L'atelier du 14 février

le texte  de Marc  Consignes

Les peurs dans la famille Ptit Marc

« Tu viendras ; dis Maman ? »
Après avoir dit bonsoir à toute la famille, elle était nombreuse ma famille celle de PtitMarc appellé aussi Micou, huit enfants sans compter le grand père… je terminais le tour de table par Maman. Et tous les soirs la même demande à son adresse sans me préoccuper si elle avait autre chose à faire ou si elle était en forme. J’avais besoin d’être rassuré pour trouver le sommeil comme si elle pouvait oublier que j’existais.
Me laissant quelques minutes pour me préparer et me mettre au lit, minutes qui duraient trop longtemps à mon avis, Maman se faisait un devoir de monter les deux étages de la maison familiale. Par un escalier de château, en chêne avec une grosse rampe en bois sur laquelle je glissais habituellement pour descendre ; ceci avant dix ans je précise car après, c’était plus direct de sauter les marches deux par deux, puis trois par trois, en progressant jusqu’à faire tout le demi étage, les dix marches, d’un seul saut, vers seize ans. Donc de bon cœur ou pas elle montait. Et si elle tardait, elle se faisait rappeler à l’ordre par un long cri du haut de l’escalier : « Maman ! Tu viens ! » sur un ton à fendre l’âme.
Exister oui. J’avais l’impression que le monde s’arrêterait de tourner si par malheur Maman ne pouvait pas monter. Conjurer une malédiction ? Un père disparu lors d’une promenade en montagne alors que je n’avais que dix huit mois, pouvait être à l’origine de cette angoisse.
Sans autre commentaire, elle n’avait pas d’histoires à raconter, elle allait border et embrasser son petit dernier qui, cette formalité accomplie, ne tardait plus à s’endormir.

Et puis, Maman restait derrière la porte de la chambre quelques instants  pour vérifier que tout allait bien. On aurait pu l'entendre murmurer :
"Ce n’est pas possible ! Je ne tiendrai pas à ce rythme !
Pourquoi est il parti Jean ? Pourquoi m’a-t-il laissée, moi, responsable de la famille ? Jamais je ne m’en sortirai ! Jamais je n’y arriverai !
S’il fallait que je m’occupe de chacun comme je le fais pour ce gamin de sept ans je serais vite au bout du rouleau …
Bien sûr ! Cet accident, on ne peut pas dire que ce soit une imprudence. Il ne se doutait pas que cette promenade dans des montagnes à vaches pouvait présenter quelques risques.
Mais s’il était encore là, s’occuperait-il des enfants ? J’en doute. Il pensait : « C’est l’affaire des femmes » Lui il avait d’autres soucis en tête : la clientèle, les urgences, la paperasse, les discussions politiques. Alors là, la politique, ah oui c’était important ! Les grands palabres sans fin qui ne mènent à rien de concret alors que nous, les femmes, nous comparons nos façons de voir, l’habillement de nos enfants et nous passons notre temps à des activités dites subalternes. Un médecin, lui, est respecté, écouté. Il sait tout, il a une opinion sur les grands sujets et il ne s’agit pas de le contredire.
Avait-il besoin de suivre son fils ainé lors de l'excursion fatale ? Il se croyait jeune, sportif alors qu’il était déjà lourd et essoufflé à quarante trois ans. L’exercice physique il n’en faisait pas beaucoup et ce n’est pas lui qui aurait grimpé les marches tous les soirs pour aller embrasser le dernier de ses enfants.
Ses enfants ! Parlons-en ! il savait comment s’y prendre pour les faire mais la régulation des naissances c’était un péché. Faire l’amour, c’était une nécessité pour lui et un devoir pour sa femme. Et si elle ne se soumettait pas, il avait beau jeu d’aller voir ailleurs, ses relations le lui permettaient et personne n’en aurait rien su. Mais moi, la mère au foyer, il s’en fichait un peu et tous les deux ans, hop, j’attrapais le ballon comme on dit.
Et, alors que j’ai eu le dernier à quarante ans, si le maître de maison n’était pas décédé, combien en aurais je à l’heure actuelle ?"

Jean , lui, dans son corps subtil,  voit sa veuve Marguerite plantée à la porte de Micou.
"Mais que raconte t elle ? De mon vivant, j’étais loin de me douter de ce qui se passait dans sa tête ! Je m’occupais d’affaires sérieuses et c’est vrai que les contraintes d’ordre ménager ne m’intéressaient guère.
Je ne m’étonne pas de ce que Micou ait peur. Mon entité n'est pas loin et il peut être perturbé par mes efforts à lui faire passer les principes élémentaires de la réussite dans la vie. Ceci par son subconscient, pendant son sommeil.
Je crains qu’il n’arrive pas à être médecin comme nous l’avons été de père en fils depuis des générations. Il est trop dolent, voire paresseux. Son frère ainé, brillant certes, ne peut pas s’occuper de lui et de ses propres études. Sa soeur ainée le prend en charge et le materne ; tant mieux pour lui mais ce n'est pas ça qui en fera un homme.
Allez ! Qu’elle arrête ses salades, ses bisous et ses câlins ! Qu’elle s’occupe plutôt des devoirs de classes du gamin. Il n’est pas en avance le Micou et à ce train il va bien fir par redoubler son année scolaire. A savoir s’il obtiendra son bac !
Et puis je crains qu’il n’aime trop jouer avec son copain. Quel temps il perd ! On dirait aussi que la sexualité le travaille déjà ! Sa mère devrait bien le surveiller pour qu’il ne s’égare pas."


Micou a bien dormi. Il s’est accroché à son doudou, un petit mouton blanc en peluche rase. Il  le retrouve ce matin usé, rapé ; il lui a mâché les oreilles, sucé le bout du museau, tiré la queue dans tous les sens et ses angoisses de la veille ne sont plus qu’un mauvais souvenir jusqu’à ce soir.
Il voit son frère, de neuf ans son ainé, se préparer à partir au lycée et lui lance son oreiller. Le temps de se retourner et il se retrouve enfermé sous les couvertures sans pouvoir bouger. C’est le bonjour rituel et vite chacun reprend là où il en était pour bien commencer la journée.


vers les textes de Marc


Consignes
  • Les peurs de l’enfant (à la première personne)
  • Les peurs d’un parent ( …)
  • Les peurs de l’autre parent
  • Tout s’arrange grâce à …