L’Eglise se bouge

Article de Guillaume Krempp

A Strasbourg, l’archevêque Luc Ravel en état de Saint-Siège

Mardi 4 avril, 18h15. Une activité inhabituelle règne sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg. Des dizaines de fidèles s’apprêtent à assister à la messe chrismale, moment de célébration de l’unité supposée du diocèse autour de son évêque. Mais l’heure est à la discorde parmi les catholiques d’Alsace. Une quinzaine de croyants manifestent. Pour la plupart membres du mouvement Jonas[i]*, un courant progressiste du catholicisme, ils demandent la démission de l’archevêque Luc Ravel. En silence, ils tiennent leurs pancartes à la main : «Non à un évêque qui flingue», «Il fait nuit dans le diocèse de Strasbourg».L’affaire débute en juin 2022 par l’annonce d’une visite apostolique au sein du diocèse de Strasbourg. Cette enquête interne, ordonnée par le Vatican, porterait sur les méthodes de management de l’archevêque Luc Ravel.

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Mais neuf mois plus tard, aucune annonce officielle de la représentation papale. Pourtant, nombre de croyants alsaciens en sont convaincus, à l’instar de l’ancien curé Vincent Steyert : «L’archevêque a été prié par Rome de présenter sa démission.» Chacun l’affirme de source sûre, d’une connaissance haut placée, d’un fil Twitter bien renseigné ou du site Réinformation catholique…

Tandis que la crise du diocèse de Strasbourg s’enlise, la parole des fidèles se libère. Dimanche 9 avril, une pétition est publiée sur le site change.org au nom «de nombreux chrétiens en souffrance», demandant à Luc Ravel de démissionner. Ce dimanche, elle comptabilisait plus de 800 signatures. Ici encore, la décision du Vatican est tenue pour acquise : «Le pape François vous a demandé de présenter votre démission. Vous avez décidé de désobéir au Pape. […] A nos yeux, vous êtes encore un haut fonctionnaire [du fait d’une particularité du concordat d’Alsace-Moselle, ndlr], mais nous ne vous reconnaissons plus comme un pasteur chargé de l’unité de la communauté diocésaine.»

 «On ne compte pas pour lui»

Les commentaires laissés sous la pétition donnent à voir la diversité des reproches de la communauté catholique alsacienne à l’égard de leur archevêque. L’ex-aumônier militaire est critiqué pour son autoritarisme : «On est à l’église… Pas à l’armée», glisse un signataire. En juin 2022, Luc Ravel a limogé son économe diocésain six semaines avant la fin de son mandat. Une décision que l’intéressé veut contester en justice, dénonçant auprès des Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) une «sanction disciplinaire lourde sans motivation».

 «Nous avons ressenti un intérêt très peu manifesté pour l’Alsace, les Alsaciens et les prêtres, décrit l’ancien curé de l’église Saint-Pierre-le-Vieux, Etienne Uberall, qui y officiait de 2010 à 2022. Mgr Ravel est intellectuellement très brillant, mais la relation fraternelle et humaine est réduite au strict minimum. Je me souviens d’un jeune prêtre me disant “Je crois qu’on ne compte pas pour lui.”»

En tant que «responsable du dialogue avec les musulmans», Etienne Uberall regrette lui aussi «de ne jamais avoir eu de rencontre personnelle pour évoquer cette question, malgré ma demande». A son arrivée à la tête de l’archevêché de Strasbourg, Ravel avait soutenu l’idée du «grand remplacement» en évoquant la fécondité des «croyants musulmans» et en fustigeant l’IVG. Il a ensuite installé en Alsace la Congrégation de la miséricorde divine, dont l’un des objectifs est la conversion des musulmans. La seule manifestation récente de soutien à Ravel était organisée par le groupe royaliste Action française. Elle a réuni sept personnes.

L’éviction du conseil épiscopal de l’évêque auxiliaire Christian Kratz a aussi fait déborder le bénitier. Révélé le 4 avril par les DNA, ce limogeage a d’abord choqué par la méthode : une lettre glissée sous la porte du domicile de l’évêque à 6 heures du matin. En s’attaquant à une figure appréciée de nombre d’Alsaciens, Ravel a suscité une fronde plus large encore tout en divisant un peu plus la communauté catholique.

L’archevêque fonde sa décision sur une affaire de fichiers pédopornographiques détenus par un aumônier du collège épiscopal Saint-Etienne à Strasbourg. Plus tard accusé de viol par une ancienne élève du même établissement, cet ex-prêtre s’est suicidé avec sa mère le 1er janvier 2023. Luc Ravel dénoncerait ainsi la passivité de Christian Kratz à l’époque des faits. L’évêque limogé se dit «victime d’un arbitraire et d’un règlement de comptes» : «L’archevêque me reproche de lui avoir caché des choses, mais il n’était pas là à l’époque et je n’étais pas archevêque.»

«Ecclésiologie défaillante»

Ravel peine d’autant plus à convaincre de la sincérité de sa démarche qu’il a lui-même couvert un prêtre, auteur d’agressions sexuelles sur mineur commises entre 1987 et 1992 et condamné en 1996. Pendant vingt ans, Luc Ravel, alors évêque aux armées, a accueilli cet homme, l’abbé Griffond, exfiltré de l’évêché de Nancy. Dans une note interne de novembre 2016, révélée par l’Obs, Ravel le recommande même pour un poste administratif à la direction de l’aumônerie catholique de l’armée de l’air.

«Les paroissiens ne comprennent pas, affirme un prêtre de Mulhouse, Ils sont choqués de cette attitude de l’archevêque. Ils ont l’impression qu’il joue le justicier alors qu’il me semble qu’il cherche avant tout à garder son poste.» Il analyse la crise actuelle de l’évêché : «L’Eglise catholique est encore la dernière monarchie de droit divin en Europe. L’évêque est tout-puissant. Il n’y a pas de contrepouvoir. La dérive actuelle de Mgr Ravel est rendue possible par une ecclésiologie défaillante, qui fait reposer le pouvoir dans un diocèse sur la seule personne de l’évêque.»

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