Quatre ans de lettres du front

Elles dormaient dans un carton à chaussures. Ces lettres du poilu Maurice Legrand (à gauche sur la photo) viennent d’être découvertes par sa famille qui nous les a confiées. Elles racontent les horreurs de la guerre et la vie quotidienne dans les tranchées (La Croix  mars 08)


1914
Paris, 3 août
Chers parents, (…) Nous partirons quand nous serons habillés. Moi, je suis habillé comme un comique. J’ai un képi, qui me rentre jusqu’au cou. (…) Ici tout le monde est content et le seul chagrin que nous avons, c’est que la guerre fi­nisse au plus vite. (…) Votre fils qui vous aime. Maurice
Marne, 20 octobre
(…) Je viens de recevoir le colis avant votre let­tre. Je m’empresse de vous répondre pour vous remercier. (…) Pour l’instant, je suis solide et vous pouvez attendre que je vous récrive (…)
Marne, 21 octobre
(…) On prévoit que la guerre sera longue, espérons que non (…)
Marne, 16 décembre
(…) J’ai reçu votre colis hier. Voici ce qu’il contenait : un fromage, des noix, un saucisson, une boîte de pâté, deux boîtes de sardines et du chocolat. (…) La santé marche à peu près bien, mais la partie devient plus chaude dans notre coin. Nombreux sont les camarades qui manquent à l’appel (…)
Marne, 31 décembre
(…) Je profite d’un moment de repos pour vous souhaiter une bonne et heureuse année ainsi qu’une bonne santé pour 1915. Je suis dans la tranchée, aussi je n’écris pas à tout le monde pour l’instant. (…) Pour l’instant, ça canonne dur et il est même difficile de faire une lettre d’un bout à l’autre. Si vous voyez Marie (NDLR : sa sœur cadette) , embrassez-la bien pour moi ainsi du reste que les parents que vous aurez l’occasion de voir pendant ces jours de fête. J’attends un colis de Fernande (NDLR: son épouse) . Il est peut-être arrivé mais, tant que nous ne sommes pas relevés des tranchées, il ne faut pas y compter. Je dois vous dire que j’ai passé un sale réveillon dans les tranchées : même pas un quart de vin, enfin on n’en meurt pas pour ça (…)
1915
Marne, 7 janvier
(…) J’ai reçu le colis. J’ai mis le plastron sur moi ainsi que la ceinture. Ne croyez pas que c’est pour être à l’abri des balles, car il en faudrait facilement une douzaine l’un sur l’autre. Mais ça tient la chaleur au corps, c’est déjà quelque chose. (…) J’espère que vous êtes toujours en bonne santé. Moi, ça marche à la perfection au point de vue santé. Il y a que le moral car je commence à trouver le temps long (…)
Marne, 17 février
(…) J’ai attrapé un flegmon au pied droit avec un abcès au talon et j’ai été expédié à Valmy pour y être opéré. J’y suis resté trois jours. De là, j’ai été dirigé sur Châlons où je me trouve à l’heure actuelle mais je ne sais pas pour com­bien de temps (…)
Marne, 20 février
(…) Vous pourriez m’envoyer un billet de 5 francs : de cette façon, je pourrai acheter un litre de vin de temps à autre. (…) J’espère que vous êtes toujours en bonne santé, en tout cas je vous le souhaite (…)
Roanne, 2 mars (en convalescence)
(…) Dimanche prochain, jour de Pâques, nous aurons sans doute un bon repas et le lundi une pièce de théâtre interprétée par des acteurs de Paris. Comme vous voyez, il n’y a pas de quoi s’ennuyer. Aussi, il me semble que je suis arrivé d’hier tellement le temps passe vite ici. Quelle différence avec la vie de tranchée (…)
Roanne, 19 mars
(…) Je viens de recevoir une lettre d’un cama­rade de ma compagnie. Il me dit qu’il y a des territoriaux de 42 ans versés chez nous (dans un régiment de la coloniale active). J’écris à Pierre
(NDLR : son frère cadet) pour qu’il ne bouge pas de sa section. Il ne connaît pas son bonheur. Il y en a qui donneraient des billets de mille pour être à sa place (…)
Paris (retour au dépôt), 27 avril
Chers parents, Je ne suis pas trop malheureux car je suis tous les soirs chez mes beaux-parents de 5 h à 8 h 30. (…) Je me suis fait piquer contre la typhoïde. Il faut quatre piqûres à huit jours d’intervalle. Mais j’ai été malade comme un cheval. Je me suis trouvé mal et, pourtant, la première c’est la moins forte. Je n’ai pas encore été à l’exercice. Tous les jours, je me fais porter malade. (…) Votre fils qui vous aime. Maurice
Pas-de-Calais, 3 novembre
(…) Vous avez dû être surpris de mon départ. Il est vrai que cela a été vite fait. Je ne vous dirai rien maintenant car c’est interdit et j’aurais peur que vous ne receviez pas de mes nouvelles. (…) Et Petit-Jean (NDLR : son fils) , que devient-il ? J’espère qu’il est toujours en bonne santé (…)
Pas-de-Calais, 21 octobre
(…) Je suis toujours en bonne santé et je suis descendu des tranchées hier. Je vous assure que l’on respire en quittant cet enfer de Souchez. Nous sommes face au bois de Givenchy. C’est un endroit important qu’il ne faut pas se laisser reprendre car la brigade coloniale 41
e et 43
e ont eu assez de mal et de pertes pour le conquérir. Aussi les Boches attaquent constamment. Heu­reusement que les grenades à main et le 75 ne sont pas fatigués (…)
Haute-Saône, 17 décembre
(…) Je change de linge assez souvent pour essayer de me défaire de ces maudits totos
(NDLR: poux en argot) et, comme les blan­chisseuses ne manquent pas, je donne mon linge à laver (…)
1916
Territoire de Belfort, 26 janvier
(…) Je travaille au bureau du bataillon, je suis agent de liaison. Je ne sais pas si je resterai dans les tranchées. Ce ne serait pas mauvais, en tout cas. Je vais être balayé des grenadiers car je ne suis plus à ma compagnie, je suis au petit état-major. Pour André Lefèvre, il a été tué d’un éclat d’obus quand nous étions à Souchez, vers le 26 novembre (…)
Vosges, 22 mars
(…) À ma compagnie, deux camarades de l’ar­rondissement de Châteaudun viennent d’être touchés. Le premier, qui était de Logron près de Marboué, est mort des suites de ses blessures. C’est un nommé Boutard. sa femme était sur le point d’avoir son cinquième enfant. Le second est blessé, c’est un camarade qui a fait son temps avec moi à Longwy. C’est un nommé Lasserre, de La Fringale près de Châteaudun. Il faut lui arracher l’œil droit. Aussi est-il proposé pour la médaille militaire. J’espère bien pour ma part qu’il le sera (…)

