Ensemble, Bernard et Bernadette habitent ensemble
depuis quinze ans ; ils ont des enfants ensemble et jusqu’à présent c’était
une bonne raison de ne pas se séparer.
Ils s’entendent bien même si Bernard n’est pas toujours d’accord avec le
côté mère poule de Bernadette. Il aimerait bien profiter des avantages de
la famille car il tient à ses enfants, il adore jouer avec eux mais il y
a tellement à voir ailleurs qu’il voudrait bien changer d’air plus souvent.
Bernard est beau garçon, il le sait car ses élèves filles le lui font comprendre.
Il plaisante facilement mais on lui connait quelques farces qui n’ont pas
toujours fait rire.
Un peu plus de quarante ans pour Bernard, un peu moins pour Bernadette. C’est
l’âge idéal pour profiter de la vie.
Les vacances d’été arrivent et ils ont décidé de faire un séjour au bord
de la mer.
A Lesneven, il fait plus que gris en ce début du mois d’août. Un petit crachin
de Bretagne rend cette petite station balnéaire presque déserte.
Bernard est morose, il comptait sur ce mois de vacances pour se sortir des
préoccupations habituelles. Le temps n’encourage pas à aller dehors et les
enfants trainent au lit.
Bernadette cherche à rassembler les restes du pique nique de la veille pour
constituer un petit déjeuner familial.
Bernard propose d’aller chercher du pain et faire quelques courses. Il en
profiterait pour repérer la ville et observer les éventuelles personnes intéressantes.
On ne sait jamais, ce serait bien la déveine s’il ne rencontrait pas une
jolie femme avec qui il pourrait lier connaissance.
Mais Bernadette : « Non Bernard ! Ne te dérange pas, nous sortirons ensemble
tout à l’heure et nous ferons les courses. »
Elle, de son côté, s’est levée encore fatiguée du voyage de la veille. La
nuit avec Bernard n’avait pas été particulièrement intime malgré les avances
qu’elle avait tentées et qu’il a ignorées. Elle n’a pas insisté et avait
cherché le sommeil un peu inquiète de ces vacances qui commençaient. Elle
voulait ne pas reproduire ce qui s’était passé l’année passée à St Gervais.
Bernard avait trouvé le moyen de faire, pendant deux jours, une course en
montagne avec une amie alors qu’elle était restée à garder les enfants.
En ouvrant les volets, le crachin normand ne l’inspirait pas beaucoup mais
elle était décidée à faire face.
Bernard, arrêté dans son élan, va se faire un café. Il cherche partout une
cafetière qui lui convienne et finit par chauffer un peu d’eau dans la bouilloire
qu’il verse sur un reste de poudre expresso oubliée au fond d’un placard.
Il est déçu et s’installe dans un fauteuil pour réfléchir. Devant lui, à
travers la baie vitrée, la mer se confond avec les nuages.
Il y a juste dix sept ans, lui revient en mémoire ce séjour rando sur les
côtes bretonnes, à Lesneven précisément, il ne connaissait personne si ce
n’est Bernadette qui avait accepté de partir aussi. Elle lui plaisait bien
mais il n’avait jamais osé l’aborder franchement, toujours entourée de deux
ou trois de ses amies. A Lesneven, elle était un peu perdue elle aussi alors
ils se sont naturellement accompagnés. Ils marchaient ensemble, il l’attendait
quand elle commençait à trainer la jambe et lui portait même son sac quand
il fallait escalader les rochers.
Que de belles conversations ils ont eues ! Ils faisaient la pause l’un à
côté de l’autre et c’est un jour pluvieux comme ce matin, qu’empêchés de
réaliser leur programme, ils sont allés un peu plus loin dans la recherche
d’intimité physique.
Avant de connaitre Bernadette, Bernard avait très peu fréquenté les filles.
Il estimait que c’était du temps perdu. Il préférait de beaucoup s’éclater
en faisant du tennis, du ping pong (oui c’est un vrai sport, n’en déplaise
aux amateurs de foot) ou encore de l’aviron et il en négligeait parfois ses
études. Alors son frère ainé le poussa à faire le professorat d’éducation
Physique. Et il a fallu s’entrainer, travailler pour préparer les examens,
pas de place pour fréquenter ces demoiselles. Pourtant il appréciait les
quelques réunions dansantes auxquelles il était invité, les vrais tangos
qu’il exécutait avec des partenaires particulièrement souples, surtout celles
qui « sentaient » et se prêtaient au mouvement qu’il impulsait. C’est là
qu’il a réalisé l’impact qu’il laissait sur certaines et qui le faisaient
rêver à son tour. Serait-il possible de partager la vie avec l’une d’elles
et retrouver régulièrement ces émotions qui lui faisaient tourner la tête
?
C’est alors qu’il a cherché de s’inscrire à un club de danse. En se grisant
de sensations et de rencontres il espérait donner un sens à sa vie, devenir
un être exceptionnel, remarqué de toutes et de tous.
Depuis que Bernard est devenu un séducteur, Bernadette a une vie totalement
incohérente. Elle a beaucoup de qualités, elle est intelligente, elle a du
charme, elle sait investir et entretenir la relation. On ne peut pas dire
qu’elle soit tendre mais elle a du succès. Malheureusement elle danse très
moyennement et chaque fois qu’il en a l’occasion, Bernard préfère choisir
une partenaire avec qui il a le « feeling ». Il semble alors heureux et Bernadette
a horreur d’être témoin des faits et gestes du couple. Quand Bernard raconte
sa soirée et les émotions vécues, Bernadette se bouche les oreilles.
Pourtant en dehors de ces moments particuliers, les obligations de la vie
de tous les jours font que le couple fonctionne encore et le temps passe.
A certains moments Bernadette n’en peut plus. Elle voudrait rebondir pour
se sortir de cette situation qu’elle estime dégradante.
Ce n’est pas ce qu’elle attendait de la vie de couple avec Bernard. Au contraire,
jusqu’à présent elle pensait que les écarts de ce dernier ne portaient pas
à conséquences. Lui non plus d’ailleurs, il se dit très attaché aux valeurs
familiales et conjugales.
Juste pour lui montrer les effets de ses attitudes, elle s’est décidée à
rendre la pareille à Bernard. Elle a du charme et son entourage y est sensible,
elle envisage de répondre aux avances de tel ou tel des relations qu’elle
côtoie dans son travail.
Dans la foule de tous ces gens qui se croisent et s’ignorent, certains ne
joueront jamais, d’autres sont des joueurs, d’autres ne joueront plus jamais…vous
les reconnaîtrez car ils portent sur eux les traces de leur souffrance, ils
ne sourient plus. Le joueur recherche des stimulations ; il a besoin d’un
partenaire et il utilise le plus souvent la personne qui est à sa portée.
Ici Bernadette la partenaire, a bien du mal à ne pas se prêter au jeu. Elle
peut s’armer de patience, trouver des dérivatifs si elle tient, pour des
raisons supérieures à rester dans la relation. Sinon tôt ou tard elle devra
en sortir soit en arrivant à éveiller la conscience de Bernard qui cherche
à l’entrainer comme ses autres complices, soit en refusant raisonnablement,
soit en partant ailleurs.
Bernadette est consciente de l’enjeu, elle aime Bernard et c’est cet amour
qui lui permettra de gagner la partie. Elle lui dira : « Je te comprends
Bernard mais je ne suis pas d’accord. Tu prends des risques, je souffre et
je reste avec toi car je t’aime. Si tu veux bien cesse de regarder ailleurs
et nous retrouverons le sourire tous les deux ».
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