Ce qu’en pensent les gens ...
Jeannette est pressée,
chaussée de talons hauts chaque pas résonne sur la
chaussée bitumée.
« Il est 18h15. Je vais être à
la bourre avec tout ce que j’ai à faire à la maison.
Et cette baguette de pain, dans mon sac, qui menace de se briser à
tout moments ; je vais la couper en deux, ce sera plus pratique. Même
à cette heure, personne ne me regarde dans ce maudit quartier
de banlieue, j’aimerais tant habiter au centre ville ! »
Blonde, jeune et jolie, elle semble préoccupée.
Elle s’arrête tout à coup et calant son pain sous son
aisselle, elle fouille dans son sac.
« Mais où sont elles donc ? Pourvu
que je ne les ai pas perdues ? Je les ai peut être laissées
sur mon bureau après que je me sois limé les ongles quand
la patronne me parlait ? Elle m’énerve tellement que je fais
n’importe quoi, je ne peux tout de même pas l’envoyer se faire
voir ailleurs ! »
Sans trop réfléchir elle renverse
le contenu du sac au milieu de la route.
Et ce juste sous la fenêtre de Madame
Anselme. La vieille dame semble ravie de cette distraction inattendue.
« Pas trop d’animation d’habitude ! Tous
les jours, non fériés bien sûr, je guette le pas
de Jeannette et voici que par bonheur ce soir il se passe quelque chose.
Elle est toute mignonne cette fille ! Si je pouvais avoir ses jambes
! Elle doit s’en payer des galipettes ! Tiens voilà qu’elle fait
un numéro ! Elle doit avoir perdu ses clés mais les
chercher au milieu de la rue c’est original !
J’aimerais tant faire quelque chose pour elle
! Elle me semble tellement mignonne et grâce à elle,
je sais que je peux allumer la télé pour voir les jeux
télévisés. Aujourd’hui la télé
attendra me semble t’il ! Tiens une voiture ! »
André arrivait, au volant d’une BMW aux
verres teintés et s’arrête juste en face de Jeannette,
doucement, à quelques mètres d’elle.
« Quelle idée ! Je me proposerais
bien de l’aider, ce serait une bonne occasion de la draguer depuis le
temps que j’ai repéré cette voisine à fière
allure. Mais cette dame à la fenêtre est gênante.
Quelle classe elle a cette Jeannette ! Cette
façon de se baisser en pliant les jambes en légère
torsion comme pour les faire valoir ! Cette nuque dégagée
que je pourrais souligner ! Et puis le décolleté ! Quel
plongeon dans l’infini entre les deux collines arrondies qui promettent
des moments délicieux ! Superbe ! Je la vois tout à fait
reprendre ce scénario du sac éventré dans mon atelier.
»
Mais voici Claudine qui a rejoint Jeannette
et jette un regard méfiant en direction d’André.
« Mais que fait il là lui ? Par
quel hasard est-il prêt à intervenir auprès de Jeannette.
Je suis sûr qu’il a une idée derrière la tête.
Si je n’étais pas arrivée il lui aurait fait des propositions
malhonnêtes, j’en suis persuadée. Et pourquoi ne me voit
il pas quand je le croise ? J’aimerais bien qu’il s’intéresse
à moi ! Comment pourrais je lui faire comprendre que je suis
disponible, moi ? »
Un peu plus loin, Jean, ancien fonctionnaire
à la retraite, a tout observé tout en repeignant inlassablement
le même volet.
« Mais que vient elle faire celle là.
On était sur le point d’assister à une scène que
j’aurais aimé jouer moi-même. Cette Jeannette, oui elle
doit s’appeler Jeannette, je rêve d’elle avec ce prénom.
Si je n’étais pas si vieux… D’accord, j’ai bientôt 75 ans,
mais j’ai des ressources et je pourrais rendre heureuse une jolie femme.
Et puis j’ai du temps et une belle pension, elle n’aurait pas besoin de
travailler, je pourrais l’emmener voir l’exposition des impressionnistes
à Paris. Peindre pour elle des paysages à la Monnet alors
que je passe mon temps avec un bleu sombre pour mes volets. »
Jeannot arrive en courant. Il a une dizaine
d’années. Il dépasse les deux femmes ; Jeannette l’interpelle
et lui conseille d’attacher son lacet défait.
« Elle est comme Maman, celle là
! Toujours à voir ce qui ne va pas ! Mais j’en ai rien à
faire, j’suis bientôt arrivé chez ma grand-mère
et je m’en occuperai à ce moment là de mon lacet !
Comme si j’allais me tuer à cause de mon lacet défait
!
Tiens mais qu’est il arrivé ? Pourquoi s’est il arrêté
ce monsieur dans la BMW ? J’ai du manquer quelque chose. Vite
la bise à Grand-mère Anselme et je vais aller voir ce
qui se passe. »
André est reparti, Claudine poursuit
son chemin en tenant le bras de Jeannette. Jeannette a ramassé
ses affaires, inquiète de n’avoir pas retrouvé sa clé.
« Que l’existence est triste ! ma vie
ne sert à rien, personne ne me regarde, personne ne me voit,
je n’existe pour personne … »
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