Sénégal 96
Février. L'association qui organise tous les ans le fameux "combiné du canal du Verdon" Papyrus, nous envoie en mission, Geneviève et moi, pour reconnaître une action humanitaire à effectuer dans la région de SaintLouis. Action humanitaire venant à propos justifier un désir d'évasion.
Diagne Mayacine qui va nous accueillir a été hébergé à L'Escoubaïre pendant une année.
Sept jours suffisent pour redonner de la couleur à la vie. Rentrés le Samedi soir 10, le Dimanche est bien venu pour atterrir. Une partie de nous-mêmes, la pensée, reste là bas. Comment essayer d'oublier ces regards étonnés et plein d'envie des beaux enfants noirs ? Les femmes sont élégantes fines et majestueuses, nobles dans leur attitude et leur recherche, on devine en elles la force de l'Afrique. Elles restent soumises au système religieux, peut être pas pour longtemps. C'est l'islamisme, majoritaire, qui a le pouvoir. Les hommes, pour la plupart bien balancés, ont un lourd passé colonial à assumer.
Dakar ! ses voitures démodées cotoyant quelques Mercédes insolites, la pauvreté digne, l'organisation avec les moyens du bord, les bakchiches, les taxis jaunes et noirs, les routes pleines de trous, la pousière bien vivante qui nettoie, surtout les ordures, quelques chevaux, le lac Rose, l'ile de Gorée !
Le ramadan a rythmé notre séjour. Nous nous sommes prêtés de bonne grâce au fait de supprimer le repas de midi ; cela nous semblait hygiénique et nous permettait de bien profiter de la journée.
Notre épopée a commencé par le temps d'un dépaysement ; la compagnie "Plein Vent" qui nous avait promotionné le trajet a ménagé le suspens, pour nous confirmer le voyage à la dernière minute, nous amener à Montpellier à cause du brouillard, et nous faire arriver à Dakar cinq heures en retard. Diagne, Mayacine pour la famille, nous attendait en effet, annulant toutes ses activités, ses cours à la faculté, pour notre service. Assaillis partout par une nuée de malheureux en quête de quelques francs pour survivre, il était notre garde du corps, négociateur en chef ; intéressé par la mission que nous devions accomplir. Nous avons filé dans la banlieue grouillante pour débarquer chez son frère Hadji.
Dimanche, sans déjeuner, avec nos deux guides, nous partons au "Lac Rose"en taxi. Au bord de la mer, à 60 km au Nord. Les femmes et les enfants restent à la maison.
La visite, orchestrée avec brio par Moussa le "conservateur"du lac, nous a impressionnés : la teneur en sel et en bactéries y est si forte que l'eau apparaît vraiment rose indien. Tout le monde y peut s'approvisionner en sel, on ne s'y baigne pas, mais ce sont des femmes, encore elles, qui vont risquer leur (douceur de) peau pour tirer les barques, et ramener la croûte de sel grattée au fond du lac.
L'après midi est affectée à visiter la capitale qui a détrôné Saint Louis, la coloniale.
Le centre ville est sans cachet particulier, un style européen que nous connaissons bien. Nous faisons quelques achats sur le marché. Les touristes y sont attendus. Rien de vraiment original si ce n'est que je m'y fais couper les cheveux, avec beaucoup de succès, presque au milieu de la rue. Nous avions hâte de rentrer, en se promettant d'aller, le lendemain, à l'île de Gorée.
Le soir, nous attendons 21 heures pour dîner, servis à l'écart de la famille. Le Ramadan, sans doute ! Nous respectons les coutumes qui seront adaptées quelque peu par la suite.
Lundi, nous nous hissons dans un des taxis en tous genres. Ce sont surtout des modèles Peugeot et Renault démodés depuis dix ans. Des marques japonaises aussi ; brinquebalants, rafistolés, ils paraissent rouler sans gros problème.
Après avoir fait quelques réserves d'argent local dans l'un des établissements respectés, la banque, centre vital de ce pays attendant tout de l'avenir, nous arrivons à l'heure du déjeuner à l'embarcadère. Nous bénéficions du prix "touriste", double du tarif autochtone, avec, en prime, un verre de jus rouge de figue de barbarie, le Bisap, boisson nationale, sans garantie contre les amibes. Embarqués dans la chaloupe qui effectue régulièrement la navette entre l'île et le continent, nous abordons Gorée, haut lieu de la culture française. Roger Garaudy y a créé l'université des cultures islamiques. Des divers exploits guerriers du passé de cette île, on nous reconstitue avec force détails l'embarquement des esclaves, une des hontes de l'humanité que nous n'avons pas fini de payer.
