vers les activités 2015 du groupe Marseille


2014
septembre : Sils Maria
octobre : Léviathan
novembre : Magie in the moonlight
décembre : Turner
2015
janvier : Terre éphèmère
octobre : Vers l'autre rive
novembre : Mon Roi
décembre :  Mia Madre
 



COMPTE RENDU DE L’ATELIER CINEMA


Septembre 2014 à Mai 2015

Notre groupe se retrouve maintenant et depuis Octobre les deuxièmes lundi de chaque mois, généralement en début d’après-midi pour une séance de cinéma, afin de pouvoir discuter et échanger sur le film après la séance. En général le groupe se compose de 6 à 9 personnes, de Poursuivre et souvent d’un ami, Philippe. Difficile de faire venir souvent des personnes extérieures à Poursuivre.



Les films que nous avons vus :

  • septembre : Sils Maria  

d'Olivier Assayas

Avec

Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz

Rappel du synopsis : À dix-huit ans, Maria Enders a connu le succès au théâtre en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui conduit au suicide une femme plus mûre, Helena. Vingt ans plus tard on lui propose de reprendre cette pièce, mais cette fois de l'autre côté du miroir, dans le rôle d'Helena...

Film d’une grande beauté plastique mais différemment apprécié par les membres du groupe. L’histoire se déroule en Suisse, dans les Grisons, où séjournèrent des intellectuels germaniques et inspira leur œuvre (T.Man et la Montagne magique, Hermann Hesse, Nietzsch et le mythe de l’éternel retour…)



Octobre : Léviathan / d’

Andrey Zviaguintsev

Avec

Alexeï Serebriakov, Elena Lyadova, Vladimir Vdovitchenkov plus

Nationalité

Russe


Rappel du synopsis : Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Roma qu’il a eu d’un précédent mariage.
Vadim Cheleviat, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Cheleviat devient plus agressif...






Novembre : Magie in the moonlight/Woody Allen

Avec

Colin Firth, Emma Stone, Eileen Atkins plus

Nationalité étatsunienne

Rappel du synopsis : Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le magicien le plus célèbre de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford : cet Anglais arrogant et grognon ne supporte pas les soi-disant médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan, Stanley se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur et se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de démasquer la jeune et ravissante Sophie Baker, une prétendue médium, qui y séjourne avec sa mère.

Film apprécié du groupe. Des échanges de remarques ont eu lieu sur la manière dont le film aborde la supercherie, les croyances et la rationalité. Quant la rationalité gratte, écorche la magie.


Décembre : Turner/Mike Leigh

avec

Avec : Timothy Spall, Paul Jesson,

Nationalité : britannique

Rappel du synopsis : Les dernières années de l’existence du peintre britannique, J.M.W Turner (1775-1851). Artiste reconnu en son temps, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts, il vit entouré de son père qui est aussi son assistant, et de sa gouvernante dévouée. Il fréquente l’aristocratie, visite les bordels et nourrit son inspiration par ses nombreux voyages. La renommée dont il jouit ne lui épargne pas toutefois les éventuelles railleries du public ou les sarcasmes de l’establishment. A la mort de son père, profondément affecté, Turner s’isole. Sa vie change cependant quand il rencontre Mrs Booth, propriétaire d’une pension de famille en bord de mer.

Film diversement apprécié par le groupe. Certaines ont été enthousiasmés, d’autres moyennement du portrait du peintre brossé par le film, d’autres se sont ennuyés. Après discussion quelques aspects du film ont été soulignés et le film a été mieux apprécié. Mais tout le groupe a aimé son esthétique.


Janvier 2015 : Terre éphémère/George Ovashvili

Nationalité : géorgienne

Avec : auteurs inconnus du public français, de nationalités différentes (russe, tchèque,

Hongroise, arménienne, allemande etc…)

Rappel du synopsis : Sur le fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, des bandes de terres fertiles se créent et disparaissent au gré des saisons.


Un vieil Abkhaze et sa petite fille cultivent du maïs sur une de ces îles éphémères. Le lien intense qui les lie à la nature est perturbé par les rondes des garde-frontières. Les relations sont tendues entre les deux pays.

La beauté des paysages n’a pas laissé le groupe indifférent. Le silence rompu de temps en temps par le cri des oiseaux était pesant et accentuait une atmosphère d’attente et de tension, malgré un décor bucolique, par la présence de quelques militaires surveillant la frontière. Les feux de la guerre entre la Géorgie et l’Abkhazie ne sont pas complètement éteints.

Nous avons aimé particulièrement l’adolescente espiègle s’éveillant à l’amour, lorsqu’apparaît un beau braconnier blessé, caché parce que recherché, s’exprimant langue russe puis disparaître discrètement dans le champ de maïs et la rivière. Cette irruption vient alors interrompre le quotidien du grand-père et de sa petite fille.

Beau film de réflexion sur les aléas de la vie et d’une nature peu clémente, avec son cycle des saisons qui fait émerger/immerger des îles éphémères, néanmoins salvatrices, nourricières, qui par ses pluies diluviennes, font disparaître inexorablement avec elles tout ce que le paysan a créé.



Février Snow therapy/Ruben Östlund

Nationalité : suédoise

Avec : acteurs inconnus en France.

Sélectionné pour représenter la Suède au festival de Cannes 2014 dans la section Un certain regard, où il remporte le prix du jury. Oscar 2015 du meilleur film en langue étrangère.

