tel Ronez, tel Janson et autre Galichet, le même salut vient aux lèvres avec un sourire complice : " Tiens ! voilà un Tatass ! ".

Bravo ! Fermez le ban.

Du côté de mon grand-père maternel, Gustave Bertus, (1873-1915), nous ne disposons que de peu d’éléments. Le village de Sainte-Marie à Py ayant été totalement détruit durant la guerre 14-18, les archives municipales ont disparu. Il faudrait poursuivre des recherches aux archives départementales à la préfecture de Châlons. Philippe Bertus, mon filleul, qui habite à Reims et qui s’intéresse à l’histoire de la famille pourra peut-être combler cette lacune.

Par une lettre reçue ce 14-1-2005 de ma sœur Geneviève de Pantin, me parvient cette nouvelle information. Le papa de Gustave Bertus s’appelait Pierre-Célestin, était l’époux de Félicité Jacquart. Il est décédé à Reims, le 9-7-1906 dans sa 59° année. Des informations complémentaires me sont parvenues que j’ai notées plus haut.

Je transcris ici une lettre de Félicité Jacquart, mon arrière grand-mère maternelle, écrite un an avant ma naissance, que m’a fait parvenir ma sœur Geneviève de Pantin en février 2006.

Elle s’adresse à notre maman, Marie-Louise, sa petite-fille.

Sainte Marie à Py le 27août 1927

Ma chère Marie-Louise,

Voilà la fête qui approche, je vous invite donc tous à la fête, je m’ennuie après vous, surtout après mes petits gamins. Quand j’ai écris à Sézanne, Giselle me disait que Roland allait à l’école, je les ai invité à la fête surtout que je compte sur Raphaël, si vous leur écrivez

Ne manquez pas de leur dire. Louis me charge aussi de leur demander le porte plume que Giselle avait dit qu’elle leur renverrai. Quand Pia est venue ils lui ont dit et puis toujours rien, toujours point d’action. Si Giselle est à Somme-Suippe qu’elle tâche de venir, un peu avant la fête pour m’aider, quant à Agnès que je m’ennuie tant après elle viendra avec vous. Je compte avec mon argent et lui acheter une montre en or. J’ai reçu de la préfecture le 19 août 1000.250 frs payés aux percepteurs, le 22 août un titre de 1.600, le 25 août 900 frs c’est des rentes c’est des feuilles et puis vous verrez tout cela à la fête.

Je vous en remercie beaucoup, fallait être bête de garder cela comme ça. Voilà t’il des tristes temps qu’il vient de nous faire, malgré cela tout est beau dans le jardin.

Je n’ai eu que 8 poulets, 4 coqs et 4 poulettes, et fallait les élever sans mère la poule n’a rien voulu avec, mes lapins n’ont pas réussi, j’ai une mère qui les a laissé crever 2 fois, l’autre mère en avait 7, ils attrapent la grosse panse ; il m’en a resté 2 lapins, ça fait que j’en ai tout un coup 7. J’ai été glané j’ai fait une bonne glane, je n’ai pourtant plus de force du tout, ma douleur n’est plus dans ma jambe elle est dans ma tête j’ai tout le temps des éblouissements et puis dame je prie tout le temps le bon Dieu qui prenne pitié de moi, je n’ai plus que le bon Dieu pour moi. La baraque le vent a enlevé les fermes qui étaient dessus, j’en ai rentré 2, les autres on les a pris, les tôles y sont encore il ne les a pas encore enlevé. J’en ai de reste comme ça. Et je vous quitte en vous embrassant bien fort de tout cœur.

Félicité Jacquart.

Dire que je ne peux plus écrire.

Ajout en bas de cette lettre déchiffrée par Geneviève

Pantin jeudi 13 janvier 2005 Je pense avoir fait une bonne traduction de cette lettre écrite il y a 77 ans et 6 mois par mon arrière grand-mère maternelle ; elle était la grand-mère de ma mère Marie-Louise, la belle-mère de ma grand-mère Pia. Je pense très fort à toutes et tous. Geneviève Galichet-Granet.

Dans mes archives, je retrouve deux pages de notes rédigées par Roland : " Mémère Pia Mauclert est venue fonder une famille à Sainte-Marie-à-Py en 1900 avec son mari Gustave Bertus. Ils avaient une exploitation comprenant une troupe de moutons comme toute ferme de Champagne pouilleuse. Un domestique les aidait. Leur vie commune fut au début normale. Quand éclata la guerre en I914, Gustave, 41 ans, fut mobilisé comme " garde-voie " à Valmy. Les troupes allemandes envahissent les villages de Somme-Py et Sainte-Marie.

Mémère Pia qui attendait de la famille, son quatrième enfant, Agnès, se cache avec Marie-Louise, 11 ans, et Gisèle, 7 ans, dans le cabanon du jardin. Le village est en feu. Elles doivent s’enfuir à travers champs avec une brouette et quelques objets récupérés ; elles viennent se réfugier à Somme-Suippe, le village natal de Pia.

Raphaël, âgé de 13 ans, avait disparu ainsi que le domestique. Sans doute, la crainte d’être torturés par les envahisseurs, les avait fait prendre la fuite. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’ils furent retrouvés non sans émotion. Agnès naquit le 7 novembre 1914.

L’année suivante, malheureusement, Gustave contracte la grippe espagnole. Il décède à l’hôtel-Dieu de Châlons le 3 février 1915. Mort pour la France.

Les années passent. Raphaël, plein de vie a toujours la blague sur le bout des lèvres. C’était " Rapha " tout court, pour ceux de son âge. L’agriculture ne l’attire pas. Il apprend le métier d’imprimeur. Le cousin Albert Mauclert, curé doyen d’Esternay, lui donne l’occasion de reprendre en location une imprimerie à Sézanne. Mémère Pia et Agnès l’y rejoignent. Elles vivent avec lui jusqu’à son mariage avec Louise Sellier, originaire de Villiers-sur-Marne, en 1931. Notre maman Marie-Louise, quant à elle, est allée dans une école ménagère à l’Ile de Ré comme pupille de la Nation.

Tante Gisèle, après quelques temps d’études, débute dans les bureaux de la " Brasserie de la Comète " à Châlons, en compagnie de sa cousine Anne-Marie Pommois.

Mémère Pia et Agnès reviennent habiter à Somme-Suippe dans la maison des " Tantes " Philomène et Alina. Peu après, Tante Gisèle trouve un emploi dans les bureaux de " L’économie Moderne " à Suippes, dirigée par Mr Bégat. Les déplacements en vélo par tous les temps lui furent malsains. Elle devait contracter une maladie redoutable à l’époque, " la Tuberculose ". Elle en guérit. Mais c’est Agnès qui à son tour en est la victime. Elle ne survivra pas et meurt le 27 décembre 1938, âgée seulement de 24 ans.

Que de fois, le Dr Fisbacher de Suippes, est venu avec sa " Bugati " soigner ces malades. Après réflexion et conseils, le docteur recommande à mes parents d’envoyer pendant six mois Roger et Michel dans un préventorium. Ils allèrent dans les Pyrénées à Osse, près de Pau. L’année suivante c’était mon tour. C’était en 1936, au moment de la guerre civile en Espagne. Souvent, on entendait le canon. Là bas, on vivait toujours en plein air. On n’allait pas beaucoup à l’école. De ce fait, je l’ai trouvé dur lorsque je suis rentré au pays et à l’école.

Mémère Pia avait une toute petite voiture tirée par un âne " Pompom ". Que de fois elle nous a emmenés chez le dentiste, au dispensaire ou ailleurs. " Fin de citation.

En souvenir de Roland, je me permets de transcrire ici une parodie de la fameuse fable de La Fontaine " La Cigale et la Fourmi " qu’il avait coutume de raconter lors des réunions familiales ou amicales. Il chantait aussi, bien volontiers, en ces occasions la chanson que nous connaissons tous maintenant presque par cœur : " Avec l’ami Bidasse ".

J’y connais un cigale

Qui toujours y rigole.

Y danse, y s’amuse, y rit comme une folle,

Tout le temps qui fait chaud.

Mais voilà qui fait froid.

Pour pleurer, t’y en as pas le droit.

Mais t’a rien pour bouffer !

Par force, t’y vas crever.

Y marche par la route,

Y rencontre la fourmi qui portait bon casse-croûte.

- La cigale y lui dit :

" Ti faire plaisir, ti va m’y prêter

Un petit bout di couscous

Pour que j’y puisse manger

Jusqu’à ce que l’herbe y pousse.

L’argent et l’intérêt, pas besoin d’avoir peur ;

J’y paye, parole d’honneur. "

- La fourmi qui li youdi :

"  L’argent, y prête pas. "

Qu’est-ce que t’y faire, y li youdi

Quand du froid y aura pas.

Li jour, j’y suis chanté,

Li nuit, j’y suis dormi.

- Eh bien maintenant, plou millor que tu danses.

Li Jouif y connaît pas quisqui c’est la musique.

Plou millor, bon douro avec un bon magazin

Q’un tam tam magnifique qui l’embête le voisin.

La cigale, il a pas mangé, il a crevé.

La fourmi, il a trop mangé, il a crevé.

Moralité :

Qui ti bouffes ou qui ti bouffes pas

Ti crève la même chose.

 

 

MES PREMIERES ANNEES.

 

C’est encore un garçon ! A cette époque, on ne pouvait pas savoir à l’avance, comme maintenant (2004), si l’enfant attendu serait un garçon ou une fille. Jusqu’au dernier moment c’était le suspens. Dans une lettre que j’ai retrouvée, ma tante Gisèle exprime bien le sentiment de la famille à ce moment là. Elle écrivait de Sézanne où elle séjournait chez son frère Raphaël imprimeur. Gisèle écrivait à sa sœur Marie-Louise pour lui souhaiter sa fête, en ce 15 août 1928 à l’occasion de la Sainte Marie. Après avoir présenté ses souhaits de bonne fête elle lui dit que ce bébé qu’on attend, ce serait bien que ce soit une fille. En effet, deux garçons déjà m’avaient précédé. Roland (janvier 1925) et Roger (juin 1926). Fut-ce une déception ? Un peu certainement . Mais assez rapidement, toute la famille se fit à l’idée que c’était encore un garçon.

Quand ma mère rentra au village avec ce petit en plus, il fallut aménager " la vieille maison " en conséquence. La ferme Galichet se trouvait dans la rue de la Lombardie. C’était plutôt une fermette, imbriquée dans des petites propriétés disparates. Notre voisine la plus proche, Maria Piéceveau, la " grosse Maria " comme on l’appelait, était d’un caractère impossible. Combien de fois l’ai-je entendu marronner et rouspéter ? Elle vivait dans sa maison mitoyenne avec la nôtre. C’était un vrai taudis où il était impossible de faire un pas sans buter sur un carton ou quelques ustensiles. Les multiples chats qui lui tenaient compagnie s’y trouvaient très à l’aise.

La salubrité de ces vieilles masures était plus que douteuse. Dés lors, il ne fallait pas s’étonner de voir que nous les enfants, nous écopions fréquemment de tous les microbes et autres rougeoles qui ne manquaient de se présenter et bravaient nos résistances affaiblies. Si bien que le docteur de famille qui avait son cabinet médical à Suippes, convainquit nos parents de la nécessité de quitter rapidement ces locaux insalubres. L’étable, le tas de fumier, les lieux d’aisance se trouvaient à portée de main, si l’on peut dire. Face à ces arguments frappants, nos parents prirent la sage décision de faire construire en haut de la propriété, un peu à l’écart de la ferme proprement dite, une maison avec les commodités modernes, bien ajourée par de larges fenêtres, avec sous-sol, chambres à l’étage, grenier sous la toiture de tuiles mécaniques et même chauffage central équipé de radiateurs. Ils firent appel à un entrepreneur en maçonnerie de Suippes. C’était Monsieur Evaristo, d’origine italienne, comme son nom nous le laisse penser. Il avait débuté comme manœuvre-ouvrier-maçon sur les chantiers des environs, en arrivant de son Italie natale et avait réussi, au bout d’un certain temps, à créer sa propre entreprise. C’est avec grande joie, que dans les années 30, la famille s’installa dans cette belle maison toute neuve et bien confortable.

Avant de poursuivre mon récit, je voudrais faire un petit retour en arrière, sorte de flash-back, sur mes parents. J’ai déjà tout dit, ou presque, sur mon père, dans les notes autobiographiques de Mr Alfred Galichet que j’avais eu le plaisir de mettre en page. J’en reprends l’essentiel.

" Je suis né le 29 mai 1898 à Somme-Suippe…J’ai passé mon enfance et ma jeunesse rue de la Lombardie avec mes parents et mes deux sœurs, Jeanne, l’aînée et ma sœur cadette Fernande…Le travail à la ferme me plaisait beaucoup. Je fus libéré de mes obligations militaires en juin 1920…Tous les matins, je menais à la gare de Suippes le lait qu’avec mon beau-frère Marc Evrard, nous avions collecté dans toutes les fermes du village. Avant mon départ, le matin, une jeune-fille apportait un litre de lait que je devais remettre à des amis de sa famille qui habitaient près de la gare. Bientôt, elle occupa mes pensées. Et assez rapidement, j’envisageai de la demander en mariage. Cette jeune-fille s’appelait Marie-Louise BERTUS. J’épousai Marie-Louise le 15 mai 1923… "

J’ouvre ici une parenthèse, car j’ai entre les mains le contrat de mariage de mes parents que m’a remis dernièrement mon frère Denis. Ce contrat fut rédigé par Maître Cousinat, notaire à Somme-Py et signé le 7 mai 1923.

Avant de sceller leur amour par le mariage, mes parents pensèrent avec sagesse qu’il était bon de souscrire un contrat en bonne et due forme devant notaire. Décision très sage, je pense, car en milieu agricole les problèmes financiers revêtent une importance capitale. Les bâtiments de ferme (grange, écuries, remises) la propriété des terres, les locations de terrain, l’achat et l’entretien du matériel, les animaux, les assurances, tout cela peut engager rapidement des sommes considérables. A l’article premier du contrat, il est écrit : " Les futurs époux déclarent adopter pour base de leur union le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. " Il est à noter que ma mère, n’ayant que 19 ans, était encore mineure et de ce fait devait avoir l’accord et la signature de sa mère. En ce temps là, l’âge légal de la majorité était encore fixé à 21 ans. Giscard d’Estaing n’avait pas encore fait voter la loi fixant l’âge de la majorité en France à 18 ans.

En dernière page je note : "  Fait et passé sur le finage de Hurlus (village détruit pendant la guerre.) au nord de S-S., dans un abri provisoire, l’an 1923, le 7 mai. Et après lecture, les futurs époux, Mr & Mme Galichet-Ronez, père et mère du futur èpoux, Mme veuve Bertus-Mauclert, mère de la future épouse, Mesdemoiselles Fernande Galichet , Gisèle Bertus et Mr Savouret, clerc de notaire, ont signé avec Maître Cousinat, notaire. Suivent les signatures…et tout à la fin, enregistré à Ville-sur-Tourbe, le 14 mai 1923. "

Avant d’aller plus loin, je voudrais insister sur la personnalité de maman. Elle était d’une nature réservée, toujours un peu en retrait. La forte personnalité de papa l’écrasait sûrement tout en la protégeant. Et pourtant, d’après le livret de scolarité de l’école ménagère Jeanne d’Arc, 1, rue St Joseph à Châlons, où elle fut élève de 1916 à 1920, elle obtenait des notes plus qu’honorables. Jugez-en plutôt : bulletin de classe du 8 janvier au 21 avril 1917, Marie-Louise Bertus , élève de la seconde classe ; conduite : très bonne ; politesse : très bien ; devoirs, leçons : de même ; travail manuel : première. Place aux divers concours ; religion :première ; français : première ; style : 2° ; science :3° ; solfège :5° ; arithmétique : 2° ; histoire :6° ; géographie :1°. Places du trimestre : première, deuxième, première sur 12. Je vois au mois de novembre 1919 ; classement général du mois : première sur 17 élèves ; dans les observations générales des maîtresses : "  caractère bon, dévouée, apporte beaucoup d’application au travail ". Et au mois de février 1920 : "  sérieuse, travailleuse ". Sérieuse, travailleuse, elle l’aura été toute sa vie ; j’oserais dire presque trop, car elle ne s’est pratiquement jamais laissée tenter par la moindre fantaisie.

Certainement que les événements dramatiques qu’elle a été amenée à vivre durant son enfance et sa jeunesse l’auront marquée pour toujours. En 1914, alors qu’elle n’a que 9 ans, son père, Gustave Bertus, est mobilisé, laissant sa femme Pia, ses quatre enfants Raphaël, Marie-Louise, Gisèle, Agnès, sans compter tout le travail de la ferme. En 1915, il meurt à l’hôpital de Châlons de la grippe espagnole, contractée alors qu’il était en service de surveillance à la gare de Valmy. En cette même année, la ferme Bertus est brûlée ainsi que tout le village de Sainte-Marie. Quel désastre ! Pia rassemble le peu d’affaires qui lui restent, les charge sur une brouette et revient à pied, accompagnée de ses enfants qui trottent autour d’elle, dans son village natal, Somme-Suippe, où elle trouve refuge près de sa mère, Anna. Son père Stanislas est décédé 2 ans plus tôt, en 1913. Plus de 18 kilomètres de calvaire à travers les champs de bataille. Il fallait passer par le mont de Navarin que se disputaient les armées françaises et allemandes. Les routes défoncées par les trous d’obus étaient de plus encombrées par les convois militaires. Quelle épopée ! Comment l’esprit des enfants n’aurait-il pas été marqué à vie par le spectacle de tant de souffrance et de désolation ?

Encore aujourd’hui, nous ressentons les affres de cette époque maudite. Dernièrement, passait à la télévision un film où, l’acteur Christophe Malavoy nous faisait revivre ces drames. Car son grand-père qui était lieutenant est enterré dans le cimetière militaire de St-Jean-sur-Tourbe. Il interprétait le personnage de son grand-père, soigné dans l’église du village, transformée en hôpital de campagne, comme ce fut bien souvent le cas dans toutes les agglomérations proches du front.

L’air de l’époque fut imprégné par cette ambiance catastrophique. L’éducation des enfants en fut profondément marquée. Dans un cahier de maman, je trouve ce " Chœur des Orphelins ".

1er couplet : Nous sommes les orphelins

Que fit la guerre,

Les enfants blonds aux yeux de lin

Pleins de mystère

Nous n’avons plus, quand vient le soir

Pour bercer nos peines légères

Nous n’avons plus, ô désespoir !

Que le baiser de notre mère

Si triste à voir !

2° couplet : Nous avions un papa très fort

Au regard grave !

Un doux papa, mais il est mort

Là bas, en brave !

Notre maman un jour nous dit

Verse moi ta chaude tendresse !

Nous voilà seuls dans le grand nid !

Tu n’auras plus que mes caresses,

Mon cher petit !

3° couplet : Depuis ce jour, au doux foyer

Que tout est sombre !

Notre papa semble veiller

Sur nous dans l’ombre,

Notre maman des pleurs aux yeux,

Veut parfois, un peu, nous sourire.

Nous, le cœur gros, si malheureux,

Nous l’étreignons, sans rien lui dire

Silencieux !

4° couplet : Parfois seuls, nous pleurons l’absent

Que prit la France !

Nos souvenirs vont nous berçant

Dans le silence !

Nous entendons, lorsque tout dort,

La voix chère, à jamais éteinte.

Elle murmure sur ma mort,

Pas de regret et pas de plainte ;

Sois brave et fort.

5° couplet : Nous sommes les doux orphelins

Que fit la guerre ;

Les enfants blonds aux yeux de lin,

Pleins de mystère !

Mais quand les ennemis viendront

Réveiller l’angoisse des mères,

Aux accents fous des fiers clairons,

Pour les venger, nos tendres Pères,

Nous partirons.

De tels couplets sont certes compréhensibles, quand on se remet dans l’ambiance de temps de guerre, mais je l’avoue, me laissent un goût amer. Cet esprit de revanche pouvait certainement dans, l’immédiat, mobiliser les énergies, mais qui ne voit que c’était s’enfermer, que c’était entrer dans un cercle vicieux dont il serait difficile de s’extraire ?

Je note encore dans les cahiers de maman un chant de Paul Déroulède intitulé : " Le Clairon " : " L’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge, les zouaves vont chantant…c’est lui qui guide la fête ". Quelle horreur ! Comment peut-on comparer la guerre à une fête ? Ces accents guerriers avaient certainement pour but de soutenir le moral des populations désemparées, mais à long terme préparaient pour les générations futures un avenir aussi catastrophique.

Bref, mieux vaut tourner la page. Je comprends aisément que le tempérament et le caractère de ma mère aient pu être marqués par tous ces drames et cette ambiance belliqueuse. Tout ceci n’empêcha pas chacun de reprendre courage et de s’engager résolument vers l’avenir. La vie finit toujours par prendre le dessus. Nous les enfants, nés après toutes ces calamités, en étions la preuve éclatante. Je m’insérai donc tranquillement dans ce cadre familial. Le premier février 1932, un petit frère nous était donné. Encore un garçon ! Il s’appelait Guy. Quelques mois plus tard, le 19 juin, mourait notre grand-mère paternelle, Estelle Ronez. Je n’avais pas encore 4 ans. Je regrette beaucoup de n’avoir pu la connaître ni découvrir sa bonté ainsi que sa tendresse.

Enfin une fille ! Le mois d’avril 1934 fut spécialement chargé d’émotions pour l’ensemble de la famille. En effet, le mercredi 25 naissait notre sœur Geneviève. La persévérance est toujours récompensée ; je suppose que tout le monde se réjouissait. Mais hélas, quatre jours plus tard, le dimanche 29, notre grand-père paternel, Jules Galichet, mourait subitement d’une angine de poitrine. Il avait 64 ans et moi à peine 6. C’est à partir de ce moment là, que je commence à enregistrer dans ma mémoire quelques vagues souvenirs. Et comme si la coupe d’émotions n’était pas pleine, ce même dimanche 29 avril survenait le décès de " La Nana ", notre arrière grand-mère maternelle, la souche de la fameuse tribu des " Tatass ".

1936, année de mes 8 ans. Mes souvenirs se font de plus en plus précis. Cette année là notre famille s’agrandit de nouveau avec la naissance, le 2 août, de notre frère Denis.1936 c’est aussi l’année du Front Populaire. Notre petit village, perdu dans la plaine champenoise en eut quelques échos et quelques désagréments. Le conseil municipal avait délibéré et décidé l’installation de l’eau courante sur l’ensemble de la commune. La construction du château d’eau sur la hauteur entre la route nationale et la voie ferrée allait bon train. La pose des conduites d’eau pour accéder aux différentes habitations avait nécessité le creusement de tranchées assez profondes pour éviter que l’eau ne vienne à geler dans les tuyaux en période hivernale. Et c’est à ce moment précis, où les rues étaient difficilement praticables, défoncées et encombrées de tas de terre, que les terrassiers décidèrent de se mettre en grève. Tout le village, sillonné de tranchées, ressemblait à un vrai champ de bataille. Je ne vous dis pas comment " les ébaubis " ( c’est ainsi que les habitants des villages environnants appellent les Somme-Suippas - je vous dirai plus tard pour quelle raison -) appréciaient cette très désagréable situation. Cela dura, au moins, quinze jours. C’est avec grande satisfaction que l’on vit reprendre les travaux après que les ouvriers terrassiers eurent voté la fin de la grève. Je ne sais si toutes leurs revendications furent satisfaites. Je suppose que quelques unes, au moins, l’ont été. Pour les villageois, ces manières de faire dépassaient l’entendement.

Depuis quelque temps, j’entendais dire que ma marraine, Agnès, la sœur cadette de maman était malade. Le docteur Fisbacher, de Suippes, venait souvent la voir. Ce terrible mal dont elle était atteinte, la tuberculose, contre laquelle on ne pouvait pas faire grand chose à cette époque, était contagieux. Il fallait donc, autant que possible, éviter tout contact avec la personne malade. Les enfants surtout devaient se tenir à l’écart. C’était affreux. Je ne devais pas aller voir ma marraine. Elle était jeune, vingt deux ans. Elle était belle, grande, gentille. Comme si les affres de la guerre n’avaient pas suffi. Ma grand-mère Pia voyait à nouveau le malheur s’abattre sur sa famille. Pour permettre à sa fille Agnès, de passer des moments agréables au grand air, elle fit bâtir un petit chalet à la périphérie du village, en haut de " La Damont ". Par beau temps, au printemps et durant l’été, elles allaient y passer quelques heures, souvent accompagnées de Gisèle.

Un beau jour, le docteur dit à mes parents qu’il serait prudent de nous éloigner, nous les enfants, de notre tante Agnès, pour éviter tout risque de contagion , car le bacille de Koch était redoutable. Il conseilla le grand air de la montagne, une cure préventive de six mois, au moins pour les plus grands.

C’est ainsi, qu’en 1936, Roger et moi sommes partis pour les Pyrénées. Par la suite, ce fut le tour de Roland.

 Roger avait dix ans et moi huit. Cette séparation d’avec la famille me fut assez pénible. Mais le fait que nous étions deux atténua sensiblement cet arrachement. Nous devions, Roger et moi, nous épauler. Ceci contribua certainement à nous serrer les coudes et à créer entre nous deux une certaine complicité qui ne se démentit jamais. Plusieurs fois, nous nous étions dit que nous referions ensemble, lorsque l’heure de notre retraite aurait sonné, un voyage souvenir sur les lieux de notre séjour. La destinée, malheureusement, en décida autrement.

Nous avons voyagé par le train jusqu’à Bedous dans les Pyrénées Atlantiques, au sud de Pau et d’Oloron Sainte-Marie. Pour atteindre l’aérium, où nous devions passer six mois, à Osse-en-Aspe, dans la vallée du gave d’Aspe, il fallait parcourir une certaine distance à pied. Et je me vois encore, pleurant à chaudes larmes parce que mes belles chaussures toutes neuves me faisaient mal et peut-être aussi parce que je me sentais triste d’être loin de papa et maman.

Ce séjour ne me laissa pas que des mauvais souvenirs. Les descentes en traîneau sur les pentes neigeuses durant l’hiver me firent découvrir les joies de la montagne. Les balades dans les gorges du gave par les beaux jours ne manquaient pas de charme. L’été fut bientôt là. Les grillons faisaient entendre leurs chants incessants qui agrémentaient les soirées estivales.

C’était en 1936. La guerre d’Espagne faisait rage. Et nous entendions parfois, au delà des montagnes, retentir le bruit des canons. Toujours la guerre. Parfois lorsque nous rencontrions des hommes du voisinage, ils nous demandaient d’où nous venions. Nous répondions : " De Suippes, en champagne, près de l’Argonne. " Alors, bien souvent ils nous disaient : " Ah, je connais, j’ai fait la guerre dans votre pays, dans les tranchées crayeuses. "

Alors que nous commencions à nous accoutumer à cette vie, après tout, pas si désagréable - les heures de classe étaient réduites au minimum - la fin du séjour arriva. Une personne du centre aéré nous accompagna dans le train jusqu’à Toulouse. C’est dans cette gare que nous avons repris contact avec la famille. C’est là en effet que Gilbert Pommois, cousin germain de maman, un Tatass, nous prit en charge. Pourquoi lui ? Parce que faire ce long voyage aller-retour était bien coûteux pour qui n’était pas employé à la S.N.C.F. Le cousin Gilbert étant cheminot à la gare de Sainte-Menehould, ne se fit pas trop prier pour rendre ce service à la famille.

Les retrouvailles, évidemment, donnèrent lieu à d’immenses élans de joie et d’allégresse. Comme c’était bon, enfin, de retrouver le cocon familial, le village, les cousins, les camarades de classe. Je me souviens tout particulièrement, de l’accueil qui nous fut réservé à Roger et à moi, dans le cadre du patronage, le dimanche après-midi qui suivit notre retour, par la Sœur Bastide, originaire de l’Ardèche et tous nos camarades de jeux. Ce fut super. Seule ombre au tableau, ma marraine Agnès était toujours malade.

Mille neuf cent trente sept ne me laisse pas de souvenirs exceptionnels. J’avais neuf ans. J’allais à l’école laïque comme tous les garçons du village, à cette époque, alors que les filles fréquentaient l’école libre tenue par les religieuses. Notre instituteur était Monsieur Ulysse Pérard. Nous étions une bonne trentaine d’élèves, les plus grands aidant les plus petits. Au centre de la classe se trouvait un grand poêle à charbon, entouré d’une grille de protection. Aux murs, face à nous, étaient fixées deux grandes cartes - Vidal Lablache – dont l’une représentait les magnifiques falaises d’Etretat. Cette vue me faisait rêver car la mer pour nous, Champenois, c’était mythique et ces roches rougeâtres nous changeaient de nos plaines calcaires.

Sans être un puits de science, je n’étais pas non plus un cancre. Sans être trop modeste, disons que je me situais plutôt dans la bonne moyenne. Mais il me reste un mauvais souvenir. Vous savez tous que les mathématiques, parfois, nous posent des problèmes difficiles. Toujours est-il, qu’un certain soir, je me suis trouvé en retenue parce que les trains qui partent, se croisent se dépassent me laissaient perplexe. Comme c’était au printemps et que Monsieur l’instituteur devait arroser ses salades et biner ses carottes dans son jardin, situé à

300 mètres du village, j’eus le privilège de l’accompagner, me laissant le temps de trouver les bonnes solutions à mes problèmes. Et quand je pense qu’il aurait pu me demander combien de temps il lui faudrait pour remplir son tonneau de 200 litres sachant que chaque coup de pompe refoulait 5 litres, en comptant en moyenne dix coups de pompe par minute, et cetera…je me dis que je m’en suis sorti à bon compte.

Dans l’ensemble, l’ambiance générale de l’école ne me déplaisait pas. J’appréciais spécialement la lecture que nous faisait l’instituteur chaque fin de semaine ; me reviennent à l’esprit certains passages des "  Mémoires d’un âne " de la Comtesse de Ségur. J’aimais feuilleter le livre de français, regarder les gravures et lire certains passages des aventures de Line et Pierrot. Le livre de géographie avait aussi ma préférence. Les cartes des colonies, l’Indochine, l’Afrique du Nord, l’A.O.F. avec ses grands baobabs me laissaient rêveur.

La vie paroissiale tenait aussi une grande place dans le village. Le prêtre, l’Abbé Aloys Metz, arrivé en 1918 dans les conditions que j’ai relatées plus haut, était très apprécié. Il avait été nommé chanoine, en reconnaissance, je pense, des multiples services qu’il avait rendus à la population et de son zèle pastoral. Il faisait autorité. Les cérémonies religieuses étaient suivies par la grande majorité des habitants du village. Les non pratiquants pouvaient se compter presque sur les doigts de la main. C’était l’exception.

L’emploi du temps des enfants était bien rempli. Nous avions catéchisme deux fois par semaine. De plus, à la sortie de l’école le soir à 5 heures, tous les enfants des écoles, les garçons de la laïque et les filles de chez les Sœurs, nous retrouvions à l’église pour la récitation du chapelet sous la direction de Mademoiselle Joséphine, qu’on appelait " Fifine " entre nous. Le vendredi, à la sortie de l’école à midi nous avions le chemin de croix avec ses 14 stations. Le dimanche, nous devions assister à la petite messe de 8h30 et à la grand-messe de 11h. L’après-midi à 14h30, nous chantions les vêpres en latin suivies du chapelet et du salut au Saint-Sacrement. Aussitôt après, c’était le patronage avec les religieuses, les filles d’un côté, les garçons de l’autre. Comme vous pouvez vous en rendre compte, on ne chômait pas. En plus de cela, les garçons en âge d’être enfant de chœur, étaient tenus de venir servir la messe chaque matin, à tour de rôle, moyennant une petite rétribution.

La fête de Noël était particulièrement émouvante. Quelques jours avant le 25 décembre, Mr Lemonnier, artisan électricien, un des rares qui ne venaient pas à la messe, installait dans le chœur une immense crèche avec de grands personnages d’au moins 75 centimètres de haut ; l’âne, le bœuf, les bergers , les moutons, Joseph, Marie, dans un décor féerique et des illuminations. Peut-être même, y avait-il des cascades et des jets d’eau ! Et, devant , il y avait un petit angelot qui faisait un petit signe de tête, en guise de remerciement, chaque fois qu’on glissait une pièce de monnaie dans la petite fente prévue à cet effet. Certains enfants malicieux s’amusaient à y glisser des petits cailloux et aussi de vieux boutons. L’ange n’y voyait pas malice et disait toujours merci…

La messe de minuit rassemblait pratiquement tout le village. A la " tribune " résonnaient les grandes orgues que pulsait Colette Ronez. Mon père chantait en solo , de sa voix de baryton : " Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle… " J’en suis encore tout ému.

Au retour à la maison, après avoir marché souvent dans la neige et le grand froid, nous étions tout heureux de nous retrouver en famille, de prendre des boissons chaudes et de découvrir dans nos chaussures, au pied du sapin, nos cadeaux de Noël. Etait-ce l’œuvre du petit Jésus dont on venait de célébrer la naissance, du Père Noël ou de qui d’autre encore ? Je ne savais plus trop. Mais la joie était là et c’était le principal.

Les cadeaux, en ce temps là, étaient plutôt modestes. Une orange, c’était déjà merveilleux, tellement ce fruit des pays chauds était rare et succulent. Une année, pour nous les grands garçons, il y eut un jeu collectif : un tir aux pigeons avec une carabine à flèches. Je crois me souvenir que le Père Noël était passé par Paris où des anciens copains de régiment de papa, le 41° B.C.P. ( Bataillon de Chasseurs à Pieds), des camarades de tranchées ou d’occupation en Allemagne du côté de Fribourg, lui avaient confier la mission de nous livrer ce jeu magnifique qui fit grand effet près de nous tous. Une autre fois, nous eûmes une sorte de boîte magique, appelée " La Caverne d’Ali Baba ". Quand on appuyait sur un certain bouton, apparaissait le visage barbu d’un sage, la tête enrubannée d’un turban multicolore, qui nous tirait la langue. La guerre n’a pas que de mauvais côtés.

Pour moi, c’était encore le temps de l’innocence, le temps du merveilleux, le temps où on se pose beaucoup de questions, sans trop en chercher les réponses, le temps de l’insouciance. La vie qui m’était très agréable et sans souci, me semblait devoir durer éternellement. Je ne voyais pas pourquoi, il pourrait y avoir une fin à ces moments idylliques.

Mais hélas, car il y a un " mais ", la réalité ne tarda pas à me révéler la vérité et à balayer toutes mes illusions. L’année 1938, l’année de mes dix ans, me fit découvrir l’âpreté, la dureté de la vie à travers les souffrances de ma marraine Agnès. Son état de santé empirait. On nous tenait à l’écart, on ne parlait pas ouvertement devant nous, les enfants. Mais, le bacille de Koch, contre lequel il n’y avait pas encore de remèdes efficaces, finit par avoir raison de la santé de tante Agnès. Elle mourut le 27 décembre 1938 à l’âge de 24 ans. Elle était née le 7-11- 1914. Ce Noël 1938 fut bien triste. Dans mes souliers, trois jours plutôt, j’avais trouvé une petite trompette à pistons. Tout à ma joie, sans penser à autre chose, j’en jouais avec ardeur sur les marches d’entrée de la maison quand maman est venu m’interrompre , me disant : "  Arrête, pense plutôt à ta marraine qui vient de mourir ". Oui, à partir de ce moment là, j’ai pris conscience que la vie n’était pas un long fleuve tranquille comme je me l’imaginais. Toute la famille et bien des gens du village se retrouvèrent dans l’église pour la cérémonie d’enterrement. Ensuite, ce fut le cimetière qui se trouve tout autour de l’église, les tombes formant une sorte de demi-cercle, le trou béant et la suite. Oui ce fut pour moi une terrible révélation. D’un coup, la vie prenait une toute autre dimension. Elle m’apparaissait fragile. Et qu’y avait-il après ? Mr le curé nous disait bien, qu’après ce temps de larmes nous attendait une autre vie, éternelle, celle-là , sans souffrances ni pleurs. Que Dieu accueillait les élus pour leur faire partager sa joie et son bonheur

Après la cérémonie, toute la famille s’est retrouvée chez Mémé Pia. Je me souviens tout particulièrement de la présence de l’oncle Raphaël que je voyais pour la première fois vraisemblablement, venu de Sézanne, et de mon père qui disait qu’il ne fallait pas désespérer, qu’il fallait savoir accepter la volonté de Dieu. Oui vraiment, ces moments là m’ont beaucoup marqué et ont peut-être pesé, pour une bonne part, dans les décisions qui allaient orienter ma vie.

Comme toujours, la vie finit par reprendre le dessus. Petit à petit chacun retourne à ses occupations, gardant en mémoire les tristes événements qu’il vient de vivre. Les fêtes de fin d’année furent réduites au minimum.

Par la suite, nous avons pris l’habitude de fêter le jour de l’an chez Mémé Pia et Tante Gisèle. Après le repas nous allions chez les oncles, tantes, cousins pour présenter nos vœux. Je ne sais plus si c’est en ce premier janvier 1939 qu’il fit si froid et que la neige recouvrait tout de son manteau blanc. On se serait cru dans un autre monde. Mais par la suite, au moment du dégel, c’était moins agréable. On avait l’impression de marcher dans la mélasse.

SAINT GENGOUX.

Les visites de fin d’année et les veillées d’hiver permettaient de resserrer les liens avec la famille. Les plus attendues et les plus appréciées étaient celles que nous faisions chez tante Fernande et oncle Marc Evrard, car on se retrouvait entre cousins et cousines de même génération. Bernadette avait le même âge que Roland, Elisabeth même âge que Roger, André né en 1928 comme moi. Nous avions plaisir à nous montrer nos cadeaux, les nouveaux jeux et sans perdre de temps, on se mettait à jouer ensemble aux nains jaunes, au monopoly, à la bataille ou encore au menteur. Le jeu des petits chevaux qui consistait à rentrer ses six cavaliers dans leur écurie rencontrait souvent un franc succès. Quand les deux familles étaient réunies au complet, cela faisait bien du monde et du bruit car, de leur côté, ils étaient neuf enfants et nous sept.

Tante Fernande avait le don de raconter des histoires. Ainsi de temps en temps, elle arrivait à capter l’attention de tous. Me revient tout particulièrement en mémoire, la légende de saint Gengoux ou comment le village de Perthes les Hurlus, commune jouxtant celle de Somme-Suippe, perdit sa fontaine. Au milieu du huitième siècle, durant le règne de Charles Martel, vivait un homme sage et pieux qui répondait au nom de Gengoux. Après avoir vaillamment servi le roi, il était rentré chez lui au pays lorrain. Son goût pour la chasse l’entraînait souvent hors du logis et l’amenait parfois jusqu’à Perthes où se trouvait une magnifique fontaine avec une eau délicieuse et fraîche qui lui permettait de se désaltérer durant l’été.

Les habitants étaient très fiers de leur fontaine. Les femmes venaient rincer leur linge, les paysans y venaient faire boire leurs troupeaux et toute la journée les gamins venaient y jouer agréablement.

La foi chrétienne n’avait pas réussi à supplanter le culte païen. Ainsi, les jeunes filles avaient coutume de venir jeter des épingles dans l’eau. Si l’épingle surnageait, elles étaient certaines que la bonne déesse les protègerait et leur accorderait la grâce de trouver un mari dans l’année. La nuit, on venait apporter de naïfs présents à la déesse des eaux.

Tout cela, Gengoux l’ignorait. Pieux et craignant Dieu, il était trop bon catholique pour s’attacher à de telles superstitions. Cependant, il n’avait pas été sans remarquer quelques unes de ces pratiques. Les gens de Perthes s’étaient habitués à voir ce vieux bonhomme surgir des forêts et s’approcher de leur fontaine. Ils avaient observé ses manières étranges, cependant, ils ne disaient rien. Ce bel accord ne dura pas et la guerre éclata brusquement entre Gengoux et les habitants de Perthes

Un matin, l’ermite-chasseur était arrivé d’assez bonne heure à la fontaine pour s’y laver et se désaltérer. Quelles ne furent pas sa surprise et sa colère en découvrant que plusieurs gamins s’efforçaient de noyer dans l’eau des petites bêtes qu’ils avaient attrapées. " Enfants, leur dit-il, n’avez-vous pas honte de faire souffrir ainsi des bêtes qui sont aussi des créatures du Bon Dieu ? " Ils n’en continuèrent pas moins leur jeu cruel.

Le saint prit alors un bâton et le leva vers les enfants qui se dispersèrent comme une volée de moineaux. Mais les mères ne furent pas contentes. " De quoi se mêle-t-il, ce vieux bonhomme ? Nos enfants ont bien le droit de faire ce qu’il leur plaît. "

La situation empira. Un après-midi, à la suite d’un geste maladroit, une laveuse laissa échapper son battoir qui s’enfonça dans l’eau. Furieuse, elle lança un blasphème sonore. En entendant ainsi profaner le nom du Seigneur, Gengoux frémit et fit observer à la femme qu’elle venait de se rendre coupable d’un grave péché mortel.

Toutes les laveuses se mirent alors à rire et à injurier le saint en y ajoutant des blasphèmes. Gengoux dut s’enfuir sous les huées. Entre ces méchants chrétiens et lui la rupture fut complète. Il ne revenait plus à Perthes. " Bon débarras ", disaient les femmes entre elles. Mais elles ne se doutaient pas de la puissance infinie que le Ciel avait donnée à l’ermite et ignoraient le terrible châtiment qui allait les punir de leur méchanceté…

Cet été-là, il faisait une chaleur écrasante. Les gens et les bêtes souffraient de la canicule. Mais la fontaine gardait toute son abondance et sa fraîcheur. De tous les environs accouraient les villageois pour profiter de cette eau presque miraculeuse. Ce jour-là, tout paraissait engourdi dans le village.

C’est alors que l’on vit apparaître au coin de la place l’ermite Gengoux. Il avait quitté ses bois pour venir se désaltérer. Un gamin, entendant des pas se retourna et aperçut son vieil ennemi. Il prit une poignée de sable et la jeta à la tête de l’ermite. Surpris et aveuglé, Gengoux poussa un cri de douleur et de colère. D’un geste brusque, il se débarrassa de la besace qu’il portait toujours sur l’épaule. Il l’ouvrit largement, puis d’un coup de bâton, il frappa l’eau de la fontaine.

L’on assista alors au spectacle le plus extraordinaire : l’eau se mit à bouillonner ; elle s’éleva, dépassa la margelle et, en un mince filet, vint peu à peu remplir le sac de Gengoux. A mesure que l’outre se remplissait, le niveau de l’eau baissait dans le réservoir. Bientôt, il n’y eut plus que quelques flaques ; bientôt, le sol apparut encore à peine humide. L’ermite avait fait entrer toute l’eau dans son sac. D’un coup de reins, il chargea la besace sur ses épaules et prit le chemin de la forêt.

Certains crurent au début qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Mais rapidement on dut se rendre à l’évidence. Il n’y avait plus d’eau. Autour de la fontaine vide, les femmes pleuraient. " Qu’allons-nous devenir ? "disaient-elles. Le soir, quand les hommes vinrent pour faire boire leurs troupeaux, ce fut bien pis. Ils disaient  aux femmes : " C’est votre faute ". Il y eut bien des querelles de ménage.

Pendant ce temps, Gengoux continuait sa route vers la Lorraine. Dans sa besace, au contact d’une mystérieuse poudre noire qu’il avait jetée, l’eau s’était solidifiée. Mais elle pesait tout de même assez lourd. Au coucher du soleil, il parvint à Wargemoulin au bord d’une autre rivière qui s’appelait la Tourbe.

Le lendemain, à l’aube, il s’aperçut que sa besace était moins lourde et vit avec étonnement une eau limpide qui sourdait maintenant près de lui ; quelques gouttes s’étaient échappées du sac et avait regagné la rivière voisine. Gengoux reprit la route et arriva à Varennes. La terre de ce pays lui appartenait. C’est là qu’il abandonna son fardeau. La source de Perthes restait solidifiée. Alors, d’un coup de bâton miraculeux, Gengoux creusa le sol et l’eau se remit à bouillonner.

Mais la fontaine ne s’est jamais consolée. Elle n’a pas retrouvé sa chanson d’autre fois. Elle coule lentement, sans bruit, dans cette terre argileuse, lourde et froide. Parfois cependant, les jours de grand vent, elle s’agite un peu, elle semble se plaindre. La source de Perthes pleure toujours son village perdu…

Telle est l’histoire de la fontaine de saint Gengoux. Vous pouvez en retrouver le texte complet dans le livre " Contes et Légendes de Champagne " chez Fernand Nathan par Philippe Lannion. Dans la préface, l’auteur se dresse contre ce proverbe qui prétend que : " quatre vingt dix neuf moutons et un Champenois, cela fait …cent bêtes ". C’est calomnieux et tout à fait injurieux. Il faut y voir, tout au contraire, un trait de finesse et de malice. En témoigne la déclaration lue en séance publique le 25 mars 1814 par M Thiéron, à la société d’agriculture de l’Aube : "  Lors de la conquête de la Gaule par les Romains, leur chef, Jules César mit sur les troupeaux une contribution importante. Sur les représentations qu’on lui fit, il exempta de la taxe les troupeaux de moins de cent bêtes. Les champenois imaginèrent alors de ne composer leurs troupeaux que de 99 moutons. César ordonna que le berger serait compté pour un mouton ; de là, 99 moutons et un champenois font …

Je signale également que Michel Godin, maire de Souain en 1993 a publié une brochure intitulée : " Perthes les Hurlus, village tombé au champ d’honneur " dans laquelle il relate la légende de saint Gengoux. Ce texte a été écrit par M. Guillemot d’après les souvenirs d’une habitante de Perthes.