 

Vosges, 17 avril
(…) Quand vous m’enverrez un colis, n’oubliez pas de la moutarde, car nous mangeons beaucoup de bœuf en conserve, autrement dit du singe (…)
Verdun, 12 août

Chers parents, Quelques mots pour vous rassurer. Nous venons de passer dix jours devant le fort de Vaux. Inutile de vous dire que ça chauffe dans ce coin. Naturellement, il y a eu de la casse. Dans ma compagnie, il y a un nommé Leroux de Dangeau, que vous pouvez connaître et qui est porté disparu. Nous avons progressé. Les Boches ont pris une bonne trempe. Il faudrait que je vienne en permission pour vous conter les péripé­ties de la bataille. Pour mon compte, j’ai une proposition de citation à la Division. C’est la croix de guerre avec étoile d’argent. Je trouve que c’est beaucoup car en dessous il y a le régiment et la brigade. Mais il y a encore à mettre l’avis du Commandant, qui est mon patron, et l’avis du Colonel.
Il faut que je vous parle du colis que j’ai reçu à ma descente de la fournaise. Les œufs sentaient mauvais, le restant c’était bon. Pendant dix jours, nous n’avons rien reçu. Nous mangions des biscuits et du chocolat, les feux de barrage empêchant tout ravitaillement. Inutile de vous dire que les " grains de Vals " sont venus à pic, car le régime chocolat n’est pas pour mon tempérament.
Maintenant, nous sommes au repos pour nous reformer en attendant un renfort. Les permissions reprennent aujourd’hui à 10 %, de sorte que d’ici un mois, je pourrai venir vous voir si je suis toujours vivant, car si nous retournons dans le même coin, il faut s’attendre à tout. Les Sénégalais n’ont pas trop mal marché.
La santé est toujours bonne et j’espère que vous vous portez bien, Marie et Petit-Jean compris. Je termine car ma correspondance est en retard et il faut que je rassure un peu tout le monde. En attendant le plaisir de vous voir, je vous embrasse bien des fois ainsi que Marie et Petit-Jean. Votre fils qui vous aime. Maurice.
P.S. D’ici quelques jours, quand je serai re­mis de mes fatigues, je vous récrirai. Notre poste a pris feu, les grenades ont sauté, mon fusil, mes musettes, mon bidon, etc, sont restés dans les flammes. Pour un cardiaque, j’ai eu des émotions.
Marne, 10 septembre

(…) Pour ma permission, je ne compte pas partir avant le 15 octobre. Geneviève (NDLR : sa sœur aînée) et Jean (NDLR : son beau-frère) , qui viennent à la fin du mois vous voir, ne se trouveront pas en même temps que moi auprès de vous. C’est dommage, car nous aurions pu arroser ma croix de guerre avec étoile d’argent, ainsi que mes galons de 1
er
jus (…).
Paris
, 22 octobre (en permission)
(…) À Paris, la vie est la même qu’avant la guerre : le métro, toujours pleins les cafés, beaucoup de civils jeunes et souriants. En un mot, à Paris, on oublie que des malheureux se font crever la peau pour eux (…).
1917

