Un héro
Mots clés : Chanson, horloge, vélo
Louis Victor est arrivé à Puitfond un soir de printemps
alors qu’il avait projeté de faire un tour de France en vélo. Il était 20h
à l’horloge du village. Sur la place, chacun poussait sa petite chanson.
Malgré une étape assez longue, Louis Victor se sentait en
pleine forme et plutôt que d’aller chercher un gite pour la nuit il s’assit
près de la fontaine pour se rafraichir un peu. Il écoutait avec attendrissement
le répertoire qui le rejoignait justement. Il se rapproche du groupe, les
hommes venaient de terminer une partie de pétanque et avaient probablement
bu une bière ou deux qui les avaient mis en joie. Invité par la jeune meneuse
il se décide à les rejoindre.
Il ne connaissait pas toutes les chansons d’autant plus qu’elles
avaient un caractère local pour la plupart ; il était parisien et venait
de terminer ses études de géologie. Il espérait trouver un emploi sur un
chantier de fouilles archéologiques.
Le groupe lui paraissait sympathique et Louis Victor était
particulièrement attiré vers celle qui lançait la plupart des chansons.
Encore Jeannette ! Encore !
Quelle voix elle avait cette Jeannette ! Louis Victor était
séduit et il n’arrivait pas à trouver une chanson qui pouvait, selon lui,
s’accorder avec elle. Cela le titillait. Il aurait voulu se faire remarquer
mais elle restait totalement indifférente à tout se qui pouvait la distraire.
Il résolu de prendre son temps et d’attendre l’occasion. Au moment où il
retournait prendre son vélo l’horloge sonnait 22 h.
Hé le nouveau ! Ne faut pas t’en aller si vite ! Tu chantes
bien et c’est un plaisir de t’avoir avec nous !
Jeannette le retenait. C’était gagné.
Louis Victor n’en revenait pas. Tout excité, il n’est pas
parti ce soir là ni les autres non plus. Il n’a pas cherché de quoi se loger,
les portes se sont ouvertes, il était invité partout.
Au départ, Jeannette lui avait trouvé une petite chambre
dans la boulangerie depuis longtemps fermée. Il s’est alors intéressé à l’affaire
et trois semaines après son arrivée à Puitfond il avait réussi l’exploit
de remettre la boutique en activité. Il était devenu un héros.
Ses amis les chanteurs lui donnaient un coup de main pour
le ravitailler en farine et en bois de chauffage pour alimenter le vieux
four qu’il avait remis en état.
Jeannette tenait la boutique et servaient les clients pendant
qu’il préparait les fournées. Il s’arrangeait même pour livrer les isolés
dans la campagne.
Depuis qu’il est une vedette, un héros, Louis Victor a abandonné
son vélo dans l’arrière boutique de la boulangerie. Il se lève tous les matins,
juste avant que l’horloge ne sonne 4h. Pas facile d’être debout si tôt alors
que l’on est un adepte de la grasse matinée. Il est tout étonné de sa nouvelle
vie. Finies les soirées interminables qui vous laissent parfois ivre mort
; il ne pense plus aux chantiers archéologiques alors qu’il rêvait de grands
espaces. Il se passionne dans l’art de faire les pizzas en plus des différentes
sortes de pain que ses clients lui demandent.
Il vit comme un ascète, ce dragueur d’antan, poussant régulièrement
ses petites chansons. La présence de Jeannette lui suffit.
Louis Victor est heureux. Chacun croit connaitre toute son
histoire de citadin reconverti à la vie campagnarde, d’étudiant parisien
amoureux de vélo.
Pourtant tout au fond de lui-même une épine, un souci dont
il ne se remet pas. Il sait que dans sa toute première enfance il a été terrassé
par une maladie du sang qui a été soignée par des rayons. Ces rayons ont
détruit les gènes reproducteurs entrainant la stérilité définitive.
Adopté très jeune, il n’a jamais connu ses vrais parents
et il a toujours rêvé fonder une famille pour réparer cette injustice. Il
se refuse à demander Jeannette en mariage car il sait qu’il ne pourra pas
avoir d’enfant et il ne veut pas lui imposer cette situation.
C’est une chanson triste que l’horloge du village rappelle
toutes les heures.
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