Une autre version de l’histoire de Saint Gengoult (orthographe différente), m’a été communiquée par notre ami Philipe Vergez, de Marcilly-sur-Seine :

" Gengoult était un Seigneur franc né à Langres et qui vivait au 7ème siècle. Il était mal marié ; lui était vertueux, calme et tranquille, elle, Ganéa, femme jolie et jeune, certes, mais légère et volage.

Trop confiant, il partit à la guerre avec Pépin le Bref, dans les pays bataves.

A son retour, les bruits qui couraient dans la région, vinrent aux oreilles du Seigneur et troublèrent sa quiétude ; il en vint à perdre sa belle assurance et à se demander s’il n’aurait pas été trompé.

Pour s’en assurer, il s’en remit au jugement de Dieu. Il emmena sa femme dans les champs, au pied d’un coteau. Il frappa le sol de son bâton. Aussitôt, une source jaillit. (A l’endroit où jaillit la fontaine miraculeuse, à St Benoît-sur-Vanne dans l’Aube, on a construit une chapelle qui devint lieu de pèlerinage. L’eau guérissait les fièvres et les maux d’yeux des enfants). Il demanda à Ganéa d’y plonger le bras. Celle-ci, sans méfiance, obéit à son mari. Horreur ! Elle retira son bras tout dépiauté, prouvant ainsi sa faute.

Gengoult, frappé de ce coup du sort, fut cependant généreux. Il pardonna à sa femme, lui abandonna son château et une partie de ses biens puis se retira dans un autre château, près d’Avallon, à Annéat.

Ganéa aurait dû être touchée de cette bonté ! Il n’en fut rien. Elle vécut avec son amant, et sans doute, pour pouvoir l’épouser, elle médita la perte de son mari. Après avoir médité un plan minutieux, elle envoya son amant au château avallonnais pour assassiner Gengoult. Ce qu’il fit. La légende se termine ainsi par un crime impuni.

Dans toute la France se trouvent des sources miraculeuses dûes à St Gengoult. En Franche-Comté, à Montgeroye, à Choiseul-en-Bassigny (Haute-Marne), à Wierres (Boulonnais), près de Brien (Moselle), à Toul , Saint Gengoult le National (Saône et Loire), St Gingolph (Lac Léman) à Abbeville, et aussi en Allemagne et en Belgique.

Son corps faisait maints miracles. Aussi, sa femme agacée s’écria : " Jour de Dieu, il fait des miracles comme je pète ! ". A ce blasphème, une punition céleste s’abattit sur elle. Aussitôt qu’elle prononçait un mot, elle ne pouvait s’empêcher de péter. Elle dut se réfugier dans un couvent où existait la règle du silence absolu. C’est là qu’elle termina ses jours dans la honte et la solitude.

A Bar-sur-Aube, le 10 mai, veille de St Gengoult, les gens allaient dans les prés chercher des fleurs jaunes, des "  bassinets " et en faisaient des bouquets qu’ils allaient attacher la nuit à la porte des maris trompés.

A St Benoist-sur-Vanne, comme à Chassericourt (Aube), on prononçait Saint Gengon. A rapprocher de St Gorgon qui lui aussi dans toute la France, fit jaillir des sources miraculeuses. St Gorgon est le substitut chrétien d’un être surnaturel adoré par les paysans et dont le culte était si vivace que faute de pouvoir l’extirper, il fallut le baptiser et le christianiser. Cet être surnaturel était "  le Géant ", le vieux Gargantua. La fête de St Gengoult, le 11 mai, est célébrée le deuxième dimanche de mai.

Merci, chers amis Vergez, de ces précisions.

Ainsi donc, nous étions tout heureux de passer ces soirées d’hiver dans une chaude ambiance en dégustant des gaufres, des beignets ou des crêpes si c’était au moment de la Chandeleur. Car, à cette époque, la télévision n’existait pas encore. Les soirées d’hiver étaient longues. Pour nous occuper utilement et nous permettre de gagner quelques sous, nos parents nous faisaient confectionner des " paillons " En dialecte champenois on appelait ces produits artisanaux des "  cleulets ". Comme mon père et mon oncle Marc ramassaient le lait tous les matins dans les fermes du village, ils vendaient en même temps du beurre et du fromage de la laiterie Desouter à Courtisols. Pour emballer les fromages, surtout le brie, on utilisait ces paillons ou cleulets qu’on appelait aussi clayons ou claies à fromage. Mon père sélectionnait de belles tiges de paille de seigle. Et le soir dans la maison, nous prenions des brins un à un et à l’aide d’un métier spécialement conçu pour ce genre d’ouvrage nous faisions nos paillons. Il y avait deux pédales aux pieds et en même temps avec les mains on faisait glisser une ficelle fine à 7 ou 8 centimètres des deux bords extérieurs. C’était une bonne manière de nous initier au travail bien fait et de nous apprendre à passer le temps utilement. Autres temps, autres mœurs !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ ADOLESCENCE.

1939, ANNEE DE MES 11 ANS

1939 : année de mes 11ans. J’étais un garçon bien décidé, prêt à mordre la vie à pleines dents. Tante Gisèle, pas mariée, âgée de 32 ans, sœur d’Agnès, se fit, me semble-t-il, plus proche de moi. Certainement qu’elle pensa devoir tenir la place laissée vide par ma marraine, trop tôt disparue. Elle fut pour nous, ses jeunes neveux, très accueillante et pleine d’ouverture. Le jeudi, à cette époque jour sans classe, nous aimions nous rendre chez grand-mère et tante Gisèle. Elle nous prenait en photo, nous abonnait à des revues pour enfants, nous parlait de ses voyages, tout spécialement en Italie, ce pays magnifique où il y a tellement de belles choses à voir, nous intéressait aux chants en vogue à cette époque ; par exemple, cet air qui connaissait un vif succès: " C’est aujourd’hui dimanche, voici les roses blanches… pour ma jolie maman ", de Berthe Sylva. En bas du jardin, il y avait la rivière avec ses truites vagabondes.

Dans l’écurie, nous attendait "  Pompon ", un petit âne, tout gentil, tout mignon. Il était calme et pacifique. Il se prêtait volontiers à nos petits caprices. Parfois on attelait le cabriolet et on se promenait dans les champs. En juillet, on poussait l’aventure jusque dans le bois de Saint-Jean ou dans les sapins Maître sur le finage de Saint-Rémy pour faire provision de pommes de pins qui se révélaient, l’hiver venu, être des allume-feu très efficaces. Ainsi passait le temps agréablement. Mémé Pia nous préparait de bons petits plats. Elle réussissait tout particulièrement les pommes de terre, à l’étouffée. La cocotte en fonte mijotait des heures sur le bord de la cuisinière. Elle était souvent assise dans son fauteuil, près de la fenêtre qui donnait précisément sur la fameuse cour des familles Mauclert et juste en dessous, se trouvait le tas de fumier du cousin Jean. Moins on ouvrait la fenêtre, mieux on se portait. Elle nous tenait compagnie tout en tricotant ou en ravaudant nos chaussettes. Parfois, sa vue baissant, elle nous demandait de passer le fil dans le chas de l’aiguille.

Nous recevions chaque jeudi l’hebdomadaire pour enfants " Cœurs Vaillants ", avec en exergue : " A cœur vaillant, rien d’impossible ". Parfois, je guettais l’arrivée du facteur car j’étais impatient de connaître la suite des aventures de Jo et Zette. La première page, en bande dessinée multicolore, fut pendant un certain temps, occupée par le récit à rebondissements du " Stratonef H 22 ". Dans cette affaire de piratage industriel, Mr Legrand, père de Jo et Zette, ingénieur en aéronautique, devait déjouer les tentatives d’espionnage de savants ennemis qui voulaient s’approprier les plans du nouvel avion spatial ou tentaient d’organiser des sabotages dans le hangar où se construisait le nouvel appareil. Et surtout, en pages centrales, paraissaient en exclusivité, les dernières aventures du fameux détective en culotte-golf, je veux dire Tintin et son fidèle petit chien Milou. Les colères du capitaine Haddock, les déboires du professeur Tournesol, les gaffes des deux Dupont et Dupond me tenaient en haleine.

Avec mes frères, les cousins, les copains du voisinage nous aimions jouer aux soldats et à la guerre. Drôle d’idée ! Nous avions récupéré tout un lot de vieux fusils complètement rouillés dont il ne restait plus que le canon, des bidons défoncés, des masques à gaz, des épées, des baïonnettes, vestiges des combats de 14-18 dont la région regorgeait. Les vieilles cartouches contenaient encore la poudre. Les éclats d’obus se ramassaient à la pelle. Affublés de tout cet attirail, nous défilions en marchant au pas avec un air martial. Ensuite, nous formions deux camps ennemis. Nous faisions mine de nous battre et de nous menacer à distance. Les uns pointaient leurs armes en criant pan…pan. Les autres en cherchant à se dissimuler derrière une haie de jardin, un muret ou un angle de maison ripostaient en simulant le bruit d’une mitrailleuse tac. tac. tac…Nous avions découvert des joujoux bon marché qui nous permettaient de défouler notre agressivité.

Nouveaux bruits de guerre ! L’EXODE ou L’EVACUATION.

Nous n’avions pas encore réussi à nous débarrasser des conséquences de la guerre 14-18, qu’à nouveau le ciel s’assombrissait. De l’autre côté de la frontière, en Allemagne, en Sarre, le Führer relançait l’économie allemande, galvanisait les foules, voulait construire une société nouvelle à base de racisme et d’orgueil : " Deutschland über alles ". Il redonnait espoir à un peuple abattu par la fin tragique de la grande guerre.

Bientôt, on parla de mobilisation. Des classes de réservistes furent rappelées. C’est ainsi que plusieurs hommes du village durent quitter leur ferme pour aller rejoindre leur régiment sur la Ligne Maginot. Papa aurait dû retrouver sa compagnie de chasseurs à pieds, mais étant chargé de famille nombreuse, six enfants, bientôt sept, il fut maintenu dans ses foyers. Cependant, il était prêt à partir " accomplir son devoir comme tout le monde " selon ses propres termes. L’amour de la Patrie qu’il fallait défendre coûte que coûte était très fort.

Ce fut ce qu’on appela "  la drôle de guerre ". Les rappelés étaient à 150 kilomètres à peine, attendant dans l’inactivité, de pied ferme, l’attaque de l’armée allemande. Les conversations allaient bon train dans les chaumières. Au cours des réunions de famille, je sentais l’inquiétude grandissante. Une fois j’entendis affirmer avec conviction que Paris sera pris, car il suffisait d’enlever la lettre " a " de Paris. Ce qui est on ne peut pas plus facile, en effet !

Notre instituteur, Ulysse Pérard, qui était capitaine de réserve, fut rappelé. C’est son fils Roger qui le remplaça. Du fait qu’il fumait assidûment la pipe, nous l’appelions, mezza voce, à demi-voix, " le Père la Pipe ".

La situation dans les fermes du village devenait inquiétante. Les hommes étaient absents, les chevaux les plus valides étaient réquisitionnés. Face à de tels problèmes, quelques hommes, dont papa, décidèrent de créer une " C.U.M.A. " coopérative d’utilisation de matériel agricole. Ils firent l’acquisition d’un tracteur " Renault ", de diverses charrues ( brabant à plusieurs socs, déchaumeuse à disques), d’une batteuse avec presse pour mettre la paille en balles. Un jeune homme du village, Jean Mathieu, fut embauché comme chauffeur et homme d’entretien.

Entre temps, papa avait fait fabriquer par le charron de la commune, Maurice Clément, un chariot à quatre roues équipées de pneus agraires. C’était une révolution. Jusqu’à présent, dans les fermes, on ne trouvait que des tombereaux ou des voitures à moisson avec deux grandes roues en bois cerclées de fer. Ce nouveau chariot à pneus pouvait être tiré par des chevaux. Dans ce cas il y avait deux limons, c’est à dire deux brancards pour atteler le cheval. Il pouvait aussi être mu par un tracteur ; dans cet autre cas, il fallait installer une barre d’attelage en triangle. Si je m’attarde sur cette histoire de chariot, c’est que ce nouveau moyen de transport pour effectuer les charrois dans les fermes allait modifier, en mieux , bien des habitudes. Et de plus, ce chariot précisément, allait être d’une grande utilité sur les routes de France au cours de nos pérégrinations de l’exode.

Qui ne se souvient, homme ou femme de notre génération ayant vécu dans les villages en ces années 1930-1950, de ces périodes de moisson ? Une fois les récoltes de seigle, de blé, d’orge et d’avoine mises en gerbe par la faucheuse-lieuse ( la nôtre était de marque américaine, une " Massey-Harris " ) puis mises en tas, il fallait les rentrer à la ferme. Pour cela, on disposait des fameuses voitures à moisson avec ridelles et échelettes. De plus, à l’arrière, il y avait un cabestan avec broche pour tendre la corde. C’était tout un art de savoir placer les gerbes en les croisant. La moindre négligence pouvait avoir des conséquences catastrophiques. Ces voitures sans amortisseurs avec ces roues en bois encaissaient tous les chocs. De plus, les chemins de champs étaient bien souvent mal entretenus avec des trous et des bosses, des ornières parfois très profondes où les eaux de pluie stagnaient et dans lesquelles on risquait de s’embourber. Si bien qu’à chaque instant, en cours de route, on s’attendait à voir les gerbes glisser imperceptiblement, bientôt la voiture " faisait le ventre ". On donnait un tour ou deux de plus au cabestan pour retendre la corde. On évitait le plus possible les ornières en priant pour que cela tienne jusqu’à la ferme. Mais hélas, malgré toutes ces délicates attentions, bien souvent c’était la catastrophe. Tout dégringolait par terre. Alors, patiemment sans trop s’énerver, il fallait tout reprendre à zéro ou presque. Cela faisait partie des joies de la moisson de cette époque. Quand je pense que Mme de Sévigné, dans ses lettres affirmait que faner ou moissonner c’est folâtrer, je me dis que c’est une façon bien poétique de voir les choses. Par la suite, ces pratiques, qui nous semblent folkloriques maintenant, furent vite laissées de côté.

Vive le chariot à pneus ! J’en arrive ainsi, sans transition apparemment, à l’exode. J’ai retrouvé dans les papiers que nous ont laissés nos parents, un manuscrit non signé, non daté dont l’auteur me semble être le curé de la paroisse, l’Abbé Metz, qui lui n’aurait pas quitté le village. Il a certainement jugé que pour lui il était inutile de partir et pensé qu’il était plus opportun d’assurer son rôle de gardien du temple.

En titre : "  Somme-Suippe…Exode de 1940…La guerre fut déclarée à l’Allemagne le 27 septembre 1939. Rien d’anormal dans la commune jusqu’au 10 mai 1940 où eut lieu le bombardement de Suippes. A dater de ce jour, raids quotidiens menacent la tranquillité et la sécurité des habitants. Le 10 juin à 20 heures, ordre est donné à Mr le Maire de faire évacuer la commune dans deux heures. Pendant ce court espace de temps : chariots, voitures de toutes sortes se chargent des effets indispensables et à 22h ces véhicules partent dans l’obscurité, se dirigent vers la Haute-Marne, l’Aube : le but est de fuir l’ennemi. Comment décrire les souffrances, les privations, les périls auxquels d’aucuns furent exposés ? Ici il faut sauter lestement des voitures, se coucher dans des abris de fortune exposés à tous les vents. Ailleurs, les chariots et les voitures doivent arrêter au milieu de la route, il faut les abandonner ; les chevaux sont tués, les gens continuent à pied le triste exode. Bientôt l’ennemi atteint les derniers et dépasse les premiers partis. Il faut retourner.

Les premiers rentrés furent Messieurs Marcel Dudart, le maire, et Georges Mauclert. Mr le Maire, parti le dernier, tint malgré des fatigues énormes (il avait été amputé d’un bras suite à des blessures de guerre), à rentrer le premier. C’était le 20 juin. Le lendemain, un chariot (celui de papa) conduisant un convoi de 21 personnes arrive sur la place. On rentre à l’église chanter le Magnificat de la reconnaissance. Le village est pillé, dans un désordre indescriptible, mais aucune maison n’a été détruite, pas un carreau ne manque. La Sainte Vierge qui avait gardé la commune en 14-18 l’ a encore gardée visiblement en 40. Chacun réintégra son foyer, bénissant la Providence ; aucun membre manquant, aucun blessé.

Le village était occupé par l’ennemi. Immédiatement se pose la question du ravitaillement qui fut résolue assez facilement grâce à la compréhension et à la bonne volonté de tous les habitants qui avaient appris au cours des terribles péripéties de l’exode la valeur de l’entraide et qui étaient tellement heureux de se retrouver sains et saufs.

Puis vinrent les brimades et vexations de la part de l’occupant ; ne vous rappellerai-je que les trop fameux cours de notre célèbre chef de culture, le célèbre adjudant à moustache pelée et ce mémorable dimanche où tous les cultivateurs eurent l’ordre de se présenter sur la place avec chevaux et voitures, nous donnant ainsi un avant-goût de ce qu’eut été pour nous victoire allemande.

Malgré les difficultés de toutes sortes, réquisitions de toute nature, menaces de représailles, grâce à l’esprit compréhensif de la population qui sut en toutes circonstances conserver son calme et sa dignité françaises, les pires malheurs purent être évités à notre commune.

Mais hélas ! notre armée était prisonnière. Des mois s’écoulèrent sans un mot des soldats. Enfin, Mme Pérard reçut des nouvelles de son mari, le capitaine Ulysse Pérard, mais durant sa captivité il contracta la maladie qui devait bientôt nous le ravir. Il mourut victime de son dévouement et de son amour pour la Patrie.

Mr Hermant Rônez était toujours sans nouvelle de son fils, le lieutenant Abbé André. Hélas ! Après de longs mois d’attente il reçut la fatale nouvelle. Son fils était tombé au champ d’honneur à Château-Salins. Il était tombé héroïquement, victime du devoir. Il avait offert sa vie pour sa Patrie, sa famille et sa paroisse. Bel exemple de courage et de dévouement !

Aujourd’hui encore, une ombre se glisse dans le tableau de nos fêtes ; c’est l’attente de nos chers prisonniers. Mais ayons confiance, la Sainte-Vierge ramènera les manquants, nous le croyons fermement.

Oui, chers amis, courage et confiance en l’avenir qui s’annonce plein d’espoir ; le sang de tant de victimes n’aura pas été versé en vain. " (Fin de citation).

Ce document me permet de me remémorer ce que nous avons vécu, nous, au plan familial. Tout d’abord, le 10 avril 1940 la famille s’agrandissait de nouveau avec la naissance de notre benjamin, Jean-Marie. Un mois plus tard, le 10 mai, la ville de Suippes était bombardée par les avions allemands vers 16h. J’étais à ce moment là avec papa dans les champs à la Croirelle, occupé à planter des pommes de terre. Nous avons vu alors des avions qui tourbillonnaient et s’affrontaient au dessus de nous. Les canons de la D.C.A. (défense contre avions) tiraient des balles traçantes qui explosaient dans le ciel. Bientôt, nous vîmes un avion virer de bord et descendre en vrille à proximité des casernes. Un parachutiste apparut au milieu de ce champ de bataille céleste ; entre temps, les avions allemands avaient réussi à piquer sur Suippes. Nous avons appris le soir que des personnes qui sortaient d’une cérémonie religieuse avaient été tuées. C’était, me semble-t-il, le lundi de Pentecôte. L’église elle-même avait subi de gros dégâts.

Un mois plus tard, le 10 juin, ordre est donné par les autorités compétentes d’évacuer la commune. Qui au juste a donné cet ordre ? Le bruit a vite couru qu’il pourrait s’agir d’une action orchestrée par la " cinquième colonne ", organe d’espionnage à la solde de l’ennemi. Toujours est-il que rapidement il faut s’organiser. Il est vite décidé que nos deux familles Galichet-Evrard vont faire un convoi commun. De plus, il est convenu que le nouveau chariot à pneus sera attelé au tracteur de la coopérative ce qui permettra d’emmener les religieuses, Melle Joséphine, Mémé Pia, tante Gisèle, la grosse Maria, notre voisine, etc. En tout, 21 personnes.

La journée du 11 est consacrée aux préparatifs de départ. Que prendre ? Que laisser ? Que cacher ? Et les animaux, veaux, vaches, couvées que vont-ils devenir ? Il m’est demandé de creuser des trous autour de la maison et dans le jardin ; ce que je fais de mon mieux, et sans tarder, on y enfouit des bouteilles de vin, des bocaux de conserve de fruits et de légumes, de l’argenterie, en ayant soin de ne pas laisser de traces. Le soir, les voitures à moisson chargées au maximum, attelées aux chevaux qui n’ont pas été réquisitionnés, le chariot au complet entraîné par le tracteur, avec Jean Mathieu au volant, sont prêts à partir. Le départ est donné. Nous voilà partis pour l’aventure vers quelle destination ? Pour combien de temps ? Je me souviens très bien qu’en passant à la hauteur de l’église, dans la rue de La Damont, les onze coups de l’horloge du clocher, dans la nuit, résonnèrent comme un signe d’adieu.

Direction l’Aube. Les ordres reçus donnaient comme point de ralliement : Chavanges. Papa pensa qu’il serait plus judicieux d’éviter ce secteur, car l’encombrement provoqué par tout ce peuple en errance ne tarderait pas d’alimenter une immense pagaille. Ce qui arriva, comme on l’apprit par la suite. De plus, l’aviation ennemie bombarda et mitrailla abondamment toute cette région surpeuplée.

Il y aurait tant de choses à dire sur cette folle équipée. Le chariot, plus rapide, prenait de l’avance et repérait, soit un village, soit une ferme où nous pourrions faire étape le soir ; les voitures tirées par les chevaux rejoignant, quelques heures plus tard, le point de ralliement.

Jean-Marie n’avait que deux mois. Chaque jour, il fallait faire provision de lait frais. Ce qui se révéla bientôt être difficile car il n’y avait plus aucun commerce. Les fermes étaient abandonnées. D’autre part, les vaches laissées en liberté dans les prés et les champs, que nous tentions d’approcher pour nous procurer quelques litres de lait en les trayant, n’en donnaient plus, car elles étaient " taries " du fait qu’elles n’avaient pas été traites depuis plusieurs jours.

Il fallait avancer le plus vite possible, car d’après les quelques nouvelles que nous pouvions glaner ici ou là, les Allemands progressaient rapidement. Et si nous traînions trop, nous risquions de ne pouvoir franchir l’Aube. L’armée française ne tarderait pas de faire sauter les ponts dans le but de ralentir l’avancée des chars allemands. Ce fut alors une marche forcée vers Bar-sur-Aube. Dieu merci, nous avons pu arriver à temps. Une fois passé le pont, nous avons pu souffler un peu. Je me souviens avoir erré, en compagnie de mon cousin André Evrard, dans les rues de la ville abandonnée. Nous en avons profité, en passant devant un débit de tabac, grand ouvert et sans propriétaire, pour faire notre provision de cigarettes que nous allions fumer, en cachette, derrière les granges.

Après l’Aube, la Seine ! Où allions nous pouvoir passer le fleuve avant que les ponts ne soient détruits ? Bar-sur-Seine semblait tout indiquée mais nécessitait un assez long détour. Nous avons donc pris la direction d’Essoyes, vers le sud. Nous sommes arrivés dans ce gros bourg en début d’après-midi. Une boulangerie était ouverte. Nous avons pu nous procurer quelques boules de pain. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas mangé de pain frais. Au moment où notre convoi se remettait en route, ce fut l’attaque inopinée d’avions italiens. Mon père, " ce héros au sourire si doux ",se saisit d’un mousqueton, fusil de guerre qu’il avait dû récupérer avec quelques cartouches en cours de route, et fit feu à plusieurs reprises en direction des avions. C’était le pot de terre contre le pot de fer.

Nous avons amorcé la montée vers le plateau qui surplombe la ville ; la route était très encombrée. Les voitures de toute nature se suivaient à la queue leu-leu. Au moment où nous arrivions sur la hauteur, les avions de chasse italiens refirent leur apparition. Aussitôt, Jean Mathieu arrêta le tracteur. J’étais alors assis près de lui sur le garde-boue. Il me fit signe de descendre et nous nous sommes couchés dans le fossé. Les avions prirent la route en enfilade et mitraillèrent copieusement toute cette population désemparée et sans défense. J’entendis siffler les balles à mes côtés et s’enfoncer dans le sol au milieu des feuilles mortes. D’autres avions prenaient de la hauteur et lâchaient des bombes de ci de là. Je voyais les obus se détacher des ailes des chasseurs et descendre en oblique vers nous. Ils éclataient alors dans un bruit assourdissant, projetant en l’air des gerbes de terre et creusant des trous profonds en forme d’entonnoir.

Puis peu à peu, le calme revint. Plus d’avions, plus de bruit de mitrailleuses, plus d’obus qui éclatent. Le calme après la tempête. Chacun commence à sortir de sa torpeur, se demandant par quel miracle il en est sorti indemne. Et les autres ? On regarde autour de soi en s’attendant au pire. Jean à côté de moi se relève ; je l’imite. Nos regards se portent immédiatement vers le chariot. Il est intact. Pas de blessés, pas de dégâts. Nous allons pouvoir reprendre la route.

Nous faisons à peine cent mètres que nous sommes contraints de nous arrêter. Devant nous s’offre un spectacle épouvantable. Au milieu de la route, un cratère profond de 2 à 3 mètres et sur les côtés des chevaux éventrés, des voitures renversées et des gens qui gisent aux alentours, blessés ou tués. C’est vraiment affreux. Un véritable calvaire va jalonner notre route sur plusieurs kilomètres. Nous réussissons à nous frayer un passage, mesurant toujours davantage l’effroyable catastrophe à laquelle nous venions d’échapper, tout en ayant une grande commisération pour toutes ces personnes que nous voyons dans une misère extrême.

Un peu plus loin, notre convoi se regroupe. Nous sommes au complet. Ce fut un soulagement général. On ne savait qui remercier ? Est-ce ce soir là, que je fus bien malgré moi, source d’inquiétude ? J’avais disparu. On me cherchait partout. On demandait aux gens de passage, s’ils n’avaient pas vu un garçon de 12 ans à la recherche de sa famille. Jean eut l’idée de venir jeter un coup d’œil du côté du chariot pour voir si tout était en ordre ; c’est alors qu’il m’aperçut, endormi bien sagement sur le siège du tracteur, ma tête reposant sur mes bras retenus par le volant. Ouf !

J’essaie de reconstituer l’itinéraire que nous avons suivi par la suite. Je suppose que nous avons dû passer la Seine à Gyé-sur-Seine ou à Mussy et qu’ensuite nous avons emprunté les petites routes qui nous menèrent en Côte d’Or, jusqu’à un petit village au nom peu glorieux de Balot, à 30 kilomètres de Montbard en direction de Dijon. Ce fut le terme de notre exode. Papa fut étonné de retrouver là un camarade, Charles Dautelle, cultivateur à Châlons, près de la prison. Ils se concertèrent pour décider de la suite à donner à tous ces événements.

Sur la route qui traversait le village, de nombreux soldats de l’armée française battaient en retraite en vrai désordre. Puis à un moment donné, nous avons aperçu tout un régiment qui marchait au pas avec à sa tête un capitaine. Quelle ne fut pas la surprise de papa de reconnaître en la personne de ce capitaine, l’Abbé Piérard, directeur de la maison diocésaine des œuvres de Châlons. L’Abbé nous dit alors que les Allemands n’allaient pas tarder à arriver ; que le mieux était d’attendre sur place et dès que possible de rentrer chacun chez soi. Le capitaine devint par la suite évêque de Châlons.

De fait, le lendemain, les chars allemands arrivaient, nous lançant des boules de pain gris que nous n’osions manger, de crainte qu’elles ne soient empoisonnées. Cette arrivée des chars nous a plongés dans l’effroi. De ces chars flamboyants se dégageait une impression de force invincible. Quel contraste avec notre pauvre armée en déroute !

Après une journée de repos, ce fut le retour. Rapidement, le chariot nous ramena vers Somme-Suippe où nous sommes arrivés le 21 juin. A l’approche du village nous regardions si le clocher de l’église n’était pas endommagé ou effondré. Nous n’avons pu nous retenir de pousser un cri de joie en l’apercevant au loin, à travers les branches des peupliers qui bordent la rivière. Toutes les maisons étaient debout. Nous sommes allés jusque sur la place et aussitôt entrions dans l’église intacte, pour chanter un Magnificat de reconnaissance à la Vierge qui nous avait protégés durant ces dix jours de folle équipée.

C’était un peu bizarre de voir le village à l’abandon. Personne dans les rues. Les bêtes en liberté erraient aux alentours, un peu étonnées de leur nouvelle situation. Notre ferme n’avait subi aucun dégât. La maison était bien là, les portes grandes ouvertes. Dans la salle de séjour était dressée la table à rallonges avec nappes, assiettes et couverts de jours de fête, verres à pied contenant des restes de vin, des os et des croûtons de pain, traînant de ci de là. Dans la basse-cour nous avons trouvé des pattes et des têtes de poules coupées. Nous en avons déduit que ce devait être des soldats allemands qui avaient festoyé et qu’ils avaient dû quitter les lieux précipitamment.

Notre poste de T.S.F. (télégraphie sans fil) avait disparu. Nous l’avons retrouvé quelques jours plus tard dans des jardins à 500 mètres de chez nous. Il fallut courir dans les champs pour rattraper les vaches et autres bêtes qui vagabondaient un peu partout.

Petit à petit, la vie reprit son cours normal, presque comme avant. Au début, la présence allemande ne se fit pas trop sentir. Mais, comme l’a signalé l’Abbé Metz dans son document, la pression allait s’accentuer de jour en jour. Un bureau de la Kommandantur s’installa près de chez ma grand-mère, dans " la Maison d’Asnières ", maison ayant appartenue précédemment à des religieuses originaires d’Asnières-sur-Seine, d’où le nom qui lui est resté.

LE PETIT SEMINAIRE.

De juillet 1940 à septembre 1941, je ne vois rien de sensationnel à signaler. J’ai vécu une année scolaire assez studieuse en compagnie de mes frères Roland, Roger et Guy, de mes cousines et cousins Bernadette, Elisabeth, André, Claude et François Evrard et de mes camarades dont certains noms me reviennent : Guy Pérard, Georges Mathieu, Antoine Delahègue, Fernand et Maurice Lallement, Gilbert Mauclert, Remy et Denis Appert. Je me suis toujours demandé, par la suite, si la famille Appert de Somme-Suippe n’avait pas des liens de parenté avec Nicolas Appert, industriel, né à Châlons (1749-1841) qui, dit le Larousse, fut " l’inventeur du procédé pour conserver en boîtes les aliments aseptisés par la chaleur ". Inventer la boîte de conserve, ce n’est pas rien. D’ailleurs, Napoléon ne tarda pas à reconnaître les mérites de Nicolas Appert. Il le décora. Car, c’est grâce à ce nouveau procédé de conservation, grâce " aux boîtes de singe " que ses grognards purent aller jusqu’à Moscou. Nous pouvons considérer le Châlonnais Nicolas Appert comme un grand bienfaiteur de l’humanité étant donné l’importance que tient cette industrie dans notre vie actuelle. Il n’est que de remarquer dans les magasins ou sur les rayons d’alimentation des grandes surfaces, la place de plus en plus grande qu’occupent les gondoles de ce secteur.

  Je voudrais nommer aussi parmi mes camarades de classe, Bernard Malinge Ce garçon, qui assez souvent faisait l’école buissonnière, avait un statut spécial qui me posait question. Il n’entrait jamais dans l’église. Il habitait avec sa famille sur un terrain vague, dans une sorte de grotte en demi-lune constituée de tôles métro. Ces tôles avaient servi pendant la guerre à bâtir des abris pour l’armée. Cette demeure tenait plus du terrier ou des cavernes du temps des troglodytes. Bernard avait deux grands frères, Gérard et André, qui de temps en temps défrayaient la chronique. Le père, alcoolique invétéré, dépensait plus qu’il ne gagnait. Il fallait cependant faire bouillir la marmite. Quelques petits larcins dans les basses-cours des alentours ne portaient pas à conséquence. Ils habitaient près de la barrière Moreau, pas très loin de l’endroit où s’élève maintenant le château d’eau. A vrai dire, il me faisait un peu pitié. Mais qu’y faire ? C’était en quelque sorte les précurseurs des S.D.F. de maintenant.

Cette année scolaire se passa sans incidents majeurs. Je me souviens toutefois qu’un beau jour, le maître demanda à tous les élèves de la grande classe de vider leur pupitre devant lui, ainsi que les cartables. Et pourquoi donc une telle fouille ? En ces temps troublés, de nombreux garçons dont j’étais, avaient réussi à se procurer des cigarettes et allaient les fumer dans les abris qui avaient été creusés un peu partout à proximité des maisons. Ces tranchées recouvertes de tôles et de terre servaient de refuge pendant les alertes signalant les risques de bombardement par les avions. Je crois me souvenir que la fouille fut fructueuse et fit grand bruit dans le village.

A la rentrée, j’avais remarqué parmi nous des nouveaux venus ; un garçon, Jean Wagner et deux filles, ses sœurs. Elles étaient habillées toutes deux de la même manière, d’une façon toujours élégante et avaient une coiffe semblable, retenue par un élastique autour de la tête. Ils venaient de Lorraine. Ils avaient dû quitter leur village situé sur la frontière et s’étaient réfugiés à Somme-Suippe dans une maison restée libre en bas de la rue appelée Charleville.

Normalement, j’aurais dû passer cette année scolaire au Petit-Séminaire de Châlons. J’avais douze ans, l’âge d’entrer en sixième. Mais, depuis le mois de mai 1940, le séminaire avait été évacué à Blois pour raison de sécurité, à cause des bombardements aériens et de la probabilité d’une attaque allemande imminente. Mes parents pensèrent qu’il valait mieux attendre que tout rentre dans l’ordre. Ce qui fut fait.

Mais, me direz-vous , pourquoi cette idée un peu spéciale de vouloir entrer au séminaire ? Est-ce simplement pour faire des études ou vraiment pour devenir prêtre un jour ? Il est vrai que ce n’est pas parce que on va au séminaire qu’on devient forcément prêtre. C’est un lieu de préparation. Combien y sont allés et ont choisi une autre orientation ? Douze ans d’études et de réflexion, cela donne le temps de mûrir sa décision et de voir venir.

Etant d’une famille aux traditions religieuses très affirmées et originaire d’une paroisse d’où étaient issus plusieurs prêtres, les Abbés Macquart, Albert et Merry Mauclert (deux frères), accéder au sacerdoce n’était pas considéré comme une bizarrerie ou une exception, au contraire c’était une sorte d’honneur. De plus, des jeunes du village venaient d’être ordonnés prêtres, le cousin André Mauclert, les Abbés Georges Maujean et André Rônez, ainsi qu’un frère de mon oncle Marc, l’Abbé Maurice Evrard qui habitait Suippes.

Peut-être aussi, me semble-t-il, que l’influence de ma tante Gisèle y fut pour une bonne part. Par petites touches successives elle éveilla en moi l’idée de séminaire. Peu à peu cette éventualité se précisa. Le décès de ma marraine Agnès m’avait fait réfléchir. Les choses de cette vie terrestre étaient passagères et futiles. L’important c’était l’au de-là.

Par ailleurs, la forte personnalité de notre curé, l’Abbé Metz, m’en imposait. Il bénéficiait d’une réputation de bon pasteur dévoué et attentif à tout ce qui faisait la vie du village. Ses avis et conseils étaient toujours les bienvenus. Il marqua fortement la manière de penser et de vivre de ses ouailles. Pourquoi ne pourrais-je pas, à mon tour, prodiguer les mêmes services à de futurs paroissiens ?

Ce n’est donc que fin septembre 1941, alors que le séminaire se réinstallait à Châlons que j’y fis mon entrée. Les bâtiments prévus à cet effet, allées Paul Doumer, près du grand-séminaire et de l’évêché étaient transformés en lazaret, c’est à dire en hôpital militaire pour l’armée allemande. C’est pourquoi nous avons été accueillis par l’institution Saint Etienne, près de la cathédrale, en ce qui concernait les études et les repas. Les religieuses de Saint-Vincent de Paul, qui tenaient un dispensaire à proximité, aménagèrent des dortoirs dans les combles de leur établissement. Cette situation perdura plusieurs années, jusqu’au printemps de 1944, moment où les avions américains, les fameuses forteresses volantes, intensifièrent les bombardements sur toute la région.

Que dire de ces années d’études sous occupation allemande ? Nous étions 70-75 séminaristes un peu perdus au milieu des 250 à 300 élèves du collège Saint Etienne. Je me mis avec application à l’étude du latin et de l’allemand, en attendant le grec à partir de la quatrième. Dans notre classe de sixième nous étions une douzaine. Nous avions des professeurs du collège. Je me souviens de Mr Royer, notre prof de latin en cinquième qui, lorsqu’il nous rendait les copies à la suite d’un exercice de contrôle se plaisait à dire : " asinus asinum fricat ", ce qui veut dire mot à mot, l’âne frotte l’âne, autrement dit, vous êtes tous des ânes ! De quoi nous réjouir et nous encourager !

Un autre prof, celui de math, Mr Drotière, parvint presque à me faire aimer l’algèbre. J’avoue que sa compétence et la clarté dans ses démonstrations forçaient mon admiration. Je retrouve un bulletin mensuel de notes du 4 avril 1943 : classe de 5°, nombre d’élèves 16. Mathématiques : 10-15-15-11 ; langue allemande 10-9-10. En classe de quatrième, le programme prévoyait en histoire l’étude du Royaume-Uni. Je me souviens particulièrement d’un jeudi matin de printemps, jour de la semaine qui était consacré aux compositions, où j’étais heureux de plancher sur la guerre des Deux Roses. Et en même temps je pensais qu’à midi nous allions manger des petites saucisses accompagnées d’un purée de pois cassés ; c’était le menu du jeudi. A cette compo, mes efforts furent récompensés par une bonne note. Les saucisses et les pois passèrent mieux que d’habitude.

En ce temps de guerre, les denrées alimentaires se faisaient rares, surtout en ville. Le pain, la viande étaient rationnés. Bientôt, s’instaura le marché noir. Le Maréchal Pétain qui dirigeait le gouvernement de Vichy était soucieux de la santé des jeunes Français. On nous faisait chanter : " Maréchal, nous voilà, devant toi, le sauveur de la France… " Donc, par décret du gouvernement, nous avions droit à la récré de 4h, à cinq ou six petits biscuits caséinés sans goût et sans saveur. J’en gardais toujours quelques uns au fond de mon pupitre, emballés dans une feuille d’aluminium ayant contenu du chocolat, dont elle avait conservé l’odeur. Il y avait longtemps que je n’avais plus mangé de cet excellent produit exotique. C’était une denrée introuvable sur le marché ordinaire car les relations avec les pays extérieurs étaient interrompues à cause du blocus imposé par les occupants. Quand on y repense !

Notre supérieur, très estimé, était l’Abbé Joseph Appert, originaire de Moirement, en Argonne. Le jeudi soir, en début de l’étude de cinq heures, il nous entretenait de sujets divers et consacrait un bon moment à nous tenir au courant de la situation militaire dans le monde. Les Allemands sur le front de Russie, les Japonais qui venaient d’attaquer par leurs avions kamikazes, Pearl Harbor, où ils anéantirent une bonne partie de la flotte américaine et de nombreux avions ; ce qui d’ailleurs provoqua l’entrée en guerre des Etats-Unis. Puis petit à petit le renversement de tendance s’accentua. Les forces alliées reprenaient l’initiative… Mais parfois, ses propos étaient plus terre à terre. C’est ainsi qu’un certain soir, ayant constaté notre peu d’empressement à absorber le brouet quotidien à base de rutabagas, il se lança dans une démonstration savante, avec références scientifiques à l’appui, sur les bienfaits de cette sorte de navet qu’est le rutabaga, composé essentiellement de vitamines. Nous avons bien souri et certains malicieux ne tardèrent pas à vanter à leur tour, tous les bienfaits de la " vitamine Joseph " prénom de son promoteur.

Durant l’hiver, je souffrais beaucoup du froid. Les dortoirs et salles de classe ou d’études étaient chauffés au minimum. Si bien qu’à chaque saison hivernale apparaissaient sur mes mains et mes pieds des engelures parfois aussi grosses que des pièces de cinq francs. C’était bien pénible. C’est pourquoi tous les matins de la saison froide, après le petit déjeuner, je me rendais au dispensaire où les religieuses infirmières me renouvelaient mes pansements. J’appréciais cette ambiance d’infirmerie me rappelant un peu la famille, sensible que j’étais à l’attention presque maternelle des religieuses. Certainement que j’étais en manque affectif, dans cet univers uniquement masculin.

Pour faire respecter l’ordre dans cet ensemble éducatif, officiait le " préfet de discipline ". Cette fonction était assurée par un prêtre du collège, l’Abbé Regnault, à la main de fer. Il était la terreur du collège. Maintes fois, j’ai eu l’occasion, non pas de subir ses châtiments corporels, mais d’être témoin de ses manières fortes et musclées vis à vis de certains élèves qui, je dois le dire, avaient besoin de sentir sa férule s’abatte sur leur postérieur.

Les récréations étaient parfois houleuses. Nous étions trop nombreux dans une cour trop petite. Souvent le surveillant de récré était un prêtre, l’Abbé Lehmann, originaire d’Alsace dont il avait conservé un fort accent. Il aimait nous dire, en s’adressant à nous, élèves du séminaire : " Allez, allez, courez, courez les petits curés ". Justement, pour désengorger la cour de récré, aussitôt après le repas de midi nous allions jouer dans les bassins du Jard à cinq minutes du collège. Nous y avons fait de bonnes parties de ball-teck dans les grandes allées bordées de marronniers. Je préférais les matchs de foot où je réussissais pas trop mal. Disons que j’aimais le sport et que j’y étais assez adroit. De ce fait, lorsqu’il fallait se départager pour former les équipes, le choix se portait assez rapidement sur moi. Ceci dit en toute modestie, évidemment. D’ailleurs, sur le diplôme de fin d’année 1941-1942 il est bien écrit en toute lettre que j’ai obtenu le premier prix de gymnastique. Le jeudi après-midi ou le dimanche nous allions souvent en promenade dans les bois le long du canal.

Autre temps très apprécié des étudiants, c’est celui des vacances. Nous avions droit à trois jours à la Toussaint, à Mardi-gras et à la Pentecôte ; une semaine à Noël comme à Pâques. Et puis, évidemment les grandes vacances, depuis la mi-juillet jusque fin septembre. Cela me permettait de garder le contact avec la famille, les camarades et le village. Durant les mois d’été, j’aimais prendre part aux travaux de la moisson. Du fait que papa était très entreprenant, il y avait toujours du travail pour tout le monde. Il fallait mettre les gerbes de seigle ou de blé, en tas en forme de croix, les épis se superposant au centre avec une dernière gerbe par dessus qui servait de toit et qu’il fallait attacher des deux côtés par une poignée de paille aux ficelles des deux dernières gerbes. Tout un art ! Quand toutes les gerbes étaient bien liées par la moissonneuse lieuse il fallait s’estimer heureux. Ce qui bien souvent n’était pas le cas en cette période de guerre. En effet, en temps normal, on utilisait des pelotes de ficelle sisal, fabriquée avec des fibres de végétaux provenant des colonies. Le fameux blocus en empêchait l’importation. Pour pallier à ce manque, les industriels fabriquèrent en remplacement des pelotes de ficelle en papier, qu’il était conseillé de laisser mariner quelques heures dans un seau de lait, pour la rendre plus souple. Le résultat était catastrophique. Une gerbe sur dix en moyenne n’était pas liée. Si bien qu’il fallait au moins le double de temps pour mettre les gerbes en tas, car nous devions faire un lien de paille qui permettait de remédier à cet inconvénient. Mes frères, ma sœur et moi y avons trouvé bien de l’agrément ! On " folâtrait " à longueur de journées.

En effet, nos parents toujours entreprenants et disposant d’une main d’œuvre à bon marché avaient fait l’acquisition d’une centaine d’hectares de terres en friche, sur le finage de Saint Remy et de Bussy. Ce en quoi, ils ne s’étaient pas comportés en " ébaubis " Ces terres avaient appartenu à la commune de Somme-Suippe. Le conseil municipal des années 1800 décida de vendre ces surfaces, estimant qu’elles étaient une charge plus qu’un rapport pour la commune. Le notaire de Saint Souplet, Mr Maître, les acheta pour une bouchée de pain. Il y fit planter de belles rangées de pins d’Autriche qui mirent en valeur ces terrains. Quelques années plus tard, il les fit abattre par des forestiers et vendit les troncs pour étayer les galeries dans les mines de charbon. Avec les branches il fit faire du charbon de bois.. Bref, il sut tirer partie de ces terres. Si bien que les habitants des communes avoisinantes se mirent à se moquer et à dire en parlant des Somme-Suippas : " ce sont des ébaubis qui ne voient pas clair en plein midi ! " Il fallut bien du courage et de l’huile de bras à mon père et à mes frères pour remettre en culture ces friches où les souches et les racines de ces milliers de pins étaient encore bien ancrées dans le sol. Et à présent, ces terres fournissent d’excellents rendements agricoles.

LA LIBERATION.