Somme, 19 janvier

(…) Nous sommes en face de Beuvraignes. Les Boches occupent le village, et nous les abords. Les premières lignes sont à environ 40 mètres de l’ennemi (…) Tous les jours, l’activité augmente. C’est un endroit qui ne sera pas très bon d’ici quelque temps (…)
Somme, 31 janvier

Chers parents, (…) Il faut que j’aille sur le terrain pour faire le plan des tranchées ou plutôt de ce qui en reste. C’est un terrain bouleversé par les obus, et les abris n’exis­tent plus. Je vous assure que je voudrais être 15 jours plus vieux. C’est un travail aussi dangereux que de faire la liaison. Je ne suis pas veinard (…) Quand donc finira ce terrible cauchemar ?
En ce moment, la santé n’est pas très bonne. J’ai des coliques terribles. Je crois que c’est l’eau que nous prenons dans les trous d’obus pour boire ou le pain, qui est très mauvais en ce moment, qui occasionne ce malaise. J’ai reçu une lettre de Pierre. Il se plaint également de la nourriture. Il est vrai qu’en Orient, il n’y a rien d’extraordinaire. Je termine en vous embrassant bien des fois (…). En attendant le plaisir de vous voir car il faut toujours espérer, je vous souhaite une bonne santé. Votre fils qui vous aime. Maurice.
Aisne, 28 juin

(…) J’espère que la fenaison marche bien et que vous avez le personnel qui vous per­mettra de faire la moisson dans de bonnes conditions (…).
Aisne, 17 août

Impossible de venir tout de suite en permis­sion, il faut que je descende au repos pour pouvoir partir et je ne sais pas combien de temps nous allons rester encore en ligne. Voilà vingt-trois jours que je trotte dans les tranchées et je voudrais bien que ce travail se termine, car ce n’est pas le rêve. Je vais prévenir Fernande que je ne partirai peut-être pas avant une huitaine de jours et peut-être davantage (…).
Aisne, 17 octobre

(…) Je suis toujours dans le même endroit et le secteur est toujours agité. Heureuse­ment que dans quelques jours nous irons au repos, moi qui suis enrhumé, cela me fera du bien (…).
Aisne, 24 octobre

(…) La loi Mourier (NDLR : envoyant les " embusqués " pour remplacer les soldats du front) commence à faire son effet. Plus de la moitié des camarades sont déjà partis et jusqu’au 17 novembre, il en partira toujours. Moi, je ne connais encore rien sur mon sort (…).
Aisne, 25 octobre

(…) En ce moment, je passe du bon temps, je m’occupe de mon linge et de tout mon fourbi. Il faut espérer que ce repos durera longtemps (…).
Aisne, 22 novembre

(…) Dans ma région, ma plus grande maladie, c’est l’ennui. Je me demande si cette guerre finira un jour. Je commence à désespérer d’en voir le bout. Fernande (…) me dit également qu’elle va travailler chez Nieuport (NDLR : en région parisienne) à faire des obus. C’est un travail pas bien doux pour une femme (…).
1918

Marne, 4 avril

(…) Je crois que je ne suis pas près de la permission avec le coup qui se passe en ce moment dans la Somme et l’Oise (…).
Ardennes, 15 octobre

Chers parents, (…) Je ne sais toujours pas quand je pourrai venir. J’ai toujours ma provision de tabac. Depuis huit jours, nous avons fait du chemin. Je suis dans les environs de Château-Poncien. Résul­tat : un rhume à mon actif, à la suite de nuits passées à la fraîcheur. Et Pierre, en avez-vous des nouvelles ? Heureusement qu’il est artilleur. S’il lui avait fallu faire l’avance de l’offensive serbe à pied, il en aurait eu plein les pattes. J’espère que vous êtes tous en bonne santé, ainsi que Marie et Petit-Jean.
À propos de paix, les journaux en causent pas mal. J’ai bien du mal à croire que nous serons chez nous pour le jour de l’An. (…) Votre fils qui vous aime. Maurice.
Marne, 12 décembre

(…) Marie me demande si j’ai besoin de quelque chose. Vous pourriez m’envoyer une main (NDLR : gant de toilette) pour se débarbouiller et une serviette (…).
Pirmasens (Rhénanie-Palatinat), 30 décembre

(…) Nous sommes ici pour cinq jours. Ensuite, nous continuerons vers Neustadt. Je suis chez des gens riches. Un bon lit, du vin blanc, des gâteaux, de la musique, tout cela à l’œil (…).
1919

Neustadt, 9 février

(…) Je suis démobilisé le 10 mars. Je serai donc le 14 mars à Paris pour reprendre la vie civile (…).

vers Accueil du site