La mort dans La Croix

La mort 1

Penser à la mort 1

La vie après la mort 2

Le deuil 3

 

Penser à la mort

Les chiffres sont pour le moins surprenants. Un sondage OpinionWay (1) réalisé pour le Service catholique des funérailles et dévoilé par La Croix révèle que les Français sont nombreux à penser à la mort. Loin de l’image du tabou souvent véhiculée, cette enquête montre que 65 % des Français pensent « souvent » ou « de temps en temps » à la mort de leurs proches, 59 % à la mort de manière générale et 57 % à leur propre mort. Ils sont davantage encore à penser régulièrement à leurs proches décédés, puisque c’est le cas de 8 Français sur 10.

« Ces chiffres conduisent à relativiser l’idée selon laquelle la mort est un tabou absolu dans nos sociétés. La mort est acceptée, les gens y pensent souvent et c’est un sujet qui compte », commente Pascal Hintermeyer, sociologue qui travaille sur cette question depuis de nombreuses années et dirige, à Strasbourg, l’École doctorale des sciences humaines et sociales. Il relève en particulier la place qu’occupent dans nos esprits les défunts qui furent nos proches: 61 % des personnes interrogées disent que ceux-ci jouent un rôle important dans leur existence. « Ils font partie de la vie des Français, et lorsque ceux-ci pensent à la mort, c’est souvent à travers eux. La mort, c’est avant tout la séparation d’avec les proches. »

La finitude n’occupe pas seulement les pensées: on en parle. 72 % des sondés estiment qu’il est positif de parler de ses proches décédés, et 63 % que c’est le cas pour la mort en général. Et un peu plus d’un Français sur deux (58 %) affirme qu’il lui est facile de parler de proches décédés. Ceux qui, en revanche, sont plus réservés évoquent pour beaucoup (64 %) la pudeur, ou le fait que les morts n’ont, selon eux (28 %), pas de place dans notre société.

Autre élément important de ce sondage: les sentiments associés à la disparition d’un être connu ou cher. Un tiers des Français lient spontanément la mort à la tristesse et un quart à la peur. Seuls 15 % d’entre eux relient la mort et « le désir de vivre plus intensément ».

De même, le souvenir de proches décédés est majoritairement, pour les sondés, une source de nostalgie et de tristesse. Des éléments qui s’expliquent, selon Christian de Cacqueray, le directeur du Service catholique des funérailles, par une sécularisation croissante de la société.

 

Quelques mois avant sa mort en déportation, la philosophe Etty Hillesum écrivait dans son journal: « J’ai réglé mes comptes avec la vie, il ne peut plus rien m’arriver (…). En disant: “J’ai réglé mes comptes avec la vie”, je veux dire: l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir la vie. À l’inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe: en excluant la mort de sa vie on se prive d’une vie complète et en l’y accueillant on élargit et on enrichit sa vie. »

Cité par Martin Steffens en ouverture de L’Éternité reçue, cet extrait de Une vie bouleversée donne le ton d’une série de publications sur la mort, unies par un refus commun de consentir à son effacement, à son éviction actuelle. Aucune ambiguïté malsaine dans cette défense – nos philosophes aiment la vie! –, mais l’intime conviction qu’il faut « défendre » (philosophiquement) la mort, justement pour que la vie reste fidèle à ses promesses.

Dans L’Éclipse de la mort, Robert Redeker le fait sous un mode engagé, parfois véhément, mais raisonné et, somme toute, très maîtrisé. C’est en philosophe, à distance des espérances religieuses, qu’il plaide pour que l’on voie dans la mort « un certain type de chance », « la chance noire, la chance sombre, la chance malheureuse qui n’est pas une malchance, la chance lugubre – mais la chance quand même! » Car si la mort n’a pas de sens, « ce non-sens figure la source du sens et des valeurs, qui naissent ainsi en bord de l’abîme. »

Robert Redeker se donne pour mission de « réveiller deux sentiments, le sentiment de détresse et le sentiment du tragique », dont l’érosion « signe la déshumanisation » et « maçonne le seuil du post-humain ». Il n’est pas tendre pour notre société qui nous promet « l’immortalité d’avant la mort, ante mortem », fait subir à la mort le même destin qu’à la religion (« la privatisation de la mort suit la privatisation de la religion ») et « aspire à devenir une civilisation sans cadavres » au moyen de la crémation.

« Ils sont exigeants, les morts – c’est pour les faire taire, pour leur clouer le bec que notre société promeut la crémation (…). La crémation nous débarrasse de l’embarrassant », tempête-t-il dans une charge puissante contre cette pratique.