Durant les années 1942, 43, 44, je fus rejoint au séminaire par deux jeunes de Somme-Suippe, Jean Wagner émigré de Lorraine dont j’ai déjà parlé plus haut et un cousin, Claude Evrard. Deux autres cousins de la famille des Tatass, Denis Pommois qui habitait Sainte Menehould et Jean Collart de Suippes, vinrent s’adjoindre à nous. Nous formions une bonne équipe et je me sentais moins seul. Parfois au retour des vacances, avant de regagner le collège, nous nous retrouvions entre cousins chez la Tante Henriette, la grand-mère de Denis et de Jean. Elle habitait avec son mari, Louis Pommois, en haut de la Côte de Troyes à Châlons. A propos de Tante Henriette, voici une petite anecdote que nous contait Tante Gisèle. Henriette aimait beaucoup lire. Les romans la passionnaient. Etant jeune mariée, elle eut du mal à résister à la tentation. Elle était un peu perdue dans une ferme à Servon-Melzicourt, petit village d’Argonne. Son mari devait penser qu’elle négligeait ses devoirs de maîtresse de maison. Quand il la surprenait plongée dans un roman , il ne manquait pas de lui faire quelques petites remarques. Un beau jour, alors que la jeune épousée était plongée dans sa lecture, elle entend arriver son mari. Vite, ni une, ni deux, pour éviter une nouvelle remontrance, elle cache le livre dans le four de la cuisinière se disant : " Dés qu’il sera parti, je récupérerai mon bouquin ". Mais voilà que Louis reste plus longtemps que prévu. Et bientôt, ne voici pas, que commence à se répandre dans la cuisine une odeur de roussi et du four émergent quelques nuages de fumée. Je suppose qu’ils ont dû en rire quelques fois, quand ils se remémoraient leurs années de jeunes mariés.

L’année 1944 fut assez mouvementée. Dans ses causeries du jeudi soir, Mr le Supérieur nous tenait toujours au courant de la situation militaire dans le monde. Les troupes alliées progressaient sur tous les fronts, spécialement en Italie. Les avions de la R.A.F (forces aériennes d’Angleterre) et les forteresses volantes américaines décollant de Grande-Bretagne pilonnaient les villes d’Allemagne. On entendait souvent, pendant la nuit, le vrombissement de leurs puissants moteurs quand elles passaient par vagues successives, allant semer la mort et la désolation dans les villes ennemies. Mais parfois étaient visés des objectifs dans la région, spécialement les voies ferrées et les gares. C’est pourquoi, en avril 1944, au moment du départ en vacances de Pâques, la décision fut prise de fermer le séminaire, pour raison de sécurité. Nous avons été invités à rester dans nos familles, jusqu’à nouvel ordre.

Ce fut un peu comme des vacances supplémentaires. Mais, pas tout à fait. En effet, il nous fut demandé de nous regrouper par secteur, dans la mesure du possible, chaque jour, afin de poursuivre vaille que vaille les études. C’est ainsi que nous étions une dizaine à nous retrouver, chaque matin au presbytère de Suippes. Un grand séminariste du lieu, l’Abbé Jean Boudot, nous tenait lieu de répétiteur.

De Somme-Suippe, nous partions tous les trois, Jean Wagner, Claude Evrard et moi avec nos bicyclettes. C’était le printemps, il faisait beau, on se sentait un peu en vacances. De cette époque me reste en mémoire un petit événement qui dut se produire un jour de juin où il faisait chaud. Toujours est-il, que sur le coup de midi, en remontant la grande Avenue de la gare, pour reprendre la direction du village, nous faisons halte dans un petit bistrot, afin de prendre un petit rafraîchissement, genre menthe à l’eau. Quelle ne fut pas notre surprise quand le lendemain, nous avons été convoqués chez Mr le Curé, qui nous fit tout un " speech ", nous expliquant que les bars étaient des lieux mal famés où les séminaristes n’avaient pas leur place et que cela risquait fort de faire scandale. Nous sommes sortis de l’entrevue tout penauds, nous demandant qui avait bien pu nous espionner. Nous n’avons pas tardé à soupçonner une dame assez âgée, Thérèsia, une voisine, encore assez alerte pour aller en vélo jusqu’à Suippes et qui d’ailleurs était réputée pour colporter un peu partout les petits potins des alentours puisqu’on l’appelait communément : " l’Eclaireur de l’Est ", titre d’un journal qui paraissait avant la guerre.

Dans ce genre d’événement voici encore une petite anecdote. A la belle saison, fut organisée, un dimanche après-midi, une rencontre sportive de tous les jeunes garçons du canton, sur les pelouse du Parc Buirette à Suippes. A l’issue de cette manifestation était délivré le Brevet Sportif National à tous ceux qui avaient réussi à passer les épreuves dans les conditions fixées par les organisateurs qui, je pense devaient être les responsables de la J.A.C. (jeunesse agricole chrétienne) du secteur.

Les trois séminaristes avaient été invités à se joindre aux autres jeunes du village. Ce que nous avons fait bien volontiers. Mais, Mr le Curé ne manqua pas de remarquer l’absence de nombreux jeunes et tout particulièrement celle des séminaristes, à la cérémonie des vêpres ce dimanche après-midi. Le soir même, nous avons été à nouveau convoqués au presbytère. Nous n’en menions pas large. Pour défendre notre cause et nous assister dans cette mauvaise passe, nous avions demandé au responsable des jeunes du village, Marc Rônez, de nous accompagner. De ce fait l’entrevue ne se passa pas trop mal. Nous avons dû nous excuser et promettre qu’à l’avenir, un tel mauvais exemple donné à l’ensembles des paroissiens ne se reproduirait pas. Bigre ! Il fallait se tenir à carreau .

Tout en vaquant à ses activités, chacun se tenait informé par la radio des événements internationaux. Nous avions une grande admiration pour le Général de Gaule. Le soir, en faisant bien attention de ne pas être surveillés par les soldats allemands, nous écoutions les informations : " Ici, Londres… Les Français parlent aux Français ". Suivaient des messages cryptés destinés aux F.F.I. (forces françaises de l’intérieur). Enfin, le 6 juin, nous apprenons que les forces alliées ont débarqué sur les plages de Normandie. Hourra !

Nous avons dû attendre encore deux mois et demi avant de voir surgir les chars américains.. C’était un jour de semaine, le 25 août, je crois, le même jour qu’à Paris. Mes frères et moi étions dans les champs, occupés aux travaux de la moisson, quand nous avons entendu sonner les cloches à toute volée. Aussitôt, le plus vite possible, en courant, nous avons regagné le village. Tous les habitants étaient amassés le long de la route nationale pour voir défiler les chars américains. On ne peut pas oublier cette vision, ni le bruit mat des chenilles sur le macadam. Tout le monde criait. Par de grands gestes, en levant les bras nous acclamions nos libérateurs qui nous jetaient des plaquettes de chewing-gum, des paquets de cigarettes (des Camel, des Pall Mall ou encore des Luky Strick), des plaques de chocolat. J’en ai encore les larmes aux yeux ; des larmes de joie. A partir de ce jour, la vie fut tout autre. Un nouvel air de liberté flottait en tous lieux. Finie la peur des brimades de l’occupant. Dans leur débâcle, les soldats allemands pillèrent et tuèrent. Somme-Tourbe, hélas, eut à déplorer plusieurs morts.

Mon père, qui était maire de la commune depuis le début de l’occupation, dut se sentir soulagé. Plusieurs fois il avait été convoqué à la Kommandantur de Suippes. Il était accusé de sabotage, car il n’admettait pas que les entreprises belges qui travaillaient pour le compte des Allemands dans le camp de Suippes viennent, sans vergogne et sans demander aucune autorisation, emplir des citernes d’eau aux bornes d’incendie de la commune, en ne se souciant pas de payer quoi que ce soit. Sans parler de tout le reste, y compris les lettres anonymes.

Nous étions libres, nous, mais les prisonniers qui croupissaient depuis des années dans les camps en Allemagne devaient encore attendre. Ce n’est que quelques mois plus tard que petit à petit, ils rentrèrent au pays. Mon oncle Raphaël, imprimeur à Sézanne, était retenu dans un camp tout au loin à Dantzig. La famille n’avait cessé de lui envoyer régulièrement des colis. Quand il revint ce fut évidemment une très grande joie. Sa femme, tante Louise, originaire de région parisienne et leur fils Pierre, du même âge que Guy, purent enfin retrouver une vie normale et envisager l’avenir avec sérénité. Je découvris alors sa riche personnalité. Il était d’un tempérament plutôt jovial, avec un côté facétieux. En sa compagnie, pas question de s’ennuyer. Sa faconde était inépuisable et bien souvent il ne se faisait pas prier pour raconter les petits tours qu’il avait accomplis ici ou là. Je me souviens entre autre de cette histoire de la gare de Cuperly, à laquelle je n’omettais pas de penser quand je passais à cet endroit lors de mes voyages en train à l’occasion des vacances. Alors qu’il était jeune, 16-17 ans, il fut employé , pour quelque temps à la S.N.C.F. L’hiver, il était chargé d’allumer et d’entretenir le poêle qui était censé réchauffer la salle d’attente. Etant plutôt partisan du moindre effort, il se contentait d’allumer une lampe tempête qu’il glissait insidieusement à l’intérieur du poêle. Les voyageurs, voyant une petite lueur à travers le mica de la porte du bas s’approchaient pour se réchauffer en tendant les mains, n’y voyant, c’est le cas de le dire, que du feu !

Un autre prisonnier que je ne connaissais pas et qui pourtant habitait le quartier revint à Somme-Suippe, c’était Henri Evrard, frère de l’oncle Marc. Il était entrepreneur de maçonnerie. Durant son absence son entreprise avait périclité et sa femme était décédée. Quelque temps plus tard, il fréquenta tante Gisèle. Ils étaient voisins. Ils se marièrent l’année suivante . Oncle Henri avait remis sur pied son entreprise de maçonnerie. Ils eurent trois enfants, Jean-Noël qui succéda à son père, Marie-Agnès et Anne-Marie.

Ainsi donc petit à petit, la vie reprenait son cours normal. Cette fin de vacances 1944 me fut assez agréable. Mon amitié avec mon camarade Jean Wagner s’intensifiait. Nous aimions nous retrouver pour réviser nos cours et préparer la prochaine rentrée. Pour cela, il m’invitait souvent à venir chez lui. Je dois reconnaître que je répondais avec empressement à ses invitations, car j’étais toujours bien accueilli et parce que ses deux grandes sœurs étaient d’une agréable compagnie. L’aînée s’appelait Maria et sa sœur Jeanne. Entre nous existait une franche amitié. Il me semble que mes regards se portaient plus volontiers vers Jeanne. Allez savoir pourquoi. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Ce qui est certain c’est que ces moments passés ensemble me firent découvrir tout un aspect de la vie que j’avais à peine soupçonné jusqu’à présent ; l’éveil des sens, l’attirance que l’on peut éprouver pour une personne, le désir amoureux, la perspective d’une vie à deux. Oui, pour moi ce fut tout à fait nouveau.

Fin septembre-début octobre, eut lieu la rentrée des classes, non plus au collège Saint Etienne, comme les années précédentes, mais au petit-séminaire, Allées Paul Doumer près de la Porte Sainte Croix. Les bâtiments étaient neufs et fonctionnels, les cours de récréation spacieuses. On appréciait la différence. Les dortoirs étaient lumineux. Mon lit se trouvait tout au fond, au point extrême de la cabine du surveillant. J’ai pensé que l’on me considérait comme un élève calme et sage (pas étonnant puisque j’avais passé mon enfance près de la source de la sagesse). A cette époque, j’avais un beau costume que j’aimais bien, pantalon de golf, comme Tintin, et veste avec épaulettes. J’en prenais grand soin et m’appliquais à le mettre sous mon matelas de façon à bien maintenir les plis. Mes efforts d’élégance furent récompensés quand, un jour au cours d’une conversation à bâtons rompus, mes camarades de classe, apprenant que mes parents étaient cultivateurs (paysans), me dirent leur étonnement : " Ah ! on n’aurait jamais cru que tu habitais dans une ferme à la campagne  ".Et pour maintenir ma forme physique, tous les matins je m’astreignais à faire dix " pompes " au pied de mon lit.

J’entrais en classe de troisième. Cela commençait à devenir sérieux. Tous les professeurs étaient des prêtres diocésains. L’un d’eux, l’Abbé André Didier était nouveau pour nous , car il avait été prisonnier de guerre et reprenait sa place de prof. De plus il était bon musicien. Il remit sur pied la chorale qu’il avait dirigée avant la guerre. Le chant me plaisait beaucoup. Ma voix n’avait pas encore mué si bien que je chantais dans le pupitre des sopranos. A notre répertoire ne figuraient pas que des chants religieux. Des chants profanes étaient aussi inscrits au programme tel que : "  O nuit, qu’il est profond ton silence… " de Rameau. Ce qui nous permettait de nous produire devant différents auditoires. Je me souviens tout particulièrement d’un dimanche passé à Epernay. C’était la première fois que je chantais devant un public aussi nombreux. La salle était comble et nous avons eu droit à des applaudissements nourris.

Les années qui suivirent ne me laissent pas de souvenirs exceptionnels. Seconde, première, rien d’extraordinaire. La famille Wagner avait rejoint sa Lorraine natale. J’eus le plaisir d’y aller passer quelques jours durant les vacances de l’année suivante. Tout le monde fut heureux de se revoir. Je garde le souvenir d’une région agréable où les mirabelliers étaient rois. D’ailleurs, à plusieurs reprises l’occasion me fut offerte d’apprécier le bon goût de l’eau de vie de mirabelle. Maria et Jeanne étaient devenues de belles et charmantes jeunes filles. C’est avec un certain pincement au cœur que je les ai quittées.

LES COLONIES DE VACANCES.

Durant les grandes vacances, à partir des années 1946-1947, un bon mois était consacré aux colonies de vacances qui connurent après la guerre un grand développement. Le vicaire de Suippes de ce temps là, l’Abbé Robert Guyot, prêtre très dynamique, mit sur pied une première colonie de vacances à Somme-Vesle, dans une propriété appartenant à la famille Walfard de Reims. Les séminaristes, petits et grands étaient invités avec des étudiants à venir encadrer les enfants. Nous faisions le trajet de Suippes à Somme-Vesle à pied. C’est ainsi que j’ai débuté ma formation de moniteur de colonie. Par la suite nous sommes allés un peu plus loin, en Haute-Marne, à Eurville, dans un château en bord de Marne. Parmi les moniteurs se trouvait un cousin Tatass, Michel Pommois qui habitait Reims, car son père Gilbert avait été nommé à la gare de cette ville. Les années suivantes nous transportèrent dans un cadre tout à fait différent. Plus question d’y aller à pied. C’est dans les Alpes à Cordon, petit village à côté de Saint Gervais le Fayet, que nous nous sommes installés. Le paysage était magnifique. Nous avions en face de nous la chaîne enneigée des Alpes avec à son sommet de Mont Blanc. Les grands étaient logés sous des tentes de l’Armée prêtées par le Camp de Suippes. Les plus jeunes étaient installés dans les granges d’une ferme. Que rêver de mieux ?

L’ambiance était sympa. Chaque jour, nous allions balader à la découverte de nouveaux horizons. Avec les plus grands étaient parfois organisées des sorties de trois ou quatre jours avec bivouac ou séjour en refuge. Je me souviens avoir accompagné un groupe jusqu’au Nid d’Aigle. Nous en revenions enchantés, heureux d’avoir découvert la haute montagne. Les soirées étaient très attendues. Chaque équipe s’ingéniait à varier les programmes. Des artistes en herbe interprétaient des sketchs, racontaient des histoires ou organisaient des concours de chant, genre radio crochet. Une année, mon jeune frère Jean-Marie faisait partie des colons. Il s’illustra au cours d’une de ces veillées en remportant le premier prix. Il chanta avec panache un air à la mode à cette époque : " Qu’il fait bon, chez vous Maître Pierre, qu’il fait bon dans votre moulin… ". Une fois par semaine environ était allumé un feu de camp. Toute la colo au grand complet était rassemblée autour du feu dans la nuit tombante, alors que les derniers rayons de soleil illuminaient les cimes et que les premières étoiles scintillaient dans le firmament. Oui, ces bons moments passés en colonie de vacances étaient très appréciés de tous.

En cette fin de vacances 1947, le jeudi 18 septembre pour être précis – je viens de retrouver ma feuille de convocation - les jeunes de la classe 1948, furent convoqués pour passer le Conseil de Révision afin de savoir s’ils étaient aptes à servir dans l’armée. De Somme-Suippe, nous étions cinq ou six dans ce cas ; Georges Mathieu, Remy Appert, Guy Pérard, mon cousin André Evrard et moi. Gilbert Mauclert, qui avait été victime d’une poliomyélite dans son enfance et dont il avait conservé des séquelles invalidantes, était déclaré d’office exempt de service. Nous sommes partis ensemble en bicyclette jusqu’à Sainte Menehould, chef-lieu de canton à 25 kilomètres. On nous a prié de nous déshabiller complètement, de nous mettre à poil, comme on dit : pesée, mensuration, inspection des dents, des pieds etc. C’est ainsi que j’ai appris que j’avais les pieds plats. Nous avons tous été déclarés bon pour le service. Comme il se doit, il fallait arroser ça. On acheta des grandes cocardes tricolores qu’on épingla au revers de notre veste. On s’attarda, si bien que lorsque l’on se décida à reprendre les vélos pour rentrer au village, la nuit n’était pas loin. On s’était dispersé. Je fis route avec le cousin André. Nous n’avions pas d’éclairage à nos vélos. Nous roulions tout à fait en bordure de la route afin d’éviter de nous faire accrocher par une voiture. Nous avons atteint le village de Valmy, sans encombre. Au moment où nous traversions le passage à niveau, près de la gare, une voiture de gendarmerie nous croisa et nous repéra avec ses phares qui nous avaient éblouis. Que faire ? On va s’attraper un procès. La voiture des gendarmes fait demi-tour. Aussitôt, on descend tous les deux de nos vélos et on se planque dans le fossé. Ils ne tardèrent pas à nous découvrir. On sort de notre cachette peu fiers de nous. Quand les gendarmes aperçoivent nos cocardes, ils deviennent plus conciliants comprenant que nous revenions du Conseil de Révision.. Ils ne verbalisèrent pas, mais nous conseillèrent de rentrer chez nous en étant très prudents et déclarant qu’ils n’aimeraient pas appendre le lendemain matin que des jeunes avaient été victimes d’un accident au cours de la nuit.

 

DEUXIEME PARTIE : 1947-1963 JEUNE PRÊTRE.

LE GRAND SEMINAIRE.

Octobre 1947, c’est la rentrée au grand séminaire. Pour passer du petit au grand il suffisait de franchir le mur qui les séparait. C’était tout de même une étape importante. Je maintenais le cap. Nous étions une dizaine en cette première année de philosophie. La philo, cela me convenait à merveille puisque je retrouvais la sophia, la soppia, la sagesse puisée à la source de la Suippe. Un philosophe est une personne qui aime la sagesse. Ces cours de philo allaient durer deux ans. Nous devions découvrir les délices de la philo dans des manuels d’un certain Mr Macquart. Le gros inconvénient est qu’ils étaient rédigés en latin. Nous étions censés bien connaître la langue de Virgile, mais nous faire découvrir toutes les subtilités de la philo par le truchement d’une langue morte ne nous facilitait pas la tâche. C’est Mr l’Abbé Bourelle, homme très pieux et très sincère, sachant faire partager ses convictions qui nous dispensait son savoir et nous accompagnait dans la fréquentation de Spinoza, Platon, Socrate et bien d’autres.

Le grand séminaire de Châlons se trouve près de la Porte Sainte-Croix, à 500 mètres à peine de la maternité anglaise où j’avais vu le jour, 19 ans plus tôt. Je ne saurais dire si c’était un retour aux sources. Ces bâtiments sont maintenant occupés par les services du Conseil Régional Champagne-Ardennes.

Bientôt, nous avons été invités à revêtir la soutane. Adieu mon beau costume et mes épaulettes ! En ce temps là, tout ecclésiastique était tenu de porter la soutane. J’avoue que ce fut un moment d’émotion.

L’emploi du temps avait certaines affinités avec le service militaire. Le matin lever à six heures qui nous était signifié par une sonnerie retentissant dans les couloirs. Chacun avait sa chambre-bureau, un peu style monacal. Une demi heure plus tard nous étions tous à la chapelle pour " l’heure du matin " qui comprenait une prière commune, une méditation personnelle et l’assistance à la messe. Huit heures, petit déjeuner ; ensuite ménage, étude de mémorisation et révision. A neuf heures, cours de philo ou d’histoire de l’Eglise selon les cas ou encore d’Ecriture Sainte. Les quatre dernières années étaient consacrées en grande partie à la théologie. La journée était ainsi ponctuée de cours en salle, d’études en chambre, de repas au réfectoire, vite expédiés, de récréations. L’extinction des feux avait lieu à 21h 30. On nous coupait la lumière. Si on voulait prolonger une lecture, il fallait allumer une bougie ou utiliser une lampe de poche ; ce qui était assez fortement déconseillé.

Nous prenions les repas, la plupart du temps en silence, cependant qu’un lecteur installé dans une sorte de chaire à prêcher nous lisait un livre censé meubler nos esprits alors que nos corps absorbaient de la nourriture terrestre. Le lecteur changeait chaque semaine, à tour de rôle. Et une fois par an se déroulait l’exercice de prédication. Chacun devait préparer par écrit un sermon qu’ensuite il fallait apprendre par cœur et enfin prononcer devant cette assemblée de fidèles peu attentifs à vos envolées oratoires mais dont on redoutait les critiques. Mr le Supérieur à qui on avait remis le texte auparavant, nous reprenait parfois ou nous aidait, en cas d’une toujours possible défaillance de mémoire.

Dans ce registre de la mémoire nous pouvons faire entrer les phénomènes de distraction. Parmi nos profs du grand-sem, nous avions le chanoine Vanel qui battait des records. L’une des plus célèbres de ses distractions nous ravissait. Il la racontait lui-même bien volontiers. Il devait célébrer un mariage au cours d’un après midi. Avant la cérémonie, il s’en alla faire quelques courses en ville. Craignant d’oublier ce rendez-vous important, il prit la précaution de glisser dans sa poche un réveil en réglant la sonnerie à l’heure qui lui permettrait de se rendre à l’église en temps voulu. Rassuré sur ce point, fier de cette idée géniale, il vaque à ses affaires. A l’heure prévue, le réveil retentit dans sa poche, à l’étonnement des gens qui l’entouraient. Aussitôt, il stoppe la sonnerie et se dit : " Est-ce possible d’être distrait à ce point. J’ai dû mettre mon réveil dans ma poche sans m’en rendre compte... " Pensez un peu à ce jeune couple et à leurs invités qui attendaient patiemment l’arrivée du célébrant !

Un autre cas de ce type, qui fut le fait d’un prêtre du diocèse. Celui-ci était curé aux environs de Vitry-le François. Il était venu, avec sa voiture, pour effectuer des courses à Châlons. Dans une rue de la ville, il rencontre des paroissiens qui lui disent : " Nous avons de la place dans notre voiture, si vous voulez profiter de l’occasion, n’hésitez pas ". Le cher curé, tout content de cette aubaine, rentra chez lui le cœur léger, remerciant ses paroissiens pour le service qu’ils lui rendaient.. Mais, en arrivant à la cure, voyant que sa voiture n’était pas dans son garage, il se remémora tout soudain qu’il s’était bien rendu à Châlons avec son véhicule. Il ne lui restait plus qu’à retourner le chercher !

Ces premières années au grand-séminaire, étaient ponctuées par la réception de certains ordres dits mineurs en comparaison de ceux dits majeurs que sont les sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise. Je fus tonsuré en décembre 1949, ordonné Lecteur en juin 1951 et Exorciste-Acolyte en décembre de la même année.

1950 fut déclarée " Année Sainte " par le Pape, comme il advient tous les cinquante ans. Chaque bon chrétien est alors convié à faire un pèlerinage à Rome, moyennant quoi, il pourra bénéficier des indulgences plénières qui effaceront tous ses péchés et qui lui donneront ainsi directement accès au paradis en cas de mort éventuelle. Pour bénéficier de tous ces avantages exceptionnels, plusieurs d’entre nous décidèrent de se rendre à Rome. C’est ainsi que par un beau jour de printemps, pendant les vacances de Pâques, nous sommes partis à cinq dans une voiture conduite par Paul Thiébault de Souain. Enfin, j’allais pouvoir admirer l’Italie que nous avait tant vantée tante Gisèle. J’en garde un excellent souvenir. Nous avons passé la frontière à Modane. Nous avons visité Turin, Gênes, ensuite en longeant la côte nous avons gagné Rome. Que de merveilles ! Le château Saint Ange, la basilique Saint Pierre, le Vatican, le Colisée, Saint Paul hors les murs, les catacombes. Nous avons admiré. Nous avons fait nos dévotions réglementaires pour obtenir le maximum d’indulgences, tout en nous méfiant des pickpockets, ce dont nous avaient mis en garde plusieurs profs qui avaient fait quelques années d’étude à Rome. Et nous avons pris la route du retour via Assise et Florence.

Quand je suis arrivé à la maison, mes parents me firent savoir que durant mon absence, était parvenue ma convocation pour accomplir mon service militaire. J’étais prié de rejoindre le 31° dragon à Lunéville. Afin de pouvoir poursuivre mes études j’avais demandé et obtenu en 1948 de bénéficier d’un sursis. Et il se trouve, que du fait que j’étais membre d’une famille nombreuse j’avais le droit d’être exempté de service. Je me rendis à Nancy, à la direction régionale du recrutement de la 6° région. J’exposai mon cas, leur expliquant que je n’avais pas pu faire ma demande de dispense en temps voulu au moment de la réception de ma convocation puisque j’étais alors à l’étranger. Après vérification de mes papiers et attestations, il me fut signifié que j’étais libre de choisir : " soit, vous rejoignez votre corps à Lunéville, soit vous rentrez chez vous , mais à vos frais ". Ma décision fut vite prise, si bien que le soir même j’étais de retour à la maison. Une petite période de service militaire ne m’aurait pas déplu, mais comme on dit : " on sait quand on y rentre mais on ignore quand on en sortira. Sur mon livret militaire, il est marqué : "  Dispensé de ses obligations légales d’activité en qualité de puîné d’une famille de sept enfants en application des dispositions de l’article 7 de la loi n° 50 340 du 18 mars 1950 ".

Pour compenser ce manque d’expérience en milieu ouvert et de contacts avec la réalité de la vie courante, je crus bon d’occuper mes dernières vacances avant mon engagement définitif dans la vie religieuse, lors de l’ordination au sous-diaconat, surtout en ce qui concerne la promesse de vivre en célibataire toute ma vie, par une expérience de vie ouvrière en milieu rural. Par l’intermédiaire de mon cousin, l’Abbé André Mauclert, qui était aumônier diocésain de l’action catholique rurale, je fus embauché comme ouvrier dans une grande ferme du Tardenois, à Passy-en-Valois, près de La Fertè-Milon. J’étais accueilli par la famille de Mr Jacques Ferté. C’est lui qui était à l’origine de la J.A.C. en collaboration avec un père Jésuite. Une vingtaine d’ouvriers s’activaient sur la ferme. A cette époque les chevaux étaient encore indispensables pour l’exploitation des terres, d’où la nécessité d’employer de nombreux charretiers. Je logeais et prenais mes repas à la cantine. La moisson n’étant pas encore très mécanisée exigeait la présence d’un personnel nombreux. On m’avait prêté un vélo. Le dimanche je descendais en compagnie d’autres ouvriers, jusqu’à La Ferté. Un dimanche soir, alors que nous rentrions après avoir passé le temps autour des manèges à l’occasion de la fête de la cité, nous avons été contrôlés par les gendarmes. J’ai écopé d’un procès-verbal, du fait que je n’avais pas la plaque à vélo, obligatoire à cette époque. Ah ! les gendarmes de ce temps là ! j’ai l’impression que les bicyclettes étaient leur cible préférée.

Après tous ces moments de voyages et d’émotions, retour au calme. Je terminais ma deuxième année de théologie. L’Abbé Louis Rousselot qui en assurait les cours avait passé sa thèse de doctorat à Rome. Je lui suis très reconnaissant de toutes les heures qu’il a passées pour nous dévoiler les multiples aspects de cette vaste science si souvent remise en cause. Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin et bien d’autres avaient apporté leurs pierres à l’édifice.

LES ORDINATIONS ET PREMIERE ANNEE DE MINISTERE.

A LA NEUVILLE-AU-PONT ET MAFFRECOURT

En décembre 1952, je fus ordonné Sous-Diacre, étape importante mais assez ingrate car il vous est demandé d’accepter de nombreuses obligations et non des moindres, alors que ne vous sont accordés que peu de pouvoirs. C’est, en effet au cours de cette cérémonie que l’évêque vous demande de promettre, à lui et à ses successeurs soumission et obéissance. De plus, vous êtes invité à prononcer le vœu de célibat par lequel, vous renoncez définitivement au mariage. Décision importante qui vous engage pour la vie et que l’évolution rapide des façons de vivre des années à venir, vont rendre de plus difficiles à tenir.

En mars 1953 ce fut le diaconat, dernière étape avant la prêtrise. Le diacre reçoit le pouvoir de baptiser et de prêcher. Son rôle dans les premières communautés chrétiennes était aussi de s’occuper des questions matérielles : gestion des biens, accueil des malades Je n’eus guère le temps d’exercer cette fonction, car trois mois plus tard, le 29 juin je fus ordonné prêtre en la cathédrale de Châlons par Mgr Piérard. Il succédait à Mgr Tissier, originaire de Chartres qui avait été nommé évêque de Châlons en décembre 1912. Il s’illustra pendant la guerre de 14-18 par sa vaillance et son patriotisme. Certains le comparèrent à l’évêque Saint Alpin, défenseur de la cité, en 451, face au roi des Huns, Attila. Je me souviens spécialement de l’avoir croisé dans les couloirs du grand-séminaire en 47 ou 48. Je remontais les escaliers quatre à quatre quand tout à coup je me suis trouvé devant lui, ayant failli, dans ma précipitation le faire tomber, alors qu’il marchait à petits pas, accompagné d’une personne qui le soutenait. Il dit alors : " Ah, que c’est beau d’être jeune ! " Pour le seconder, l’Abbé Piérard que nous avions rencontré à Balot comme capitaine à la tête de son corps d’armée, fut nommé évêque coadjuteur, c’est à dire qu’il le remplacerait après sa mort qui survint en 48 ou 49.

Je célébrai ma première messe en l’église de Somme-Suippe, début juillet. M’accompagnaient au cours de cette célébration en tant que diacre Michel Haller qui fut certainement mon meilleur camarade durant tout le temps du séminaire, et Paul Thiébault, de Souain, dans le rôle de sous-diacre. J’ai célébré aussi une première messe à Sainte Marie-à-Py, pays de mon grand-père Gustave Bertus, où vivait l’oncle Louis Mauclert, petit frère de la Mémé Pia.

Bientôt, je fus nommé comme prêtre auxiliaire à La Neuville-au-Pont, avec comme annexe Maffrécourt, aux portes de l’Argonne, pour seconder l’Abbé Rafflin, curé de la paroisse qui était âgé et souffrant. J’y passai une année heureuse au cours de laquelle je pus faire mes premiers pas dans le ministère. Durant l’hiver, nous avions organisé avec les jeunes, une soirée théâtrale qui eut l’heur de plaire aux " Maquats dont Pont " (comprenez : têtus), comme on appelait les habitants de La Neuville, ainsi qu’aux villageois des environs, si bien que les jeunes eurent le plaisir de jouer leur pièce de théâtre à plusieurs reprises.

Pour occuper les enfants et les adolescents j’avais installé des poteaux de basket-ball. Malheureusement, au cours d’une séance d’entraînement, je fis un faux mouvement ; en voulant faire pivoter mon pied, je me déboîtai le genou droit, de sorte qu’il fallut me transporter à l’hôpital de Sainte Menehould pour m’opérer du ménisque interne. Ceci s’est passé fin août 1954 puisque je retrouve une lettre de Monseigneur datée du 28 septembre dans laquelle, il me souhaite bonne Saint Michel et se demande si je suis encore à l’hôpital. Quinze jours plus tôt, il m’avait déjà envoyé un courrier, par lequel il me nommait curé de Soudron, avec les annexes de Vatry, Cheniers, Germinon et Velye.

PRETRE A SOUDRON – VATRY – CHENIERS – GERMINON – VELYE.

Je me souviens de ma première visite à Soudron ; je marchais avec une canne. J’allais présenter mes respects à Mr le Maire, Mr René Remy. Il habitait tout près du presbytère ; nous serions voisins. Alors que je lui faisais remarquer que Soudron avait la chance d’avoir un jeune maire, il me répondit : " Un jeune maire dans une vieille peau ". Ainsi débuta mon ministère à Soudron, village tout en longueur épousant le cours de la Soude sur plus de deux kilomètres.

Cinq villages à desservir ! Il me fallait un moyen de locomotion. Avec l’aide de mes parents, je fis l’acquisition d’une voiture Renault, un modèle récent, une 4 L. Je m’installai dans le presbytère, tout près de l’église. Ce n’était pas le grand confort. Une dame âgée, Mme Chantier, originaire de Cheniers et qui avait de la famille à Soudron et à Vatry se proposa pour assurer le ménage, la cuisine et l’entretien de la maison. Elle était très discrète et très active. Elle me fut d’un précieux secours.

Tout de suite, le courant passa bien entre les habitants de ces villages et leur nouveau pasteur. C’était la rentrée des classes. Il fallait tout de suite organiser les catéchismes. L’Abbé Raymond Colmart qui avait assuré le service avant moi pendant 18 ans me donna de précieux conseils. Je m’efforçai dès le départ de prendre contact avec chaque famille. J’allais de maison en maison, dans les différents villages avant ou après les séances de catéchisme avec mon cahier personnel. Je notais les ascendants et descendants, les décès récents qui étaient survenus. Par la suite je passai chaque année en proposant le calendrier religieux me permettant ainsi de maintenir le contact. La pratique religieuse était le fait d’une minorité. Il fallait donc aller vers les gens. Les mentalités avaient été marquées par le radicalisme anticlérical, mâtiné de malthusianisme ( doctrine de Malthus, économiste anglais, selon laquelle, la population tendant à s’accroître plus rapidement que la somme des subsistances, le seul remède à l’accroissement de la misère est la limitation volontaire des naissances par abstinence-définition du dictionnaire Hachette). Léon Bourgeois, qui a sa statue à Châlons eut une grande influence dans toute la région. Le Conseil Général de la Marne de cette époque était de tendance radicale avec comme président Mr Bergault de Somsois. La franc-maçonnerie châlonnaise comptait de nombreux adeptes. Les enfants des familles rurales étaient peu nombreux. Il ne fallait pas morceler les fermes. Par les mariages plus ou moins arrangés les familles de cultivateurs cherchaient à agrandir ou au moins maintenir les surfaces cultivables. Quelques familles venues d’Alsace et de Lorraine apportèrent un état d’esprit différent. C’est dans ce contexte que je me mis à la tâche.

J’ai passé une bonne partie de ma première période de vacances à aider un cultivateur de Germinon à faire la moisson. Mr Modeste Bonnet, qui par ailleurs était maire du village, avait perdu son fils unique l’année précédente, décédé accidentellement. Il avait une moissonneuse-batteuse. Je conduisais le tracteur auquel était attelé un chariot pour transporter les sacs de grain. J’aidais également à charger ces sacs qu’on manipulait à deux en se servant de la broche du cabestan qu’on passait sous le sac.

Par ces gestes, je voulais témoigner de ma sollicitude pour cette famille dans la peine et en même temps, faire savoir à l’ensemble de la population que je me situais dans une perspective missionnaire, à l’exemple du Christ qui allait à la rencontre des gens et essayait de les aider.

Dans ce même souci d’atteindre le maximum de personnes, je m’efforçais de rédiger chaque mois un bulletin paroissial qui était distribué dans tous les foyers. Avec ma machine à écrire, des stencils et une Gestetner à encre, je réussissais à sortir un petit périodique bon marché, dans lequel se trouvait un petit éditorial destiné à amener une réflexion, genre " Nous ne sommes pas des presse-purée " pour développer l’idée que chacun a sa personnalité ; avec un petit slogan, tel que " La critique est aisée, mais l’art difficile ", des nouvelles des villages et je publiais des chroniques sur l’histoire ancienne de la région…

C’est encore cet état d’esprit d’ouverture que je retrouvais dans les mouvements d’Action Catholique ; l’A.C.E. ( action catholique de l’enfance) avec l’hebdomadaire pour enfants " Fripounet et Marisette ", la J.A.C. pour les jeunes et le C.M.R. (chrétiens dans le monde rural) pour les adultes. Etant chargé plus spécialement des jeunes du secteur, je consacrai bien du temps aux réunions et activités du mouvement. Nous appliquions la méthode du Voir-Juger-Agir. Chaque année, nous avions un thème général de réflexion et d’actions. Lorsque nous avons abordé le problème de la cohabitation dans les familles où vivaient ensemble parfois trois, voire quatre générations, les sujets de discussion ne manquaient pas. La question des loisirs des jeunes dans les villages était primordiale. Nous organisions des " Coupes de la Joie ". Les jeunes de chaque village étaient invités à mettre sur pied un sketch, un chant mimé ou autre distraction. La grande salle de spectacle Wogner à Vertus se révélait trop petite pour accueillir tous les spectateurs. Les gars de Soudron avaient obtenu un vif succès en mimant le chant : " A la Saint Médard, mon Dieu ce qu’il a plu… " et les filles en interprétant un air à la mode "  Les lavandières du Portugal … et tap et tap et tap sur ton battoir… " Parmi les jeunes de Soudron , se trouvait un conteur talentueux, René Lebonvallet . Je me souviens encore du fameux sketch de Robert Lamoureux : la chasse au canard, dans lequel revenait comme un refrain : " le canard était toujours là " !

Un autre sujet qui nous mobilisa pendant deux ou trois ans, ce fut la guerre d’Algérie. Bien des jeunes du secteur avaient été appelés ou rappelés. Nous avons mis sur pied une sorte de bulletin, intitulé " Dialogue " à parution plus ou moins régulière dans lequel les jeunes échangeaient entre eux , ceux d’ici avec ceux de la-bas. Dans une première partie, les jeunes restés dans les villages résumaient les principales informations du secteur et en seconde partie on publiait des extraits de lettres que nous envoyaient les mobilisés. Ces derniers, en général, n’avaient pas grand moral et quand ils venaient en permission, restaient très évasifs.

Je ne sais plus comment je fus amené à m’occuper de ce qu’on appela " La Grande Culture ". Comme chacun sait, les terres de la Champagne pouilleuse nourrissaient mal leurs habitants. Il suffit de regarder une carte de la région de Châlons pour voir le "vide ", on aperçoit des villages disséminés ici et là au milieu de grands espaces. D’ailleurs, Soudron, avec ses 4 000 hectares, est la commune la plus étendue, après Courtisols, du département de la Marne. Ces terres incultes furent boisées, sous l’impulsion de Napoléon III, de pins d’Autriche. Les troupeaux de moutons disparurent petit à petit. En 1954, lorsque j’arrivai à Soudron, existaient encore deux troupeaux. C’était une exception.

Et voici que, avec l’éclosion du machinisme agricole, les tracteurs permettant d’agrandir les surfaces cultivées, les moissonneuses-batteuses facilitant le dur labeur des moissons, les bulldozers rendant les déboisements d’une facilité désarmante, émergèrent des exploitations nouvelles, s’étendant sur de grandes superficies. Entre Soudron et Germinon, sur la commune de Villeseneux, de chaque côté de la départementale n°5, reliant Châlons à Fère-Champenoise, des dizaines d’hectares de pins sylvestres furent déboisées et remises en culture. Mr Adam, originaire de la Meuse, aimait dire qu’il était né, nu comme le petit Jésus ; laissant entendre, que grâce à son travail et son esprit d’entreprise il avait réussi à devenir " quelqu’un ". Ses trois fils assurent la succession.

Ainsi, de nombreuses exploitations agricoles, d’une certaine importance, virent le jour. Près de Pocancy, la ferme du Rafidin, avec Mr Pluchet ; à Thibie, avec Mr Royer ; près de Fère, c’est Mr Roy, marié avec une demoiselle Ferté de Passy-en Valois, où j’avais fait mon stage d’ouvrier agricole, qui avait défriché et remis en culture suffisamment de terre pour constituer une bonne exploitation. A Connantre, c’est la famille Subtil qui s’est installée. D’autres, parmi lesquels des membres de la famille Ferté, firent de même dans l’Aube du côté d’Arcis. Et près de Vitry-le-François, ce sont Guy et Alain Delaunoy, qui mirent en valeur les terres de La Certine.

Avec quelques uns de ces défricheurs qui avaient une formation chrétienne, s’était mis sur pied une équipe de réflexion. Alain Delaunoy en était la principale cheville ouvrière. Il savait mener une discussion. Il avait des idées assez précises sur les lois du marché et de l’économie. D’ailleurs, il fut appelé comme consultant, à Rome, durant le Concile Vatican II, pour donner son point de vue, au cours des débats conciliaires, concernant les problèmes économiques, dans une perspective chrétienne. Dans une lettre qu’il m’a adressée en juillet 1996, il écrit : " Je reprends ma croisade pour aider l’Eglise à avoir un discours plus courageux sur l’économie… suite à mes premiers essais infructueux au Concile… "

Le but de nos rencontres était de faire prendre conscience à ces responsables influents que les biens qu’ils détenaient devaient être mis au service de tous. Il me souvient avoir suscité de vives réactions, durant une réunion, en citant la célèbre formule, du théoricien français Proudhon : " la propriété, c’est le vol ". Il n’était pas non plus inutile de rappeler à ces chrétiens engagés et détenteurs d’une certaine richesse, qu’il est plus facile à un chameau de passer au travers du chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au paradis. (Matthieu, chapitre 19, verset 24). Alain Delaunoy était à l’origine de la sucrerie d’Arcis-sur-Aube. Il en a assuré la direction pendant plusieurs années. De ce fait, il avait au plan national, des responsabilité dans l’industrie du sucre, ainsi que dans les hautes sphères du Crédit Agricole.

Sur la commune de Vatry, vinrent s’installer de nouveaux paroissiens avec qui j’avais du mal à communiquer, je veux parler des militaires américains. En effet, dans le cadre de l’OTAN, les Américains installèrent un camp sur le territoire de Vatry, avec piste d’atterrissage et de nombreux réservoirs d’essence. Ce fut les prémices de l’Europort Châlons-Vatry actuel. De temps en temps, je faisais une petite visite de courtoisie pour maintenir le contact. Et je ne sais comment l’idée est venue de réserver le bénéfice des machines à sous du camp pendant quelques jours pour installer des vitraux à l’église de Vatry. L’officier supérieur était d’accord pour faire un geste en faveur de la paroisse à condition qu’on puisse savoir que c’était un don de l’armée américaine et que cela reste marqué dans l’église pour la postérité. Ainsi fut fait.

Avant de clore ce chapitre sur mon séjour à Soudron et environs je voudrais évoquer un fait historique lié à ce secteur. Près de Velye se trouve Chaintrix. Vous souvenez-vous que c’est dans ce village, situé sur la nationale reliant Paris aux régions de l’Est, que fut reconnu pendant son arrêt au relais de poste, le Roi Louis XVI. Il était descendu du carrosse pour satisfaire, dit-on, un besoin tout naturel. Comme quoi un petit détail peut changer le cours de l’histoire. C’est le lendemain, le 22 juin 1791, que le Roi fut arrêté à Varennes-en-Argonne, alors qu’il fuyait à l’étranger.

LES EVENEMENTS FAMILIAUX.

Tandis que je poursuivais mes études au Séminaire, mes frères et ma sœur trimaient à la ferme. Je restais en lien avec eux ainsi qu’avec mes parents. Les vacances me permettaient de partager un peu leur vie de tous les jours. Je reprends le texte des notes autobiographiques de Papa à la page 31. " Peu à peu, grâce au travail enthousiaste de toute la famille, l’exploitation prenait de l’ampleur. Il fallait penser à l’installation de chacun des enfants qui travaillaient à la ferme. Il atteignaient l’âge de se marier et de travailler à leur compte. Ce fut Roger qui inaugura la série des mariages et des cérémonies familiales. Le 7 avril 1953, nous étions tous réunis dans l’église de Saint Jean-sur-Tourbe pour célébrer le mariage de Roger avec Rolande Morlet qui habitait le hameau de La Salle, entre Somme-Tourbe et Saint Jean, sur les rives de la Tourbe. Nous avons partagé le repas de noces dans le grenier de la maison familiale. C’est là que Roger élut domicile, tout en continuant de venir travailler à Somme-Suippe.

Quatre mois plus tard, le 29 juin 1953, c’était l’ordination sacerdotale de Michel à la Cathédrale de Châlons. Trois mois à peine écoulés, le 14 octobre, Roland s’unissait à Geneviève Musset, habitant à Bussy-le-Château. C’était en quelque sorte un retour aux sources. Roland faisait le voyage inverse de son grand-père Jules qui de Bussy, était venu épouser Estelle Ronez, 42 ans plus tôt à Somme-Suippe…

Alors que j’étais à la recherche de terres à acquérir, en mars 1954 se présente une occasion unique à Auve, où 220 hectares de sapinières étaient à vendre… J’en fis l’acquisition. Il fallut acheter un bulldozer pour défricher tous ces terrains… Jean-Marie s’y employa…

Les événements familiaux reprirent en 1961, le 27 mai avec le mariage de notre fille, seule et unique au milieu de ses six frères, je veux dire Geneviève. Elle alla chercher en Auvergne celui avec qui elle devait unir son destin, Alain Granet… Ils s’installèrent dans un petit pavillon à Pantin, près de l’usine de produits pharmaceutiques Roussel-Uclaf de Romainville où travaillait Alain.

Le 15 septembre 1962, ce fut le tour de Denis qui se maria avec Denise Debar. La cérémonie et les festivités eurent lieu à Pontfaverger, près de Reims où habitaient les parents de Denise. Ils s’installèrent dans la vieille maison à la source de la Suippe. Ce sont eux qui reprirent la ferme familiale.

A peine un mois plus tard, le 13 octobre, nous nous retrouvions réunis en l’église de Notre-Dame-en-Vaux, à Châlons, pour célébrer le mariage de Guy avec Françoise Monfeuillard …Ils allèrent s’installer à Auve dans l’une des deux maisons que nous venions d’y faire construire.

