Les peurs dans la famille Ptit Marc
« Tu viendras ; dis Maman ?
»
Après avoir dit bonsoir à toute la famille, elle était nombreuse
ma famille celle de PtitMarc appellé aussi Micou, huit enfants sans compter
le grand père… je terminais le tour de table par Maman. Et tous les soirs
la même demande à son adresse sans me préoccuper si elle avait autre
chose à faire ou si elle était en forme. J’avais besoin d’être rassuré
pour trouver le sommeil comme si elle pouvait oublier que j’existais.
Me laissant
quelques minutes pour me préparer
et me mettre au lit, minutes qui
duraient trop longtemps à mon avis, Maman se faisait un devoir de monter
les deux étages de la maison familiale. Par un escalier de château, en
chêne avec une grosse rampe en bois sur laquelle je glissais habituellement
pour descendre ; ceci avant dix ans je précise car après, c’était plus
direct de sauter les marches deux par deux, puis trois par trois, en progressant
jusqu’à faire tout le demi étage, les dix marches, d’un seul saut, vers
seize ans. Donc de bon cœur ou pas elle montait. Et si elle tardait, elle
se faisait rappeler à l’ordre par un long cri du haut de l’escalier : «
Maman ! Tu viens ! » sur un ton à fendre l’âme.
Exister oui. J’avais l’impression
que le monde s’arrêterait de tourner si par malheur Maman ne pouvait
pas monter. Conjurer une malédiction ? Un père disparu lors d’une promenade
en montagne alors que je n’avais que dix huit mois, pouvait être à l’origine
de cette angoisse.
Sans autre commentaire, elle
n’avait pas d’histoires à raconter, elle allait border et embrasser son
petit dernier qui, cette formalité accomplie, ne tardait plus à s’endormir.
Et puis, Maman restait derrière la porte
de la chambre quelques instants pour vérifier que tout allait bien.
On aurait pu l'entendre murmurer :
"Ce n’est pas possible ! Je ne tiendrai
pas à ce rythme !
Pourquoi est il parti Jean ?
Pourquoi m’a-t-il laissée, moi, responsable de la famille ? Jamais je
ne m’en sortirai ! Jamais je n’y arriverai !
S’il fallait que je m’occupe
de chacun comme je le fais pour ce gamin de sept ans je serais vite au
bout du rouleau …
Bien sûr ! Cet accident, on
ne peut pas dire que ce soit une imprudence. Il ne se doutait pas que
cette promenade dans des montagnes à vaches pouvait présenter quelques
risques.
Mais s’il était encore là, s’occuperait-il
des enfants ? J’en doute. Il pensait : « C’est l’affaire des femmes »
Lui il avait d’autres soucis en tête : la clientèle, les urgences, la
paperasse, les discussions politiques. Alors là, la politique, ah oui
c’était important ! Les grands palabres sans fin qui ne mènent à rien
de concret alors que nous, les femmes, nous comparons nos façons de voir,
l’habillement de nos enfants et nous passons notre temps à des activités
dites subalternes. Un médecin, lui, est respecté, écouté. Il sait tout,
il a une opinion sur les grands sujets et il ne s’agit pas de le contredire.
Avait-il besoin de suivre son
fils ainé lors de l'excursion fatale ? Il se croyait jeune, sportif alors
qu’il était déjà lourd et essoufflé à quarante trois ans. L’exercice
physique il n’en faisait pas beaucoup et ce n’est pas lui qui aurait grimpé
les marches tous les soirs pour aller embrasser le dernier de ses enfants.
Ses enfants ! Parlons-en ! il savait comment s’y prendre pour les
faire mais la régulation des naissances c’était un péché. Faire l’amour,
c’était une nécessité pour lui et un devoir pour sa femme. Et si elle
ne se soumettait pas, il avait beau jeu d’aller voir ailleurs, ses relations
le lui permettaient et personne n’en aurait rien su. Mais moi, la mère
au foyer, il s’en fichait un peu et tous les deux ans, hop, j’attrapais
le ballon comme on dit.
Et, alors que j’ai eu le dernier à quarante ans, si le maître de
maison n’était pas décédé, combien en aurais je à l’heure actuelle ?"
Jean , lui, dans son corps subtil, voit sa veuve Marguerite plantée
à la porte de Micou.
"Mais que raconte t elle ? De mon vivant, j’étais loin de me douter
de ce qui se passait dans sa tête ! Je m’occupais d’affaires sérieuses
et c’est vrai que les contraintes d’ordre ménager ne m’intéressaient guère.
Je ne m’étonne pas de ce que Micou ait peur. Mon entité n'est
pas loin et il peut être perturbé par mes efforts à lui faire passer les
principes élémentaires de la réussite dans la vie. Ceci par son subconscient,
pendant son sommeil.
Je crains qu’il n’arrive pas à être médecin comme nous l’avons
été de père en fils depuis des générations. Il est trop dolent, voire
paresseux. Son frère ainé, brillant certes, ne peut pas s’occuper de lui
et de ses propres études. Sa soeur ainée le prend en charge et le materne
; tant mieux pour lui mais ce n'est pas ça qui en fera un homme.
Allez ! Qu’elle arrête ses salades, ses bisous et ses câlins !
Qu’elle s’occupe plutôt des devoirs de classes du gamin. Il n’est pas
en avance le Micou et à ce train il va bien fir par redoubler son année
scolaire. A savoir s’il obtiendra son bac !
Et puis je crains qu’il n’aime trop jouer avec son copain. Quel
temps il perd ! On dirait aussi que la sexualité le travaille déjà ! Sa
mère devrait bien le surveiller pour qu’il ne s’égare pas."
Micou a bien dormi. Il s’est accroché à son doudou, un petit mouton
blanc en peluche rase. Il le retrouve ce matin usé, rapé ; il lui a
mâché les oreilles, sucé le bout du museau, tiré la queue dans tous les
sens et ses angoisses de la veille ne sont plus qu’un mauvais souvenir
jusqu’à ce soir.
Il voit son frère, de neuf ans son ainé, se préparer à partir au
lycée et lui lance son oreiller. Le temps de se retourner et il se retrouve
enfermé sous les couvertures sans pouvoir bouger. C’est le bonjour rituel
et vite chacun reprend là où il en était pour bien commencer la journée.
vers les textes de Marc
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