Billy
Les consignes
Ce matin la propriétaire
est venue réclamer son loyer.
J’avais pas fini mon café, j’étais en T-shirt et en
caleçon qu’elle sonnait déjà la vieille.
Je l’ai vu venir avec son sourire pas sincère. J’ai vu tout
de suite que l’allais y avoir droit à ses questions.
Et pourquoi tu lui écris pas à Benjamin ? Hein ?
Et pourquoi il est parti, tu le sais vraiment pas ?
Et il doit te manquer Benjamin, hein ?
Putain la vieille, j’ai pas fini mon café alors faut pas
m’emmerder !
J’ai répondu qu’il m’avait demandé de pas lui écrire,
de respecter sa décision de recommencer seul sa vie ailleurs.
Pour finir, je lui ai dit que l’amitié c’était sacrée
et que ça passait par le respect de l’autre.
Après ça, elle a arrêté ses questions
à la con.
Après ça, elle s’est barrée et j’ai enfin pu
finir mon café tranquillement en écoutant ma radio.
Benjamin, enfin Ben, je l’ai connu à l’école primaire.
On devait avoir huit ans, on était voisin, nos parents étaient
amis, alors on est devenu amis.
Quand mon père est mort, son père est venu me soutenir
à mes matchs de foot.
Quand ma mère est morte, sa mère s’est mise à
faire des soupes plus grosses le soir.
Ben c’était un peu mon frère jusqu’au bac. Et puis
il est parti faire ses études à Paris. Ses parents ils avaient
l’argent pour lui payer le studio et les voyages. Alors pourquoi s’en
priver…
Moi je suis resté dans ce trou, j’ai jamais bougé
ma carcasse de ce putain de bled.
Et puis il est revenu quelques années plus tard. Il est venu
monter sa boite. Ca en a fait de l’embauche. Vous les auriez vu ces cons,
quand ils parlaient de lui, on aurait dit le Messie.
Faut mes comprendre remarque, embaucher quinze personnes, comme
ça dans ce trou perdu, y a un peu du miracle là-dedans.
Je me souviens du jour de l’inauguration de sa boite. Bien sûr
il m’avait invité, alors j’y suis allé y faire un tour.
Des petits fours, putain, y a qu’à Paris que ça existe
des trucs pareils. Ben mon Ben, non seulement il embauchait mais en plus
il nous servait Paris sur des plateaux. Bien sûr que c’était
le Messie.
Moi j’ai jamais voulu y bosser dans sa boite.
Bien sûr il m’a proposé mais j’y ai dit que je mélangeais
pas le boulot avec l’amitié.
Et puis je suis bien à la station.
Je suis pompiste, je vous l’avais pas dit ? Pompiste depuis onze
ans maintenant. Les horaires sont cools, ils me laissent le temps de regarder
le foot à la télé et d’aller y jouer deux jours
par semaine.
Je suis bien à la station, personne m’emmerde, et ça,
j’aime bien.
Y a le facteur qui vient de me poser les mêmes genres de questions
tiens !
Et pourquoi t écris pas à Benjamin, toi qui es son
plus vieux pote ?
Et pourquoi t’écris pas, toi, Billy, hein ?
J’en peux plus de ces questions, merde !
Je lui ai raconté qu’il avait rencontré une belle
Italienne et qu’il l’avait suivi dans le plus grand des secrets.
Je lui ai dit au facteur qu’il fallait pas le répéter,
que c’était le secret de Benjamin, enfin le secret de Monsieur
le Directeur.
On peut être sûr que dans une heure tout le village
sera au courant.
Ca me fait marrer, tiens, rien que d’y penser.
Ca va faire comme les dominos. Il suffit que t’appuies sur un et
y a tous les autres qui tombent !!
Dans une heure tout le village se dira que Ben c’est un enfoiré.
Un enfoiré et un lâche.
Ah oui parce que je vous ai pas dit : il a une femme et deux jumeaux
de deux ans.
Ah, je me marre !!
En une heure, le Messie va passer pour un enfoiré.
Mon pauvre Ben, dire que tu croyais que je t’admirais.
Il s’imaginait que son amitié me réconfortait, il
me faisait l’honneur de rester ami avec moi. Tu penses, le directeur
et le pompiste !
Mais je l’emmerde moi le directeur, je peux pas le sentir ce directeur
avec ses grands airs de sauver le village.
Mais t’aurais dû y rester à la ville connard, t’avais
pas à venir me narguer avec tes diplômes à la con
et ton fric qui pue. T’aurais pas dû revenir. Jamais.
Depuis qu’il est revenu, je suis plus Billy, je suis le copain de
Ben, je suis l’ami d’enfance du directeur ! Ah la gloire !
Et maintenant on vient voir l’ami d’enfance parce que le directeur
a disparu. Parti le notable, pftt, disparu.
Mais il est mort votre directeur, il est pas parti, il a pas voulu
recommencer une vie, il a jamais rencontré d’Italienne bande de
cons, il est mort avec une balle dans la tête.
Vous me croyez pas ? ben allez voir dans la forêt pas loin
de la rivière, il vous attend !
Bien sûr c’est pas moi qui l’ai tué, moi je suis l’ami
d’enfance de Ben, moi j’ai quasiment été élevé
par ses parents, alors vous n’y pensez pas !
Mais allez voir au bord de la rivière, et les dominos arrêteront
peut-être de tomber.
Moi j’ai envie qu’on me foute la paix. Et qu’on me laisse écouter
la radio.
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