C’est en l’église de La-Croix-en-Champagne que Jean-Marie et Françoise Raulin s’engagèrent à faire route ensemble, avec nous tous comme témoins, le 25 septembre 1965. Ils allèrent occuper la deuxième maison, près de Guy et l’autre Françoise. Tous les quatre, ils entreprirent l’exploitation des terres d’Auve. Ils formèrent un "  G.A.E.C. "( Groupement Agricole d’Exploitation en Commun, dénommé le " G.A.E.C. de la Baraque ". (Fin de citation.)

LE JUMELAGE ENTRE SCHLUTTENBACH ET SOUDRON.

En janvier 1961, à la fin d’une réunion des prêtres des environs de Châlons, Mr l’Abbé Boudot, originaire de Suippes, qui était alors vicaire à Epernay, vient me trouver et me dit avec enthousiasme qu’il rentre d’Allemagne où il a passé les fêtes de fin d’année, exactement à Ettlingen, en Forêt Noire. En quelques mots il me raconte qu’au cours d’une rencontre internationale d’aumôniers de lycées à Maria Lach, lieu allemand de pèlerinage, il a fait la connaissance de Mr l’Abbé Eichhorn, aumônier à Ettlingen. Entre eux, avait alors germé l’idée de créer des liens entre les deux villes et que, assez rapidement, ces contacts s’étaient concrétisés par le jumelage officiel des communes de Ettlingen et Epernay.

Au cours de ces festivités de fin d’année, le maire et l’instituteur d’un petit village des environs lui avaient fait part de leur désir de réaliser un jumelage avec un village champenois d’une population à peu près égale à celle de leur commune, soit 300 habitants. Il me transmettait la demande, pensant que Soudron pourrait peut-être répondre favorablement à cette invitation.. Personnellement, j’ai tout de suite pensé que l’idée était excellente et que sans tarder, j’allais tout mettre en œuvre pour que ce projet aboutisse.

Dans les jours qui suivirent je parlai de cette idée de jumelage à diverses personnes qui ne manifestèrent aucune opposition, mais qui tout au contraire me disaient que cela permettrait aux jeunes des deux villages d’établir des contacts fructueux qui seraient des gages de paix pour l’avenir. Fort de ces premiers encouragements, j’invitai l’Abbé Boudot à venir nous exposer les grands traits de cette réalisation. A la suite de ses conseil avisés, il fut décidé qu’une délégation de six personnes de Soudron se rendrait à Schluttenbach, car c’est bien de Schluttenbach qu’il s’agissait, pour jeter les bases du jumelage. Ce serait, en quelque sorte, les fiançailles. Le week-end pascal semblait tout indiqué.

Mes parents me prêtèrent leur voiture, une 403 Peugeot, suffisamment spacieuse pour contenir cinq personnes en plus du chauffeur. L’après-midi du dimanche de Pâques 1961, Messieurs Guy Grasset, Robert Clément, Jean Weber, les demoiselles Bernadette Weber et Michèle Remy, plus moi au volant, partions en direction de Strasbourg. Nous y fûmes accueillis dans la soirée, par le Père André Weber, dans la communauté des Pères Oblats de Marie Immaculée, où nous passâmes la nuit. Le lendemain matin, frais et dispos, nous franchissions la frontière sur le pont de Kehl et nous engagions sur l’Autobahn en direction de Karlsruhe. Il avait été convenu que la délégation de Schluttenbach nous attendrait à une sortie de l’autoroute, à la hauteur d’Ettlingen. Nous leur avions fait savoir que nous arriverions vers 9h dans une 403 couleur crème. Quelle ne fut pas notre surprise, quand tout à coup, nous apercevons des motards de la Polizei qui viennent nous encadrer et nous faire signe de nous ranger sur le bas-côté de l’autoroute. Moment d’intense émotion. Quelle faute de conduite avions nous fait ? On se voyait déjà obligé de payer une amende avec toutes les complications que cela ne manquerait pas d’occasionner. Cà commençait mal… Mais quel soulagement et quelle joie quand on s’est rendu compte que les policiers étaient dans le coup ; qu’ils avaient pour mission de nous accompagner et d’assurer notre sécurité…Et ce furent les premières pognées de mains, les premiers " Guten Tag… " Sur la photo prise à ce moment historique, je reconnais Mr Karl Blödt, maire de la commune qui tient le bras de Mr Guy Grasset conseiller municipal de Soudron. A côté, je vois Mme Klara König et son mari Karl, instituteur du village, leur fils Hubert, Mr & Mme Bohn, médecins à Schölbronn, grands amis des König, ainsi que Mr Anselme Günter.

Ce lundi de Pâques 1961 restera pour toujours gravé dans nos mémoires. Impossible d’oublier la réception au " Linde ", (ce qui veut dire tilleul en français), le café du village. Tout près, en effet, se trouvait un très gros tilleul, plusieurs fois centenaire. Nous avons eu à peine le temps d’admirer la beauté du paysage, ces maisons coquettes à proximité des grands pins de la Forêt Noire, la Schwarz Wald. Nous avons été hébergé dans des familles d’accueil, où les liens d’amitié furent vite tissés, malgré les difficultés d’échange, liées au problème de la langue.

Le mardi matin, lorsqu’il fallut se séparer, nous étions sans voix. L’émotion nous étreignait. Nous repartions vers Soudron, la tête pleine de souvenirs, le cœur chaviré, les bras pleins de cadeaux et " d’en cas " copieux pour la route.

A leur retour, chacun des six heureux messagers, tel Ulysse après un long voyage, faisait un compte-rendu enthousiaste de la réception inouïe qui nous avait été réservée. Mais le lendemain matin, une nouvelle surprise nous attendait. Il faut croire que cette ébauche de jumelage, ne plaisait pas à tout le monde, car nous avons découvert avec amertume, de grandes croix gammées peintes sur le portail des différentes maisons où habitaient les six messagers de paix. Il est vrai que 16 ans à peine après la fin de la guerre, les mauvais souvenirs hantaient encore les esprits., ce qui explique qu’ils n’étaient pas encore prêts à tourner la page. Ma tante Gisèle, elle-même, me fit part un jour de son incompréhension. " Comment, me disait-elle, oublier tout le mal qu’ils nous ont fait ? Mon père qui est mort à la guerre en 1915 ; notre ferme qui a été brûlée, etc. "

Evidemment, je comprenais sa réaction. Mais alors, que faire ? N’est-ce pas impératif de tout mettre en œuvre pour que ces innombrables atrocités périodiques ne se renouvellent pas à chaque génération, tous les 20 ou 30 ans ? La construction de l’Union Européenne me paraissait être une réponse excellente. A mon sens, c’est dans ce sens qu’il fallait s’orienter.

Que dire de ces 44 années de jumelage. Il y aurait tant de souvenirs à réactiver. En voici quelques uns. Peu de temps après ces premiers pas du " Partnerschaft ", Mr Karl Blödt, le Bürgermeister de Schluttenbach, décédait. Une délégation de Soudron se rendit à ses obsèques. J’ai remarqué que sur sa tombe était inscrit : " Restera de toi ce que tu as fait de bien ".Nous pouvons inscrire au registre du bien qu’il a fait le jumelage entre nos deux villages. Merci d’avoir pris l’initiative de ce rapprochement.

De nombreuses rencontres entre jeunes permirent de vivre des moments inoubliables que ce soit à Schluttenbach ou à Soudron. Je me souviens tout particulièrement des quinze jours passés à Brest, financés par le Comité européen de la jeunesse. Nous étions une trentaine, moitié de chaque village. Une autre année ces mêmes jeunes vécurent de nouveau une quinzaine de jours ensemble en Autriche du côté de Saltzbourg où nous avons pu voir la maison natale de Mozart. Et les enfants de chœur de Soudron Vatry, Cheniers, Germinon, Velye doivent en garder quelques bons souvenirs. Certains découvrirent à cette occasion qu’il était difficile de se comprendre, quand on ne parlait pas la même langue. Je vois encore l’un d’eux pleurer en me disant : " Je ne comprends pas ce qu’ils disent ".

Pour maintenir les liens officiels entre les deux communes, il a été décidé de part et d’autre de commémorer l’événement tous les cinq ans, à l’occasion du long week-end de Pentecôte, en alternance. Celle du quarantième anniversaire eut lieu en Allemagne en juin 2001. A cette occasion, Mr König et moi-même avons eu l’agréable surprise de nous voir remettre la médaille du Conseil de l’Europe, au titre de pionnier de la construction européenne. J’en fus tout ému et remerciai ceux qui prirent cette heureuse décision. Je terminai mon petit discours en disant qu’à l’exemple de l’ancien président des Etats-Unis, John Kennedy, qui avait déclaré au cours d’un voyage historique à Berlin, pour affirmer sa solidarité avec les Berlinois : " Ich bin auch ein Berliner ", j’étais fier de proclamer : " Ich bin auch ein Schluttenbacher ", c’est à dire, je me sens à part entière, habitant de Schluttenbach.

Je voudrais tout spécialement exprimer ma reconnaissance à Mme Lydia Blödt qui depuis bien des années a la bonté de m’accueillir dans sa jolie maison située au 21 de la Lange Strasse. Elle vient de fêter ses 90 ans. Plus que tout autre, elle aurait pu remâcher sa peine et sa souffrance depuis le jour où elle apprit la mort de son mari, tué sur le front russe en 1941 ou 42. Son fils Egon ne connut pas son père puisqu’il était devenu orphelin avant de naître. Avec courage, Lydia fit face à l’adversité et s’engagea avec détermination dans l’aventure du jumelage.

Pour faciliter les échanges avec leurs nouveaux amis, les jeunes de Soudron désirèrent apprendre la langue de Goethe. Dans ce but, l’Abbé Haller, mon condisciple au séminaire, qui était maintenant professeur d’allemand au collège Saint Etienne, se proposa de venir donner quelques cours le samedi aux jeunes de Soudron. J’en étais tout émerveillé.

Un moment fort qui me revient en mémoire fut l’accueil que Mgr Piérard nous réserva à l’évêché de Châlons. Nos amis allemands, en séjour dans des familles d’accueil à Soudron en furent bouleversés. En Allemagne, les évêques sont de grands personnages qui maintiennent des distances respectueuses avec leurs diocésains.

La dernière rencontre officielle entre les deux communes eut lieu le week-end du 1er mai 2006 à Soudron avec beaucoup d’affection et une grande ferveur. Je souhaite de tout cœur que les relations établies par ce jumelage entre Schluttenbach et Soudron, se poursuivent le plus longtemps possible.

Mon ministère à Soudron et environs se poursuivait ainsi dans une ambiance plus qu’amicale. Je commençais à me sentir vraiment intégré dans la vie locale. Afin d’éviter de multiplier les séances de catéchisme dans les villages, j’avais décidé de regrouper les enfants le jeudi, en liaison avec l’Abbé Raphaël Albaut curé de Pocancy et l’Abbé Bernard Didier curé de Vouzy. Dans ce but, je fis l’acquisition d’une camionnette d’occasion. Le mécanicien-garagiste du village, Mr Ménard, y installa des sièges à l’intérieur. Pour l’assurer, j’ai créé une association loi de juillet 1901 que j’ai dénommée " U.R.S.S. " Union Régionale Somme et Soude. Avec ce " Tub " citroën, je fis bien des trajets pour des camps de jeunes en Autriche, des voyages d’enfants de chœur à Schluttenbach, des colonies de vacances en Alsace, des visites au Salon de l’Agriculture, Porte de Versailles, des virées jusqu’à Bruxelles pour voir l’Atomium au moment de l’Exposition Universelle…

PRETRE A SOMSOIS, CHAPELAINE, MARGERIE - HANCOURT,

SAINT – UTIN.

Mais hélas, tout a une fin, les meilleures choses comme les pires. Un beau jour, je devrais dire plutôt un mauvais, je reçus un appel téléphonique de l’évêché me faisant savoir que Mgr Piérard désirait me rencontrer. Rendez-vous fut pris. Monseigneur commença par me remercier et me féliciter pour l’excellent travail que j’accomplissais à Soudron et dans le secteur avec les jeunes, puis il me fit comprendre que je pourrais exercer mes talents dans d’autres villages, du côté de Vitry-le François, plus exactement à Somsois et paroisses annexes. Je lui répondis que j’étais très honoré de la confiance qu’il m’accordait mais que j’avais pensé qu’il me donnait enfin la possibilité de partir en Afrique, comme je lui en avais fait la demande à plusieurs reprises. En effet, quelques années auparavant, le Pape Jean XXIII avait publié une encyclique intitulée " Fidei donum " (le don de la foi) dans laquelle il était demandé à tous ceux et celles qui dans l’Eglise, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, avaient la fibre missionnaire, de se porter volontaires pour aider temporairement les églises naissantes, un peu partout dans le monde. Assez rapidement ma décision était prise et j’avais exprimé mon désir à Mgr Piérard. Il me dit alors que Somsois était un peu comme un pays de mission qui me conviendrait parfaitement. Que d’autre part, pour l’Afrique, il me faudrait savoir patienter encore quelque temps. " Dans ce cas, lui dis-je, ma préférence est de rester à Soudron. Je n’en partirai que si vous m’en donnez l’ordre express ". Sa réponse ne se fit pas attendre. Il me rétorqua du tac au tac : "  Ca équivaut à un ordre ". C’est ainsi qu’à dater du 21 janvier 1962, je devins curé de Somsois et annexes.

Je fis mes adieux à Soudron et m’installai à Somsois, en compagnie de Mme Marchand, originaire de Souain. Le presbytère était grand, bien aménagé, tout près de l’église. Le secteur avait une réputation d’anticléricalisme. Le président du Conseil Général de la Marne, à tendance radicale, Mr Bergault, habitait la commune. Certains plaisantins se plaisaient à dire que dans un village, c’est bien d’avoir un curé, cela peut toujours servir, un peu comme une pompe à incendie, mais moins on s’en sert, mieux ça vaut.

Il est vrai que tout ceci n’était pas très encourageant, mais il en fallait plus pour me rebuter. Je commençai par rendre visite à toutes les familles avec mon cahier personnel où je notais, en toute discrétion, les liens de parenté, les enfants et tout ce qui les avait marquées dernièrement, deuils, mariages. J’essayai de m’intégrer dans la vie locale. Assez rapidement, je sympathisai avec le docteur Loilier et sa famille, originaire de la région de Reims. Il exerçait dans le secteur depuis bien des années. Il connaissait parfaitement toutes les familles des environs. Ses conseils me furent précieux. Nous devinrent de bons amis. Ils avaient deux chevaux. De temps en temps, le docteur Loilier, m’invitait à l’accompagner. C’est ainsi que je pris mes premières leçons d’équitation.

Pour montrer aux habitants que je ne voulais pas vivre en parasite, je décidai de couper moi-même le bois qui servirait à chauffer le presbytère pendant l’hiver. Les sapinières ne manquaient pas dans la région comme dans toute la champagne crayeuse de ce temps là. Un cultivateur m’autorisa à éclaircir un de ses bois. J’empruntai la tronçonneuse qu’utilisaient mes frères pour remettre en culture les terrains boisés à Auve. En quelques jours, je fis ma provision de bois pour la saison froide. Car être curé de campagne, en hiver dans les années 60, ce n’était pas de la tarte, surtout le dimanche, en principe jour de repos. Il fallait avoir une bonne constitution pour célébrer deux ou trois messes à la va vite, dans de grandes églises froides devant une assistance réduite. Je rentrais à treize heures passées, frigorifié, la gorge en feu, risquant à chaque fois l’extinction de voix. A ce propos, me revient à l’esprit, une réflexion que me fit un jour un des deux derniers gardiens de troupeaux de moutons à Soudron : " l’idéal, voyez-vous, ce serait d’être curé l’été et berger l’hiver, car durant l’été, il fait frais dans les églises et durant l’hiver, il fait chaud dans les bergeries ". Paroles de sage !

Quand vint le printemps, je demandai à ce même cultivateur sympathisant, Mr Guillaume je crois me souvenir qu’il s’appelait, s’il pouvait m’accorder la permission de démarier dans ses champs, un hectare de betteraves. Ce n’était pas banal de voir le curé marier les gens à l’église et démarier les raves dans la campagne. Démarier, je savais faire. Chaque année pendant les vacances de Pâques, je pratiquais en compagnie de mes frères et de ma sœur, ce sport très éreintant. Vous rentriez le soir à la maison, le dos complètement ravagé. C’est à peine si vous arriviez à vous redresser tout à fait. Betteravier, c’est un métier de saisonniers. De nombreux Espagnols venaient tous les printemps pendant deux mois, effectuer ce travail très pénible physiquement qui consiste à ne laisser qu’un pied de betterave tous les 20 centimètres. Les cultivateurs, à l’aide de leur semoir, traçaient des sillons espacés de 30 à 40 centimètres. Les graines de betteraves tombaient en abondance sans discontinuer tout au long du rayon. Lorsque ces plants avaient commencé de sortir de terre, il fallait les espacer suffisamment, sinon ils végétaient. Pour accomplir ce travail, chaque betteravier utilisait une binette à manche court et en se baissant arrachait à la main les pieds excédentaires, afin de n’en laisser qu’un seul à espace régulier, le plus robuste, autant que faire se peut. C’est alors qu’on se rend compte que la terre est basse.

Durant une bonne quinzaine de jours, en ce mois de mai 1963, je passai le plus clair de mon temps à démarier des betteraves dans la plaine de Somsois. J’emportais avec moi mon poste radio à transistor pour écouter tout en travaillant dans le calme de la campagne, les informations ou de la musique. Je pus suivre presque heure par heure les derniers moments du bon Pape Jean XXIII, qui, par son aggiornamento et la convocation du Concile, avait fait surgir un nouveau souffle dans l’Eglise.

C’est en ce même printemps 1963, aux environs de la fête de la Pentecôte, qu’eurent lieu dans l’église de Somsois, les confirmations. C’est l’évêque du diocèse, en personne, qui confère ce sacrement aux jeunes catéchisés. C’est donc Mgr Pièrard qui vint confirmer ces jeunes garçons et filles du secteur. Et à la fin de la cérémonie, il annonça à tous les fidèles rassemblés en cette circonstance, que leur curé les quitterait au cours de l’été. Que suite à mes démarches réitérées pour pouvoir partir exercer mon ministère en Afrique, dans le cadre de l’encyclique Fidei donum, il m’accordait le feu vert permettant ainsi au diocèse de participer activement à la tâche missionnaire de l’Eglise.

Il me fallait maintenant savoir vers quel pays d’Afrique j’allais pouvoir orienter mes pas. D’emblée, j’accordai ma préférence pour un pays francophone pour éviter les difficultés dues aux problèmes de langage. Cependant, j’achetai le livre de la méthode Assimil " l’anglais sans peine " à toute fin utile. Je me rendis à Paris au secrétariat national de l’épiscopat qui gérait cette question des prêtres Fidei Donum. C’est Mgr Etchegaray qui me reçut. Il me fit savoir qu’un prête du diocèse de Lyon qui avait exercé pendant six ans son ministère d’aumônier diocésain d’action catholique à Bobo-Dioulasso, en Haute-Volta, rentrait définitivement en France. Il me demanda si ce poste me convenait en m’invitant à y répondre favorablement. Il me conseilla d’entrer en relation avec Mgr André Dupont, Père Blanc, évêque de Bobo et me remit un dossier me donnant la marche à suivre dans le domaine de l’état civil et surtout de la santé. Je me rendis à l’Institut Pasteur où me furent injectés tous les vaccins nécessaires et me furent donnés tous les conseils appropriés.

 

TROISIEME PARTIE : 1963-1969 * PRETRE "  FIDEI DONUM  "  EN AFRIQUE .

AUMÔNIER DIOCESAIN D’ACTION CATHOLIQUE

A BOBO – DIOULASSO.

En octobre 1963, après avoir mis une dernière main à tous mes préparatifs et fait mes adieux à toute la famille et aux amis, je me rendis à Marseille pour embarquer sur "  Le Foch. " Je passai deux ou trois jours à la maison des Pères Blancs au 5 Boulevard Verd, dans le quartier de Saint Just. J’ai conservé un télégramme que me fit parvenir la famille Clément de Soudron me souhaitant un bon voyage, daté du 16-10-1963 à 12h 55. Pour la première fois, je visitai Notre-Dame de la Garde, la Bonne Mère. Bien des voyageurs, avant un départ en mer, vinrent solliciter sa protection. Les nombreux ex-voto qui ornent les murs intérieurs et extérieurs de la basilique en sont la preuve. Du haut de cette colline la vue sur la ville et les environs est splendide. La mer s’étend à l’infini avec au premier plan le vieux port, les Iles du Frioul et le fameux château d’If. J’étais accompagné d’un Père Blanc, le Père Hebert qui après deux mois de congés passés en France, rejoignait son poste de mission près de Bobo. Il m’expliqua qu’il s’intéressait beaucoup à l’histoire de l’Afrique, qu’il rédigeait un livre et que, dans ce but il enregistrait sur un magnétophone portatif les témoignages des anciens dans les villages, car les livres d’histoire des peuples africains étaient rares. De ce fait, enregistrer les traditions orales était très important.

Le voyage sur le Foch se passa sans incident. Nous avons fait escale à Alger, Casablanca, Dakar et sommes arrivés, enfin, huit jours plus tard, à Abidjan. Sur le paquebot, la vie était plutôt agréable. De nombreuses personnes rejoignaient des postes de mission, en Afrique de l’Ouest, des Belges allaient jusqu’au Congo. En débarquant à Abidjan, j’ai eu l’impression de me trouver sur une autre planète. Certes, il faisait chaud dans la journée, mais le soir venu, à partir du coucher du soleil, à 18h, je me sentais bien dans une moiteur agréable. Tout vous invitait à l’apaisement, à la décontraction. Malgré l’agitation de la ville, se dégageait une sensation de joie de vivre et d’insouciance.

Le Père Hébert récupéra sa voiture, une 2 CV, à l’embarcadère et nous avons pris la route vers le nord, la Haute-Volta. Je découvrais la forêt vierge, les plantations de bananiers, une végétation luxuriante et aussi l’état des pistes poussiéreuses. Nous avons fait escale à Bouaké. Et après encore une bonne journée de voiture, nous passions la frontière de la Haute-Volta. Nous nous sommes arrêtés au premier poste de mission sur notre route, Nyangoloko. Le lendemain nous passions à Banfora, Toussiana et enfin au loin apparut dans une large cuvette, la ville de mes rêves, Bobo-Dioulasso.

L’accueil fut très sympathique. Je m’installai au presbytère de la cathédrale. L’Abbé Plasson qui terminait son contrat de six ans, me cédait sa place ainsi que sa voiture. Le chef d’équipe était le Père Déchelette, originaire de Roanne. L’Abbé Emmanuel Dabiré, prêtre Voltaïque, était aumônier militaire, l’Abbé Bernard Mathio, de Dax, était vicaire, l’Abbé Jean Rabier, de Brioude, dernièrement arrivé comme moi, était chargé de la paroisse Sainte-Thérèse, dans un quartier assez proche. Quant à moi, il m’était demandé d’animer les mouvements d’action catholique du diocèse et de m’occuper des Européens, assez nombreux, qui vivaient sur la ville et dans les environs.

La ville de Bobo-Dioulasso me plut dès les premiers instants. Elle se trouve située au carrefour de grandes voies de communication au centre de l’Afrique de l’Ouest, entre la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Ghana. C’est là , d’ailleurs, que les Gouverneurs français avaient, au moment de la colonisation, établi un fort contingent d’armée, destiné à contrôler toute la région. Après l’indépendance, survenue en 1960, l’armée voltaïque s’installa dans les casernes laissées libres par nos soldats. Le nom même de la ville indique bien que ces multiples voies d’accès provoquèrent un brassage de population. En langue locale " so " signifie village. Bobo-Dioulasso est donc le village des Bobos, ethnie de la région, et des Dioulas désignant une tribu de commerçants exerçant leurs activités sur tous les marchés de cette contrée.

Le premier dimanche de mon séjour à Bobo, je fus invité à dîner chez une Champenoise mariée avec un Bobolais. En effet, quand les gens de Somme-Suippe apprirent que je partais en Haute-Volta, le correspondant local du journal " l’Union de Reims " fit paraître un article annonçant la nouvelle. Quelques jours plus tard, je recevais une lettre d’une dame de Mourmelon-le-Petit me disant que sa fille Lucette Toussaint habitait Bobo et qu’elle serait certainement très heureuse de me rencontrer.

Sans tarder, donc, je pris contact avec Lucette qui était toute heureuse d’avoir des nouvelles fraîches du pays. Elle m’expliqua comment elle avait fait connaissance avec son mari, Sitafa Sanon, fils de chef d’une grande famille bobolaise. C’est à Reims qu’ils se connurent. Elle y travaillait et y habitait depuis un certain temps quand elle rencontra Sitafa qui était étudiant à Reims et s’intéressait beaucoup à la fameuse équipe de foot-ball de cette époque où évoluaient les Kopa, Just Fontaine et autres célébrités. Dés ces premiers instants, nous devinrent de vrais amis. Sitafa travaillait au service des Ponts et Chaussées et militait dans un parti politique, le R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain). De plus il animait et entraînait une équipe de foot de la ville. Lucette occupait un poste important à la station radiophonique qui rayonnait sur toute la région, appelée " Radio-Bobo ". Par la suite, j’eus l’occasion de l’y retrouver chaque semaine, lorsque je fus chargé d’assurer les émissions religieuses.

Evidemment, dès mon arrivée, je suis allé me présenter à Monseigneur André Dupont, évêque de Bobo, Père Blanc, originaire de Lille, où un de ses frères était évêque coadjuteur. Deux évêques dans la même famille, ce n’est pas courant. Bien sûr, les facétieux ne manquaient pas, à ce propos, de parler des Dupont " t " et Dupond " d ". Une autre remarque me vint à l’esprit par la suite. Alors que de nombreux Pères Blancs étaient issus d’illustres familles de la noblesse française - parmi ceux qui exerçaient leur ministère dans le diocèse de Bobo se trouvaient le Père de Rasilly, le Père de Montjoye, le Père de Baillancourt, le Père de La Martinière, le Père de Montclos - c’est un Dupont qui était évêque.

Je connaissais déjà Mgr Dupont, puisqu’il était passé me voir à Somsois au cours du mois de juillet précédent. Il me précisa ma tâche, en continuité du travail accompli, pendant six ans, par mon prédécesseur, l’Abbé Plasson, qui retournait dans son diocèse, à Lyon. Ma priorité, c’était, sur l’ensemble du diocèse, d’animer l’Action Catholique Rurale des jeunes et des adultes, dans les villages de la brousse, en étroite collaboration avec un prêtre africain, l’Abbé Victor Hien, originaire de Dano, en pays Dagara, pas très loin de Diébougou.. Tout de suite, le courant passa très bien entre nous deux. Je peux affirmer qu’il devint pour moi comme mon frère africain. Sa bonne humeur et sa simplicité rendaient nos relations faciles et agréables.

L’Abbé Plasson me laissait sa Peugeot 403 familiale, voiture solide, bien faite pour rouler sur les pistes en tôle ondulée, plus ou moins bien entretenues. La voiture soulevait un épais nuage de poussière rougeâtre sur fond de latérite qui me transformait, au cours du voyage, en véritable Peau Rouge. En regardant le Paris-Dakar, vous pouvez vous faire une idée de l’agrément des voyages sur les pistes de la brousse africaine. J’étais très heureux, à l’arrivée dans les postes de mission, de prendre une bonne douche à l’eau naturellement tiède.

Cette Peugeot 403 familiale commençait à donner des signes de fatigue, si bien que je dus rapidement envisager de la remplacer. Je m’adressai alors à un cousin Tatass, vivant à Marseille, Denis Pommois. Il avait eu la bonne idée de se marier avec Marie-Antoinette Casabianca dont les parents, d’origine Corse, avaient créé le Pastis Casanis. Du fait que la Société employait de nombreux représentants de commerce roulant en voiture, mon cousin Denis ne tarda pas à me trouver une bonne occasion, une Peugeot 403 berline de 7 CV qui me permit de rouler en sécurité, durant tout mon séjour en Afrique. Je lui en suis infiniment reconnaissant.

En 1963, le diocèse de Bobo était très vaste. Depuis, il a été scindé en trois diocèses. Les postes de mission étaient assez éloignés les uns des autres. Il y en avait 15 à 20 en tout, où résidaient trois missionnaires. "  Toujours trois ", c’était la règle ; les pères disaient en latin : " nunquam duo, semper tres " jamais deux, toujours trois. La plupart du temps les postes de mission étaient implantés sur une petite colline dominant les environs. De loin, on apercevait les constructions en dur avec toits de tôle : le logement des missionnaires avec une sorte de terrasse en béton recouvrant le réservoir contenant l’eau récupérée au moment de la saison des pluies. A côté, l’église plus ou moins grande selon le nombre de chrétiens pratiquants, puis dans les postes plus anciens le dispensaire avec la communauté des religieuses et bien souvent les écoles de la mission. Cet ensemble constituait un noyau vital qui rayonnait tout à l’alentour.

L’une des grandes difficultés que rencontrèrent les premiers missionnaires fut le problème de la langue. Comment se faire comprendre et saisir le langage des villageois ? La Haute-Volta du temps de la colonisation, qui s’appelle maintenant le Burkina-Faso, ce qui veut dire : " Le pays des hommes intègres ", comptabilise une soixantaine d’ethnies ayant chacune son dialecte propre. Parfois des habitants de villages voisins ne se comprennent pas. C’est le français qui sert de langue officielle. Mais alors, communiquer avec la population qui n’a jamais été à l’école était extrêmement difficile. D’où la nécessité primordiale pour chaque père missionnaire qui arrive dans une contrée, d’apprendre le dialecte. C’est pourquoi, les six premiers mois de présence sont essentiellement consacrés à apprendre la principale langue de la région. J’avoue que je n’aurais pas eu cette patience.

De la patience, il m’en fallut tout de même une certaine dose. Combien d’heures, ai-je passé en réunions avec jeunes ou adultes, assis à l’ombre des karités ou des manguiers ? Près de moi se trouvait un traducteur qui me permettait de suivre les débats et d’intervenir quand je le désirais. La plupart du temps dans ces rencontres, nous appliquions la méthode chère aux mouvements d’Action Catholique, qui se résume en trois mots : " Voir, Juger, Agir. " qui me semblait se rapprocher du mode de raisonnement en philosophie en trois temps également

" thèse, antithèse, synthèse ".

VOIR : Le premier temps de la réunion était consacré à mener une sorte d’enquête sur le thème choisi, par exemple le mariage et la polygamie, la dot, les méthodes de culture, l’alimentation, les coutumes, l’influence du culte des ancêtres, l’hygiène, etc. Ainsi petit à petit, je découvrais un monde passionnant avec ses us et coutumes.

JUGER : En deuxième temps, on était invité à mener une réflexion sur le sujet abordé. Qu’est ce qu’on en pense ? A votre avis, est-ce que cela vous semble bien ? Le problème de la dot revenait souvent sur le tapis dans les réunions de jeunes. Au plan chrétien que faut-il en penser ? Que nous dit l’évangile de Jésus sur ce sujet ?…

AGIR : Que pouvons-nous faire pour changer ce qui nous semble nécessaire afin que cela soit mieux. Là, bien souvent, on butait sur le respect des traditions, comment adopter d’autres modes de vie, de manière de faire, sans craindre la colère des ancêtres et les malheurs qui peuvent s’en suivre ? Par exemple en ce qui concerne les méthodes de culture : on a l’habitude de piocher à la daba ; ne serait-il pas bon d’envisager d’acheter une paire de bœufs et une charrue pour les labours ? Ainsi on éviterait bien de la fatigue. Les femmes, porteuses de fécondité sèment les graines ; si les hommes pratiquaient la culture attelée avec semis en ligne, est-ce que cela ne libérerait pas les femmes qui ont déjà tant de choses à faire ? Ce sont elles qui vont chercher l’eau avec les " canaris " (jarres en terre cuite) sur la tête, parfois à plusieurs kilomètres ; ce sont elles qui avec le pilon, écrasent les graines de mil, de sorgho déposées au fond du mortier, souvent avec un bébé dans le dos ; ce sont elles qui font beaucoup de choses… Et l’homme qui a plusieurs femmes pense que c’est très bien ainsi ; et le sorcier qui n’est jamais bien loin, fait tout ce qui est en son pouvoir pour entretenir la crainte des villageois. Il y aurait tant à dire et à faire.

En lisant ces jours ci (août 2006) le livre très intéressant de Jean-Claude Klotchkoff " Le Burkina Faso aujourd’hui ", ( Les Editions du Jaguar), je m’aperçois que ces thèmes sont repris par les jeunes cinéastes burkinabé des années 1980-1990. Ainsi fit, Idrissa Ouedraogo, en réalisant son premier long métrage " Yam Daabo " (" Le Choix "). Son message : les traditions africaines ne sont pas des dogmes et doivent être tournées en cas de force majeure. Il explique : "  Dans ce film, je montre des paysans victimes de la sécheresse qui attendent l’aide alimentaire internationale, dont ils sont devenus complètement dépendants. Paradoxalement, c’est un vieux qui va réagir en quittant la terre des ancêtres devenue stérile et en entraînant toute sa famille vers de bonnes terres cultivables. Savez-vous qu’au Burkina nous avons neuf millions d’hectares de terres cultivables, mais seulement trois millions sont effectivement cultivés… Les plus mauvaises ! Ainsi, j’ai voulu montrer dans ce film que la tradition ne doit pas mener à la misère et à la mort : la terre des ancêtres est très importante, mais il ne faut pas hésiter à s’en aller si la vie des enfants est en jeu. "

L’auteur continue à la page 79 : " Autres jeunes talents prometteurs : Pierre Yaméogo et Drissa Touré. Ce dernier, avec " Laada " filme le retour à la terre natale de deux jeunes gens, dont l’un accepte la tradition et l’autre la refuse. Comme l’écrivait Claude-Marie Trémois, dans " Télérama " : " Tous dénoncent la corruption des fonctionnaires, le poids de la tradition, mais aussi les dangers d’un modernisme mal compris. Entre la révolution et le conservatisme, entre le double refus de se couper de ses racines, mais aussi de se laisser asservir par des coutumes d’un autre âge, la voie est étroite. C’est celle qu’empruntent ces jeunes cinéastes, en s’efforçant de ne pas trop basculer d’un côté ou de l’autre. " (Fin de citation.)

Oui, de la patience il en fallait ! Je ne regrette pas ce temps passé à écouter, à voir se dérouler devant moi cette vie qui me déconcertait parfois au début, que j’aurais voulu aider à changer pour que les gens puissent accéder à des conditions de vie moins pénibles. Mais à la vue de leur joie de vivre, de leur sens de l’hospitalité et de la solidarité, de leur amabilité, de leur courage face aux adversités et à la mort, je finissais par me demander qui était le plus à plaindre. Notre civilisation occidentale finissait par m’apparaître déshumanisante et anti-évangélique, à base de repli sur soi, d’égoïsme, d’embourgeoisement et d’une trop grande recherche d’une vie luxueuse

Que reste-t-il de mes six ans passés à Bobo et environs ? Il est difficile d’en faire le bilan . Je n’ai pas eu l’occasion de célébrer de nombreux baptêmes. Ma tâche ne consistait pas à obtenir des conversions. Mais si j’ai pu contribuer, un tant soit peu, à ce que certaines personnes se sentent plus libres, je m’estimerais heureux. Car ma devise serait volontiers, à la suite de Saint Irénée : " La gloire de Dieu, c’est l’homme debout. "

Des hommes debout, je crois en avoir rencontrés. Moïse Kpoda de Dissin qui était encadreur au sein de la C.I.D.R. ( Compagnie International de Développement Rural), Ananie Somé, instituteur à Bobo, d’un dévouement et d’une disponibilité sans bornes, Timothée Somda, cultivateur à Toussiana qui se lançait courageusement dans la culture attelée, Vital Méda à Dakolé qui avait construit un mur en banco, l’avait noirci avec du charbon de bois, et me demandait d’apporter de la craie afin de pouvoir donner des cours d’alphabétisation aux enfants et jeunes de son village. Et des femmes debout, j’en ai rencontrées aussi : A l’hôpital de Bobo, une Dahoméenne, dont je ne me souviens plus du nom, jouissait au milieu du monde infirmier, d’un rayonnement extra ordinaire.

Je voudrais aussi signaler mon compagnonnage avec un prêtre africain, chez qui j’ai toujours admiré une foi profonde, une très grande délicatesse et qui, plus tard, est devenu également, un ami de Mme Lydia Blödt à Schluttenbach. Les amis de nos amis … Je fis connaissance avec l’Abbé Raphaël Somé, car c’est de lui qu’il s’agit, au cours d’une de mes tournées. Il était alors jeune prêtre, vicaire à Niangoloko, à quelques kilomètres de la frontière Ivoirienne.

Le lendemain de mon arrivée à ce poste de mission, était prévue une présentation des groupes de l’A.C.E. (Action Catholique des Enfants) dont l’Abbé Raphaël était l’aumônier. Je fus émerveillé par la bonne tenue de ces équipes de garçons et de filles accompagnées de sœurs conseillères. Je ne pus m’empêcher de dire mon admiration et de prodiguer mes encouragements à tous ces jeunes cœurs vaillants et âmes vaillantes.

Dans les jours qui suivirent, je rendis visite à Mgr Dupont pour lui faire un compte-rendu de mes activités ; je lui parlai de mes visites dans les paroisses de Orodara, Toussiana, Banfora et Niangoloko et lui fit part de ma satisfaction éprouvée à la vue des groupes d’enfants de ce dernier poste. A cette occasion, je me permis de lui suggérer de nommer ce jeune vicaire, au poste d’aumônier diocésain de l’enfance. Ce qui se fit quelque temps plus tard. Il vint alors rejoindre notre équipe au C.A.S. (Centre Abel Sanon) récemment construit à la périphérie de la ville de Bobo sur la route de Sakabi.

Au Centre Abel Sanon (Abel Sanon était un prêtre de Bobo, récemment décédé par électrocution dans sa douche à la paroisse de Tounouma ), je cohabitai plusieurs années avec un prêtre Fidei Donum du diocèse de Nancy : Gabriel Mallaisé. C’était un bâtisseur. Je ne sais s’il avait fait un apprentissage en maçonnerie, mais il dirigeait avec une grande compétence d’importants chantiers comme la construction du collège de jeunes filles de Banfora, tenu par les religieuses. Son frère, était alors directeur de la Banque de France à Châlons, rue Pasteur, où j’avais l’habitude d’aller déposer les pièces de monnaie, fruit des quêtes paroissiales.

Sur la ville de Bobo, nous étions plusieurs Fidei Donum : Gaby de Nancy, Bernard Mathio de Dax, Jean Rabier de Brioude, Jean Monterrat de Belley et à Ouaga comme aumônier de la J.O.C. Jean Guesdon de Sées. De nombreux et nombreuses jeunes laïcs missionnaires s’engageaient dans divers services. Pendant plus d’un an, nous avons bénéficié pour la J.A.C.F. du concours d’une animatrice, Marie Le Gal, de la région de Quimper.

Si j’ajoute que parmi les Pères Blancs se trouvaient représentées plusieurs nationalités, outre la majorité de Français, parmi lesquels Charles Sarti de Vitry-le-François que j’avais connu au Séminaire à Châlons, il y avait des Belges, des Allemands, des Espagnols, des Italiens et même des Canadiens qui s’employaient au Ghana, pays anglophone. Cette diversité m’aidait à prendre conscience de l’universalité de l’Eglise et m’apportait une grande richesse de contacts et d’échanges.

 

VIE NOUVELLE

Un autre secteur de mes activités était réservé aux " Européens " vivant à Bobo et dans la région. Là aussi les contacts furent très enrichissants. A cette époque, les " Blancs " étaient encore assez nombreux. Certains avaient des responsabilités dans le commerce - comme par exemple à la C.F.A.O.( Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest) - dans la recherche médicale, dans la lutte contre les grandes endémies ou dans la société des chemins de fer - le R.A.N. (Réseau Abidjan Niger) reliant Abidjan à Niamey.

Au Centre Muraz, de nombreux médecins militaires poursuivaient des recherches pour éradiquer les maladies tropicales telles que la fièvre jaune ou paludisme, la malaria, la bilharziose, le ver de Guinée, la lèpre etc.

Ce ministère auprès des " Européens " me permettait de ne pas me couper totalement de la vie dans le monde. J’écoutais tous les matins les infos à la radio pour suivre l’actualité. Je me souviens de la vive émotion que provoqua l’annonce de l’assassinat du Président des Etats-Unis, John Kennedy, à Dallas. C’était en novembre 1963. J’étais arrivé à peine deux mois plus tôt.

Auprès des Européens, j’avais deux approches différentes. Avec certains, nous nous réunissions une fois par mois, en appliquant la méthode des mouvements d’Action Catholique, Voir, Juger, Agir. Nous suivions en gros, avec des adaptations, le programme de l’A.C.I. ( action catholique des milieux indépendants). Avec d’autres, souvent d’anciens scouts, nous nous inspirions du mouvement appelé " Vie Nouvelle ". Nous formions des " fraternités " d’une dizaine de membres. Nous menions des réflexions intéressantes à partir de la philosophie d’Emmanuel Mounier, prônant le personnalisme communautaire ; en d’autres termes, comment vivre en tant que personne, qui ne peut trouver son épanouissement qu’au sein d’une communauté. Le couple qui animait ces fraternités était originaire de Saint Guilhem-le-Désert, près de Montpellier. Lui, Pierre Alause était médecin militaire au Centre Muraz, elle Mylène, assurait la catéchèse des enfants européens à la Cathédrale. Très vite nous devinrent de grands amis.

Nos relations amicales s’intensifièrent. Pour me donner l’occasion de vivre une expérience intéressante et peu commune, ils m’invitèrent en 1967 à participer en France à une randonnée pédestre de 15 jours qu’ils organisaient avec des amis dans les Cévennes ; sac au dos, ravitaillement tous les 3 ou 4 jours au passage dans un village, coucher sous la tente, recherche d’un point d’eau pour installer le soir le campement…Cette forme de vie en contact étroit avec la nature nous donnait l’occasion de réaliser un profond dépaysement, d’échanger nos points de vue au cours des marches par monts et par vaux, ainsi qu’au cours des soirées autour d’un feu de camp à la belle étoile. Deux autres fois, me fut donné l’occasion de vivre cette expérience originale et très vivifiante. "  Un jour de randonnée, égale 15 jours de santé " disent les connaisseurs.

C’est au cours de l’une de ces randonnées, en 1969, lors de mon retour définitif, que je fis la connaissance d’une éducatrice spécialisée travaillant auprès d’enfants handicapés à Marseille, Odile Puel. Durant ces 15 jours de campement et de marches, nous avons eu la possibilité d’échanger nos points de vue et de remarquer que nous avions une assez grande similitude dans la conception des choses de la vie.

Les six années que je vécus à Bobo et alentours se passèrent ainsi avec un sentiment d’épanouissement et d’ouverture. Pour occuper mes congés de 1968, je décidai d’aller à la découverte de quelques pays africains. Il faut dire que durant les mois de juillet et août, la circulation, sur les pistes de la Haute-Volta, devenait pratiquement impossible sinon dangereuse. Ces deux mois de l’année correspondent à la période la plus intense de la saison des pluies. Les pistes se ravinent, les ponts mal entretenus et peu solides, sont emportés par les eaux. Il me souvient une certaine année, être allé en compagnie de 3 ou 4 militants, à une session nationale à Ouagadougou, au moment du 15 août. Au retour, des tornades d’eau se mirent à tomber. Tant bien que mal nous réussissions à rouler dans un mélange d’eau et de boue. Le secteur était assez vallonné. C’est alors que nous avons amorcé une descente et lorsque nous sommes arrivés au creux du vallon la voiture avança au milieu des eaux. Puis tout à coup l’eau pénétra à l’intérieur, jusqu’au moment où le tuyau d’échappement se trouva obstrué ; on entendit un petit pschit ! puis plus rien. Nous étions dans de beaux draps.

Donc, c’était décidé ; je voulais profiter de cette dernière saison des pluies qu’il me serait donné de passer en Afrique pour aller plus au sud, à la découverte de pays africains de la région de l’équateur, les deux Congo, le Cameroun, le Gabon. Mon passeport établi à la préfecture de Châlons, le 13 août 1963, me permet de reconstituer mon itinéraire avec les dates de passage aux frontières. De plus, je retrouve le carnet sur lequel j’ai noté au jour le jour, mes impressions de voyage. Je l’avais presque oublié.

JUILLET – AOÛT 1968 : UNE VIREE VERS L’EQUATEUR 

Pour vous permettre de mieux suivre l’itinéraire, voici un condensé de mon escapade.

 

Vendredi 28 juin, 15h 30 : à Bobo.

Je fais une mauvaise chute en mobylette en allant chercher un pied de bougainvillier à la station agricole de Sakabi. La saison des pluies étant déjà bien avancée, les bords de la piste étaient agrémentés de nombreuses ravines ; et ce qui devait arriver, arriva. Surpris par une ornière plus profonde que les autres, à peine ai-je eu le temps de freiner que je me suis retrouvé par terre avec le coude droit en mauvais état. A l’hôpital, la radio fit apparaître une fracture, ce qui nécessita la pose d’un plâtre, le bras en bandoulière étant retenu par un bandage allant jusqu’au cou.

Samedi 29 juin, de Bobo à Abidjan, par le train.

Pour gagner Abidjan, d’où je devais embarquer pour Pointe-Noire, au Congo, via Cotonou, j’empruntai le train du Réseau Abidjan Niger, le R.A.N. Du fait que je devais voyager de nuit, j’avais réservé une couchette. Au cours de ce début de voyage, j’eus ma première surprise. Jugez plutôt.