Les morts sont-ils embarrassants? En tout cas, ils sont consistants, persistants, incroyablement présents parmi les vivants. C’est autour de cette intuition, fortifiée par les témoignages de nombreux endeuillés que la philosophe Vinciane Despret a tressé son ouvrage Au bonheur des morts, réédité en poche. Refusant de ne laisser aux morts que deux destins possibles « celui de non-existants, ou celui de fantasmes, de croyances, d’hallucinations », la philosophe a écouté les récits qui font « une place aux morts ». Elle a ainsi suivi « les vivants et les morts dans ce qui les tient ensemble ». Si son livre brouille avec subtilité les frontières de la vie et de la mort, il séduit par son originalité, son intense humanité, la tendresse et même la joie qui en émanent. « On dit rarement à quel point certains morts peuvent nous rendre heureux », souligne la philosophe.

Toujours en philosophe mais aussi en chrétien, Martin Steffens reprend à son tour cette question, déployant dans L’Éternité reçue une subtile méditation sur la mort, qui ne cède rien à notre désir de vivre. À l’opposé des « sagesses de camomille » qui, sous couvert d’apprivoiser la mort, empoisonnent la vie, il se fait l’avocat d’une « autre lecture de notre finitude », où l’enjeu est de « mourir à notre vouloir vivre pour ne pas mourir de lui ». Sans brusquerie, veillant à ne pas « réconcilier trop vite ce qui ne peut l’être sans grande précaution », le philosophe pense la mort dans son lien avec les autres et l’Autre. « Abriter en soi la limite qui nous voue à la mort, c’est avoir une destination toute neuve: non plus persévérer à tout prix, dans son être, mais, puisque le terme de l’existence est de lui céder la place, apprendre à reconnaître en l’existence d’autrui un bien. » Ultime dessaisissement, la mort ouvre alors à la grâce: « Quand ma vie ne m’appartiendra plus, elle pourra m’être absolument redonnée. Je pourrai ressusciter. »

La vie après la mort

Parmi les personnes interrogées par OpinionWay, 28 % disent croire à l’existence d’une vie dans l’au-delà. 40 %, en revanche, n’y croient pas. Et 31 % des personnes interrogées ne savent pas si une telle vie existe. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à croire à une vie au-delà de la mort (33 % contre 22 %). C’est chez les 25-34 ans (34 %) que cette croyance est le plus répandue. Et chez les 50-64 ans (23 %) qu’elle est le moins partagée.

Sans surprise, les personnes qui pratiquent une religion sont les plus nombreuses à croire dans l’au-delà (60 %, contre 31 % des non-pratiquants ou sans religion). Cependant, 14 % des pratiquants ne croient pas en une vie après la mort, et 23 % ne savent pas si elle existe.

En témoignent les réponses à une autre question de cette étude, qui montrent que les Français croyant à l’existence d’une vie au-delà de la mort sont nettement minoritaires (lire encadré). « L’homme a longtemps été stimulé par la conscience de sa finitude, analyse-t-il. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

Pour ce spécialiste, qui a fondé il y a près de vingt ans le Service catholique des funérailles à la demande de l’archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger, notre société réduit sa vision de la mort à une forme d’« obscénité ». « La seule manière de voir la mort dans notre société est de l’associer à la peur et à la tristesse. Or mécaniquement, si un sujet suscite la tristesse, c’est qu’il nous fait mal, et donc nous allons avoir tendance à vouloir nous en protéger », poursuit-il. Il plaide activement pour que la mort soit d’abord vue comme un élan vital, qui « apporte à l’homme une sagesse de vie ». Une manière selon lui de« l’apprivoiser » pour « être en paix avec elle ici et maintenant, tous les jours de sa vie ».

 

Le deuil

On entend par deuil la perte d'un être cher, d'un animal aimé, d'un objet ou d'une situation fortement investie, d’un état ou d’une idée auquel on est attaché. Le deuil représente aussi le cheminement que connaît la personne exposée à cette perte jusqu'à ce qu'elle réapprenne à vivre en l'absence de l’objet perdu. En soi, le deuil est un processus normal et universel auquel nous avons été, nous sommes ou serons tous un jour confrontés.

Le deuil comme la grossesse, n’est pas une maladie, mais peut le devenir. Il fait de nous des êtres fragilisés plus exposés au risque d'être malades voire de mourir. Ce risque est d’autant plus grand que notre société a de plus en plus de difficultés à accueillir les manifestations du deuil, notamment la tristesse qui en constitue la trame essentielle. Au plus vite, les personnes en deuil se voient enjointes à réintégrer la vie, au sens que nos contemporains lui donnent. La plupart déplore un manque de présence et d’attention et se sent rejetée.

Les entourer réduit ce risque. Il y a là l'opportunité d'une solidarité que chacun peut exercer. La résolution du deuil se fait par étapes successives qu'Elisabeth Kübler-Ross appréhende de la façon suivante :

 

le déni

la colère

le marchandage

la dépression

l'acceptation

 

 L’analyse Transactionnelle ajoute une étape : le renouveau

A son rythme, la personne endeuillée va traverser ces différentes étapes en s'appuyant, au fond d'elle sur des ressources insoupçonnées, transformant une absence extérieure vécue comme douloureuse en une présence intérieure chaleureuse.

Il n’y a pas de deuil que ne puisse un jour se faire.