Mardi, nous partons, avec Mayacine, rejoindre son domicile et sa famille à Saint Louis. Nous expérimentons les transports en semi communs à la gare routière. Nous sous entassons dans une vieille 504 bien roulante, et nous découvrons le paysage qui, vers le Nord, devient sec et aride comme la savane. A une heure de l'arrivée, petit arrêt, sans toilettes, pour nous dégourdir les jambes. Mayacine, préoccupé de nous recevoir comme des ambassadeurs, s'attarde près de l'échoppe d'un boucher qui venait de tuer un boeuf. Il achète, très fier, un morceau de "faux filet" qu'il a fallu, difficilement, détacher de la carcasse.
Arrivés sans encombre, nous reprenons un nouveau taxi, une R12, une antiquité, qui pour un forfait de 250 f (CFA) vous emmène n'importe où dans la ville. Hawa, la femme de Mayacine est enseignante, elle aussi ; ses filles de 11 et 9 ans, sont très éveillées et studieuses. Le petit Ibrahim, 4 ans, n'a pas arrêté de jouer avec le "camion de pompiers" . A l'envers ou à l'endroit, il épuisait les piles sans comprendre que çà ne durerait pas.
Mercredi, jour phare de notre séjour, nous accomplissons notre mission.
Mayacine a tout organisé, il y pensait depuis longtemps. En empruntant la voiture d'un de ses frères, il nous mettait en place de ministres. C'était une R18, peut être, mais un luxe pour le pays. La réception à Rao est somptueuse. Nous sommes accueillis par son père, majestueux patriarche, accompagné de sa troisième épouse et d'une ribambelle d'enfants.
Il nous présente aux différents groupements du village, dont les représentants étaient rassemblés cérémonieusement : les agriculteurs, en demande de matériel et de semences, les femmes voulant monter un poulailler, les jeunes femmes, en quête d'équipements pour leur atelier de couture, les jeunes, entreprenant le reboisement et l'embouche bovine. Nous sommes, ensuite, invités à inspecter les points forts : les cultures d'oignons, les implants d'acacias et les différents puits ; le terrain affecté au poulailler, l'atelier et l'exposition d'habits colorés ; le centre de santé : dispensaire, pharmacie et maternité. Nous avons laissés les médicaments que nous avions collectés avant le départ auprès d'amis pharmaciens ; il s'agissait d'antibiotiques et d'aspirine principalement.
Le soleil tapait fort, nos peaux claires ont rougi, réagi rapidement ; et nous avons dû nous débarrasser douloureusement des épines en tous genres qui traversaient les chaussures et les pantalons ; bien sûr, les indigènes n'en sont pas affectés.
Nous étions attendris, et quelque peu désappointés, de ne pas pouvoir leur promettre ce qu'ils semblaient attendre de nous, simples enquêteurs. Leurs dossiers étaient réalisés comme des demandes de subventions officielles. L'association Papyrus aurait une bien lourde tâche si elle devait satisfaire tous les désirs de ces personnes courageuses et solidaires dans un environnement ingrat et des conditions difficiles.
Nous avons fait du tourisme le Jeudi et le Vendredi, en profitant de la voiture pour visiter le parc naturel de Djouj
et la ville de Saint Louis. Entre temps, nous avons apprécié le dynamisme et l'investissement d'une entreprise agricole, où le frère Ali avait des responsabilités de contre maître : trois cent employés, du matériel sophistiqué et en bon état, montraient une foi dans le développement et l'avenir de ce pays. Ils étaient en plein dans la récolte des pommes de terre, des oignons et des tomates. Mayacine a, là encore, marchandé à moitié prix, pour ses enfants, nous a t'il dit, deux sacs de trente kilos de leur production.
Nous avons pris du temps, le Jeudi, pour aller visiter, à l'extérieur de la ville, la belle université de Droit et de Lettres disponible depuis peu de temps. Les étudiants, en pleines activités, suivaient leurs cours très sérieusement, nous avions l'impression qu'ils représentaient bien le devenir de l'Afrique.
Vendredi soir, le retour sur Dakar.
Nous avons fait un arrêt chez Hadji ; le zèle et la bonne humeur de Koumba, jeune et svelte africaine très envieuse de connaître la France, nous a fait faire des plans pour l'inviter à L'Escoubaïre. Jeune fille au pair, elle s'occuperait de la maison et pourrait garder les enfants, selon les besoins. Officiellement nous en parlons à son père le lendemain ; il semblait ravi, et pensait sans doute à une bonne occasion de placer sa fille.
Les adieux ont été brefs, nous nous sommes retrouvés Samedi chacun chez nous, pleins de souvenirs, de soleil et d'amibes dont nous allions devoir nous débarrasser.
Mission remplie :
Nous ramenons des photos, des rapports en bonne et due forme. Reste à Papyrus d'évaluer et de choisir la réponse à donner.