Dans ce même compartiment, je me trouve en compagnie d’un commerçant africain, pas bavard. Le soir venu, après le repas au wagon restaurant, il fallut se répartir les couchettes. Je demandai alors à mon compagnon de voyage, s’il ne pouvait pas me laisser la couchette du bas, car le mauvais état de mon bras droit me rendait difficile l’accès à la couchette supérieure. Ce voyageur me fit comprendre, que du fait qu’il était musulman, il lui fallait faire ses prières plusieurs fois par jour et qu’en conséquence, il était normal qu’il garde la couchette du bas. Ceci lui évitait de monter et descendre à multiples reprises, de l’étage supérieur. Je dus me rendre à l’évidence. Mais je ne pus m’empêcher de penser que l’ordre des priorités était inversé. J’étais choqué de voir que les impératifs religieux primaient sur le simple bon sens. Je touchai là, concrètement, comment une pratique religieuse peut prendre le pas sur les nécessités premières.

Dimanche 30 juin : à Abidjan.

Midi, arrivée à Abidjan avec 2 heures de retard. J’y retrouve des amis, Guesdon, Meynier. Soir, cinéma " Un homme pour l’éternité " retraçant la vie de Thomas Moore.

Lundi 2 et Mardi 3 juillet : encore à Abidjan.

 

Démarches à Abidjan. Le Consul de France me délivre un visa valable jusqu’au 30 du même mois. A l’Ambassade du Congo, Visa de transit Aller et Retour pour me rendre à Brazzaville, au Cameroun et au Gabon. Ce visa n’autorise aucune activité lucrative et ne peut être prorogé. A la Sûreté Nationale on me fait remarquer que les Français ne sont pas des étrangers.

Jeudi 4 juillet : toujours à Abidjan.

Matin de 8h 30 à midi. A l’Ambassade du Congo Kinshasa, à Abidjan, également pour visa. Patience et langueur de temps font plus que force et que rage. Midi, repas à la Cathédrale avec le Père Trichet de Vitry.

16h. embarquement sur " Le Général Mangin ".

19h. départ pour Cotonou.

Samedi 6 juillet : à Cotonou, au Bénin.

8h. Arrivée à Cotonou, principale ville du Bénin. Descente rapide dans les rues principales. Impression de cité urbaine inorganisée. Embouteillage indescriptible.

11h. Retour sur le Mangin. Appareillons vers Pointe-Noire.

Dimanche 7 juillet : en pleine mer, entre Cotonou et Pointe Noire au Congo.

Le voyage sur la mer se passe dans de bonnes conditions ; mer calme ; bain de soleil sur le pont. Iles portugaises de Sao Tomé sur la droite ( tribord en terme maritime).

Lundi 8 juillet : Arrivée à Pointe-Noire.

Dernier jour à bord. 19h30, à la fin du repas, arrivée à Pointe-Noire. Après un petit tour en ville, retour vers minuit sur le bateau. Il fait froid.

Mardi 9 juillet : à Pointe Noire.

Le matin, après le petit déjeuner, je quitte définitivement " Le Général Mangin ".Je me rends à la Mission. Discussions intéressantes avec les prêtres des paroisses ; bonne ambiance.

Se sont bien adaptés après la Révolution.

Mercredi 10 juillet : à Pointe-Noire.

Messe concélébrée avec un Fidei Donum en repos. Je pense à mon frère Jean-Marie qui effectua plusieurs mois de son service militaire, dans l’armée de l’air, à la base de Pointe-Noire, quelques années auparavant. Je retrouve, dans le courrier conservé par mes parents, trois lettres écrites par Jean-Marie datées du 1er avril, 1er mai et du 13 mai 1962. Il y fit plusieurs sauts en parachute, avec au début une certaine peur. Après son septième saut, il dit : " c’est vraiment sensationnel, je vous dirai même que j’ai l’intention de continuer. C’est au poil ". Dans sa dernière lettre il annonce son retour sur Paris pour le 20 mai. Vive la quille !

Après-midi, plage et visite de le frontière portugaise de l’Angola .Enclave de Cabinda

Jeudi 11 juillet : de Pointe-Noire à Brazzaville, par le train.

6h. du matin, départ du train vers Brazzaville. Petite vitesse qui permet d’admirer la beauté du paysage. La forêt du " Maillon " est magnifique. Plus de 12 tunnels et de nombreux ponts. Au passage, je remarque des exploitations de potasse et la grande sucrerie de la S.A.N.entourée d’immenses plantations de canne à sucre.

20h.30, enfin, arrivée à Brazzaville. Je me rends à la mission. Bon accueil. De ma chambre, j’aperçois les lumières de Kinshasa qui se reflètent dans les eaux de l’impressionnant fleuve Congo.

Vendredi 12 juillet : à Brazzaville.

Le plâtre au bras droit m’empêche toujours d’écrire. Je fais connaissance avec le Père Guillou qui connaît Marie Le Gal. Après-midi, visite à la clinique ; plâtre allégé que je dois encore garder 9 jours ; déception, mais je peux de nouveau écrire. Libération. Je commence à rédiger mon carnet de voyage. J’écris lettres et cartes.

Samedi 13 juillet : à Brazzaville.

Visite des paroisses avec Guillou. 15 paroisses sur la ville. Manque une pastorale d’ensemble. Nouveau grand-séminaire près de l’usine textile chinoise.

Dimanche 14 juillet : encore à Brazza.

Courrier, lecture " Les enfants de Poto Poto " de Michel Croce Spinelli. Bien intéressantes ses réflexions sur la vie en Afrique. Mon bras va de mieux en mieux. Marche à pied à travers la ville européenne.

Lundi 15 juillet : toujours à Brazza.

Matin, lecture " Pour qui sonne le glas ? " d’Hemingway, racontant la guerre civile en Espagne de 1936.

Après-midi, sortie dans une mission en compagnie de Guillou, Linzolo, à 30 kilomètres de Brazza, où Mgr Augouard a rencontré Savorgnan de Brazza. Pays Lhari qui est resté fidèle à Fulbert Youlou, originaire de cette région.

Mardi 16 juillet : à Brazza.

Visite au marché africain. Partout des étalages sur table ; très peu par terre, comme à Bobo. Achat de cartes postales et de " L’Express " qui titre " Pompidou, le départ . " Photos de la cathédrale et de la mairie. Au retour, j’écris à Nicole et Jacqueline, deux laïques missionnaires, de Nice et de Lyon qui enseignent au Centre de formation pour jeunes filles d’Hamdallaye à Bobo et qui avaient eu la gentillesse de venir me saluer lors de mon départ à la gare de Bobo. J’envoie des cartes également à Mgr Dupont, à mes frères Roger et Guy à ma sœur Geneviève à Pantin, à tante Gisèle, à Jean Rabier.

Mercredi 17 juillet : vers Kinshasa

9h. Guillou m’emmène au " Beatch " où je vais embarquer pour me rendre à Kinshasa. La police tamponne mon visa. 9h30 , démarrage. La traversée de l’imposant fleuve Congo dure un quart d’heure. Je suis hébergé à la procure de la mission, chambre 18. Aussitôt, je sors en ville, pour découvrir les environs tout près du fleuve. Ville immense. Un monument aux morts de je ne sais quelle guerre, la gare, la grande avenue du 30 juin de je ne sais quelle année.

L’après-midi, le Père Dick, dominicain, journaliste à la D.I.A . (Documentation et Information Africaine) m’accompagne jusqu’à La Mission de France. Echange de vues intéressant. Différentes optiques de l’Eglise, paroisses, écoles etc. Statistiques de la ville qui passe en quelques années de 300 000 à 1 500 000 habitants. Ville la plus jeune du monde. Chômage déjà considérable. Qu’est-ce que cela sera dans dix ans ? Mgr Maury donne une réception avant son départ vers Reims. Il prend l’avion pour Rome, samedi.

Jeudi 18 juillet, à Kinshasa.

Courrier, mes parents, Clément à Soudron, Loilier à Somsois, König et Lydia Blödt à Schluttenbach. Monnaie congolaise, le zaïre et le makuta. Le zaïre vaut cent makutas.

Ce matin, j’ai aperçu un camion sur lequel était écrit " Eglise Kimbanguiste ", là aussi comme à Abidjan ( les Haristes) à Pointe-Noire (les Bougistes du Pape Zéphyrin) il existe une religion ou secte d’inspiration chrétienne qui manifeste un désir profond de voir apparaître un christianisme totalement africain.

Dans la soirée, le directeur de la D.I.A. m’accompagne en ville. Nous allons à la paroisse St Pierre, la plus importante des 35 que compte Kinshasa. Le curé est africain, les 2 vicaires européens. Discussion à bâtons rompus ; je retiens la défaillance des cadres que ce soit à Air Congo ou aux services des eaux ou de l’électricité. On fait de nouveau appel à des techniciens blancs. Tout est un peu désorganisé. Un peu partout, les missions accomplissent un gros travail de suppléance. Les prêtres européens sont mieux vus qu’avant l’indépendance ( acquise en 1960). Ils sont restés malgré les troubles.

Vendredi 19 juillet, toujours à Kinshasa

Je me rends à l’hôpital. Bon accueil des sœurs. Radios. On me délivre de mon plâtre. Ouf ! Je me sens beaucoup mieux, mais je n’arrive pas à tendre mon bras complètement. Avec le Père Dick, visite à l’Université de Lovanium. 2 000 étudiants venant, d’une quinzaine de pays. Impressionnant. Retour à Kinshasa. Statue de Stanley sur les rives du Congo…Ma première douche depuis 3 semaines.

Samedi 20 juillet, encore à Kinshasa.

Hôpital. Balade en ville ; photo du monument de la place de la gare. Flânerie en bordure du fleuve. Beaucoup d’usines. Contacts intéressants avec un groupe de jeunes Africains.

Dimanche 21 juillet, retour à Brazza.

Je paie ma note à la procure ; 8 zaïres, soit 4 000 C.F.A. 9h à l’embarcadère. Après un faux départ et un changement de batterie, on démarre. Un quart d’heure plus tard, je retrouve Brazza. Après-midi, sieste, bain de soleil et d’eau au " Club des caïmans congolais ".

Soir, après le repas, je règle mon séjour.

Lundi 22 juillet, je quitte Brazza.

6h.30, départ en train vers Mindouli où j’arrive à 9h. Je suis accueilli par l’Abbé Perel , fidei donum originaire de Viviers. Contacts avec un pasteur protestant suédois.

Mardi 23 juillet, à Mindouli et Jacob.

Par la micheline, je me rends à Madingou et en camionnette 403, le Père Defontaine m’emmène jusqu’à Jacob, où nous visitons la sucrerie de la S.I.A.N.( Société Industrielle et Agricole du Niari.) 15 000 hectares de cannes, 160 000 tonnes de cannes traitées par jour et 160 tonnes de sucre fabriquées par jour, soit un rendement de 10% ; 6 à 7 000 employés ; capitaux investis par les Grands Moulins de Paris ; une autre usine au Cameroun et au Tchad ; une usine en projet en Haute-Volta à Banfora et une en Côte d’Ivoire à Dabou. La ville de Jacob compte 22 000 habitants dont 3 000 de plus en un an. J’ai remarqué, parmi les camions qui assurent le transport des cannes les bennes remorques " Legras " d’Epernay.

Mercredi 24 juillet, à Jacob.

Messe concélébrée. Homélie " construire des communautés ". Jacob, futur évêché. 11h 45, à la gare. Train en retard. 13h 30,départ. 15h arrivée à Dolisie. Discussion avec Mr Carlos, métis Portugais : " l’Angola n’est pas une colonie, c’est un territoire portugais ".

Jeudi 25 juillet, le Gabon.

Voyage de nuit sur un " grumier ", camion qui transporte les grumes depuis le Congo vers les ports. Partis de Jacob à minuit, nous arrivons à la frontière gabonaise à Monkoro (le tampon sur mon passe-port en fait foi) à 5h30 après avoir parcouru 250 kilomètres. J’attends au poste frontalier de la gendarmerie. Peu à peu, le jour se lève. 8h, une occasion, je pars en Jeep jusqu’à Dendé à 35 kilomètres. Là, nouvelle occasion ; à 9h, un commerçant européen m’emmène jusqu’à Mouïla à 70 kilomètres. Tout va bien. Je me rends à la borne à essence de la ville. Justement, un camion part pour Lambaréné. Nous démarrons à 11h 30 ; arrêts tout au long du parcours pour prendre ou déposer des voyageurs. Arrêt à Foumagou. Vallée de l’Ogooué, belle traversée de forêts. 16h 30, arrivée à Lambaréné. Je paie le camionneur, 1 800 francs pour 200 kilomètres. Traversée sur le bac. Quelle journée ! Je suis vanné. Bonne nuit !

Vendredi 26 juillet à Lambaréné.

Lambaréné, c’est une étape obligée, étant donné la réputation du Docteur Schweitzer venu ici par philanthropie, où il fonda en 1913 un hôpital réputé.

Déclaration hier soir du Président Bongo pour fustiger les meurtres et assassinats ; prône la loi du talion. Se produisent encore des sacrifices humains rituels.

A l’hôpital, je rencontre la fille du Dr Schweitzer, mort ici en 1965. Visite de sa chambre laissée en l’état, du village des lépreux. Installations modestes, simples à l’africaine.

Samedi 27 juillet, Libreville.

Hier à 14h., un quatre-quatre de la société Mobil me prend en charge ; passage de deux bacs, poussière,60 kilomètres de goudron. 18h 30, arrivée à Libreville. Douche chez les frères de Saint Gabriel, repas d’adieu d’un frère de la coopération qui prend demain " le Leclerc ".

Ce matin, courrier, lecture de la Bible-Joseph en Egypte-, détente ; vais à l’aéroport prendre mon billet pour Yaoundé via Douala.

Dimanche 28 juillet, Libreville.

Ce matin, j’ai chanté la messe dans l’église de la paroisse St Pierre à 9h30. Mon sermon : " Construisons des communautés chrétiennes vivantes ". Repas fraternel en présence de Mgr Tchidimbo de Conakry. Visite en ville. Soir, lecture " L’apôtre du Congo, Mgr Augouard ".

Lundi 29 juillet, 15h. 25 à Douala au Cameroun.

Cela fait déjà un mois que je suis par monts et par vaux. Ce matin à 9h. 45 décollage du Jet Boeing D C 8. Nous survolons les nuages et 40 minutes plus tard, nous nous posons à Douala. Je fais un petit tour en ville en attendant de reprendre l’avion pour Yaoundé. A la procure, de retour d’un colloque théologique à Kinshasa, ai rencontré l’Abbé Anselme Sanon de Bobo, professeur au Grand-Séminaire de Koumi, qui devint par la suite, le premier évêque africain de Bobo et depuis peu, archevêque de cette même ville qui fut élevée au rang d’archevêché, depuis la création des diocèses de Diébougou et Banfora. Je passe au port, je retiens une place sur le cargo "  Tchibanga " qui doit partir la 1er août pour Abidjan.

Dans l’avion, en attendant le départ, j’aperçois une souris qui se promène sous les sièges d’en face. 16h. 30, décollage ; ¾ d’h. plus tard, atterrissage à Yaoundé. Je me rends à " La Source " tenue par "  les filles de Ste Odile. " Visite en ville, cathédrale, printania.

Mardi 30 juillet : Yaoundé, capitale du Cameroun.

Dans la matinée, départ en voiture, pour visiter les chutes Natchigal sur la Sanaga. Magnifique. Pique-nique. Soir, nouveau petit tour en ville. Soir, discussion avec un F.D. du diocèse de Moundou, au Tchad.

Mercredi 31 juillet, Yaoundé-Douala par le train.

Je quitte Yaoundé par le train de 8h. Nouvelle gare financé par le F.A.C. Sonorisation. Réflexion entendue : " C’est bien. C’est comme en France ! "

17h. 45, arrivée en gare de Douala. Logement à la procure des Spiritains. Le Tchibanga part demain dans la soirée. Une sœur de la R.C.A. (République Centre Africaine) fera partie également du voyage. Deux jours et demi pour atteindre Abidjan.

Jeudi 1er août, Douala.

Visite de la ville ; le musée, très bien ; la cathédrale ; photo de la statue du Général Leclerc. Départ prévu du cargo à 19h. Il faut attendre la marée haute pour sortir du port. Je me balade sur les quais. Je monte à bord. 19h. 30 repas, en compagnie de la sœur. Nous parlons de la R.C.A. , capitale Bangui. Les équipes enseignantes sont un bon soutien pour les maîtres. Tous les enseignants, qu’ils soient du public ou du privé sont payés directement par le gouvernement depuis quatre ans.

Vendredi 2 août, sur mer entre Douala et Abidjan.

Nuit calme. La vie en mer oblige à se mettre au ralenti. L’espace est limité. On se laisse bercer par le va et vient du tangage et du roulis. La cadence est donnée par le rythme régulier des machines qui tournent régulièrement dans un fond sonore endormant. Que faire ? Je passe à la bibliothèque où je retiens " Le zéro et l’infini " d’Arthur Koestler.

Il me semble l’avoir déjà lu. Mais je ne regrette pas de le relire dans le calme. Certains passages me rappellent des conversations avec Pierre Alause disant qu’en temps de guerre mieux vaut sacrifier une compagnie plutôt que de laisser une armée aller à la déroute.

Deux conceptions de la morale humaine s’opposent ; l’une d’elle est chrétienne, elle affirme que l’individu est sacré…l’autre, part du principe fondamental qu’une fin collective justifie tous les moyens. Page 176 Roubachof dit à Gletkin : "  Finalement, je plaide coupable d’avoir mis l’idée de l’homme au dessus de l’idée de l’humanité ".

Faut-il admettre, comme le dit Deng Xiaoping : "  peu importe que le chat soit noir ou gris, pourvu qu’il attrape les souris… " ? Peut-on affirmer que la fin justifie les moyens ? Je préfère dire avec le Cardinal Cardijn, fondateur de la J.O.C.  : " la vie de tout ouvrier vaut plus que tout l’or du monde ".

Samedi 3 août, sur mer entre Cotonou et Abidjan.

Nuit calme et reposante. Je termine la lecture du Zéro et l’Infini. Bien mené et fait réfléchir. Détails concernant le cargo : 5 000 CV ; 6 000 tonneaux. Soir, photo du coucher de soleil.

Dimanche 4 août, Abidjan.

Dans la nuit, vers 3 h. du matin, le Tchibanga, entrait dans le port d’Abidjan. A 9h. adieux aux officiers et matelots. Je garde un excellent souvenir de ces deux jours passés à bord. Douane et direction Notre-Dame de Treichville. Repas avec Mgr Yago, évêque d’Abidjan. Soir plage.

Lundi 5 août : à Abidjan.

Courrier ; courses en ville.

Mardi 6 août : à Abidjan.

16h. en gare de Treichville, départ pour Bobo en couchette.

Mercredi 6 août : De nouveau à Bobo.

Midi, arrivée à Bobo. Mr Armand, originaire des Vosges, employé au R.A.N. et qui habite près de la gare, me conduit jusqu’au C.A.S. Ouf ! Je suis content de rentrer, heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage.

Lecture du courrier. Lettre de Soudron, décès de Georges Gauvin, mariage de Nicole Weber. Communion de Dominique Loilier à Somsois. Colis de Geneviève. Lettre de Marie Le Gal, de Jacqueline, de Jean Bélières.

FIN DE L’ANNEE 1968 ET PREMIER SEMESTRE 1969 A BOBO.

 Ma décision était bien prise. Mon retour en France était programmé pour le mois de juillet 1969. Mon deuxième contrat de trois ans arriverait à son terme. La tentation de rester plus longtemps en Haute-Volta, m’avait bien fait hésiter. Je risquais alors d’avoir du mal à me réadapter à la vie dans le diocèse de Châlons.

La dernière année de mon séjour fut surtout marquée par la création du diocèse de Diébougou, ainsi que par la nomination et la consécration du nouvel évêque, Monseigneur Jean-Baptiste Somé, originaire de la région de Dano. Ce fut une joie immense pour le Pays Dagara, de voir un enfant du terroir devenir évêque. La fête fut à la hauteur de l’événement.

Diébougou se trouve à 170 kilomètres à l’est de Bobo, en direction du Ghana. Un câble téléphonique fut tout spécialement aménagé pour que " Radio Bobo " puisse retransmettre la cérémonie. Comme j’étais chargé des émissions religieuses, l’honneur me fut donné de commenter en direct l’événement. Une foule immense et enthousiaste suivit avec ferveur la liturgie du sacre et de la messe épiscopale, concélébrée par une dizaine d’évêques. Comment ne pas admirer les merveilles accomplis dans cette région, depuis à peine 60 ans, moment où sont arrivés les premiers missionnaires ?

Je me disais qu’il était bien dommage que l’annonce de la Bonne Nouvelle de l’Evangile n’ait pu se faire bien plus tôt. Les récits des missionnaires me faisaient penser parfois à des écrits bibliques, tel que celui du passage de la Mer Rouge. En ce pays où la survie dépend en grande part de la pluviométrie, un phénomène servit de déclencheur à un mouvement de conversion. Alors que les premières pluies de la saison tardaient à féconder les terres ensemencées, que les sacrifices de poulets restaient inefficaces, que le recours aux sorciers ne changeait rien à la situation, les Pères Blancs, arrivés depuis peu dans la région, invitèrent les gens des villages à organiser des prières et des processions pour demander au Dieu des chrétiens de faire tomber la pluie sur leurs terres desséchées. Et, oh ! miracle ! la pluie tant désirée et tant attendue fut au rendez-vous ! Est-ce pure coïncidence ? N’y a t’il pas eu une pichenette d’intervention providentielle ? Toujours est-il, que ce fut le point de départ d’un intérêt tout particulier porté à la parole de ces nouveaux représentants du Dieu de l’Evangile. L’immense joie qui se dégageait de cette foule rayonnante m’invitait à chanter les merveilles de la Providence.

Monseigneur Jean-Baptiste Somé vient , en ce printemps 2006, de céder sa place à un nouvel élu, un prêtre originaire de la paroisse de Dissin, Mgr Der Raphaël Dabiré. Trente évêques l’accompagnaient durant la cérémonie de son sacre qui dura sept heures…

Le 1er mars 1968, était décédée ma grand-mère Pia, à l’âge de 91 ans. Un télégramme envoyé par mes parents m’est parvenu le 4 au matin me permettant de m’unir de loin aux cérémonies d’inhumation qui eurent lieu l’après-midi à 15 h. C’est elle qui vécut le plus longtemps des sept enfants vivants du Tatass et de la Nana. Malgré tous les tracas et tous les soucis qu’elle connut avec la mort de son mari Gustave Bertus, à la guerre en 1915, l’incendie de sa ferme à Sainte-Marie, la longue maladie et la mort à 24 ans de sa fille Agnès, Mémé Pia mena sa vie avec résignation, certainement, mais aussi avec courage et grande patience, son tempérament calme et sa foi l’aidant à surmonter toutes ces épreuves. Je garde d’elle le souvenir d’une personne très accueillante et délicate. Elle repose dans le cimetière de Somme-Suippe, dans le même caveau que son père Stanislas Mauclert.

Une grande partie du courrier que j’ai adressé à mes parents et à mes amis Clément à Soudron, m’a été remis. En le classant par ordre chronologique je réussis à reconstituer le principal de mes activités. Le 27 mai 1969, j’écris à mes parents, pour souhaiter bonne fête des Mères à Maman et pour annoncer mon départ: " Je quitte Bobo, par le train, samedi 7 juin, en compagnie de Jean Rabier. Arrivée à Abidjan, le 8. Nous quittons cette ville, par avion, le 10 au matin. Je ferai escale de quelques jours à Madrid. J’essaierai d’aller visiter Tolède à 60 kilomètres ". De Madrid, j’écris le 10 juin que j’arriverai le dimanche soir à 19h30 Orly.

QUATRIEME PARTIE : 1969 – 1972 RETOUR EN FRANCE

LA READAPTATION.

Les retrouvailles se passèrent dans la joie. Je repris contact avec toute la famille. Bien des événements s’étaient produits ; Mémé Pia n’était plus là.

Dés les premiers jours, je rendis visite à Mgr Piérard pour le remercier de m’avoir permis de vivre ces six années extraordinaires en Afrique et pour envisager l’avenir. Pour l’immédiat il me conseilla de suivre une session d’approfondissement de 10 jours spécialement prévue pour prêtres en milieu rural.. Le 11 juillet j’écris, de Mours prés de Pontoise : " Nous sommes une quarantaine de prêtres venus de 14 diocèses différents…Au programme : Le crédit et les ruraux ouvriers…Le docteur Alause m’a écrit pour me donner des précisions sur la randonnée et en Post-Scriptum me signale qu’il est nommé Lieutenant-Colonel ".

Il me semble que c’est durant ce stage, en juillet 69, que les astronautes américains débarquèrent sur la lune. Je me revois, en compagnie de tous les participants au stage, regardant en direct à la télé cet exploit sensationnel, pour la première fois, des hommes foulaient le sol lunaire. Je vérifie sur le dictionnaire Hachette, oui, c’est bien cela, c’était le 20 juillet, lors de la mission Apollo XI.

Mours le 16-7-69 ; Chers Parents : " Samedi, j’ai reçu une lettre de l’Abbé Tournant me demandant de donner ma préférence sur l’un des deux projets suivants :

J’ai répondu aussitôt en donnant ma préférence pour la seconde solution.

Je pense rentrer le samedi 26… "

Par ce courrier de l’Abbé Tournant, l’avenir se précisait. Dès le mois de septembre, j’allais pouvoir prendre mes fonctions de curé à Marcilly et chercher du travail en usine à Romilly, toute proche, de l’autre côté de la Seine. Mais, durant le mois d’août, j’allais retrouver Pierre et Mylène Alause ainsi que des amis, pour ma seconde randonnée pédestre de 15 jours, dans les Cévennes. Mes parents me prêtèrent leur 403, et vive les vacances vers le Sud. Ambiance extra sympa, au contact permanent avec la Nature. Sac au dos, coucher sous la tente, toilette matinale au bord du ruisseau, échanges très variés au cours des marches dans un paysage de rêve, 15 jours de détente et de dépaysement.

Le 1er août, de Vallon- Pont d’Arc, j’envoie une carte à mes parents : "  Jusqu’à présent, tout va très bien. Je suis très satisfait des premiers contact pris à Marcilly et Saron. Je crois que je vais m’y plaire. Avec l’Abbé Gandon, curé voisin, à Saint Just-Sauvage, je suis allé jusqu’à Romilly pour prendre contact avec l’équipe sacerdotale de la ville. L’accueil fut des plus sympa. Mercredi soir, j’étais à La Dinasse (Puy-de-Dôme) dans la famille d’Alain Granet (mon beau-frère). Hier après-midi, mariage à Lyon, de Jacqueline qui travaillait à Bobo. Son amie, Nicole, de Nice, sa collègue de travail à Bobo, était là aussi, comme témoin. Nous avons, évidemment, reparlé des bons moments passés à Bobo. Ici, à Vallon-Pont-d’Arc, j’attends l’arrivée des randonneurs. Il fait beau… "

Le 11 août, nouvelle carte écrite de La Bastide Puylaurent : " Voici qu’approche le 15 août ! Bonne fête, Maman…Je profite d’une petite halte pour écrire ces quelques mots. Un orage gronde sur la gauche. Je suis assis, sur un banc, près d’un magasin. Toute l’équipe est dispersée, occupée à faire les achats pour assurer le ravitaillement des 3 ou 4 jours prochains. Tout va bien … ".

Durant cette seconde randonnée, je faisais de nouveau équipe avec Jean Bélières, originaire de Revel, en Haute Garonne et qui enseignait dans un collège à Brive-la-Gaillarde. Nous partagions la même tente et faisions popote ensemble. Il était d’une gentillesse extrême. Nous étions une quinzaine de campeurs et campeuses. Pierre et Mylène Alause avaient tout prévu, de sorte que tout se passait sans problème. C’est au cours de cette randonnée que je fis connaissance avec Odile Puel qui partageait sa tente avec une autre randonneuse.

PRÊTRE A MARCILLY – SUR – SEINE, SARON,

ET VILLIERS – AUX – CORNEILLES.

Sans tarder, dés la fin de la randonnée, je regagnai la Champagne, plus précisément Marcilly-sur-Seine, situé au confluent de la Seine et de l’Aube. Le presbytère se trouvait sur le quai de Seine, de sorte que de mes fenêtres, j’avais une vue imprenable sur le fleuve qui majestueusement laissait filer ses eaux vers Paris. Cette grande bâtisse avait certainement été léguée à l’évêché de Châlons par une pieuse paroissienne. Toujours est-il, que je me trouvais grandement à l’aise, bénéficiant en plus, d’une grande cour avec garage et d’un jardin bien exposé.

Ma première visite fut pour Mr Henry, cultivateur, maire du village et conseiller général du canton. Son franc-parler et sa simplicité me firent bonne impression. Assez rapidement je fis connaissance avec les paroissiens tout en assurant les services religieux.
C'est en faisant connaissance du maire de Villiers Aux Corneilles que j'appris le décès du général De Gaulle à Colombey les deux Eglises. Comme j'ai appris l'assassinat du président Kennedy en octobre 63 alors que je venais d'arriver à Bobo Dioulasso.

LE TRAVAIL EN USINE A ROMILLY – SUR - SEINE

AUX CHAUSSETTES " OLYMPIA ".

En même temps, comme il avait été convenu avec Mgr Piérard et les confrères du secteur, j’entrepris de rechercher du travail en usine. Dans une lettre écrite à mes parents le 26-10-69, je lis : " Le mardi 14 au matin, je me suis présenté à l’usine Jaquemard à Romilly qui fabrique les chaussettes de la marque " Olympia ". Cela s’est passé bien simplement. Je commence le travail chaque matin à 7 heures. Arrêt à midi. Reprise à 13h.30 jusqu’à 18h. Soit, 9h.30 par jour ; 47h.30 par semaine. Pas de travail le samedi. Ainsi, j’ai toute ma journée du samedi et du dimanche… je ne sais pas encore quel sera mon salaire. Je suppose que ce sera le S.M.I.G. ( salaire minimum garanti)…Pour ce qui est de vos inquiétudes à mon sujet, suite à ce que vous a dit Maître Armanini, ne vous en faites pas trop. Il est certain que je me trouve dans une situation qui peut susciter des questions…Il est vrai que depuis une dizaine d’années il y a eu bien des cas de prêtres qui ont changé d’orientation…Parce qu’ils vivent dans des conditions difficiles, ils sont condamnables et doivent tout abandonner. ! Il va être temps que les évêques envisagent des solutions convenables…D’ailleurs, il faut bien se dire qu’au train où vont les choses, il n’y aura bientôt plus de prêtres. En entrant au travail, je poursuis une œuvre apostolique et en même temps, je prépare la reconversion de la vie sacerdotale. Le prêtre doit être un homme parmi les autres, partageant la vie professionnelle, familiale et de loisirs comme les autres hommes…Que les évêques le comprennent, avant qu’il ne soit trop tard. Je me plais bien ici à Marcilly, dans ma situation actuelle. "

Cette entrée dans le monde du travail salarié fut un moment important. Cette démarche me propulsait dans un monde nouveau et élargissait le domaine de mes relations ainsi que de mes préoccupations. Je me sentais solidaire de toutes ces personnes qui passaient le plus clair de leur temps hors de chez elles, confrontées à des problèmes d’horaire, de conditions de travail pas toujours très faciles. Je n’étais plus maître de mon temps, comme auparavant.

Quelques jours après mon début de travail dans l’usine, je rencontrai dans un magasin, en faisant mes courses, la secrétaire de direction qui m’avait accueilli en vue de mon embauche. Elle m’avait demandé mon numéro de la Sécurité Sociale ; je n’en avais pas ; mes références d’emplois précédents ; aucune ; mon salaire dans mon dernier emploi ; je ne savais plus que répondre. Je suppose, que vue ma bonne mine, elle plaida ma cause auprès de la patronne, d’autant que je ne demandais qu’un poste de manœuvre, n’ayant aucune qualification. Elle me dit alors : " Savez-vous ce que j’ai pensé, quand vous vous êtes présenté au bureau, pour vous faire embaucher ? – Ce gars, ce doit être un repris de justice, qui sort de prison. " Elle avait tout faux.

Le 3 novembre, j’écris de nouveau à mes parents : " Cet après-midi, au cours du travail, une déléguée du personnel est venue nous demander notre avis pour savoir si on serait d’accord de faire le pont le lundi 10 novembre, le lendemain étant l’Armistice, jour chômé. Mais, pour rattraper ces deux jours sans travail, on travaillera la matinée du samedi, quatre semaines consécutives. De ce fait, je pense venir à Somme-Suippe le dimanche 9, aussitôt la messe. Je mangerai un sandwich dans la voiture, tout en roulant et pense ainsi, s’il fait beau, pouvoir chasser l’après-midi. Je rentrerai ici le mardi 11 à midi, car j’ai invité les confrères du secteur à venir arroser ma première paie, dans un petit restaurant coquet, au bord de l’Aube, à Saron, le 11 à midi et demi."

Le 16, j’écris de nouveau à mes parents : " Mon retour, mardi, s’est très bien passé. A midi et demi, nous étions tous les neuf prêtres du secteur pastoral de Romilly et Anglure, parmi eux trois confrères du diocèse de Châlons, Benoît Gandon, Bernard Branjon et Serge Chevalier, fidèles au rendez-vous à Saron, pour arroser ma première paie. Nous nous sommes quittés à 16h., bien réconfortés…Hier soir, j’ai mangé le sanglier et du potiron chez Mme Delavière. ( une dame âgée qui occupait une partie du presbytère) C’était très bon. "

Par ces flashs, je me remémore cette période intense, où je cherchais à profiter au maximum, de la vie, de toute la vie. Je n’avais pas le temps de m’ennuyer. J’assurais les offices religieux : les baptêmes, les mariages, les enterrements, les catéchismes dans les trois villages, les visites aux malades, les communions. J’essayais de maintenir le contact avec les jeunes, tout spécialement en jouant au foot avec eux. Mais, je n’avais déjà plus 20 ans, si bien qu’un beau dimanche soir, je me démis le genou, le gauche, cette fois. Dans la clinique de Romilly, il fallut m’opérer du ménisque interne gauche. Ce contre temps me désolait, mais qu’y faire ? Prendre patience.

Il me revient à la mémoire le jour où est décédé le Général Charles de Gaulle. C’est au cours d’une visite que je rendais au maire de Villiers-aux-Corneilles, que celui-ci m’apprit vers 11h du matin, cette nouvelle qu’il venait de connaître par la radio. C’était en novembre 1970.

Mon travail à l’usine Jacquemard me prenait bien du temps, mais me permettait d’établir bien des contacts avec le personnel, composé en grande partie de femmes qui travaillaient sans relâche sur leurs machines à coudre placées en rangs serrés. J’étais manutentionnaire. Je passais près de chaque ouvrière pour ramasser les chaussettes qu’elles avaient fabriquées et les mettre en sac. Il fallait aussi leur apporter les pelotes de laine ou de fil. Sur mes fiches de paie, je vois qu’en octobre 69 je touchais 3,34 frs de moyenne horaire. Depuis, tout cela a bien changé. Les salaires ont considérablement augmentés et les horaires passablement diminué. J’aurais aimé m’en tenir aux 35h de maintenant.

Ce lundi 6 novembre 2006, j’ouvre une parenthèse. En effet, hier soir passait à la télévision sur la chaîne M6 dans l’émission Zone interdite un reportage intitulé " Mon usine va fermer, une nouvelle vie commence ". Sur le programme télé, se trouve ce commentaire : " A Romilly-sur-Seine, capitale française de la chaussette, la direction de l’usine Olympia vient d’annoncer un plan social avec 169 licenciements et la délocalisation totale de la production vers la Roumanie. Chez les salariés, le choc est total. Les plus menacés sont les ouvriers de l’atelier de tricotage ou les bonnetiers, dont certains n’ont jamais quitté l’entreprise. Après Noël, les premières lettres de licenciements arrivent dans les foyers. Ensuite, direction la Roumanie où certains des ouvriers français ont accepté de s’expatrier ".C’est avec beaucoup d’émotion qu’Odile et moi avons regardé hier soir, cette émission catastrophe. Trente six ans après, bien des souvenirs de cette année passée dans l’usine Olympia, revenaient à la surface.

 

 

STAGE D’ELECTRICIEN AU CENTRE F.P.A. DE ROMILLY

Le 13 mars 70, je quittais les Etablissements Jacquemard avec un solde de tout compte de 449,37 frs. Entre temps, je m’étais adressé au Ministère des Affaires Sociales

en vue d’effectuer un stage de formation en électricité du bâtiment, puisqu’à Romilly se trouvait justement un Centre de F.P.A. ( Formation Pour Adultes). Je fus admis et convoqué le 23 mars 1970 à 8h.

Ce stage dura six mois, jusqu’au 24 septembre. Nous étions une quinzaine d’hommes, pour la plupart des jeunes. Un autre prêtre d’une équipe de la Mission de France accomplissait ce stage de formation en même temps que moi. Notre moniteur, Mr Baroin était net et précis. Il sut mener à bien son enseignement puisque j’ai été reçu à l’examen de fin de stage avec la mention Bien. Un certificat de formation professionnelle émanant du Ministère des Affaires Sociales me fut remis le 21 avril 1971. Par ce stage je découvrais une nouvelle approche de la vie professionnelle. J’étais habitué à manier des idées, restant dans le domaine théorique. Maintenant, j’étais dans le concret. Il ne suffisait plus de pouvoir dire et expliquer les choses, il fallait savoir travailler de ses mains, réaliser des travaux pratiques. Nous avions chacun notre petit compartiment où on apprenait à effectuer un branchement électrique en simple allumage, en va et vient … Une simple erreur était fatale, c’était le court circuit. Il fallait aussi apprendre à manier la truelle et savoir manipuler le plâtre. Bref ; je découvrais un monde nouveau.

 

TRAVAIL EN USINE AU " COQ SPORTIF  "

 

Ayant mon diplôme d’électricien en poche, je partis à la recherche d’un nouvel emploi où j’allais pouvoir exercer mes nouveaux talents. Un mois à peine après ma fin de stage, je fus embauché à la Société Nouvelle des Etablissements Camuset à Romilly autrement dit "  Le Coq Sportif ". Une des grandes spécialités du département de l’Aube est la Bonneterie. Je me retrouvais donc toujours au milieu des machines à coudre non plus pour fabriquer des chaussettes, mais des vêtements et des survêtements de sport.

De manutentionnaire je passais à la qualification d’ouvrier spécialisé 2éme échelon avec un taux horaire de 5,90 frs. J’étais affecté à l’atelier d’entretien où nous étions une dizaine d’hommes chargés de veiller à la bonne marche de l’usine. On ne chômait pas. Il fallait toujours être prêt à intervenir en cas d’une panne de machine, d’une coupure de courant. Entre nous s’établissait un profonde amitié.

Le rythme du travail, presque à la chaîne, était soutenu. Les femmes assises face à leur machine cousaient les habits de sport, des heures entières, avec une rapidité qui me fascinait. Notre travail à nous, hommes d’entretien, était plus varié et me plaisait passablement. Pendant un temps, je fus employé comme chauffeur. Je conduisais une camionnette pour aller livrer dans les villages environnants, du travail à domicile et en même temps reprendre les habits qui avaient été cousus. La période la plus intense eut lieu au moment du Tour de France, en juillet. Tous les matins, j’allais jusqu’à Troyes, à 60 kilomètres environ, pour mener les maillots des coureurs afin de les floquer, opération délicate qui consiste à imprimer avec des fibres textiles synthétiques les numéros ou les noms des coureurs sur chaque maillot. Inutile de vous dire que tout cela me plaisait infiniment ; que je me sentais bien inséré dans la vie et que j’ y trouvais mon épanouissement.

Mon travail au Coq Sportif dura deux ans presque jour pour jour, du 26-10-70 au 27-10-72, jour où je signai mon solde de tout compte et où me fut remis mon certificat de travail d’O.S. 2ème échelon.

 

CINQUIEME PARTIE :1972–92 CHANGEMENT D’ ORIENTATION

" Dieu écrit droit avec des lignes courbes "

(Proverbe espagnol ou portugais)

CAP SUR LE SUD, LE SOLEIL, MARSEILLE.

 

Pourquoi, me direz-vous, quitter cet emploi au " Coq Sportif " où je me sentais si bien ? C’est que cette idée du prêtre partageant toute la vie des hommes, y compris la vie familiale, me poursuivait. Depuis mon retour d’Afrique, plusieurs fois, me fut donnée l’occasion de rencontrer Mgr Piérard et de lui faire part de mes réflexions et de mes désirs. Sa volonté de garder le contact avec moi était évidente, mais il me faisait savoir qu’envisager le mariage des prêtres en France n’était pas possible tant que Rome ne donnerait pas son feu vert. Ainsi la situation était bloquée. Attendre que le Vatican autorise ce changement ? Oui bien sûr. Ce serait la bonne solution. Mais, pendant combien de temps ? Je risquais fort d’être mort avant que cela ne se réalise. Ma résolution se précisa petit à petit. Finalement je décidai de quitter le ministère à Marcilly, après avoir célébré la fête de la Toussaint et les cérémonies du Jour des morts, soit le 3 novembre. J’adressai une lettre à Mgr Piérard pour lui faire part de ma décision, tout en regrettant de ne pouvoir continuer mon ministère sacerdotal qui restait toujours ma vocation profonde, à savoir faire connaître, aux hommes de ce temps, la Bonne Nouvelle, c’est à dire le message d’amour et de fraternité, que nous a apporté Jésus-Christ à travers les Evangiles.

"  ECHANGES ET DIALOGUE "

Le 3 novembre 1968, une lettre signée par quarante cinq prêtres de France est envoyée massivement à d’autres prêtres en vue de créer une assemblée pour aborder les problèmes de fond de la vie et du ministère des prêtres : " Prêtres de qui ? Prêtres, pourquoi ? Prêtres comment ? "

Il s’agit d’organiser un mouvement qui s’exprime collectivement par des actes : le premier de ceux-ci est "  la décision de travailler normalement " et aussi de rompre avec la condition de fonctionnaire du culte, payé par le culte. D’autres sont proposés : s’exprimer librement, prendre des engagements politiques ou syndicaux, accueillir l’éventualité de prêtres mariés, exercer le droit à la délibération et à la décision dans l’Eglise… "

Le mouvement grandit très vite. L’histoire a retenu que ces prêtres, dits "  contestataires " revendiquaient la liberté de se marier, de travailler, de s’engager socialement et politiquement. L’objectif était plus large : c’est la prise de conscience par chacun, d’être de fait, dans un même mouvement, engagé dans un combat mondial pour la liberté et le respect.

En avril 1970, fut organisée une rencontre nationale à Dijon. J’ai eu la joie de pouvoir y participer. L’ambiance, d’une ferveur incroyable, reflétait bien le sentiment que les problèmes que chacun se posait individuellement correspondaient véritablement à une attente générale. Le thème retenu était : "  Nous n’acceptons de vivre notre foi qu’en étant en prise directe sur les problèmes des hommes d’aujourd’hui, dans l’Esprit de l’Evangile. "

 

ECHANGE DE LETTRES AVEC MONSEIGNEUR PIERARD.

Permettez-moi, au risque de me montrer trop indiscret, de retranscrire l’échange de lettres avec Mgr Piérard à ce moment décisif de ma vie. J’hésite à le faire ; mais cela me semble souhaitable, pour que tout un chacun puisse bien ressentir le fond du problème qui s’est posé à moi, mais pas seulement à moi, car bien d’autres confrères, hélas, vécurent des situations semblables. Vous me direz si j’ai eu tort.

Le 21 septembre 1972, j’écris de Marcilly , à Mgr Piérard, évêque de Châlons :

Monseigneur,

Voici venu pour moi, le moment que je redoutais tant et que j’ai repoussé le plus longtemps possible, de vous demander, pour un temps indéterminé, ma mise en disponibilité.

Vous avez pu remarquer, ces dernières années, les divergences de vue qui ne cessaient de nous séparer. Pour le dire nettement, la communion réclamée par les évêques de France dans un document des années dernières, n’existe plus entre nous. Nous avons eu deux ou trois fois, l’occasion de dialoguer. Mais qu’en est-il advenu ? Lorsque l’accord n’existe plus sur des questions fondamentales, on se soumet ou on se démet. Je ne peux plus me soumettre.

J’espérais que petit à petit, les choses évolueraient favorablement et qu’un jour, il serait possible de se retrouver en état de communion fraternelle. Mais plus le temps passe, plus les positions de l’Eglise se durcissent.

Vatican II fut l’amorce d’un véritable aggiornamento qui laissait espérer que le visage de l’Eglise allait changer. Je me réjouissais, étant alors à Bobo-Dioulasso, de voir la possibilité de vivre pleinement la vie des hommes, tout en étant prêtre. Car, depuis un certain temps, je sentais le décalage qui existait entre les conditions de vie qui nous étaient prescrites, à nous prêtres, et celles de la majorité des gens qui vivaient dans le monde. Dés lors, il devenait de plus en plus difficile de comprendre les hommes de ce temps et de leur apporter valablement le message évangélique. Il faut être levain dans la pâte, homme parmi les hommes.

Le rôle d’aumônier d’Action Catholique, conçu essentiellement comme animateur spirituel des laïcs, me parut, peu à peu, dépassé. Pourquoi, en effet, maintenir ces catégories : prêtres-laïcs. La remise en valeur du baptême, permettant à tout baptisé d’exercer le sacerdoce commun des fidèles me faisait pressentir que tout chrétien est à sa manière " Alter Christus ", partageant le sacerdoce unique du Christ. Bien sûr, le sacerdoce ministériel reste toujours nécessaire, mais appelait des réformes nécessaires, qui ne sont pas venues.

Le Synode de novembre 1971 avait inscrit ce grave problème à l’ordre du jour. L’acuité de la question était donc bien ressentie par de nombreux évêques, dans le monde. Là encore, l’espoir de voir des solutions apportées aux problèmes que se posent de nombreux prêtres, actuellement, fut sans lendemain. J’ai eu l’impression très nette, à la clôture du Synode, avec beaucoup d’autres prêtres, d’un pas en arrière. Dés lors, pour moi, la décision était prise. Pourquoi attendre indéfiniment des améliorations au statut sacerdotal ? La conclusion à en tirer était claire. Puisque la voix du " bas clergé " n’était pas entendue, pourquoi continuer à vouloir se faire comprendre ?

Peut-être que d’ici dix ans des modifications interviendront. Et alors, je me dirai :   " Pourquoi ces améliorations ne se sont-elles pas faites plus tôt ? J’ai fait partie de la génération sacrifiée. Si j’avais su, j’aurais pris mes dispositions… " Je les prends maintenant pour ne pas avoir à le regretter plus tard.

Il me semble que les autorités responsables n’ont pas été à la hauteur de leur tâche. Ce fut certainement, parfois, le sentiment que durent éprouver des troupes qu’on menait à la bataille, en voyant que les officiers n’avaient pris toutes les dispositions adéquates. Le Christ était attentif à la vie des personnes, à leurs difficultés quotidiennes. Pour Lui, les personnes humaines passaient avant l’observation scrupuleuse des règles rigides du Sabbat.

Un dernier point qui me semble important, c’est celui d’une certaine démocratisation dans l’Eglise. En effet, comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, je constate encore le fossé qui se creuse entre les organisations profanes et les structures de l’Eglise. Alors que partout dans le monde, les personnes désirent devenir responsables, nous maintenons, dans l’Eglise, un mode de gouvernement monarchique.

La consultation organisée cette année dans notre diocèse, pour préparer la désignation de votre coadjuteur, m’avait permis, en lien avec d’autres confrères, de donner mon opinion, à ce sujet. Vous aviez promis de publier notre texte dans " Foi et Vie ", après la clôture de la consultation. Je n’ai jamais rien vu paraître…

Le décret venu de Rome, peu de temps après, déconseillant toute consultation publique, me confirme dans l’idée que le mouvement actuel va dans un sens de raidissement ne permettant pas de grands espoirs pour l’instant.

Toutes ces raisons, conjuguées avec d’autres encore, m’ont amené à la décision de prendre congé, pour un temps indéterminé.

Pensez bien, Monseigneur, que ce n’est pas de gaieté de cœur que je fais cette démarche.

Depuis trois ans, je travaille à Romilly. Je me sentais bien intégré à cette région. C’est au moment où je me sens bien inséré dans le monde que je m’aperçois que l’Eglise est bien loin. Je comprends, dès lors, que bien des personnes se sentent étrangères à l’Eglise, car Celle-ci se trouve bien loin de leurs préoccupations fondamentales.

C’est l’éternel problème. Comment faire le lien entre la vie et la foi ? Comment aider les hommes de ce temps à rencontrer Jésus-Christ ? Je pense pouvoir le faire. En tout cas, je suis bien décidé à aider, dans la mesure du possible, les personnes du monde actuel à découvrir le Christ, à vivre de son Message d’amour et de sa Bonne Nouvelle.

Je ne regrette pas tout le travail que j’ai essayé de faire avec mes pauvres moyens, tant dans le diocèse de Châlons que dans le diocèse de Bobo-Dioulasso et de Troyes. Non, je ne regrette rien. Je regrette de ne pouvoir continuer à le faire dans les circonstances actuelles.

Je tiens à vous remercier pour toute la sollicitude paternelle que vous avez eue à mon égard.

Veuillez croire, Monseigneur, en mes sentiments respectueux.

Signature

P-S : Si vous le désirez, je suis prêt à vous rencontrer pour voir comment envisager l’avenir.

La réponse de Monseigneur Piérard ne se fit pas attendre. En effet, quelques jours plus tard, je recevais cette lettre datée du 26 septembre 1972 :

Cher Michel,

Vous vous en doutiez : votre lettre m’a profondément ému.

Et comme il faut toujours faire, j’ai commencé par prendre conscience de ce que je devais me reprocher à votre égard ; j’étais pasteur et je n’ai pas su garder…

Sans doute dans la première partie de votre vie sacerdotale je vous ai " commandé ", en croyant faire face à des besoins réels, jusqu’à cette épreuve de Somsois, "  terre aride ", avant de vous donner le feu vert pour Bobo-Dioulasso…Il me semblait que là, vous aviez efficacement témoigné de l’amour de Jésus-Christ. Cela, vous l’avez senti, n’est-ce pas ?

Et vous revenez d’Afrique. Je vous voyais en responsabilité diocésaine d’Action Catholique Rurale. Vous avez décliné cette perspective : j’ai reconnu votre position, je vous ai proposé Marcilly dans le contexte de Romilly et d’une équipe valable de prêtres à St Just et à Anglure. Vous avez souhaité le travail : en reconnaissant votre personnalité, vos ressources, votre droiture, je n’ai mis aucun frein à votre projet, regrettant seulement que vous n’ayez pu profiter de la préparation mise en œuvre en 1966. Je devais vous aider à assumer la condition de prêtre au travail en liaison avec l’équipe de prêtres et un laïcat… Alors, je me suis cru dégagé d’une responsabilité qui aurait fait double emploi si je puis dire. D’autre part, je savais combien comptait pour vous votre communauté de Marcilly-Saron : on s’accordait à dire que vous la serviez parfaitement.

Voilà les réflexions que m’a inspirées la première partie de votre lettre. Il y a ensuite la contestation " Echange et Dialogue " de l’Eglise aujourd’hui…Quelles que soient vos décisions, je désire ardemment avoir avec vous la rencontre que vous me proposez. Je suis libre samedi après-midi et j’imagine que vous êtes libre aussi. Ou bien je vous reçois, ou bien je vais vous voir à 15 heures : à votre gré.

Samedi sera le 30. Jeudi et vendredi j’aurai prié pour les Michel, les Gabriel, les Raphaël.

Je suis affectueusement vôtre en Jésus-Christ, notre Seigneur.

René-Joseph Piérard.

Cette lettre me laissait assez perplexe. Monseigneur faisait son examen de conscience, son autocritique sur son attitude à mon égard. Je ne lui reprochais rien personnellement. Je savais que mes demandes dépassaient son domaine propre. Nous étions dans une impasse, jonglant sur des malentendus.

Le samedi suivant, comme convenu, je me rendis à l’évêché de Châlons. Cette rencontre nous permit d’échanger à nouveau nos points de vue. La conversation fut franche et cordiale tout à la fois. Mais aucune solution ne fut trouvée.

Au cours de la semaine qui suivit, je reçus une dernière lettre de Monseigneur.

L’évêque de Châlons le 9 octobre 1972

 

Cher Michel ,

 

Durant notre conversation de Samedi j’ai " tenu le coup " de mon mieux par volonté de vous accueillir, de vous entendre… Et puis, après votre départ, la réaction s’est produite : je n’avais donc pas su vous crier au nom du Christ l’appel capable de vous " convertir "…

En repassant notre conversation, ceci m’apparaissait : sans doute au point de départ de votre vocation y eut-il de votre part volonté de don, de don total au Christ et aux " âmes "…et voici qu’au point actuel de votre vie (pardonnez-moi si j’exagère) il semble que le souci de vous-même l’emporte sur l’amour du Christ et le service des hommes …

Je pense à un autre moment de notre dialogue, quand je vous ai demandé si, dans la vie de travail que vous avez choisie, vous avez pu " annoncer Jésus Christ ". Vous avez un peu réfléchi et vous avez dit qu’en sachant prêtre celui qui partageait leurs efforts, leurs difficultés, vos compagnons de travail pouvaient faire un rapprochement et reconnaître une certaine présence d’Eglise. Je ne vous dis pas que c’est peu : je sais assez les énormes difficultés que rencontre " l’apôtre " isolé pour dire quelque chose de valable au monde ouvrier dans le cadre du travail. ( ce monde est autrement abordable hors l’entreprise). Mais, je me demande : quel est le bilan d’évangélisation de Benoît, de Serge, de Bernard, qui touchent à longueur de journées des enfants et les parents de ces enfants, des adolescents, des jeunes en C.E.G. et en mouvements, prêtres qui ont largement ces relations pastorales qu’avec beaucoup de courage vous vous êtes d’abord efforcé d’avoir à Marcilly-Saron…

Cher Michel, me direz vous que je me trompe en ces réactions ? Votre drame n’est-il pas de vouloir rechercher une réussite personnelle hypothétique au lieu de faire réussir le Christ qui passe par ses prêtres auprès des hommes qui ont besoin de la médiation du prêtre ? En croyant réussir votre vie, n’allez-vous pas la rater ? Le célibat vous est devenu insupportable ? Ne peut-il être encore porté par vous comme une expression d’amour !! comme un signe de Jésus-Christ, comme un moyen d’union à Dieu et de totale disponibilité active aux hommes. Je suis prêt à vous proposer tel nouveau ministère qui vous permettrait de vous redécouvrir…

J’arrête cette longue lettre. Que la Vierge Marie vous dise au cœur mieux que ce que j’ai pu vous dire. Affectueusement vôtre.

René-Joseph Piérard.

 

JE QUITTE MARCILLY

L’incompréhension perdurait . Monseigneur ne prenait pas suffisamment de hauteur pour reconnaître la nécessité pour l’Eglise, dans son ensemble, de faire sa mutation. Il restreignait le problème que je posais à mon cas personnel, à mon manque de générosité, qu’il estimait moins grande qu’en mes années de jeunesse, se refusant de voir au delà. Il m’aurait paru judicieux de sa part de reconnaître la réalité de la situation que j’essayais de lui faire saisir et de s’engager, à son niveau, de la faire évoluer dans le bon sens en prenant en compte le drame que vivaient bien des prêtres, des religieux et des religieuses. Ce monolithisme ecclésial me devenait de moins en moins supportable.

En cette période troublée de ma vie, j’avais tenu à mettre au courant de ma décision, un homme en qui j’avais grande confiance, que j’avais eu l’occasion de côtoyer durant les réunions de " Grande Culture ", mouvement d’Action Catholique spécialisée s’adressant aux exploitants agricoles gérant des entreprises d’une certaine importance. Cet homme est Alain Delaunoy dirigeant avec son frère Guy l’ensemble agricole de " La Certine " près de Vitry-le François. En réponse à la lettre que je lui avais envoyée quelques jours plus tôt, je reçus ce courrier :

La Certine le 30-10-72

Cher Michel,

Avez-vous pu craindre sérieusement une seconde une réaction négative de ma part ? Je dois même dire que votre lettre ne m’a pas étonné, ni moi, ni Guy, ni nos épouses. Vous avez agi en conscience , en totale loyauté avec vous même, après bien des combats intérieurs que vous serez toujours seul à connaître exactement, mais dont je devine facilement le poids, et je vous connais assez pour savoir de toute évidence que vous n’avez pas cédé à la facilité, mais au contraire à une exigence supérieure qui vous rendait insupportable de vivre dans un monde ecclésiastique " hors du monde ", en tous cas, hors de la vie commune de tous vos frères. Comment ne pas le comprendre ?

Chacun d’entre nous est confronté aujourd’hui à des choix de cet ordre et … nos enfants nous y aident merveilleusement. Il faut et il suffit d’être attentif à la vie plus qu’aux traditions, et respectueux de tout être dans l’expression de ce qui le meut, plutôt que de structures et de soi disant lois qui, en fait, ne peuvent que perpétuer un passé totalement inadapté, et donc préparer des affrontements dramatiques.

Ama et fac quod vis. ( Aime et fais ce que tu veux – St Augustin). Michel, vous savez que telle a toujours été ma seule règle. Croyez que je serais heureux, si l’occasion nous permettait de nous rencontrer et de bavarder un peu à cœur ouvert, comme toujours.

Avec toute mon amitié.

  1. Delaunoy.

Inutile de vous dire combien cette lettre me fut d’un grand réconfort, au point que je l’ai conservée. La retranscrire aujourd’hui m’est plus qu’agréable. Je m’aperçois qu’avec le temps, en 2006, 34 ans plus tard, elle n’a pris aucune ride ; elle est plus que jamais d’actualité. Comment ne pas remarquer la différence de tonalité en comparaison des lettres précédentes ?

J’ai appris, par la suite, qu’un paroissien de Marcilly, Mr Philippe Vergez, excellent ami, par ailleurs, fit parvenir quelques jours après mon départ la lettre suivante à Mgr Piérard :

Monseigneur,

L’Abbé Michel Galichet nous a fait part à tous, de sa demande de mise en disponibilité pour un temps indéterminé, qu’il vous a transmise et nous a donné communication de la lettre qu’il vous a adressée dans ce sens. Nous avons parfaitement compris sa position et je viens, par la présente, vous faire savoir qu’une majorité de la population locale, dont je suis le porte-parole, continuera à apporter sa confiance à Michel Galichet. Si je me permets d’être ici leur interlocuteur, c’est qu’en plus des raisons purement religieuses, Michel était et reste mon meilleur ami.

De plus, au cours d’une réunion de laïcs, nous avions émis en commun, notre intention de vous adresser une pétition demandant à l’évêque que vous êtes, de se pencher davantage sur le rôle des prêtres au 20èmesiècle et sur leurs conditions de vie. A quoi bon ? Nous n’avons rien à dire ! Les laïcs restent en dehors de ces problèmes et ce n’est pas le synode de Lourdes qui le démentira. Michel Galichet, à notre sens, a compris le problème actuel. Pourquoi n’y a-t-il plus, depuis plusieurs années, de vocations, tant dans votre diocèse que dans une majorité d’autres ? Parce qu’actuellement, les conditions requises sont périmées. On admet qu’un prêtre puisse conduire une voiture, travailler, vivre avec les autres, mais pas qu’il puisse se marier s’il le désire.

Qu’attendent les évêques ? L’obstination est sœur de l’orgueil et il sera peut-être trop tard quand l’autorité ecclésiastique réagira. Plutôt que de sombrer dans un absolutisme dépassé, il serait temps que l’Eglise ouvre les yeux. Au 20ème siècle, les laïcs doivent pouvoir parler et décider. A qui appartient l’Eglise ? A tous. Que tous décident et pas seulement les évêques dont l’autorité est, vous le savez, contestée journellement par les prêtres et les laïcs.

Nous nous rendons bien compte que notre lettre de ce jour sera sans doute détruite dès réception. Ce qui appuiera notre position. Nous ne voulons pas provoquer de différends, mais qui est responsable aujourd’hui du départ de l’Abbé Galichet ? En tout cas, pas les laïcs. Nous prierons donc le Seigneur pour qu’Il inspire ses représentants sur terre, avant qu’il ne soit trop tard…

Avec l’espoir que vous aurez bien voulu prendre connaissance de cette lettre, nous vous prions d’agréer, Monseigneur, nos salutations très respectueuses. "

Philippe Vergez.

Un grand merci à Philippe pour cette démarche courageuse. Il n’a jamais reçu de réponse. Mais, peut-être que cette lettre a dissuadé Mgr Piérard, de venir prendre sa retraite à Marcilly, comme il me l’avait laissé entendre, pour combler le vide et marquer sa volonté de colmater les brèches, sans se rendre compte que ce sont les fondations qui ont besoin d’être restructurées.

ET LA FAMILLE… dans tout çà !

En effet, une autre épine se présentait à moi : comment faire part de ma décision à ma famille, mes parents d’abord, mes frères et ma sœur, ensuite ? Comment allaient-ils réagir ? Auraient-ils une attitude compréhensive ou au contraire une sorte de rejet, me méprisant pour manquement à mes engagements et m’accusant de rendre difficile, auprès de leurs enfants, leur tâche d’éducation à la foi ? J’avoue que j’étais mal à l’aise et que j’appréhendais ces moments difficiles.

Mes parents se rendaient bien compte que depuis un certain temps je désirais orienter ma vie autrement, aussi bien à travers les lettres que je leur adressais, qu’au cours des conversations que j’avais avec eux. Si bien que le soir où je leur fis part de ma décision, ils ne furent pas tellement étonnés. Ils se posèrent même la question de savoir s’ils n’avaient pas trop fait pression sur moi lors de mon entrée au séminaire et tout au long de ma formation. Je les ai rassurés sur ce point. Je savais qu’ils étaient heureux de me voir devenir prêtre, mais ils surent ménager mon libre choix.

Pour mes frères et ma sœur, la réaction fut également positive. Tout en regrettant de me voir prendre cette décision, ils comprenaient que les changements attendus dans l’Eglise seraient longs à se réaliser. J’ai remarqué, toutefois, sur leurs visages une certaine tristesse. Je garde tout spécialement le souvenir du moment où j’en ai fait part à Guy et Jean-Marie, car les circonstances étaient un peu spéciales. Je m’explique : Le saint patron du village de Somme-Suippe est Saint Denis dont nous célébrons la fête le 9 octobre. La fête patronale du village a lieu le premier dimanche qui suit. Et la coutume voulait que le jeudi qui précède, tous les chasseurs des 3 ou 4 coupons, ce qui représentait environ 20 à 25 fusils, organisaient une battue générale sur l’ensemble du territoire de la commune et invitaient d’autres chasseurs parents ou amis. Papa m’avait invité ainsi que Guy et Jean-Marie. De plus, j’avais fait venir avec moi trois chasseurs de Marcilly avec qui j’avais l’habitude de chasser, Michel Henry , Philippe et Xavier Vergez. Avec les traqueurs cela regroupait plus de cent personnes. Avant de commencer la chasse proprement dite, nous avons eu droit à un petit discours du président de la société de chasse du village pour rappeler les règles élémentaires de sécurité au cours d’une partie de chasse. Je n’ai retenu qu’un passage : "  quand on est con, c’est pour longtemps ". La journée fut magnifique, le gibier abondant, surtout des lièvres et des perdrix, si bien que les coups de fusil retentirent à tout bout de champs.

En fin de journée, alors que certains usaient encore quelques dernières cartouches sur un nuage d’étourneaux passant à haute altitude, à proximité du bois de Guêmes, pas loin de la voie ferrée, je pris à part, l’un après l’autre, Guy et Jean-Marie pour les mettre au courant. entre " quat’z yeux ". Ils restèrent silencieux, ne sachant trop que dire. Je les comprenais.

Il me fallait aussi mettre au courant de ma décision les paroissiens et tous les habitants de Marcilly, Saron et Villiers, en leur expliquant le pourquoi et le comment. Je ne voulais pas donner l’impression de me sauver comme un voleur. Je rédigeai une lettre ouverte que je polycopiai et fis distribuer abondamment. En voici le texte :

Marcilly-sur-Seine Toussaint 1972

Chers Amis,

Vous avez appris, ces jours derniers, ma décision de quitter Marcilly- Saron – Villiers et le secteur d’Anglure. Cela fait trois ans que je vivais parmi

vous. Je vous remercie beaucoup pour votre accueil. Assez rapidement, vous m’avez adopté.

Et puis, voici venu le moment de partir. Partir, c’est mourir un peu.

c’est s’arracher à un pays, à des habitudes, à des connaissances, à des amis.

J’ai essayé de vivre parmi vous dans la simplicité, dans la camaraderie.

J’ai essayé de rendre service, de me mettre à votre disposition.

J’ai essayé de communiquer ma foi en la Vie, ma foi au Christ et à son message d’Amour qu’est l’Evangile.

Si j’ai pu offusquer l’un ou l’autre, ou blesser quelqu’un par mes paroles, je m’en excuse et en demande bien pardon.

Je pars ; j’aurais pu rester. Je n’ai rien contre personne ici. Mais comme je l’ai écrit à Monseigneur Piérard, j’estime que les conditions dans lesquelles on oblige les prêtres à vivre actuellement sont dépassées. Bien des prêtres ont connu des difficultés. Souvent, ils ont vécu des situations dramatiques.

Je continue à croire au Christ et suis toujours décidé à travailler pour que son message de paix, de justice, d’amour et de fraternité se répande davantage.

Oeuvrons tous, là où nous sommes, pour que se construise un monde où il y aura plus d’entente, de foi et d’amour.

Je reste prêt à reprendre du service le jour où il y aura du changement.

Je ne vous oublierai pas. Je vous reste uni.

Michel Galichet.

Ce premier novembre 1972, j’ai célébré pour la dernière fois les cérémonies de la Toussaint, et le lendemain, du jour des défunts. Tout en priant pour tous ceux qui nous ont quittés, je fis mes adieux dans une ambiance de tristesse, mais avec une foi en la vie et en des jours meilleurs.

Durant la semaine précédente j’avais mis un peu d’ordre dans le presbytère. J’avais brûlé dans le jardin les papiers que je ne pouvais pas conserver. J’avais transporté vers Soudron, chez les amis Clément quelques ustensiles de cuisine et de l’outillage de jardinage. Et le matin du trois ou du quatre novembre je quittais Marcilly, Romilly et le secteur d’Anglure, non sans un serrement au cœur, dans ma petite 4 L.

Je me rendis à Somme-Suippe près de mes parents pour leur dire au revoir et leur demander de ne pas se désoler de ma décision. Surtout qu’ils ne se fassent pas de souci pour moi. Je ne partais pas à l’aventure. Je me rendais à Marseille, près d’Odile Puel qui m’attendait dans son petit logement. Que bientôt je trouverai bien du travail. Que je ne les oublierai pas, que je désirais conserver des liens avec toute la famille, que je les tiendrai au courant de ma situation et que Marseille, ce n’est pas à l’autre bout du monde.

 

LES RANDONNEES PEDESTRES.

Je partais donc vers Marseille où, je pouvais compter sur l’accueil d’Odile qui était éducatrice spécialisée près d’enfants handicapés au Centre Saint-Thys dans le 10 ème arrondissement de la ville. Comme je l’ai déjà mentionné précédemment, c’est au cours d’une randonnée pédestre que nous avons fait connaissance. C’est pourquoi, je voudrais m’attarder un peu sur ces merveilleux temps de vacances qu’il m’a été donnés de vivre en compagnie de bien des amis.

C’est au cours de mon séjour à Bobo que j’entendis parler pour la première fois de ces randonnées pédestres de 15 jours. Parmi les Européens qui vivaient dans la ville, je me liai d’amitié avec Pierre et Mylène Alause qui me firent découvrir le mouvement Vie Nouvelle, composé pour la plupart, d’anciens scouts et d’anciens routiers. Durant leurs vacances, Pierre et Mylène, originaires de Saint Guilhem-le-désert, près de Montpellier, organisaient des randonnées dans le sud de la France. Ils m’invitèrent à me joindre à eux avec une quinzaine d’autres amoureux de la nature.

Pierre et Mylène étaient les initiateurs de ces randonnées. Ils avaient le souci d’allier l’effort physique au ressourcement intellectuel et spirituel, selon la formule bien connue en latin " mens sana in corpore sano " -une âme saine dans un corps sain- (maxime de Juvénal).

J’ai retrouvé dans mes archives - je suis conservateur en certains domaines - des réflexions, sur trois pages, que Pierre nous a fait parvenir en mai 1969. Voici quelques extraits de sa prose, débordante de philosophie : " Serait-ce temps perdu et peine que de faire un instant halte sur sa route de vie, pour se retrouver soi-même, se définir, s’affirmer, se construire, exprimer au plus profond, tout ce que l’on voudrait être et naître ? …Nous voici retombés dans la vie la plus primitive, et les besoins élémentaires. Quinze kilos de confort nous éreintent le dos : beaucoup et si peu à la fois. Mes forces sollicitées avant que mon esprit. Retour à la bête sauvage, régression, retour en arrière ? voire…Etes-vous si certain que la vie confortable des villes et son surmenage nerveux ont promu en vous un homme supérieur ? Pas nécessairement. Serait-on plus intelligent parce qu’on a des muscles mous et un ventre gras ? A-t-on l’esprit plus libre parce que l’on dispose de la télévision ou d’une machine à découper les rosbifs ? Je n’en suis pas si sûr.

Un grand bain d’une vie plus proche de notre nature première, animale, dans son milieu premier : l’eau, la montagne, la forêt , le vent…Cela ne pourrait-il aider à certaines prises de conscience, aider à éveiller l’esprit, sous l’apparence d’un retour à l’animalité : aux sources ? Pourquoi je vis, pourquoi je meurs, pourquoi j’aime, pourquoi je souffre, pourquoi je lutte, pourquoi je flanche…Le long chapelet s’égraine dans ma tête, au rythme de mes pas sur la terre…

A toi de poursuivre, de compléter…Je viens de dire une expérience, presque une règle du jeu ; comme le chemin épouse le flanc de la montagne, peut-on arbitrairement décider de sa démarche sans tenir compte du terrain où elle se déroule. Je ne suis, ni moine, ni marxiste – ou peut-être un peu après tout – qui trouvèrent la liberté dans l’obéissance ou dans le conditionnement ; et pourtant, je crois à l’événement qui provoque, aux situations qui éduquent…

Si être libre c’est choisir l’hameçon qui vous entraînera au ciel, maintenant, tu connais notre ligne. Il en est d’autres, rien ne presse, rien n’oblige, d’autres vers vont, se tortillant dans l’eau verte.

A toi le choix… "

Merci à toi, cher ami Pierre, de ces réflexions profondes égrainées sur un air empreint d’humour. Mon choix fut vite fait. J’avais déjà eu l’occasion de vivre cette expérience au cours de l’été 1967. Par retour du courrier j’envoyai mon inscription, alors que j’étais encore à Bobo. C’était entendu, la première quinzaine d’août, je randonnerai quelque part dans les Cévennes à moins que ce ne soit en Ardèche ou en Lozère.

C’est au cours de cette randonnée que me fut donnée l’occasion de faire connaissance avec Odile. Au fil des jours, des marches, des échanges, des veillées autour du feu, la personnalité de chacun et de chacune s’affirmait. Bref, au bout de 15 jours, nous connaissions les aspirations des uns et des autres…

Après cette quinzaine de crapahutage, tout un chacun reprit le cours normal de ses activités. Odile avait dû quitter le groupe un jour ou deux avant la fin. Elle rejoignait sa famille, dans le Vaucluse, pour la célébration du mariage de Jeannine, sa sœur aînée En ce qui me concerne, j’étais impatient de prendre mes nouvelles fonctions à Marcilly-sur-Seine.

J’avais bien mordu à l’hameçon. Chaque année suivante me fut donné le plaisir de randonner et de retrouver les amis et amies des années précédentes. C’est seulement en 1972 qu’Odile se joignit de nouveau à la caravane. Trois années s’étaient passées depuis notre première rencontre…et c’est durant cette quinzaine de retrouvailles, que les événements se sont précipités. Au cours des semaines qui suivirent, notre projet de vivre ensemble se précisa et la décision fut prise que je viendrai rejoindre Odile à Marseille dans son appartement aux " Cigalons " dans le 12ème , pas très loin de son lieu de travail, au Centre pour enfants handicapés de Saint Thys.

 

 A LA DECOUVERTE DE MARSEILLE.

Tout en roulant sur l’autoroute qui me conduisait vers Marseille, je pensais à ce passage de la Bible où il est dit qu’Abraham quitta son pays et sa famille, pour aller là où Dieu l’attendait : " Yahvé dit : "  Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom qui servira de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je réprouverai ceux qui te maudiront… ". Abraham partit, comme lui avait dit Yahvé… "

En arrivant à Marseille, je fus accueilli par le cousin de la famille Tatass, Denis Pommois, qui habitait dans le quartier de St Julien, pas très loin du lieu où résidait Odile, dans le village des Caillols à la périphérie de la ville.

Le lendemain je me rendis à la clinique de Montolivet où Odile était retenue, pour quelques jours. C’est là que je fis la connaissance de sa maman, Madame Simone Puel, venue de Saint Didier-les-Bains, près de Carpentras, dans le Vaucluse, où les parents d’Odile avaient élu domicile depuis quelques années. Deux mois plus tard, le premier janvier 1973, j’ai pu découvrir toute la famille d’Odile ; son père, Mr Pierre Puel, retraité, qui était ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, avait exercé sa profession comme cadre dans différentes sociétés ; ses trois sœurs et leurs conjoints, Jeannine, l’aînée, prof. d’Allemand, mariée avec Marcel Sève, architecte, qui habitaient à St Etienne ; Anne, éducatrice, mariée avec Gérard Terrasse, demeurant à Lorgues dans le Var ; Marie, mariée avec un Anglais John Potter, vivant du côté de Londres ; ainsi que ses deux frères, Jacques, électricien à Marseille et François, astronome, marié avec Marcelle Perret, qui habitaient Besançon. Ce me fut une grande joie de vivre ce début d’année dans cette chaleureuse ambiance familiale.

Ma première préoccupation, en arrivant à Marseille, fut de trouver du travail. Je ressentais concrètement le changement de situation. J’avais largué les amarres, je quittais le cocon ecclésial dans lequel on se sent pris en charge. Pas de risque de chômage, pas de loyer à payer, ni d’impôts sur le dos. Certes, le train de vie n’est pas rutilant, mais on est à l’abri de l’indigence et de la précarité. La retraite ne sera pas terrible mais on ne risque pas de se retrouver à la rue.

Ma petite expérience dans le monde du travail, spécialement comme électricien, me permit de trouver un emploi assez rapidement, d’autant plus que le frère d’Odile, Jacques, travaillait à Marseille dans une entreprise d’électricité du bâtiment. Quelques jours plus tard, le 16 novembre 1972 exactement, j’étais embauché par la SOMEG, société d’électricité générale, sise à Bouc-Bel-Air, près d’Aix. En compagnie de Jacques, je débutai sur un gros chantier dans les quartiers Nord de Marseille. A cette époque, on construisait à tout va. Le travail que j’avais accompli à Romilly était tout différent. J’entrais dans le monde du bâtiment, monde où les conditions de travail sont éreintantes. Jusqu’à présent j’avais travaillé à l’intérieur des usines, à l’abri des intempéries et du froid. Maintenant, c’était le travail du matin au soir à ciel ouvert, dans le vent, ah ! ce mistral ! et la froidure ; un travail de galérien. En ce temps là, les saignées dans les murs de béton se creusaient à la massette avec une grosse aiguille en fer forgé. Il fallait faire bien attention à ne pas dévier la trajectoire de la massette, sinon on avait droit à des phalanges ensanglantées. Maintenant, il y a les marteaux-piqueurs qui facilitent bien la tâche.

Quand on travaillait dans les étages inférieurs, il fallait s’estimer heureux. Je me revois encore, le matin, gravir les escaliers avec ma caisse à outils à l’épaule et un demi sac de plâtre sous le bras. Du plâtre pour quoi faire ? Pour reboucher les saignées qu’on avait eu tant de mal à creuser, après y avoir placé les gaines, dans lesquels il faudra faire passer les fils électriques. Et autant que possible, il valait mieux évite les "  coudes " trop à angles droits, sinon les fils risquaient de refuser de passer, malgré le talc dont on les enduisait ou le furet auquel on les attachait, surtout s’il fallait en faire passer quatre, cinq ou six à la fois.

Lorsque tout était terminé, les saignées rebouchées, les fils passés, les prises et les douilles branchées, les interrupteurs en état de marche, les tableaux bien posés avec la phase, le neutre, le câble de terre et tout le reste, bien en place, que les ascenseurs fonctionnaient, enfin, nous partions vers d’autres cieux que nous espérions plus cléments.

Je remercie Jacques de m’avoir aidé à faire mes premiers pas dans ce corps de métier. J’ai quitté la SOMEG le 6 janvier 1973.

J’habitais donc avec Odile, dans son petit appartement qui faisait partie de la cité des Cigalons . C’était un petit ensemble récent dans le quartier des Caillols, à la limite de la ville dans un environnement mi urbain, mi campagnard. Pas très loin, se trouvait une ferme d’où s’échappaient les bruits des animaux, veaux, vaches, cochons, couvées… et parfois un berger faisait paître son troupeau de moutons dans les terrains vagues environnants. Maintenant, tout ce secteur s’est urbanisé avec un Super Marché, une mairie annexe et en son centre, l’avenue William Booth, du nom de ce prédicateur anglais qui fonda " l’Armée du Salut " .

Odile me fit découvrir Marseille et ses environs. La ville elle-même ne manque pas de charme et de pittoresque. Du haut de Notre-Dame de la Garde, vingt-six siècles vous contemplent. C’est en effet au VI° siècle avant J-C que débarquèrent quelques marins venus de Phocée, ville d’Asie Mineure, qui fondèrent Massalia, la cité phocéenne. Quelle vue magnifique sur la ville et les environs, avec la mer qui s’étend à l’infini, les îles du Frioul et le Château d’If au premier plan ! Et à vos pieds se trouve le Vieux Port avec tous ces innombrables mâts de bateaux qui se balancent au gré du vent. On aperçoit très bien cette célèbre artère qui, telle un ruisseau, vient se jeter à la mer, vous avez bien compris qu’il s’agit de la Canebière. De fait, dans les temps anciens, la Canebière était une petite rivière sur les bords de laquelle se cultivait le chanvre, dérivé du cannabis, d’où son nom.

La plus grande partie de notre temps libre était consacrée à des marches-découvertes dans les Calanques et les collines environnantes. Nous partions pique-niquer dans le massif de la Sainte-Baume, en passant par le riant village de Gémenos. Baume, en langue provençale veut dire grotte. La sainte grotte, nichée à plus de 800 mètres de hauteur serait, selon la tradition, le refuge qu’aurait choisi Marie-Madeleine, dont il est question dans les Evangiles, pour terminer sa vie, après son passage par les Saintes Maries de la Mer. Le massif du Garlaban, si cher à Marcel Pagnol, nous agréait pareillement. J’en profitais pour lire la trilogie des Souvenirs d’Enfance, " La gloire de mon père ; le Château de ma mère ; le Temps des secrets ".

Au fil des jours, Odile et moi, mûrissions nos projets d’avenir. J’aimais Odile d’un amour profond et désirais l’épouser. Chaque jour j’appréciais d’avantage la richesse de sa personnalité. Elle me parlait du temps où elle faisait ses études à Paris, au collège réputé de Sainte-Marie de Passy, où évoluait la fine fleur des bonnes familles de France ; les d’Estaing, les de Tassigny, les Rotschild… Les professeurs ne manquaient pas de dire à cette jeunesse, promise à des lendemains qui chantent, qu’elle se devait de bien se former et prendre conscience de ses responsabilités, car elle était appelée à épouser l’élite de la France. Je commençais à me demander si je serais à la hauteur des espérances annoncées. J’avoue que j’étais tombé en admiration devant Odile, lorsqu’un soir, au cours d’une veillée pendant notre randonnée dans l’Ardèche, elle avait évoqué sa vie parisienne, et avait déclaré que l’étude de la langue grecque l’avait beaucoup intéressée, au point qu’elle avait envisagé plus ou moins, avec l’encouragement de son professeur, de devenir prof de grec…

Elle me parlait aussi de sa formation à l’école d’éducatrices, de la grande estime qu’elle avait gardé de certains de ses professeurs, tout particulièrement de l’Abbé Bissonnier et de Melle Rampoldi. Elle évoquait également ses débuts d’éducatrice en milieu hospitalier : d’abord à l’hôpital Necker-Enfants Malades à Paris, puis à l’Hôpital Raymond Poincaré à Garches, où elle avait été éducatrice chef. Son projet avait été de transformer la vie des enfants hospitalisés, pendant des mois et souvent des années, pour rééducation de leur handicap moteur. Elle estimait que l’organisation et l’ambiance de leur vie hospitalière devaient être pensées avant tout en fonction de leurs besoins d’enfants et d’adolescents ; la rééducation devrait venir s’insérer dans un tel ensemble. Dans ce but, la responsabilité d’une salle hospitalière devrait être confiée à une éducatrice. A la fin des années 50, il avait été créé un poste d’éducatrice à mi-temps aux Enfants Malades et 15 à 18 postes à Garches.

Je sentais combien elle s’était impliquée dans son travail d’éducatrice auprès de ces enfants hospitalisés. Afin d’obtenir des salaires convenables et un statut définitif pour ces éducateurs, elle n’avait pas hésité à demander une entrevue avec le ministre des Affaires Sociales, Mr Robert Buron. Et pour obtenir une amélioration d’ensemble des conditions de travail du personnel hospitalier, elle s’était engagée dans le syndicalisme.

Les événements qui secouaient le Maghreb (mot arabe qui veut dire le couchant) ne l’avaient pas non plus laissée indifférente. Elle avait manifesté son soutien aux Algériens qui demandaient leur indépendance. En 1965, elle avait fait un séjour de quelques mois en Algérie, dans le cadre d’une assistance médicale, en lien avec l’organisation caritative protestante la Cimade.

D’autre part, Odile qui supportait mal les affronts qu’en certaines circonstances subissaient les femmes, n’avait pas hésité à faire sentir combien elle se sentait proche d’un certain nombre des objectifs du M.L.F. (mouvement de libération des femmes).

Ainsi, je découvrais chaque jour un aspect nouveau de ses engagements et sa volonté de lutter pour les bonnes causes. Si bien qu’un jour, je me suis surpris moi-même, en lui déclarant tout de go, que j’étais prêt à faire l’ascension du Mont Blanc pour aller y cueillir une rose que je lui offrirais, car je savais qu’elle aimait beaucoup la Montagne. Elle possédait un piolet qu’on lui avait offert et qui lui avait permis de participer à des courses en montagne.

 

LE MARIAGE AVEC ODILE.

Nous étions d’accord pour réfléchir suffisamment, avant de prendre la décision importante du mariage. Du fait de ma situation, n’y aurait-il pas des difficultés dans les relations avec notre entourage ? Etant donné notre âge et nos habitudes de célibataires, réussirions-nous à nous adapter à ce nouveau mode de vie ? Vivre à deux n’est pas toujours commode, surtout lorsqu’on a été habitué à vivre seul, à prendre ses décisions sans avoir à consulter quelqu’un d’autre.

C’est par l’intermédiaire de la " Vie Nouvelle " que nous avions fait connaissance, c’est dans les " Fraternités Vie Nouvelle " de Marseille, que nous allions cheminer dans nos réflexions. Dans notre " frat. "se trouvaient de bons amis d’Odile, Jean-Claude et Annie Allard. Ils possédaient une maison de campagne à Mirabeau, petit village qui se trouve dans le Lubéron, à proximité de Pertuis, à quelques verstes (ancien, mesure itinéraire russe qui équivaut à 1 067 m.) de la Durance. Ils mirent à notre disposition leur charmante maison, isolée au fond des bois. Quelles meilleures conditions pouvions-nous rêver, pour vivre dans le calme, propice à la réflexion ? Sans vouloir abuser de leur amabilité, nous avons eu la joie d’y passer quelques week-ends. Et c’est là, je crois pouvoir le dire, que nous avons pris nos décisions.

Primo, il n’était pas question pour moi, de faire des démarches auprès des autorités ecclésiastiques, pour régulariser ma situation de prêtre " défroqué " (quel vilain mot !) en demandant ma "  réduction à l’état laïc " (quelle vilaine formule !). Oui, j’aurais pu, pour me mettre en règle avec les lois disciplinaires de l’Eglise, faire cette demande. Moyennant quoi, nous aurions pu envisager de nous marier à l’église, ou plutôt dans une sacristie, bien discrètement. Non, il n’en n’était absolument pas question. Ce serait reconnaître que mon cas, étant personnel, demandait une solution personnelle. Le problème était trop grave. Comment ne pas penser à tous les prêtres, religieux et religieuses qui, comme je l’ai déjà dit, se trouvaient dans une impasse. A problèmes d’ensemble, solutions d’ensemble !…

Il aurait suffi, me semble-t-il, qu’une poignée d’évêques courageux et prophètes en ce domaine, de la trempe de Mgr Riobé, à Orléans ou de Mgr Gaillot à Evreux, pour que la situation se débloque. Hélas ! Que de temps perdu ! Que de forces vives gaspillées !

A propos d’évêques, voici une petite histoire qu’on se plaisait à raconter dans les presbytères ou à l’occasion de réunions de confrères, aux environs des années 1960-1970. Vous n’êtes pas sans savoir que le constructeur automobile, André Citroën, à plusieurs reprises, fut en pointe en lançant de nouveaux modèles de voiture ; sa fameuse 2 CV fut une petite révolution. Dans le haut de gamme, on se souvient encore de la tractions avant, noire, et plus tard, les deux célèbres séries qu’affectionnait le Général de Gaulle, les D.S. (déesses) et les I.D.( idées). On racontait donc que Citroën, pour lancer ces nouvelles séries, avait offert des D.S. à tous les évêques de France. Belle publicité, en effet, du temps où les évêques roulaient carrosse ; maintenant il est vrai, ils mènent une vie plus en conformité avec la simplicité évangélique. Mais, dit-on, lorsque le Pape apprit cette nouvelle, il se serait exclamé : " Comment ! Des D. S. pour les évêques de France ! Quelle erreur ! C’est plutôt d’I.D. dont ils ont grand besoin ! "

Dans l’hebdomadaire " La Vie " du 7 décembre 2006, page 72 se trouve un article intitulé " Prêtre, le défi du futur ". J’y entrevois une brèche dans le mur de la citadelle. L’auteur de l’article, Jean Mercier, écrit : " Le débat sur l’ordination d’hommes mariés rebondit au Vatican, alors que plusieurs livres rouvrent le dossier des mutations nécessaires au sacerdoce catholique " . Et il cite le cardinal Claudio Hummes (brésilien), qui vient de prendre la présidence de la Congrégation du clergé à Rome : " Bien que le célibat fasse partie de l’histoire et de la culture catholique, l’Eglise peut réfléchir à ce sujet, puisque le célibat n’est pas un dogme mais une discipline ". Et l’auteur poursuit : " Ces paroles…dans la bouche de celui à qui Benoît XVI a confié le dossier des prêtres, pèsent très lourd. Elles ont suscité un tel retentissement que le cardinal a dû ensuite calmer le jeu à travers le bureau de presse du Saint-Siège ". Dossier à suivre.

D’autre part, je me souvenais des paroles de Mgr Piérard , lors de mon ordination sacerdotale : "  Tu es sacerdos in aeternum ", - tu es prêtre pour l’éternité- comme il est dit du grand prêtre Melchisedech, au temps d’Abraham. (Heb.chap.7, verset 3). De même que le baptême, le sacrement de l’ordre laisse une marque indélébile.

Secundo, nos réflexions portèrent sur la signification profonde du mariage et des conséquences sur nos modes de vie. Comment concilier la liberté de chacun, comment respecter la personnalité de l’un et de l’autre ? Comment trouver le juste milieu ? L’engagement de vivre ensemble peut-il être pris pour la vie entière ? …Nous désirions avoir des enfants ; à notre âge était-il raisonnable de l’envisager ?…Comment assurer l’éducation de ces enfants ?

Tertio, dès lors que notre décision était prise, nous avons commencé à envisager les questions pratiques. Quelle date choisir ? Qui inviter ? Pour respecter la tradition chrétienne d’éviter les festivités pendant le temps du carême, il a été convenu de célébrer notre mariage après la fête de Pâques. La date du 28 avril fut retenue. Voici un extrait des registres de l’état civil de la ville de Marseille ; année 1973, registre 9, acte 153.

. Mariage GALICHET & PUEL

Le 28 avril 1973,à 15h45, devant nous ont comparu publiquement, en la Maison Commune : Michel Marie Joseph Galichet, électricien, né à Châlons S /Marne, le 16 août 1928, quarante trois ans, domicilié à Marseille 8, avenue des écureuils(12eme) fils de Maurice Auguste Alfred Galichet, et son épouse Marie-Louise Solange Bertus, retraités à Marseille (erreur, il fallait mettre à Somme-Suippe, Marne), d’une part, ---- Et : Odile Aline Renée Puel, éducatrice, née à Montbard (Cote d’Or) le 14 avril 1934, trente neuf ans, domiciliée à Marseille dite adresse, fille de Pierre Victor Puel, et de son épouse Simone Catherine Marguerite Pommier, retraités à Saint Didier (Vaucluse) d’autre part------ Les futurs époux déclarent qu’il a été fait un contrat, le 5 avril 1973, aux minutes de Maître Paul Lafage, notaire à Marseille,----- Michel Marie Joseph Galichet, et Odile Aline Renée Puel, ont déclaré l’un après l’autre, vouloir se prendre pour époux et Nous avons prononcé au Nom de la Loi, qu’ils sont unis par le Mariage, en présence de Jean Loilier, Médecin, à Somsois (Marne) et de Reine Lhérault, orthophoniste, 15 rue Daubeton, Paris, témoins majeurs, -----lecture faite, et invités à lire l’acte, les époux, et les témoins ont signé avec Nous, Mr Bonat Jean, Conseiller Municipal, Officier de l’Etat Civil par délégation.

Cette cérémonie de mariage eut lieu dans la mairie annexe au Palais du Pharo, qui se trouve situé sur la colline qui domine le vieux port. Odile avait choisi comme témoin une amie, qui était handicapée, se déplaçant avec des cannes anglaises ou en fauteuil roulant. Malgré son handicap, suite à une polio contractée au cours de son enfance, Reine Lhérault ne manquait pas de dynamisme et savait assumer de grandes responsabilités,. De mon côté mon choix s’était porté sur le Docteur Loilier, avec qui j’avais eu l’occasion d’avoir de fructueux échanges lors de mon séjour à Somsois. Je voulais le remercier de l’amitié qu’il m’avait manifestée et de l’accueil chaleureux que me réservait toute sa famille.

Nous avions invité nos parents respectifs et nos frères et sœurs qui avaient la possibilité de faire le déplacement jusqu’à Marseille. D’autres cousins, cousines et amis étaient venus nous témoigner leur amitié. Ce fut très sympa. Pour immortaliser ce jour de mariage au Palais du Pharo, une photo fut prise, devant un monument, avec belle vue sur la mer à l’infini, nous laissant découvrir des horizons prometteurs. Une fois les photos développées, quelqu’un ne tarda pas de nous faire remarquer, que cette belle œuvre d’art, représentait un navire à la dérive avec ses passagers pas loin de la noyade. Fallait-il y voir un mauvais présage ou au contraire notre volonté et notre détermination d’affronter l’avenir avec courage, prêts à faire face ensemble aux aléas de la nouvelle vie qui s’ouvrait devant nous ? Pour nous remettre de nos émotions, Odile et moi avons passé deux ou trois jours d’intimité et de balades à Manosque, cité de l’écrivain provençal, Jean Giono. Nous avons revu récemment à la télévision sa dernière œuvre, " Le hussard sur le toit ".

 

ELECTRICIEN DU BATIMENT

 

Odile se rendait chaque matin avec sa 2CV au centre Saint-Thys pour

assurer son travail d’éducatrice auprès des enfants handicapés moteurs cérébraux.

Ce centre regroupe une cinquantaine d’enfants de 10 à 15 ans qui nécessitaient la

présence d’une centaine de personnes pour l’encadrement, les services médicaux,

culinaires ainsi que de surveillance. Odile retrouvait, comme directeur du centre,

Mr Morin qu’elle avait connu précédemment à Paris. Le soir, elle me parlait de

son travail dans ce centre toujours avec passion.

De mon côté, je poursuivais mon parcours professionnel dans l’électricité du bâtiment. J’avais quitté la Société Méditerranéenne d’Electricité Générale, le 6 janvier 1973, où j’avais travaillé en compagnie de Jacques, le frère d’Odile, pendant deux mois et demi. Deux jours plus tard, le 8 janvier, je débutais, dans une autre société générale d’électricité. C’est par l’intermédiaire des amis d’Odile, Annie et son mari Jean-Claude Allard qui dirigeait une entreprise de maçonnerie que j’avais été embauché par Mr Paul Gibrail. Jean-Claude Allard et Mr Gibrail se connaissaient bien car ils se retrouvaient fréquemment dans les réunions de chantier où les responsables des différents corps de métier se concertaient pour mener à bien les constructions en cours. Cette entreprise de Mr Gibrail était moins importante que la précédente et de ce fait les relations entre patron et ouvriers étaient moins impersonnelles. L’ambiance avec les collègues de travail était plutôt sympathique. Il en est un avec qui je me sentais plus à l’aise. J’aimais bien travailler en sa compagnie. Il avait l’expérience du métier. Je me sentais un peu comme un apprenti qui a beaucoup à apprendre des plus expérimentés. Ainsi j’ai eu l’occasion d’exercer mes talents d’électricien un peu dans tous les quartiers de Marseille et parfois même dans des villas aux alentours. J’ai duré dans l’entreprise Gibrail pendant presque deux ans et demi.

Notre vie ne consistait pas qu’en temps de travail. Nous aimions nous retrouver le soir dans notre petit T 3 des Cigalons. Les week-ends étaient les bienvenus. Nous en profitions pour aller à la découverte de nouvelles calanques et de nouveaux paysages provençaux. Notre appartenance au mouvement de la Vie Nouvelle nous permettait d’avoir des contacts très intéressants et de nous faire de nouveaux amis. Parfois, une sortie commune était organisée où nous passions la journée ensemble avec pique-nique.

Assez rapidement également, nous étions entrés en relation avec le groupe des " P.E.F. " de Marseille, comprenez : Prêtres En Foyer. Nos réunions avaient lieu dans les locaux de l’ancien petit-séminaire, au Mistral, pas très loin de la gare Saint-Charles. Nous étions habituellement quinze à vingt participants. Nous prenions le repas en commun. Et avant de nous quitter nous célébrions la messe en compagnie d’un prêtre du diocèse, tout spécialement délégué par l’évêque.

Pendant les congés de fin d’année, fin 1972, nous avions tâté la neige du côté de Banon, dans les Alpes de Haute Provence. Chaussés de nos skis de fond, nous avons fait de belles balades à travers bois et garrigues. Nous avons apprécié la spécialité régionale " le Banon " petit fromage de lait cru enveloppé dans une feuille de châtaignier. Nous avons terminé ces huit jours de détente, au grand air de la montagne, par la réunion de famille près des parents d’Odile, et de ses frères et sœurs, le premier janvier à Saint Didier, comme je l’ai déjà signalé plus haut.

Quelques mois plus tard, après les cérémonies du mariage, durant le week-end de la Pentecôte, nous avons pu découvrir, en compagnie de nos amis Pierre et Mylène Alause, les magnifiques Gorges de l’Ardèche, en partant de Vallon-Pont-d’Arc. Nous avons bivouaqué en bordure du fleuve. Je me souviens tout particulièrement du passage à la " Maladrerie des Templiers ". Nous disons maintenant léproserie. Je découvrais ainsi, comment dans les temps anciens on traitait les lépreux. Il n’y avait pas de remèdes. La seule solution efficace qu’on avait trouvée, était de les mettre à l’écart, le plus loin possible, afin d’éviter la contagion, car la maladie se transmettait par les contacts entre personnes. Pour nous remettre de nos fatigues et de nos émotions, en sortant des Gorges, nous sommes allés déguster une omelette aux cèpes, agrémentée de truffes, dans un petit restaurant des environs.

Nous avons profité de ces deux jours passés ensemble, pour préparer et mettre au point la prochaine randonnée d’été. Il fut décidé de former deux groupes : la caravane " A " menée par Pierre et Mylène, et à un ou deux jours d’intervalle, la caravane " B " sous la houlette d’Odile et moi ; rude responsabilité ! Ensuite le choix du lieu se porta sur le Queyras.

Je passe sur les détails de la préparation. Trouver une quinzaine de randonneurs ne fut pas chose aisée. Les événements de mai 68 étaient encore présents dans les esprits. Il fallait respecter un maximum de démocratie. Se montrer trop directif était mal perçu. Mais il fallait un minimum de discipline. Pierre l’avait bien senti et s’était alors cru devoir mettre les points sur les " i " quand il écrivait dans sa circulaire préparatoire : " La randonnée de moyenne montagne est riche de joies précieuses et profondes. Mais elle ne tolère pas les jean-foutres en matière d’équipement et de technique. Il nous est demandé en ces domaines, attention, efforts, discipline…Pour les " amateurs ", au mieux : ils en pleurent, au pire : on les pleure. "

Regagner Marseille en plein mois d’août, sous un soleil de plomb, après ces 15 jours passés au grand air pur dans un décor de rêve, ne me faisait plus rêver. La reprise de contact avec la dure réalité vous donnait le cafard. Et bientôt, il faudrait retourner sur les chantiers, au milieu des gravats et des appartements sans portes ni fenêtres, aux murs de briques creuses ou de parpaings rugueux et tout grisâtres. Chienne de vie !

 

EMMAÜS

Le travail d’électricien du bâtiment me permettait de gagner ma vie, certes, mais je sentais en moi que le contact avec les gens, auquel j’avais été habitué précédemment, me manquait. A la suite de la lecture d’une information sur les Communautés d’Emmaüs, fondées par l’Abbé Pierre, je décidai de me renseigner sur la possibilité de devenir responsable de communauté. D’autant que je voyais là une façon de me mettre au service des plus pauvres. Dans ce but, je me rendis dans une Communauté Emmaüs, qui existait pas très loin d’ici, à Aubagne.

Je fis alors la connaissance des responsables de cette communauté, Gilbert et Rose-Marie Ott. Ils me reçurent avec beaucoup de délicatesse et prirent le temps de m’informer sur le rôle des responsables de communauté. Gilbert m’expliqua comment il avait commencé son parcours à Emmaüs. Du fait qu’il était antimilitariste, il s’était déclaré objecteur de conscience, et à ce titre, avait demandé qu’en lieu et place de son service militaire, il puisse être accueilli dans une communauté Emmaüs. J’admirai sa force de caractère laissant apparaître une forte personnalité. Sa femme, Rose-Marie m’a tout autant impressionné. Inutile de vous dire, que depuis, nous sommes devenus de très bons amis. Ils me donnèrent toutes les coordonnées nécessaires. Bientôt, je pris contact avec le responsable de la communauté de Cabriès, en bordure de l’autoroute allant de Marseille à Aix-en-Provence. Pour me donner une idée du travail que cela supposait, j’ai pu y passer quelques jours.

Au cours d’une entrevue avec un responsable parisien, il fut décidé que je ferais deux stages probatoires dans deux communautés différentes ; d’abord en Alsace, ensuite en Bretagne. Odile ne s’opposa pas à cette décision, malgré les répercussions que mon éloignements n’allaient pas manquer de produire sur notre vie de couple. Mon activité à Emmaüs dura à peu près cinq mois, de mai à septembre 1975.

Mon séjour en Alsace s’effectua à Cernay, près de Mulhouse. J’en garde un très bon souvenir. Je ne sais à quoi était due l’excellente atmosphère qui y régnait. Le responsable, me semble-t-il, y était pour beaucoup. Je ne constatais pas de tension parmi la quarantaine de compagnons qui s’affairaient là. Chacun avait sa tâche bien précise : les chauffeurs, qui allaient en ville avec les camions débarrasser les caves et les greniers ; l’équipe chargée de la récupération des métaux ferreux et non ferreux ; ceux qui remettaient en état les appareils ménagers( machines à laver, frigos, télés etc. ) ceux qui mettaient en balles les vieux papiers et cartons, ceux qui triaient et remettaient en valeur les habits et autres tissus et enfin le coin des meubles et de la literie qui occupait une grande superficie. J’étais émerveillé de voir tout ce travail de remise en valeur, effectué par des gars, à qui la vie n’avait pas fait beaucoup de cadeaux. Ceci leur redonnait de la fierté en se rendant compte qu’ils étaient capables de faire quelque chose d’utile. Et chaque samedi, jour consacré à la vente, il fallait voir, le matin à l’ouverture, la foule des gens qui se précipitaient pour profiter des bonnes occasions. Comme l’Abbé Pierre fut bien inspiré, le jour il a eu cette idée de génie, de permettre à des gars paumés de trouver un toit et de leur rendre une part de dignité. D’ailleurs, un jour qu’il était de passage à Cernay, j’ai eu l’occasion de lui dire toute mon admiration et combien je serais heureux de collaborer à cette belle œuvre.

A la fin des trois mois accomplis, comme prévu, dans ce premier stage, j’ai pu passer quelques jours avec Odile à Marseille. Il avait été décidé que ma seconde immersion en communauté s’effectuerait en Bretagne, à Redon précisément, pas très loin de Quimper. Du fait que mon séjour à Cernay s’était très bien passé, je pensais que j’avais trouvé ma voie. Mais, je ne sais trop pourquoi, l’ambiance à Redon n’était pas du tout la même. Les relations entre les responsables et les communautaires étaient assez tendues. Il régnait un climat de suspicion. Je me sentais plus en phase avec les compagnons qu’avec les membres de l’encadrement. Toujours est-il, qu’au bout de deux mois à peine, on me fit comprendre que là n’était pas ma place. Un petit événement, à mes yeux, me semble-t-il, donna l’occasion de mon renvoi.

La communauté possédait une camionnette, genre minibus, qui comportait une quinzaine de places, qui servait à emmener ici ou là quelques compagnons. Du fait que j’avais mon permis de conduire avec le volet " transport en commun ", je transportais parfois, un groupe de gars. Un dimanche, il me fut demandé de conduire ce petit car jusqu’à Brest pour permettre à tout un groupe de jeunes, de visiter la ville. J’étais bien content de la confiance qui m’était accordée et de permettre à ces gars de passer une journée agréable de détente et de découvertes. Tout le monde était bien content. La journée s’était très bien passée. Mais c’est au retour que j’ai manqué de vigilance ou de fermeté. Dans une bourgade, à quelques kilomètres de Redon , quelques uns me demandèrent s’il ne serait pas possible de faire une petite halte, afin de pouvoir se rafraîchir un peu dans un bistrot. Pour ne pas les décevoir et pour terminer cette belle journée dans une bonne ambiance, je ne me fis pas prier. Il n’y eut pas de débordement, ni beuverie, ni abus d’alcool. Mais je n’avais pas eu le bon réflexe de refuser. C’était un des principes de base dans les communautés :  " surtout, pas d’alcool ", étant donné que la plupart de ces hommes avaient eu maille à partir avec ce fléau.

ELECTRICIEN D’EQUIPEMENT INDUSTRIEL

A mon retour à Marseille, je me trouvais un peu désarçonné. Comment envisager l’avenir, à mon âge. Je me rendis à l’A.N.P.E. pour faire le point et demander conseil. Sentant que l’informatique allait prendre de plus en plus d’ampleur, j’aurais désiré m’inscrire dans ce créneau. Mais on me fit comprendre que cela supposait des connaissances en mathématiques que je ne possédais pas. Je suivais bien des cours par correspondance dans cette discipline, mais les maths modernes étaient passés par là et me donnaient du fil à retordre. La sagesse était donc de se rendre à l’évidence. Il me fut conseillé de me perfectionner dans ma formation d’électricien. Un stage en électricité industrielle semblait tout indiqué, dans un Centre de Formation Pour Adulte. Je connaissais. Les formalités d’inscription furent vite réglées et le 30 septembre 1975 je commençais mon stage à l’O.R.T. 3 rue des Forges dans le 10ème, à Marseille, pas très loin des Cigalons.

Nous étions une quinzaine de stagiaires, les plus jeunes ayant 20 ans. Notre moniteur était Mr Simon d’origine grecque. L’ambiance était sympa de sorte que ces 8 mois passés dans ce centre me laissent plutôt un bon souvenir. Le rythme de travail n’était pas trop astreignant de sorte qu’avec Odile nous avons pu profiter d’une bonne période de sérénité.

Assez rapidement, nous avons pensé qu’il serait bien d’envisager d’adopter des enfants. Nous avions dans ce but déposé une demande auprès des services de la DDASS (Direction départementale de l’action sanitaire et sociale). En même temps, pour éviter d’avoir à payer chaque mois un loyer qui nous ponctionnait passablement nos revenus et afin d’avoir plus de place, au cas où notre demande d’adoption recevrait une réponse positive, nous avons décidé d’acheter, en empruntant, un appartement avec trois chambres, appelé communément T 4. Pour limiter les déplacements au minimum, nous avons orienté nos recherches dans les environs du Centre St Thys. Une grande copropriété était en construction dans les collines proches qui s’appelait Château St Jacques. Le 18 décembre nous avons signé l’acte d’achat d’ un T 4, au 9ème étage du bâtiment A, entrée 2, dit le panoramique. Il est vrai que de là haut, on avait une vue imprenable sur Marseille et même sur la mer, dans le lointain.

 

NOTRE FILS PATRICE

Dans les premiers jours de la nouvelle année, nous avons pris le temps de nous installer. Jacques nous donna la main pour le déménagement. Désormais, Odile se trouvait à proximité de son lieu de travail et de mon côté je poursuivais ma formation, rue des Forges.

Peu de temps après, une lettre nous informa que notre demande d’adoption avait été agréée et qu’une assistante sociale allait bientôt nous rencontrer pour de plus amples informations. Nous avions demandé en premier lieu, s’il était possible, d’accueillir un enfant en bas âge, mais nous avions dit que nous ne refuserions pas un enfant un peu plus âgé . Et de fait, quelques jours plus tard, une assistante sociale vint nous rendre une première visite, suivie d’un certain nombre d’autres entretiens. Enfin, un jour, elle nous informa qu’ à la Maison d’enfants de St Joseph, dans les quartiers nord de Marseille, un garçon de six ans attendait une famille .

Au préalable, elle nous demandait de lui indiquer trois adresses de personnes, près desquelles, elle pourrait se renseigner sur nos capacités en matière d’éducation. Le fait qu’Odile était éducatrice, avait certainement joué en notre faveur, ce qui expliquait, je pense, que notre demande avait trouvé une réponse assez rapidement.

Evidemment, nous avons donné des adresses de personnes en qui nous avions pleine confiance, et nous n’avions que l’embarras du choix. Les trois couples référents furent : Le cousin de la famille Tatass, Denis Pommois, mariée avec Marie-Antoinette Casabianca, issue d’une très honorable famille corse, au départ du pastis Casanis, habitant dans le quartier de St Julien ; André et Huguette Fauquet, des Marseillais de souche, responsables des groupes Vie Nouvelle sur Marseille et environs ; Bob et Colette Joubert, promoteurs des groupes Prêtres en Foyer dans la région, et qui habitaient à cinq cents mètres à peine de chez nous, rue Vincent Andreu .Bien entendu, l’assistante sociale était également allée rencontrer le directeur du Centre où travaillait Odile, Mr Morin.

Nous supposons que les renseignements donnés par toutes ces personnes ce furent favorables, puisque nous avons pu faire la connaissance de Patrice.

Dans les jours qui ont suivi, sans plus attendre, Odile et moi, nous sommes rendus à la maison d’enfants, dans le quartier des Aygalades. Nous avons vu pour la première fois Patrice, un beau garçon de six ans. Il nous attendait. Nous l’avons invité à venir avec nous jusque dans le beau parc, plein de verdure en cette saison, qui entourait cette grande bâtisse. Avec lui, pour faciliter ces premiers contacts, nous avons joué à lancer des pierres, à faire des culbutes, à esquisser des pas de course. Dés cet instant, la glace a été rompue. Il avait dit à une monitrice de St Joseph : " je cherche des parents, mais on ne me laisse pas sortir, comment voulez-vous que j’en trouve ?. " Justement, nous, de notre côté, on cherchait un enfant ! C’est avec joie, que quelques jours plus tard, nous l’avons accueilli dans notre nouvel appartement. Nous lui avions laissé, je crois, un petit livre illustré de l’histoire de Pinocchio, racontant les mésaventures d’une marionnette qui au final est métamorphosée en enfant. Après plusieurs autres visites à Patrice, nous étions invités à nous rendre au palais de Justice de Marseille pour y recevoir un certificat attestant qu’à compter du 30-4-76 Patrice nous était confié en vue d’adoption. Je me revois encore descendant les marches du palais, tenant entre mes mains le précieux certificat. Qui remercier ? Le monde entier !

Le lendemain 1er mai, nous étions impatients de l’emmener en ville pour lui faire découvrir Marseille. Evidemment, nous sommes allés au Vieux Port lui faire voir la mer, les bateaux, les mouettes, les marchandes de poissons. Il faisait un temps magnifique, les gens étaient nombreux à se promener sur les quais. Nous étions heureux Odile et moi de voir Patrice aller et venir, courant ici et là. Il était magnifique. On le devinait tout content de vivre en liberté. Et je le vois encore attiré par les nombreux pigeons qui voletaient et trottinaient tout près des passants, happant des miettes de pain que les promeneurs leur lançaient à la volée. Et Patrice aurait bien voulu en attraper un ou deux. Il s’approchait doucement en se faisant tout petit, mais au dernier moment les pigeons s’envolaient pour se poser quelques mètres plus loin.

En remontant la Cannebière, nous avons rendu visite à des cousins d’Odile, Robert et Alice Rey. Ils savaient que nous avions fait une demande d’adoption et nous étions tout heureux de leur faire connaître Patrice, sans plus tarder.

 

LES CHANTIERS NAVALS DE LA CIOTAT

 

Le stage F.P.A. à la rue des Forges se termina le 15-6-76. La plupart des stagiaires passèrent avec succès les épreuves de l’examen de fin de stage et les diplômes nous furent remis. Restait maintenant à trouver un emploi dans cette nouvelle branche. Assez rapidement, le 19 juillet, je fus embauché par une entreprise qui avait son siège dans notre quartier à La Valbarelle, au 170, s’intitulant Société d’Equipement Industriel et d’Entretien ( S.E.I.E.). C’était la période des congés. Le lendemain je partais aux chantiers navals de La Ciotat où plusieurs ouvriers de la société assuraient la maintenance électrique dans quelques ateliers. Je découvrais un nouveau monde :la construction navale. Cela me changeait des petits appartements où bien souvent on se trouvait à travailler seul ou presque. Ici tout était immense. Les grands paquebots en construction qui séjournaient dans des bassins ouvrant sur la mer. Des ouvriers de tous corps de métier qui s’activaient un peu partout, des soudeurs, des peintres, des plombiers, des électriciens qui installaient des câbles et des faisceaux de fils qui allaient dans tous les sens. C’était une véritable fourmilière humaine, avec en plus un vacarme étourdissant. Les premiers jours j’avais du mal à me repérer dans tout ce tohu-bohu. A cette époque, travaillaient là plus de cinq mille ouvriers. Il fallait voir, à midi, au moment de sortir pour l’heure de casse-croûte, la marée humaine qui s’avançait tant bien que mal vers la sortie, vraiment trop étroite. Il fallait presque un quart d’heure pour réussir à se dégager de ce flux humain. Je me souviens qu’un jour, m’attendaient à la sortie, mes deux nièces de Saint-Jean, Jacqueline et Michelle qui étaient venues passer quelques jours de vacances dans le midi Je vois encore leur étonnement à la vue de tout ce monde au milieu duquel elles avaient eu du mal à me repérer.

Après les congés, la société m’envoya travailler dans des hôpitaux et des cliniques. Mais je n’avais pas suffisamment d’expérience, ce qui fait que le 22 octobre, je reçus une lettre recommandée me disant qu’à partir de ce jour, je ne faisais plus partie de la société. Cela m’était bien pénible de me voir refoulé de cette façon. Je touchais du doigt la situation des chômeurs qui se débattent pour s’en sortir. Il en fallait plus que cela pour me décourager. Après une période de chômage je m’adressai à des société de travail par intérim. Il s’en trouvait une à Saint Marcel. Je fus envoyé en mission à La Brasserie de la société Phoenix à La Valentine, à la périphérie de Marseille. Ensuite pendant quelques mois, ce sont les parkings sous-terrains du Centre Bourse, pas très loin du Vieux-Port, qui eurent l’avantage de bénéficier de mes talents d’ouvrier spécialisé en électricité industrielle.

Les trois premiers mois de l’année 1977 furent une période de chômage. J’allais pointer à l’A.N.P.E. et touchais les ASSEDIC. Mais rester inactif, ne me convenait guère. Pourquoi continuer à chercher un emploi salarié ? Ne me conviendrait-il pas mieux de m’installer à mon compte comme commerçant ? Peu à peu l’idée germa et se précisa. Mais dans quel genre de commerce et avec quel argent ? Justement, mes parents venaient de créer un G.F.A. (Groupement Foncier Agricole), dans lequel j’avais, au même titre que mes frères et ma sœur, des parts de société. Pourquoi ne pas proposer à mes frères de reprendre un certain nombre de mes parts ? Avec cet argent, je pourrais reprendre un fonds de commerce. En faisant un tour des commerces du quartier, j’appris qu’une droguerie était à reprendre. Après les démarches d’usage, je signai le 14 avril, l’acte d’achat de la droguerie, Vignal, au 3 Avenue de Vienne à Marseille 11ème .

 

DROGUISTE A LA CITE MICHELIS ( Marseille 11°)

"  Trente deux métiers, trente six misères " d’après le dicton. J’abordai cette nouvelle profession avec un peu d’appréhension. Les clients allaient-ils continuer à venir faire leurs achats à la petite droguerie de quartier ? Avec les grandes surfaces qui s’installent un peu partout, et qui arrivent à vendre à des prix nettement plus bas, arriverai-je à tenir le coup ?

Mr Vignal m’avait communiqué le nom et l’adresse de ses principaux fournisseurs. Quand j’ouvris le magasin le lundi matin, des clients ne tardèrent pas à venir. Peut-être par curiosité pour voir la tête du nouveau droguiste. Sur le coup de 9 heures entrèrent deux dames d’un certain âge qui me saluèrent bien gentiment et me dirent : " Voilà, nous venons tous les matins à la droguerie et nous posons à chaque fois dix francs que vous voulez bien marquer sur un carnet et quand nous avons besoin de quelque chose vous soustrayez le montant de notre compte. " J’avoue que cette manière de faire me fit bonne impression et me mit en confiance. Ces deux dames qui habitaient dans la cité Michelis s’appelaient Mme Esposito et Mme Gantelme. Un grand merci à elles.

Monsieur et Madame Vignal m’avaient dit qu’ils employaient une personne pour les aider à la vente. Ils me présentèrent une dame qui me fit tout de suite bonne impression. Son mari, Monsieur Serge Grenouillat était militaire et ils habitaient à proximité dans les bâtiments réservés aux fonctionnaires, Avenue Elléon. Elle s’appelait Colette. Elle venait le matin de 9 heures à midi. Elle connaissait bien les clients et savait les accueillir avec le sourire. Je me félicite de lui avoir demandé de continuer à venir travailler à la droguerie.

C’est fou la diversité des articles qui pouvaient s’accumuler dans ces petites drogueries de quartier. Certains n’hésitaient pas à parler de Caverne d’Ali Baba. Cela allait des produits d’entretien, des peintures avec toutes les nuances, les teintures pour les cheveux, là aussi avec un nuancier très chargé, les cirages, les graines pour oiseaux, les produits de beauté, vernis à ongles, rouges à lèvres, des petits bijoux, colliers, bracelets, des montres, des casseroles, des poêles à frire, des poêles à marrons, souvent suspendues au plafond, des lampes électriques, des piles etc. et des jouets en quantité et des plus variés. Bref, j’en passe et des meilleurs.

En plus de la vente d’articles de tout genre, j’avais le souci d’assurer le plus de services possibles. Je fis l’acquisition d’une photocopieuse, d’une shampouineuse à vapeur pour nettoyer les moquettes, d’une décolleuse de papiers peints et je livrais les bouteilles de gaz qui pesaient facilement 20 kilos. A la Cité Saint-Thys, je devais me taper des 4 étages sans ascenseur. Du fait de cette variété de services, j’ai réussi, bon an mal an, à tenir le coup durant 17 ans, jusqu’à la retraite. Inutile de vous dire qu’il ne fallait pas compter ses heures de travail. Les 35 heures ! n’en parlons pas. J’étais plus près des 70 heures par semaine, avec l’ouverture le dimanche matin jusqu’à 13 heures. Odile, d’ailleurs, ne manquait pas de me faire remarquer que nos enfants ne voyaient pas assez leur père, surtout pendant le week- end , puisque je n’en prenais qu’un seul par mois.

Pour fidéliser la clientèle et stimuler les ventes j’organisais parfois une tombola gratuite. A l’occasion du 7ème anniversaire de mon installation je fis imprimer un tract annonçant : A Michelis, vous trouvez près de chez vous, tout ce qu’il vous faut, spécialement à la droguerie Galichet

1er prix – Une boîte à couture sur pied

2ème prix – Une montre

3éme prix- Un bon d’achat de 50 francs

 

Un autre événement fit grand bruit dans la cité. Un soir de la mi-décembre 1988 eut lieu un braquage sanglant à la boucherie Kocaïan à 30 mètres de ma droguerie. Ce soir là, en fin de journée, je baisse le rideau et vais livrer une bouteille de gaz dans la cité voisine. A mon retour, alors qu’il fait nuit noire, j’arrive à proximité de la boucherie, ma bouteille de gaz vide sur l’épaule, quand retentit le bruit de deux coups de feu, provenant de la boucherie. Aussitôt j’aperçois un homme qui sort en courant, tout en remisant un pistolet dans la poche intérieure de sa veste. Je n’en crois pas mes yeux. J’étais prêt à lui envoyer ma bouteille de gaz en plein travers. Je n’en ai même pas eu le temps car, il est monté comme l’éclair dans une voiture qui l’attendait et qui a démarré en trombe. Michelis ce n’est tout de même pas Chicago. Mr Kocaïan avait refusé de lui donner la caisse contenant la recette de la journée. Il avait reçu deux balles de gros calibre " 9 mm " dans l’estomac. Quand je suis arrivé il était tombé à terre , baignant dans son sang. Sans tarder les secours s’organisèrent. Après un séjour de plusieurs semaines à l’hôpital, Mr Kocaïan put rentrer chez lui. Cela aurait pu aussi bien m’arriver.

Dans ce même registre, me revient en mémoire l’agression dont je fus victime, un soir, en rentrant à Château St Jacques. J’avais le tort de garer ma voiture toujours au même endroit. Un malfrat du voisinage l’avait remarqué. Je gare donc ma voiture en bas du bâtiment I, à cheval sur le trottoir. J’en descends, ma sacoche à la main. J’avais fait à peine quelques pas que je sens un bras qui m’attrape à l’arrière par le coup, me fait basculer et rouler à terre. Heureusement que j’avais une bonne voix, car je me mis à hurler : " Au voleur, au voleur " ! Aussitôt des personnes crièrent de leur balcon : " Faut-il appeler la police ? " Pendant ce temps, je me débattais et tenais toujours ma sacoche. Je réussis même à lui envoyer un coup de poing dans la figure. Il n’insista pas et quitta les lieux en courant alors que je l’insultais de tous les noms. Il réussit seulement à emporter une paire de lunettes. Je crois avoir eu ce soir là la peur de ma vie.

NOTRE FILLE CELINE.

Car Patrice n’était plus notre enfant unique. Depuis le 7 juin 1978 il avait une sœur, Céline. De nouveau, notre joie fut encore très grande, lorsque les services de la D.D.A.S.S. nous signalèrent qu’une petite fille âgée de 5 ans et demi attendait notre visite dans une famille d’accueil qui habitait à Marseille, dans le quartier de La Rose. Nous avons d’abord pris rendez-vous avec ces " parents d’accueil " qui assuraient la garde et l’éducation de plusieurs enfants confiés par les services sociaux, en plus de leurs propres enfants. Puis, lorsque nous avons vu Céline, nous avons été ravis. Céline était un belle fille blonde aux yeux bleus, bien vivante. Alors que Patrice était un beau garçon brun du type méridional, Céline faisait plutôt penser aux habitants des pays nordiques. Cela se trouve dans les familles que les enfants n’ont pas le même profil. Nous étions comblés.

Céline est née à Marseille le 14 septembre 1972. Elle a passé ses premières années d’enfance chez sa " gardienne " dans le quartier populaire de La Rose. Nous avons constaté une différence entre l’accueil de Patrice et celui de Céline. Alors que Patrice était à la Maison d’enfants, sans famille, lorsqu’il est venu chez nous, il fut tout heureux d’avoir des parents qui s’occupaient bien de lui. Céline, elle au contraire, se trouvait bien entourée, dans une chaude ambiance familiale. Ce fut certainement pour elle un nouvel arrachement.

VACANCES EN CHAMPAGNE

 

Nous avions hâte, Odile et moi, de permettre à nos familles respectives, de faire la connaissance de nos enfants. Nous avons profité des vacances scolaires d’été pour, d’abord aller à Saint-Didier, prés des parents d’Odile. Nous y avons passé quelques jours bien agréables durant lesquels chacun était heureux de se découvrir.

Ensuite, direction La Champagne. Cela faisait un long trajet. Pour rendre le voyage moins éreintant pour les enfants, et en même temps pour découvrir la famille d’une tante d’Odile, nous avons fait une halte, prés de Lyon, dans le Beaujolais, à Villiers-Morgon, chez les Desvignes. Comme leur nom l’indique, ils sont vignerons et cela depuis des générations puisqu’ils connaissent leurs ancêtres d’avant la Révolution. L’accueil fut bien chaleureux.

Le lendemain, après une nuit bien reposante, nous avons avalé bien des kilomètres pour arriver enfin à Somme-Suippe. J’étais heureux de retrouver la famille, le pays, les amis, et surtout de permettre à Patrice et Céline de faire connaissance avec mes parents et toute la famille dispersée dans les villages environnants. Ce furent des moments chargés d’intense émotion. Et tout ceci dans une ambiance campagnarde, de détente, de grand air.

C’était l’été, en juillet, moment important de la moisson. Patrice et Céline découvraient les grands espaces de la plaine champenoise. Les moissonneuses-batteuses tournaient à plein régime, les bennes chargées de grain de blé ou d’orge se livraient à un va-et-vient discontinu allant des champs jusque dans les fermes. Les chevaux-animaux avaient fait place aux chevaux-vapeurs.

Nous, de notre côté, nous profitions du beau temps pour faire des balades en bicyclette, sur les chemins des champs. C’est au cours de ces vacances que Céline sut, pour la première fois, " faire du vélo ". C’était un vendredi, jour où l’on mangeait du poisson, car mes parents observaient les lois de l’Eglise, encore en vigueur en ce temps là. Et Céline avait dû se faire prier, car elle n’en raffolait pas. Donc ce vendredi, après le repas de midi, j’accompagnai Céline pour l’aider une nouvelle fois à rouler en vélo. Je la maintenais en équilibre en tenant la selle de ma main droite. Et voilà-t-y pas que je lâche prise sans rien dire. Au lieu de voir Céline tomber à terre, avec les pieds empêtrés dans le guidon, je la suis des yeux constatant qu’elle se maintient bien en équilibre, en pédalant avec ardeur. Quand elle s’aperçoit que je suis loin derrière, elle stoppe et crie : "  Ca y est, je sais faire du vélo " ! " Bravo ! ", lui dis-je : "  Tu vois, le poisson que tu viens de manger t’a donné les forces qui t’ont permis de réussir ". Mangez du poisson et vous vous porterez bien !

Un autre épisode de ces vacances en Champagne. Par un bel après-midi, nous accompagnons mon frère Denis qui moissonnait un champ de blé, dans les " Sapins Maître ", sur le finage de Saint-Remy, à proximité d’un bois. Patrice et Céline en compagnie des enfants de Denis : Dominique, Claire, Jean-Yves, s’en allèrent jouer dans ce bois alors que nous faisions tranquillement la sieste à l’ombre. Nous étions bien tranquilles appréciant le calme et le grand air. Et tout d’un coup, retentissent des cris provenant du milieu du bois et nous ne tardons pas à apercevoir Céline qui accourt vers nous, poursuivie par un essaim d’abeilles. Elle était piquée de partout, les mains, les joues, le cou, les jambes et les cheveux en bataille. Que s’était-il passé ? Alors, elle nous dit en pleurant : " On voulait faire une cabane avec des planches, alors j’ai été en chercher un peu plus loin et les abeilles m’ont piquée ". C’est ainsi que Céline a découvert ce qu’était une ruche. Nous sommes rentrés au village en catastrophe. Notre belle-sœur Denise l’a bien soignée et nous avons quand même pu terminer la journée chez ma nièce et filleule Michelle et son mari Claude Laurent à Bussy-le-Repos, près de Vitry-le-François.

De retour à Marseille, petit à petit, notre vie de famille à quatre s’organisa. Odile se rendait chaque jour au Centre Saint-Thys pour faire la classe aux enfants handicapés. Du statut d’éducatrice elle était passée à celui d’institutrice de l’Education Nationale. Patrice et Céline allaient à l’école de la Cité Michelis à deux pas de notre appartement. Et moi, je m’activais dans la droguerie.

Odile et moi étions heureux de participer aux réunions des fraternités Vie Nouvelle où régnait une ambiance amicale. Parallèlement, nous aimions nous retrouver certains dimanches, en compagnie des enfants, au Centre diocésain " Le Mistral ", à des réunions de prêtres en foyer. Les échanges étaient très enrichissants. Chaque couple faisait preuve de beaucoup de courage pour réussir sa reconversion et continuer à œuvrer dans l’Eglise d’une façon différente. Avec les 95 000 prêtres catholiques " hors ministère presbytéral " nous luttions contre l’obligation du célibat ecclésiastique, pour un libre choix et une nouvelle pratique de la Mission. Tout un programme !

Je m’aperçois que les mentalités évoluent. En effet, le dimanche 8 juillet 2007, au journal télévisé de 20 heures, un petit flash de quelques minutes nous informa que des prêtres américains, de plus en plus nombreux, se marient et continuent d’exercer leur ministère, les fidèles trouvant cela normal. Les foudres du Vatican ne vont pas tarder à gronder.

Je me bornerai à relater les événements les plus importants qui marquèrent notre vie durant les années qui suivirent.

En mai 1980, nous avons eu à déplorer le décès de mon frère Roger, âgé de seulement 54 ans . Nous nous sommes retrouvés avec sa femme Rolande, ses enfants, toute la famille et de très nombreux amis, pour ses obsèques dans le petit village de Saint-Jean-sur-Tourbe. Je fus très attristé de perdre ce frère si proche, avec qui j’avais vécu tant de moments inoubliables, surtout pendant les six mois passés en 1936, dans les Pyrénées, alors que ma marraine Agnès luttait contre la tuberculose.

En juillet 1982, nous sentant un peu à l’étroit dans notre T4 au bâtiment A de Château Saint Jacques, une occasion nous est donnée de faire l’acquisition d’un T5, dans la même copropriété au bâtiment I. Ainsi, Odile put disposer d’un bureau à plein temps pour son travail de préparation de classe. Jacques et des amis de Vie Nouvelle vinrent nous prêter main forte pour le déménagement.

 

 

 

 

SIXIEME PARTIE : LA RETRAITE 1992 - 20 ..

 

FIN DE L’ETE ET L’AUTOMNE

 

L’APICULTURE

 

C’est dans ces années 80 que, me semble-il, je fis mes premiers pas en apiculture. Le grand-père Jules avait ouvert la voie en créant deux ruchers à Somme-Suippe. Etant enfant, j’avais accompagné plusieurs fois mon père pour la récolte du miel, ayant ainsi eu mes premières occasions d’éprouver le bonheur que vous procure une piqûre d’abeille. Par la suite, étant au Grand-Séminaire à Châlons, je me suis occupé du rucher qu’entretenait Mgr Becq, sous un appentis au fond du jardin. Je me souviens être allé récupérer un essaim, un certain soir de mai, à la maison Saint-Joseph, près du lycée .

Ce sont nos amis Rose-Marie et Gilbert Ott, à Aubagne, qui me fournirent mes deux premiers essaims. Ils habitaient alors dans une maison en bordure de l’Huveaune avec un assez grand jardin au fond duquel ils avaient installé quelques ruches. Patrice et Céline étant à peu près du même âge que leurs premiers enfants Emmanuel, " Manu ", pour les intimes et Mathieu, ils y allaient parfois passer le week-end. Un jour, j’ai demandé à Gilbert s’il accepterait de me vendre une ruche. Il me répondit qu’il serait prêt à me donner un ou deux essaims au printemps prochain. A moi d’acheter ou de fabriquer des ruches pour les y abriter. C’est ce que je fis. La droguerie comportait une arrière-boutique avec une petite cour. Je récupérai des planches. Sur les trottoirs de Marseille, vous trouvez de tout. Je ne tardai pas à récupérer une ou deux vieilles armoires. Je m’achetai une petite scie circulaire et me basant sur un modèle de ruche que Gilbert m’avait prêtée, j’ai pu construire, entre deux clients, mes deux premières ruches. Quand arriva le printemps, au moment de Pâques, Gilbert m’appela un beau matin pour me dire qu’un bel essaim m’attendait. C’est avec grand plaisir que je l’introduisis dans ma ruche artisanale. Et depuis, cette nouvelle passion ne me quitte plus.

Depuis quelques années, j’ai rejoint le GAEG, c’est à dire le Groupement Apicole d’Entraide du Garlaban. Pour qui n’a pas lu les œuvres de Marcel Pagnol je précise que le Garlaban est le mont qui domine toute la région d’Aubagne. Cette association qui regroupe plus de cent apiculteurs amateurs, depuis La Ciotat jusqu’à Aix, est un bon soutien, car l’apiculture ne s’improvise pas. Les échecs et les déboires ne manquent pas. Les conseils et les coups de main sont une aide précieuse.

Une des activités les plus prégnantes de l’apiculture, pour ceux qui la pratiquent, est la transhumance. Pour ceux qui aiment " l’aventure ", c’est tout indiqué. La transhumance évoque le plus souvent le cheminement des troupeaux de moutons à travers les alpages. Parfois je dis à Patrice, qui toujours vient m’aider dans ce genre d’exercice, s’il ne pourrait pas demander à l’un ou l’autre de ses copains de venir nous aider ; il me dit : " Oui, parfois j’en parle à des amis. Je leur dis que ce serait bien de venir faire la transhumance avec nous. Ils sont la plupart du temps intéressés. Mais Frédérique leur dit : "  Vous savez , ce n’est pas des moutons qu’on fait transhumer ; ce sont des abeilles ". Alors là, ce n’est plus la même chanson. Toutes les bonnes volontés se sont estompées. "

Oui, cette transhumance nécessite un certain courage. D’abord cela se pratique le plus souvent de nuit. On charge les ruches les plus populeuses, donc les plus lourdes, à la tombée du jour, quand toutes les travailleuses sont rentrées au bercail . Si l’on n’est pas bien protégé, les piqûres vous tiennent en éveil. Le transport dure à peu près deux heures, jusque dans le Lubéron ou dans les Gorges du Verdon à proximité du Lac Sainte-Croix, dans les Alpes de Haute Provence. Il est minuit passé. Le temps de décharger en évitant les piqûres et de les poser convenablement dans la nuit noire, de vérifier qu’on n’a rien oublié et de rentrer à la maison au petit jour vers cinq heures du matin. Un vrai sport ! Mais quelle récompense quand trois semaines plus tard je vais commencer à récolter le miel de lavandes. Car ce sont les lavandes qui nous intéressent. D’ailleurs, des camions entiers chargés de ruches viennent d’Allemagne ou d’Italie pour récolter ce fameux miel de lavande, le meilleur entre tous. C’est le nec plus ultra, comme le Champagne dans la catégorie des vins.

Produire du miel c’est bien. Mais pour quoi faire ? Notre consommation familiale et la vente à des amis n’épuisaient pas tous mes stocks. Il m’a semblé judicieux d’ en faire bénéficier ma famille et des amis en Champagne. De ce fait, lorsque je voyageais par le train vers Châlons moult seaux et bagages m’accompagnaient. Si bien qu’un jour, des jeunes filles qui voyageaient dans le même compartiment me firent gentiment cette astucieuse remarque : " Mais, Monsieur, vous ne savez donc pas que la guerre est finie ? "

Une dernière remarque sur le miel. Je réussis tout de même à en vendre à la famille, à des amis et dans des petits commerces. Et savez-vous que je verse une bonne partie de ces recettes dans la caisse de notre association en faveur de nos amis du Burkina ? Si bien qu’à l’occasion je me permets de dire que mes abeilles butinent pour l’Afrique.

 

"  UN PETIT COIN DE PARADIS  " A ROQUEVAIRE.

Pour occuper mes loisirs au moment où l’heure de la retraite aurait sonné, le besoin se fit sentir d’acquérir un terrain sur lequel il me serait possible d’installer des ruches et de construire un hangar sous lequel je pourrais aménager un petit local où j’aurai la possibilité de faire le miel. Le 16 juillet 1992 mon choix se fixa sur "  un petit coin de paradis ", situé sur la commune de Roquevaire, dans les collines en direction de Lascours, au lieu dit " Le Piédoulard ". Depuis cette date je ne cesse d’apprécier le charme de la vie à la campagne. Je m’aperçois que je ne suis pas le seul à goûter les joies de la vie champêtre puisque Chateaubriand lui-même l’exprima si bien dans " Les Mémoires d’Outre-Tombe " Alors qu’il avait voyagé un peu partout dans le monde, en Amérique, en Angleterre à Rome, en Grèce, à Jérusalem, en Egypte, en Afrique, en Espagne, Chateaubriand s’installe dans une petite propriété aux environs de Paris appelée " La Vallée aux Loups ".

"  Il y a quatre ans, écrit-il, qu’à mon retour de Palestine (1807) j’achetai, près du hameau d’Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Châtenay, une maison de jardinier, cachée parmi les collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison n’était qu’un verger sauvage au bout duquel se trouvaient une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances.

Les arbres que j’y ai plantés prospèrent ; ils sont encore si petits que je leur donne de l’ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protègeront mes vieux ans comme j’ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis, autant que je l’ai pu, des divers climats où j’ai erré ; ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon cœur d’autres illusions.

Si mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres, tiennent jamais ce qu’ils promettent, la Vallée aux Loups deviendra une véritable chartreuse.

Ce lieu me plaît ; il a remplacé pour moi les champs paternels ; je l’ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles ; et pour me créer ce refuge, je n’ai pas, comme le colon américain, dépouillé l’Indien des Florides. Je me suis attaché à mes arbres ; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n’y a pas un seul d’entre eux que je n’aie soigné de mes propres mains, que je n’aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille attachée à sa feuille ; je les connais tous par leurs noms comme mes enfants ; c’est ma famille, je n’en ai pas d’autre ; j’espère mourir auprès d’elle… " Magnifique ! Je remercie mon beau-frère, Alain Granet, de m’avoir communiqué cette page admirable. Je partage profondément tous ces sentiments si bien exprimés par Chateaubriand.

 

LE CHŒUR "  PRO MUSICA "

 

Une autre passion nous procura, à Odile et moi, de nombreuses satisfactions, c’est celle du chant choral. Depuis quelque temps nous cherchions à rejoindre une chorale. Lorsque nous avons appris qu’une de nos amies de Vie Nouvelle, Martine Rousselon, chantait , nous lui avons demandé de nous parrainer. C’est ainsi que nous avons fait nos premières gammes en septembre 1991, dans le chœur " Pro Musica ". Les répétitions avaient lieu alors dans un local proche de la gare de La Blancarde. Ce compagnonnage devait durer, du moins en ce qui me concerne personnellement, près de 15 ans.

Que de bons moments nous avons vécu, dans une ambiance plus qu’amicale, que ce soit durant les répétitions, lors des concerts et des voyages. Nous y avons établi des liens d’amitié très solides. Le chef de chœur, qui en fait, est " une chef ", Renée Mattei, dirigeait son monde avec rigueur et en même temps avec une grande attention à chacune et à chacun des choristes. Je tiens à l’en remercier infiniment.

Sa compétence musicale était universellement reconnue. Son parcours musical est impressionnant ce qui lui a valu d’être Professeur Agrégé d’éducation musicale et de chant choral. Lauréate au Conservatoire de Marseille en solfège, chant, histoire de la musique, entrée par concours au Centre National de préparation à l’enseignement de la musique (Lycée La Fontaine à Paris) où elle reçoit les enseignements prestigieux de professeurs tel que Jean Giraudeau et Irène Joachim (chant), Jacques Chailley (histoire de la musique, Roger Boutry et Jean Rollin (direction de chœur), Alain Weber et Marcel Bitsch (écriture). Cours de piano avec Marc Poujol (élève de Cortot) et cours de chant au conservatoire de Versailles.

Elle nous fit découvrir et apprécier des œuvres musicales admirables dans tous les registres et de toute époque avec une prédominance pour les chants religieux. Au fil des ans, notre répertoire s’enrichissait. La liste en serait trop longue. Je me souviens tout spécialement du Requiem de Gabriel Fauré. Lorsque les sopranos entonnaient :" In paradisum deducant angeli in tuo adventu suscipiant te martyres… ", je ne pouvais retenir mon émotion, d’autant plus que quelque temps auparavant, était décédé subitement notre plus jeune frère Jean-Marie.

Nous avons interprété des œuvres de Mozart, Cherubini, Schubert, Rossini, Dvorak, Vivaldi et bien d’autres. Nous avons été primé au X ème Concours International de Chant Choral de Vérone en 2004 ; nous avons décroché le 1er prix au 5ème Concours Régional de Chorales de Roquebrune sur Argens, dans le Var.

Le chœur " Pro Musica " savait aussi organiser ou participer à des concerts en faveur de l’humanitaire. A la suite d’un voyage d’immersion de 15 jours au Burkina-Faso, avec des amis de Vie Nouvelle de Marseille, en 1996, nous avions mis sur pied une association : " Amitiés Marseille Diébougou au Burkina " dont j’étais le président. Lorsque l’idée fut évoquée de chanter en faveur de notre petite ONG, l’accord fut unanime. Le concert eut lieu en l’église Saint Laurent de la Capelette dans le 10ème, le 19 mars 1999, en présence de Mr Roubaud, consul honoraire du Burkina à Marseille. En seconde partie de soirée, nous avions fait appel à l’orchestre de La Légion étrangère d’Aubagne. Ce fut une soirée très réussie. Je ne saurais trop exprimer ma reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui ont œuvré au bon déroulement de cette soirée mémorable qui nous permit d’aider un peu plus nos amis du Burkina.

Chaque année, au moment de Noël, une soirée était consacrée à la détente ; chacun ou chacune était invité à apporter du " salé " ou du " sucré " accompagné de quelques bonnes bouteilles et ceux ou celles qui le désiraient pouvaient faire preuve de leur talent en interprétant un chant, en jouant un petit sketch ou en racontant une histoire. Pour la Noël 95 j’avais composé un petit texte intitulé : " La leçon de catéchisme ".

En voici le texte : "  Chers Amis,

Je veux vous conter, ce soir, une petite histoire ou plutôt un fait divers qui est arrivé à un de mes oncles, il y a bien longtemps. Cela s’est passé dans un village du beau et bon pays champenois, dans la vallée de la Marne au milieu des vignobles réputés. Ce petit bourg, au nom évocateur de Trifouillis-les-Oies, se trouve à proximité d’Epernay et pas très lon de l’Abbaye d’Hauvillers, où notre célèbre moine, Dom Pérignon, découvrit la fameuse bulle pétillante du vin de Champagne, de renommée mondiale maintenant.

Donc, mon oncle qui s’appelait Albert, était curé de cette petite bourgade des coteaux champenois. Un jour, c’était un jeudi, car en ce temps là, c’était le jour de la semaine où il n’y avait pas classe, il faisait le catéchisme aux enfants qui se préparaient à faire leur communion solennelle. Ce jeudi après-midi, mon oncle Albert avait programmé un exercice pratique, qu’on appelait " le chemin de croix ". D’ailleurs cela se fait encore à Lourdes, je crois, où vous pouvez cheminer à genoux ou les pieds nus. Habituellement, vous avez : la 1ère station, Jésus est condamné à mort …la 3ème, Jésus tombe pour la 1ère fois …la 8ème, Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix,…la 10ème, Véronique essuie le visage de Jésus…etc. Au plan spirituel, c’est très sain. Cela permet de se pénétrer des dernières heures de la vie du Christ et de faire un petit retour sur soi-même.

D’ailleurs, c’est un thème qui a très souvent été exploité par les auteurs en littérature et par les compositeurs de musique. C’est ainsi que le " Stabat Mater " inspira de nombreux et grands musiciens. " Stabat Mater dolorosa, juxta crucem lacrimosa . " Cela me rappelle, au temps où j’étais encore jeune, une chorale d’une petite ville de province, dans laquelle justement, on interprétait le Stabat Mater de Rossini. Les basses étaient fiers de faire montre de la puissance de leurs cordes vocales en clamant avec force : " Eja, Mater fons amoris ".

Bref, cette chorale était des plus sympathiques. Elle avait un chef qui était une chef extra. Elle rayonnait la vitalité et l’énergie. Elle avait l’art de nous faire découvrir la beauté des sons, l’importance du rythme et du tempo. Avec elle, c’était un délice de découvrir des chefs-d’œuvre. Elle était tonique. Ses origines corses devaient y être pour quelque chose. Certains disaient même que dans son arbre généalogique on avait découvert des ramifications avec notre si célèbre Napoléon Bonaparte. En tout cas, elle dégageait une chaleur humaine et une délicatesse touchantes. …

Mais là, excusez-moi, j’ai l’impression que je diverge, que je m’écarte de mon sujet. Pour en revenir à nos moutons, reprenons l’histoire de mon cher oncle Albert. Alors qu’il venait à peine de commencer son chemin de croix avec ses minots, voilà t-y-pas que sa gouvernante vient lui dire précipitamment dans l’église que la Veuve Cliquot, bien connue par ailleurs pour ses champagnes réputés, qui habitait au bout de la rue du bourg, est au plus mal et qu’il serait urgent de lui porter les derniers sacrements.

Mon oncle ne fait ni une ni deux, tout à trac, il envoie le petit Justin chercher Julien, son sacristain qui habite à deux pas. " Dis lui vite de venir me remplacer au pied levé pour continuer le chemin de croix ". Julien arrive. Mon oncle lui explique la situation. Parfait ! Julien prend en main l’équipe de gamins et de gamines. Tout va bien. Mon oncle Albert, sans perdre de temps prend les Saintes Huiles et fonce près de la Veuve Cliquot. Il arrive juste à temps. Il exhorte la brave Veuve à se réconcilier avec Dieu. Il la réconforte, lui donne le sacrement des malades et s’excuse près de la famille d’être obligé de repartir rapidement pour rejoindre les enfants du catéchisme. Vite, il revient vers l’église ; il arrive tout essoufflé. Il écoute à la porte de l’église avant d’entrer. Tout est calme. Bravo, pense t’il : " Julien est du tonnerre " ! Mon oncle ouvre doucement la porte et il entend, dans un recueillement incroyable, Julien qui annonce fièrement : " 24ème station : Simon de Cyrène épouse Véronique. "

Une autre année, je me souviens avoir chanté, en duo avec mon cher ami Gérard Beysens, dont la voix de baryton-ténor était en harmonie avec la mienne, " Les Lacs du Conémara " de Michel Sardou. Souvenirs, souvenirs !

Nos adieux au chœur "  PRO MUSICA " le 21-12-2006.

Chère Renée,

Cher(e)s Ami(e)s Choristes,

Le chœur a ses raisons…

La raison me conseille d’arrêter.

 

Bernard Pivot, rendu célèbre par ses concours de dictées à la télé, a pris cette sage décision, l’an dernier, avant, a-t-il dit, qu’on lui fasse comprendre gentiment, qu’il serait temps de décrocher.

Comme Edith Piaf, je serais tenté de chanter : "  Je ne regrette rien " ; surtout pas d’être venu rejoindre le Chœur Pro Musica, en compagnie d’Odile. C’est par l’intermédiaire d’une amie, Martine Rousselon, que nous avons eu cette chance. C’était en septembre 1991. Nous répétions alors dans un local, près de la gare de La Blancarde.

Nous voulons, Odile et moi, tout spécialement, remercier Renée pour les moments d’intense émotion que nous a procurés notre participation aux répétitions, et surtout lors des concerts. Comment ne pas avoir vibré quand on a chanté, dans les arènes de Vérone, en compagnie des nombreuses chorales venues participer au concours international, le chant des esclaves : " Va pensiéro sull’ali dorate… " ou dans la cathédrale de Forcalquier en interprétant le Gloria de Vivaldi ? Je pourrais évoquer bien d’autres souvenirs heureux.

Merci également à toutes les choristes et tous les choristes, et spécialement à notre cher président, Michel Douziech, pour les nombreux liens d’amitié que nous avons pu tisser avec les uns et le autres ou les unes et les autres. Merci d’avoir su créer et entretenir ce climat de camaraderie et de sympathie.

Nous voulons aussi remercier l’ensemble du chœur pour sa participation au concert que nous avons organisé, Odile et moi et des amis, en faveur de nos amis du Burkina-Faso, le 19 mars 1999, en l’église de La Capelette, en présence de Mr Roubaud, consul honoraire du Burkina à Marseille. Nous en avons été très touchés. Nous avions également fait appel à la Fanfare de la Légion Etrangère d’Aubagne. Ce fut magnifique. Mais nous avons déchanté quand nous avons appris qu’il fallait prendre en charge, l’assurance du déplacement des militaires, l’assurance des instruments de musique, nombreux et rutilants, l’assurance des funérailles en cas d’accident mortel, l’assurance des pensions aux veuves en cas de décès…Sans parler de la SACEM. De quoi vous décourager de recommencer. Malgré cela, nous avons tout de même fait une recette de 3 000 francs, qui nous a permis de financer des projets d’aide au développement dans la région de Diébougou, au Burkina. Encore une fois, un très grand merci, à vous toutes et tous.

C’est avec un pincement au cœur que nous vous quittons, mais nous serons toujours heureux d’avoir de vos nouvelles. Ce sera toujours une joie, pour nous, de venir vous écouter et vous applaudir lors de vos prochains concerts. Tenez-nous au courant.

Merci, trois fois merci !

Odile et Michel.

 

 

L’ASSOCIATION : " AMITIES MARSEILLE DIEBOUGOU

AU BURKINA "

  Vous pensez bien que mon désir de retourner au Burkina en compagnie d’Odile et d’amis de Marseille me poursuivait depuis longtemps. C’est un projet que nous avions évoqué à plusieurs reprises en nous disant que le meilleur moment pour le réaliser serait le début de notre retraite, moment où nous aurions plus de temps et où nous serions encore assez valides pour passer quinze jours en Afrique Occidentale.

Après invitation et concertation auprès des amis de Vie Nouvelle, un groupe de sept personnes se constitua. Les heureux partants furent : Huguette et André Fauquet, Odile et Jean Morin, Monique Seveau, Odile et moi. Il fut décidé de voyager hors période de vacances et en saison clémente, c’est à dire la moins chaude en Afrique de l’Ouest. Le moment le plus favorable nous parut être la deuxième quinzaine de janvier. C’était en 1996. Les préparatifs furent menés bon train. Il fallait prévoir les papiers ( visas ou passe-port), les vaccinations, l’habillement assez léger, les billets d’avion, l’hébergement, etc.

Il n’était pas question de faire un voyage en touristes, mais plutôt d’aller à la rencontre de personnes qui étaient prêtes à nous accueillir en amis et de partager un tant soit peu leur manière de vivre. La première semaine nous permit de découvrir Bobo et sa région ; la seconde se passa chez l’habitant dans la région de Diébougou.

Nous avons voyagé en avion de Marseille-Marignane à Ouagadougou via Bruxelles avec escale à Bamako. Après une journée passée à la découverte de Ouaga, nous avons gagné Bobo par la route en autocar surchargé. Nous avons été accueilli au Centre Abel Sanon par l’Abbé Monterrat originaire de Belley que j’avais connu durant mon séjour de 1963 à 1969. Il nous prêta sa voiture qui nous permit de voyager dans la ville et de découvrir la région.

Bobo-Dioulasso est une ville verdoyante qui ne manque pas de charme et d’attrait. La grande cathédrale et son clocher, la célèbre mosquée à proximité de la mairie, son marché toujours bien approvisionné, sa gare au style si particulier. Nous avons eu le plaisir de pouvoir échanger en toute simplicité pendant plus d’une heure avec Monseigneur Anselme Sanon, archevêque de Bobo

Une visite s’imposait au caractéristique village de Koumi. Nous avons commencé par aller saluer et offrir une obole au chef traditionnel qui nous reçut en toute simplicité, nous souhaita la bienvenue et bonne visite de son village. A deux kilomètres à peine nous découvrons le grand-séminaire de Koumi qui regroupe tous les grands séminaristes du Burkina. Alors qu’en France les séminaires sont vides ici les locaux manquent pour accueillir tous les postulants à la prêtrise. Chaque année, il faut construire un nouveau bâtiment. Sèverin, un fils de Vital Méda, ancien militant de la J.A.C nous servit de guide. Le mauvais état des pistes, ainsi qu’une erreur d’orientation nous empêchèrent d’aller pique-niquer à " la Guinguette " et de nous y baigner.

Le lendemain nous sommes allés à Toussiana où se trouve un grand collège dirigé par les frères des écoles chrétiennes. A midi nous mangions à l’ombre des manguiers sur les rives de la Comoé. Dans la soirée nous arrivions à Banfora où je retrouvais Mr et Mme Gaoussou, militants de l’Action Catholique Rurale et Raphaël Somé ancien permanent diocésain de la J.A.C. marié avec une nièce de l’Abbé Victor Hien. Ils nous accueillirent plus que cordialement en nous offrant des boissons locales et des mets régionaux. Après une bonne nuit passée à l’hôtel, on a fait un petit tour au marché où chacun fit des petits achats et on a pris la direction de la grande usine-sucrerie construite récemment, au beau milieu de cette vaste plaine arrosée par les eaux de la Comoé où poussent à perte de vue des grands pieds de canne à sucre. C’est là un bel exemple d’investissement permettant au Burkina de produire une grande partie de sa consommation de sucre.

A Bobo, j’avais retrouvé Lucette Sanon, originaire de Mourmelon-le-Petit. Malheureusement, son mari Sitapha était décédé. Elle nous invita à venir manger chez elle le dimanche à midi. Nous gardons de cette réception un souvenir ému. On sentait combien elle désirait nous faire aimer son pays, le Burkina. Nous n’avons pas pu voir chez elle ses deux fils et ses deux filles qui ont grandi et se trouvent installés qui en France qui en Côte d’Ivoire.

La deuxième semaine de notre séjour devait nous permettre de vivre dans des familles " à l’africaine " au pays Dagara. L’Abbé Raphaël Somé était arrivé la veille avec une camionnette " Pigeôt " bâchée. En remerciement à Jean Monterrat qui nous avait prêté si aimablement sa voiture, nous lui avons acheté un train de pneus neufs. Adieu Bobo !

Le matin de bonne heure, à la fraîche, nous quittons la ville. A quelques kilomètres de là nous avons droit à un contrôle de police. Etaient-ils à la recherche de clandestins ? C’étaient de jeunes policiers. Je leur ai dit que j’avais connu le Burkina bien avant eux , car dans les années 60, certainement ils n’étaient pas encore nés. Un peu plus loin, nous avons quitté " le goudron " qui continuait vers Ouaga, pour prendre la piste en direction de Diébougou.. Alors là, ceux qui étaient à l’arrière du " bâché " sans bâche, commencèrent à découvrir les joies des voyages dans la brousse, sur des pistes en " tôles ondulées " avec un épais nuage de poussière rougeâtre. Quand on croisait une voiture venant en sens inverse l’épaisseur du nuage était plus que doublée. Malgré les foulards et autres protections, peu à peu la poussière s’accumulait sur les visages transformant, les passagers en personnages de carnaval.

Les 170 kilomètres furent parcourus sans encombre. Raphaël était un bon conducteur prudent et qui connaît bien la piste. Nous avons été accueilli par l’économe du diocèse. Le lendemain nous étions à Dano chez Victor Hien. C’est chez lui que Huguette et André Fauquet devaient être hébergés. Là nous attendait Denis Kpoda. C’est dans son village de Zopaal, près de Mariatang qu’Odile et Jean Morin devaient séjourner. Quant à nous trois, Monique, Odile et moi nous avons continué avec Raphaël jusqu’à Ouessa, village situé à 6 kilomètres de la frontière du Ghana où nous attendait toute sa famille. Nous avons passé là trois jours de joie intense et de partage. Le premier soir, le préfet du secteur nous reçut dans son modeste bureau pour nous présenter une vue d’ensemble de son département et nous invita bien aimablement, à la tombée de la nuit, à rompre le jeûne, car c’était la période du Ramadan. Il était musulman et son épouse était chrétienne. Cela n’avait pas l’air de poser problème. Au contraire, on sentait entre eux deux une bonne entente cordiale. Au cours de ces trois journées nous avons eu l’occasion de rencontrer des chefs de village, des jardins verdoyants, un artisan forgeron qui fabriquait des charrues et autres instruments aratoires. Le soir, les palabres dans la cour de la famille de Raphaël se prolongeaient jusque tard dans la nuit, au clair de lune. Quand vint le moment de se quitter, la tristesse se lisait dans les yeux. Merci à Raphaël et toute sa famille pour ces moments inoubliables

Comme convenu, nous nous retrouvons tous chez Victor Hien à Dano. Nous passons la nuit à l’hôtel du lieu où nous avons la surprise de voir la télévision retransmettant les programmes français. Le lendemain matin de bonne heure " le bâché " de Raphaël nous conduit vers le " goudron " qui nous mènera jusqu’à Ouaga. En cours de route, nous faisons une petite halte pour saluer un ancien de la J.A.C. Timothée Somda dont un de ses fils est devenu prêtre, l’Abbé Apollinaire ; nous apprenons que sa femme est bien malade. Sur les conseils de Jean et Odile Morin, nos médecins, nous prenons note des médicaments nécessaires que nous achèterons à Ouaga et lui enverrons aussitôt.

Raphaël nous pose à un arrêt de bus de la ligne Bobo-Ouaga et c’est le moment de la séparation. Nous disons un grand merci à Raphaël pour son amabilité, pour tous ces kilomètres dans son " bâché ", pour son accueil chaleureux, pour tout…

Quelques heures plus tard nous arrivons sans encombre à Ouaga où nous allons passer une journée avant de reprendre l’avion, journée mouvementée s’il en est, qui faillit tourner à l’incident diplomatique. Vous connaissez André Fauquet qui aurait très bien pu être reporter sans frontière. Le petit déjeuner à peine absorbé, muni de son appareil photo dernier cri, il monte sur la terrasse de l’hôtel d’où l’on bénéficie d’une vue imprenable sur l’ensemble de la ville. Pendant dix minutes André photographie de tous côtés voulant terminer sa pellicule.

Un quart d’heure plus tard, l’hôtel est pris d’assaut par une escouade de militaires en tenue de combat, mitraillettes en bandoulière, à la recherche d’une bande d’espions qui ont pris des clichés sur le parcours du défilé officiel qui doit se dérouler dans une heure. Allons bon, nous voilà dans de beaux draps ! Qui a pu faire une chose pareille ? Qui en veut à la vie du Président ? Quelle force étrangère en veut à la République du Burkina ?

Personnellement, je me trouvais ce matin là dans ma chambre d’hôtel allongé sur le lit essayant d’éliminer quelques fatigues du voyage. Un grand gaillard fit irruption dans la chambre, me pria de me tenir au garde à vous et me dit " c’est vous qui avez pris des photos ? " J’avoue que ne comprenais rien de rien à tout ce tapage. On m’expliqua le pourquoi du comment et à la fin j’ai dit : "  Par Allah, je ne suis pour rien dans cette histoire. Si vous voulez m’adresser un mandat d’arrêt je demanderai la possibilité de contacter Monsieur le Cardinal Zoungrana que j’ai l’avantage de connaître ".

Cette affaire commençait à prendre de l’ampleur. L’inquiétude monta à un tel degré qu’André décida avec Huguette de préparer une valise contenant ses effets personnels, au cas où il serait arrêté le soir, au moment de monter dans l’avion. Jusqu’aux derniers instants nous avons craint le pire. A l’aéroport nous n’en menions pas large. L’inspection des bagages se fit sans problème. Nous regardions de tous côtés pour voir si des militaires n’allaient pas nous encadrer. Une fois montés dans l’avion nous avons commencé à mieux respirer. Ouf, Dieu est grand ! Le retour s’effectua durant la nuit. Au petit jour nous étions à Bruxelles et en fin de matinée nous avons retrouvé la Provence en atterrissant à l’aéroport de Marseille-Marignane.

Ces deux semaines passées en immersion au Burkina laissèrent des traces dans l’esprit et le cœur des sept participants. Impossible de rester insensible à tout ce que nous avions vu, aux conditions de vie très sommaires des gens que nous avions rencontrés. Nous avions été frappés par l’accueil chaleureux et le sentiment de joie et de décontraction que, malgré tout, laissaient paraître les Burkinabés. Cependant nous ne pouvions rester inactifs. C’est ainsi que, désireux de faire quelque chose, nous avons décidé de constituer une association qui vit le jour le 17 décembre 1996, sous le nom de " Amitiés Marseille-Diébougou au Burkina ".

Depuis cette date, chacun d’entre nous ainsi que des amis et connaissances, apporte son écot. Bon an mal an nous récoltons entre 2 000 et 3 000 €. Nous attribuons cette somme au financement de micro projets de développement que nous font parvenir des responsables d’association qui agissent dans les villages. Ainsi en 2005 nous avons financé six projets pour un montant total de 2 650 €. Ces micro réalisations sont très variées : Aide pour le Centre nutritionnel de Diébougou qui recueille les enfants orphelins ; participation au forage d’un puits à Niégo ; achat de grillage et piquets pour clôturer le jardin de l’école des catéchistes de Lingmaré ; aide pour une banque de céréales dans le village de Bagane ; aide à l’association des " Femmes Unies de Bozo " qui gère une banque de céréales, plante des arbres, met en place un mini centre commercial, met en place un fonds de crédit, désirerait acquérir un moulin à grains et une presse à huile de karité etc. ; aide à la commission de l’enfance qui veut sensibiliser les parents à envoyer à l’école non seulement les garçons mais aussi les filles…Vous voyez que les besoins sont multiples. Si vous ne savez que faire de votre argent, vous savez que nous savons l’utiliser à bon escient. Qu’on se le dise !

 

  

LE MARIAGE DE PATRICE AVEC FREDERIQUE

Lorsque que nous sommes rentrés d’Afrique, Odile et moi, fin janvier, Patrice nous fit savoir sans tarder qu’il avait décidé de se marier. J’avais bien remarqué en traversant Marseille, des grandes affiches annonçant, comme chaque année à cette époque là, le Salon du mariage avec de belles robes de mariée. Nous savions que Patrice avait une amie qu’il fréquentait depuis quelque temps et même qu’ils vivaient ensemble. Nous avions eu l’occasion de faire la connaissance de sa compagne, Frédérique Robert, alors que nous étions occupés à jardiner dans notre " campagne " à Roquevaire, aux environs d’Aubagne. Dès ces premiers instants, elle me fit bonne impression. Sa franchise et son sérieux se lisaient sur son beau visage.

Après avoir vécu dans un petit appartement dans Marseille, Patrice et Frédérique s’étaient installés dans notre petite maison de Roquevaire. C’est pourquoi, il fut décidé que le mariage serait célébré à la mairie et à l’église du village. Pour avoir le temps de faire les préparatifs on choisit, en accord avec Monsieur et Madame Robert, les parents de Frédérique, le mois de septembre, quand tout le monde sera rentré de vacances et que la moisson en Champagne sera bien terminée. Tout se passa à merveille. Le repas eut lieu à la salle municipale de Gémenos. Un orage accompagné de furieux coups de tonnerre et d’une pluie abondante vint rafraîchir les esprits. Heureusement, nous étions bien à l’abri . Au cours du repas plusieurs convives se firent une joie d’interpréter des chants ou sketchs de circonstance. J’en profitai pour dire à Patrice ces quelques vers de ma composition :

P A T R I C E

1- Il est un joli garçon qui s’appelle Patrice

On vous souhaite de le connaître, car c’est notr’ fils,

Il est grand, il est beau, c’est un vaillant sportif

Qui ne craint pas la lutte, car il est combatif.

 

2- Il a un bon copain qu’il aime comme un frère ( c’est Gilles Maurel )

Qui habite tout près, c’est un fameux compère ;

Tous deux font des parties de foot et de basket

Et souvent se retrouvent, lisant sur la moquette.

 

3- Dés que le réveil sonne, hop, il se lève,

Il ne perd pas de temps car jamais il ne rêve ;

Il déjeune en vitesse et saute dans le " 40 ", ( C’est la ligne de bus qui va de

Repasse ses leçons, arrive à 8h 30. Marseille à Aubagne )

 

4- Il aime son collège, ses copains, ses copines

Qu’il retrouve chaque jour, en classe, à la cantine.

Avec Mr Gachon , il adore l’anglais.

Le participe actif n’a plus aucun secret

.

5- Avec Mme Negri, son professeur d’allemand,

Il aime revoir les verbes, les participes présents,

Parler des modes, des temps, analyser les noms,

Reconnaître les mots avec toutes leurs fonctions.

 

6- Et que dire, bien sûr, de tous ces trucs barbares,

Dieu ! est-il possible d’écrire ces mots bizarres ?

Comment s’y reconnaître dans tous les ablatifs ?

Sans parler de datifs et autres génitifs.

 

7- Avec Mme Gilbert, c’est sans aucun problème ;

Les entiers naturels et les P.P.C.M.

Font ses délices et son ravissement

Surtout quand on aborde toutes les équations.

 

8- Patrice a une sœur qui s’appelle Céline

Qui est belle et gentille mais pas toujours câline ;

Entre eux c’est pas toujours la fête, c’est même souvent la guerre,

L’orage n’est pas loin, on entend le tonnerre.

 

9- Mais quand soudain revient une atmosphère sereine

Et le calme et la paix, on respire à grand peine

On se dit , ( n’est-ce pas, Odile ? ) , à quand la prochaine ?

 

10- Aujourd’hui ( 21-9-96 ), cher Patrice, tu fondes ton foyer

Avec Frédérique qui a su te charmer ;

Nous vous souhaitons le bonheur et la joie.

Tous nos vœux à tous deux, et marchez avec Foi.

 

LE MARIAGE DE CELINE AVEC PHILIPPE.

Depuis quelque temps, Céline suivait un stage d’hôtellerie dans un centre de Formation pour Adultes ( centre F.P.A.) à Brive-La-Gaillarde, en Corrèze. C’était un peu loin de Marseille, mais, c’était la solution qui nous avait semblé être la meilleure. Bientôt, Céline nous fit savoir qu’elle avait fait la connaissance d’un jeune-homme et qu’ils envisageaient tous deux de se marier. Philippe fut invité à accompagner Céline, lors du mariage de Patrice. Comme les choses se précisaient, Odile et moi sommes allés à Brive pour passer avec eux les fêtes de Noël et voir si ce projet tenait bien la route.

Nous avons été heureux de faire la connaissance de Philippe Cardoso Da Silva qui exerçait le beau métier de maçon. Il travaillait dans la même entreprise que son père. Comme son nom l’indique, sa famille était d’origine portugaise. Tout en célébrant les fêtes de Noël, nous avons parlé avenir. Le mariage étant un événement important qui engage pour la vie, nous avons sondé les reins et les coeurs. Comme ils avaient l’air bien décidés, nous avons commencé à prévoir le déroulement des cérémonies. Il fut décidé, en commun accord avec Mr et Mme Da Silva, que le mariage civil aurait lieu à la mairie de Roquevaire, avec réception des amis et connaissances de Marseille, à notre " campagne " de Roquevaire, avant les vacances.

Puis en deuxième temps, en septembre, aurait lieu la cérémonie religieuse dans l’église Saint Martin de Brive, avec réception de nos familles respectives et de tous les amis et connaissances de Philippe et de sa famille, dans la propriété de Mr et Mme DA Silva, à Larche, à une quinzaine de kilomètres de Brive.

Tout se déroula comme prévu. Le mariage civil eut lieu à la mairie de Roquevaire le 14 juin 1997. En septembre, toutes nos familles et amis se retrouvaient en Corrèze. Ce fut pour beaucoup, l’occasion de découvrir ce beau pays, qui n’a rien avoir avec le Zambèze. Le lendemain, nous apprenions l’accident fatal, survenu durant la nuit, à Paris, de la princesse Diana d’Angleterre.

Une Ode à Céline . CELINE

Quel prénom joli que celui de Céline !

Il évoque pour moi, une fille câline.

Mais on est bien étonné

Et aussi très charmé

De découvrir en elle

Le feu et l’étincelle

Car elle est bien coquine

Et aime qu’on la taquine.

Savez-vous ce qu’elle aime ?

Evidemment la crème.

Mais beaucoup plus encore

Savez vous qu’elle adore

Les gâteaux, les tartines

Et la purée mousseline.

Parfois le samedi, que nous fait Céline ?

Qui devine ?

Elle vient à la cuisine,

Prend de la farine fine

Elle pétrit, elle mouline

Elle met au four, ça dégouline

Et après, on se régale, on se relêche les babines !

 

LA PAROISSE DE LA VALBARELLE.

Du temps où je tenais mon commerce de droguerie, je n’avais pas la possibilité de participer à la vie paroissiale de notre quartier. Comme chacun sait, les petits commerces de détails sont très prenant. On y passe des heures sans compter. Trois dimanches sur quatre je me tenais à la disposition des clients de 8 à 13h. Il ne m’était pas possible d’aller à la messe, comme je le désirais.

Lorsque, enfin, le moment de la retraite arriva, je fus heureux de retrouver un peu plus de temps et de liberté. Je pris contact avec la paroisse de La Valbarelle, tout près de Château St Jacques. Le curé était un jeune prêtre, d’origine vietnamienne, l’Abbé Pierre Thong. Rapidement, j’intégrai la chorale paroissiale, dirigée par un collègue de travail d’Odile, au centre d’enfants handicapés de St Thys, Guy Famechon. Puis, lorsque je fis savoir que j’étais prêt à faire du catéchisme, sans tarder, une équipe d’enfants me fut confiée. J’avoue que de me retrouver dans cette ambiance paroissiale vivante me convenait à merveille. Je garde un souvenir ému de la cérémonie des communions solennelles, du 28 mai 2000 qui permit à 9 enfants du quartier de faire leur profession de foi. Pierre Thong avait le don de célébrer des cérémonies vivantes et émouvantes. Ce me fut pénible, quand Pierre ne fut plus là, d’être contraint d’arrêter.

Depuis, les choses ont bien changé. Les prêtres se faisant de plus en plus rares, les paroisses s’étiolent. Devant une telle situation, il faudrait procéder à des changements radicaux dans l’organisation des paroisses. En quelques lignes, voici mon humble point de vue.

En tous domaines, nous constatons une soif de démocratie. Toute association ou structure fonctionne désormais dans un mode démocratique avec élection d’un bureau, avec président, secrétaire, trésorier et au besoin assistance d’un conseiller technique ou d’un consultant.

Chaque année, se tient une Assemblée Générale avec compte rendu financier etc. Un minimum de hiérarchie doit être maintenu dans l’Eglise pour assurer l’unité qui ne veut pas dire unicité. On ne vit pas de la même façon en France, en Angleterre, en Inde ou en Afrique. Il faut laisser une certaine marge de manœuvre à chaque église locale. Le monde évolue. On ne vit plus comme au Moyen-Age. La devise de l’Europe : " L’unité dans la diversité ", me semble convenir à merveille.

Le Concile Vatican II déclare : "  Les fidèles, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l ’offrande de l’eucharistie, et exercent ce sacerdoce par la participation aux sacrements, par la prière et l’action de grâce, le témoignage d’une vie sainte, l’abnégation et une charité active ".

Dans un document récent, Benoît XVI a souhaité que tout fidèle puisse participer à l’eucharistie chaque dimanche. Cela ne sera possible que si l’on donne à chaque communauté, à chaque équipe locale, comme le fait Mgr Rouet dans le diocèse de Poitiers, la faculté de se retrouver autour d’une table et de partager ensemble le pain et le vin.

Dans le journal " La Croix ", daté du 25 avril 2007 page 19, je lis : " Mgr Albert Rouet installait samedi dernier, la 305° communauté locale du diocèse de Poitiers. " Que faut-il entendre par " communauté locale " ? L’archevêque de Poitiers répond : " Nous sommes dans l’obligation de revoir le fonctionnement de notre Eglise. Jusqu’ici, il était lié aux paroisses, découpage territorial hérité de l’histoire. Nous nous basons davantage sur les gens eux-mêmes, nous inspirant des réalisations qui ont lieu en Afrique, en Amérique latine, en Asie…Chaque communauté est animée par une équipe de base composée le plus souvent de cinq membres…A cette équipe est envoyé un prêtre nommé par l’évêque. C’est le responsable du secteur. Il va de communauté en communauté comme serviteur de la communion. "

A mon sens, c’est une bonne piste. Il serait avantageux que chaque diocèse s’en inspire. En ce qui me concerne, mon lien avec la paroisse se réalise surtout à travers le comité local du C.C.F.D. (Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement.

 

 

POURSUIVRE

Les années passent. Le temps de la retraite est arrivé. Faut-il s’en désoler ou au contraire s’en réjouir ? Le mouvement de " La Vie Nouvelle " nous avait permis de vivre notre temps d’hommes adultes avec clairvoyance et dynamisme. Le mouvement " Poursuivre " allait nous aider à franchir les étapes suivantes, les dernières, sans passivité. Nous sommes conviés à accomplir quatre démarches :

Dans la lucidité, se tenir à jour

Dans la générosité, être utile

Dans l’espérance, chercher le sens

Dans le bonheur, vivre son âge.

Le tout dans la sérénité.

Car il existe un art de bien vieillir. Ce qui devient un nécessité lorsque l’on sait que de 47,5 ans en 1900, l’espérance de vie, à la naissance, est passée à 80ans en 2005. Pour qui veut garder la forme, l’objectif n’est pas l’éternelle jeunesse, mais de faire face au processus normal et naturel de vieillissement dans les meilleures conditions possibles. C’est ce que nous aide à réaliser " Poursuivre. "

Voici un poème qu’Odile a composé qui, sur un mode humoristique, reprend les objectifs du mouvement : " 

Ô rage ! Ô désespoir !

Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !

Ai-je donc tout perdu jusqu’au goût de la vie ?

Ne me suis-je blanchi par des combats humains

Que pour voir en moi-même " un qu’est plus bon à rien " ?

Mon bras qui tant de fois a montré sa vigueur,

Mon bras qui entraînait vers le but, les meilleurs,

Trahit donc ma confiance et ne sait que faiblir !

Mon pied qui sut jadis arpenter la planète,

Ne peut plus me mener que vers la supérette ! 

Ma tête qui planifiait des programmes immenses

A grand peine à garder, des faits, la souvenance !

Mon bras ! mon pied ! ma tête ! J’en passe et des meilleurs.

Sois sage, ô ma Douleur ! Et tiens toi plus tranquille !

Examine les faits : vois ; comment se fait-il

Que certains des Seniors aient un moral d’acier

Marchent en conquérants, sachent bénéficier

Du tonus des débuts, de l’expérience de l’âge,

De la lucidité et du goût des voyages ?

Ouvre les yeux, regarde : C’est leur Association

Qui éclaire leur vie d’un regard humaniste,

D’une ouverture au monde, d’un choix personnaliste,

D’une recherche éclairée pour mieux trouver le sens

D’une grande sérénité fondée sur l’espérance !

Cette élite rassemblée au nom de la personne,

Ces hommes et ces femmes " Poursuivants " on les nomme.

Qui dit mieux ? Par ce poème, vous saisissez parfaitement ce que nous propose " Poursuivre ". Siège social :18 rue de Varenne, 75007 Paris.

Je ne résiste pas à la tentation de transcrire quelques lignes que j’avais glanées dans le " Nouvel-Observateur "du 4 au 10 janvier2007, écrite par Peter Mayle, auteur anglais né en 1939 et qui s’est installé en Provence, dans son livre " Dictionnaire amoureux de la Provence ".

A la question qu’on lui pose : " Quand vous écrivez, comment vous vient l’inspiration " ? Il répond avec beaucoup d’humour : " Je vais au marché à Lourmarin avec l’intention d’acheter du poisson ou des fruits. En chemin, je rencontre des amis et nous allons au bistro. Puis je me dis que je dois faire mes courses. Je retourne au marché et je rencontre d’autres amis. Nous allons au bistro. Puis je repars, mais il n’y a plus de poisson. Je vais au bistro avec le poissonnier. Dans " un bon cru ", il y a un vieil oncle qui décrit mon mode de vie : " Nulle part ailleurs, on peut faire si peu de choses et y prendre autant de plaisir. "

Quelle belle formule ! Si vous voulez passer des jours heureux, rien de tel que la Provence.

DE l’ART D’ETRE GRAND-PERE.

Eh oui ! Nous avons Odile et moi la joie d’être Grands-Parents.

Hugo est né le 14 novembre 1997 à la clinique de " La Casamance ", sur la commune d’Aubagne. C’est un joli garçon, tout gentil, tout mignon. C’est maintenant un valeureux sportif qui évolue sur les courts de tennis de Cadolive, près de Mimet où ses parents, Frédérique et Patrice ont élu domicile, peu après sa naissance. Mimet est le village le plus élevé du département des Bouches du Rhône, à une altitude 700 mètres. De leur maison qui domine le village, ils ont une vue imprenable sur la ville et les environs de Gardanne. Hugo est aussi très fort en B.M.X. Pour les non initiés, il s’agit de courses en vélo, sur un parcours genre montagnes russes avec des montées et des descentes. Il ne ménage pas sa peine. En tout cas, il a la graine d’un futur champion !

Carla est née le vendredi 31 janvier 2003 à la maternité de l’Hôpital Nord de Marseille, dans les services des prématurés. En effet, Carla est une demoiselle pressée. Elle a voulu naître avec presque deux mois d’avance. La naissance avait été programmée pour le vendredi matin, et ce matin là, comme par hasard il s’est mis à neiger. Et comme l’Hôpital Nord se trouve sur les hauteurs de Marseille, le personnel infirmier eut toutes les peines du monde à accéder jusqu’au Centre Hospitalier. Comme chacun sait, quand il neige à Marseille, ce qui est rare fort heureusement, autant rester chez soi, car c’est la panique intégrale. Mr et Mme Robert, les parents de Frédérique, vinrent à pied depuis Septêmes-les-Vallons ; Patrice emprunta un 4 x 4, à quatre roues motrices, à un de leurs amis, pour rejoindre la maternité. Tout est bien qui finit bien. Vive Carla !

Hugo et Carla font la joie de leurs parents et de leurs grands-parents. Odile et moi essayons de nous libérer chaque mercredi, afin d’aller passer la journée avec nos petits enfants. Nous vivons avec eux des moments très agréables. Nous sommes heureux de découvrir leur personnalité et de constater de semaine en semaine les progrès qu’ils réalisent en âge et en sagesse.

Hugo et Carla sont heureux de dire qu’ils ont deux grand-pères et deux grand-mères. Ce qui ne doit pas être le cas de tous les enfants. En effet dernièrement, Marius, le grand-père maternel, nous raconta le fait suivant. Comme cela se fait souvent maintenant, Hugo avait été invité à fêter l’anniversaire d’un copain à Décathlon au Centre Commercial de " Plan de Campagne ". Marius s’en vient en fin de journée pour récupérer Hugo. Un camarade dit à Hugo, un peu étonné de voir cet homme d’un certain âge : " c’est ton père ? " Non répond Hugo : " c’est mon grand-père. " Réaction de son copain : " Ben, il est pas mort ? "

Une collègue apicultrice, jeune retraitée et jeune grand-mère, nous raconta qu’un jour, un de ses petits enfants lui avait dit qu’il aurait aimé avoir une " vraie grand-mère " voulant dire par là qu’il la trouvait pas assez vielle ou trop jeune encore. Elle a le temps de vieillir, n’en déplaise à ces petits.

 

 

 

 

LA CHORALE "  LA  CANTILENE  "

Notre désir de nous insérer dans la vie du quartier, nous a amenés à nous inscrire à la petite chorale appelée : " La Cantilène " qui fonctionne en lien avec Le Centre Municipal d’Animation de La Valbarelle. (C.M.A. en abrégé), qui se trouve à deux pas de chez nous.

Nous avons trouvé là une ambiance extrêmement sympathique qui fait que depuis les années 2000, nous sommes heureux de nous retrouver tous les mardis soir avec la vingtaine de fidèles de St Loup, de la Barasse et de la Valbarelle. Nous interprétons des chants d’un niveau inégal allant de Negro-Spirituals à du Jacques Brel ou du Georges Brassens.

Chaque année, en mars, nous organisons un concert au profit de l’Association " Rétina ", qui au plan national, œuvre en faveur des malvoyants. Nous allons volontiers également chanter dans des maisons de retraite des environs, pour permettre à nos " Seniors " de passer quelques bons moments dans une ambiance festive. Nous avons ainsi l’occasion de joindre l’utile à l’agréable.

Le C.M.A. organise parfois des festivités auxquels nous sommes conviés. En janvier 2006, un " Cabaret Maison " fut particulièrement réussi. Une dizaine de dames de la chorale interprétèrent " Le Lycée Papillon " avec mime et nous les hommes avec Jeanine avons parodié un passage de la comédie musicale de Notre Dame de Paris. Francis jouait le rôle de Quasimodo, moi, celui de Frollo, Jeannot, celui de Phoebus et Jeanine, celui de Esmeralda, la Gitane. En final, nous avons chanté ensemble :

"  J’ai posé mes yeux sous sa robe de Gitane

Ses jambes sont plus belles que celles de Zidane

Nous n’en dirons pas plus et que Dieu nous pardonne

Sinon nous allons nous prendre un carton jaune

Oh ! Bonne Mère, oh ! laisse nous chanter ce soir

La joie que nous inspire cette fille là,

cette fille là, Esmeralda ; "

 

 

INTERNET

" Comment, vous n’avez pas Internet ? " C’est la phrase qu’Odile et moi redoutions ces derniers temps. Comment ne pas passer pour des gens arriérés qui ne savent pas s’adapter à ces nouvelles formes de communication ? Me mettre à l’informatique m’avait déjà mobilisé pendant quelque temps. Mais franchir l’étape de l’Internet nous semblait au dessus de nos forces. Nous étions nés trop tôt. Ce n’était plus de nos âges.

Mais à la longue, cela nous donnait un complexe d’infériorité vis à vis de nos amis, de nos enfants et même de nos petits enfants. Pas de doute, il faut s’y mettre. Eh bien, ça y est ! Depuis mars 2007 nous sommes connectés à Internet. Cela n’a pas été facile. Notre ordinateur s’est révélé démodé quand il a fallu brancher la " Live Box ". On ne pouvait pas avoir " l’A.D.S.L " sans passer par la " Wifi " pour obtenir le Haut Débit. Bref, tout cela nous semblait un peu du chinois.

Finalement à force de persévérance, de courage et d’obstination, notre honneur étant en jeu, nous avons réussi à nous connecter. Quelle merveille que ces nouvelles techniques ! Cela nous permet en quelques minutes et presque pour rien de communiquer avec nos amis du Burkina. Précédemment, il fallait plus d’un mois pour avoir la réponse à notre courrier…

Voici notre " e mail " michelodilegalichet@wanadoo.fr.

 

ODE A ODILE

En guise de conclusion de ce modeste essai relatant ce qui m’a semblé le plus marquant tout au long de mon existence et un peu, par ricochet, de celle d’Odile, je me permets de transcrire ici un petit poème (encore un) que j’avais composé à l’occasion d’une soirée " Vie Nouvelle " sur un thème qui m’a échappé, mais qui avait certainement rapport à la vie en couple. Chacun avait lu son texte en vers ou en prose.

"  Que serais-je, sans toi, ma tendre, ma bien-aimée

Qui sut charmer mes yeux et mon cœur posséder

Tu sais par ta douceur ensoleiller ma vie

Tu me trouves, près de toi, être un mari ravi.

Le sort est bien cruel qui m’oblige à errer

A voyager sans cesse, à toujours m’éloigner

Te laissant, à regret, prendre soin de notre fils

Qui grandit sans son père, mais n’y voit pas malice.

Tu sais que mes voyages comportent des périls.

Que sont-ils près de ceux de notre cher Achille ?

Mais quand même, je le sais, sont source d’inquiétude

Et souvent te tracassent et troublent ta quiétude.

Et d’un commun accord, nous transcrivons les quelques couplets d’un chant, de Francine Cockenpot, que nous avons beaucoup aimé, du temps de notre jeunesse, intitulé :

ROUTE D’AMITIE

1 – Avec toi, j’ai marché sur les route qui montent

Avec toi j’ai aimé

J’ai aimé la fraîcheur de la source qui chante ,

Au long des prés

Sur la route d ‘amitié.

2 – Avec toi j’ai chanté les chansons es plus belles

Avec toi j’ai aimé

J’ai aimée chant clair qui montait de la plaine

Ensoleillée

Sur la route d’amitié.

3 – Avec toi sur les routes où la vie nous entraîne

Avec toi j’aimerai

Et j’irai dans la joie, et j’irai dans la peine

Vers la clarté

Sur la route d’amitié.

 

 

Notre vie continue … Jusqu’à quand ? Des pages restent à écrire.

 

 

( à suivre)   

 16 Août 2007 Michel GALICHET

 

 

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Lettre du Burkina

(avril 2008, clic)


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TABLE DES MATIERES

  

Première Partie : 1928 - 1947

* Adolescence page 35

Deuxième Partie : 1947 – 1963 page 50

Troisième Partie : 1963 – 1969 page 63

 

Quatrième Partie : 1969 – 1972 page78

 

 

Cinquième Partie : 1972-1992 page 84

* Changement d’Orientation

 

Sixième Partie : La Retraite. 1992 – 20.. page 110

* Fin de l’Eté et l’Automne.

En couverture : l’église de Somme-Suippe avec

angle de la maison de mes parents

: dans mon bureau au Centre

Abel Sanon à Bobo-Dioulasso.

En annexe : " La lettre du Burkina " d’avril 2007.