Synopsis : Une avalanche dans les Alpes françaises met à mal la cohésion d'une famille de touristes suédois. En voyant

l’avalanche s’approcher dangereusement de la terrasse d’un restaurant où une famille mangeait, le père se sauve sans se préoccuper des siens. Des personnes l’ont vu mais personne n’en parle, mais un malaise s’installe dans le couple…

Le film est une étude de mœurs d’une famille aisée dans laquelle apparaît le retour du primitif et l’individualisme du père devant le danger inattendu. Beaux paysages de montagne. Film apprécié du groupe. Il nous montre l’individualisme dans une classe sociale confortablement installée dans une société contemporaine d’un pays semblable au notre sans des problèmes majeurs et permanents.


Mars L’art de la fugue/Brice Cauvin

Nationalité : française

Avec : Laurent Lafitte , Agnès Jaoui , Benjamin Biolay ...

Synopsis : Antoine vit depuis longtemps avec le prévisible mais aimant Adar. Leur histoire est sérieuse : ils s'apprêtent à acheter une maison ensemble. Les parents d'Antoine, propriétaires d'un magasin de vêtements pour homme, s'en réjouissent. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'Antoine est très attiré par l'exubérant Alexis. Gérard, son frère dépressif et éternel chômeur, ne parvient pas à faire le deuil de son mariage. Ariel, la collègue d'Antoine, va-t-elle le réconcilier avec la vie? Louis, l'autre frère d'Antoine, ne peut s'empêcher de faire souffrir les femmes et notamment Julie, qu'il a abandonnée le jour de la cérémonie de leur mariage...

Il y a du Woody Allen dans ce film « Hannah et ses sœurs ». L’autoritarisme du patriarche sur le déclin nous a paru un peu trop caricatural, un peu de fraternité qui ne vient pas tellement des membres de la famille mais aussi de leur entourage, avec des générosités ou des individualismes plus ou moins grands. Film diversement apprécié.


Avril : La Maison au toit rouge /Yoji Yamada


Mai : Taxis Téhéran / Jafar Panahi

Synopsis : Ce taxi-là roule sans permis. Ce taxi-là n'est pas un taxi. Interdit de tourner, c'est un plateau de cinéma clandestin, installant une petite caméra dans l'habitacle. Depuis 2010, pour avoir osé contester la réélection frauduleuse du président Mahmoud Ahmadinejad, le cinéaste n'a pratiquement plus aucun droit : ni ­parler en public, ni quitter le pays. Et pourtant, il tourne. Taxi Téhéran (Ours d'or au dernier festival de Berlin) est sa troisième oeuvre « illégale ». Mais c'est aussi la première fois qu'il s'échappe au-dehors depuis sa condamnation. Le documentaire Ceci n'est pas un film (2011) et la fiction Pardé (2013) étaient restés « assignés à résidence », huis clos où bouillonnait sa réflexion d'artiste censuré, claquemuré. L'intérieur d'une voiture est certes exigu, et prolonge délibérément la même sensation carcérale. Mais c'est un enfermement différent. Dans les rues bruyantes et les rocades bétonnées de Téhéran, Jafar Panahi retrouve le monde, son monde. Le voilà donc reconverti en chauffeur de taxi, qui ouvre ses portières à toute la société iranienne.

­Polémiques, négociations, bavardages, témoignages, embrouilles et même crises de panique : la voiture vibre comme une formidable caisse de ­résonance politique.[extrait de Télérama]

Film diversement apprécié : bon mais, pour certains, avec quelques longueurs. Toutefois il comporte quelques scènes amusantes et incongrues (des dames transportant des poissons rouges

dans un bocal qui s’inquiètent, après un coup de frein brusque, de la souffrance des poissons), où emblématique du manque de liberté d’expression par le témoignage d’une femme qui d’avocate

se trouve dans l’obligation de se convertir en fleuriste. Liberté d’expression empêchée mais moyens de la faire vivre subrepticement. Cette ambiance répressive, n’empêche pourtant pas une petite fille d’être arrogante, tyrannique même, elle comprend comment composer avec cette société.






Juin : Les

Lois du Marché/Stéphane Brizé

Avec

Vincent Lindon, Yves Ory, Karine De Mirbeck plus

Genre

Drame

Français

Résumé. C’est le questionnement d’un chômeur interprété par Vincent Lindon : peut-on tout accepter pour avoir ou garder un emploi ? D’autant qu’interviennent les difficultés de gestion d’un budget devenu très restreint, quand les mensualités habituelles s’arrêtent et les contraintes toujours bien présentes : un appartement acheté vingt ans plus tôt pour lesquels les dernières traites doivent être payées ? Il y a bien des propositions de la banque qui essaie de vendre, par ses conseils, un produit nouveau au risque d’entraîner la famille dans la spirale de l’endettement ; d’autant que lui et sa femme veulent donner toute ses chances à leur fils handicapé. Après un stage qui ne lui sert à rien et diverses humiliations, Vincent Lindon finit par accepter un emploi, bien loin de ses formations, et compétences, celui de surveillant dans un supermarché. Nous suivons, de la salle des caméras jusqu’au réduit, la poursuite du client ou de la caissière fraudeur. Après le suicide de l’une des caissières vient pour lui l’interrogation morale sur ses fonctions…

Film jugé très dur et étouffant. Pesant même dans la présentation d’une famille qui cumule les problèmes de chômage et d’enfant handicapé. Regret de ne pas voir plus de communication au sein du couple, silencieux sur leur situation [bien qu’on le voit danser puis accueillir dans leur danse leur fils, s’amusant ensemble]. Ambiance oppressante puisque les scènes se déroulent dans des milieux clos (repas dans la cuisine familiale, bureaux, tour de contrôle du magasin, petit local où se passent les entretiens avec les clients…



Vers l’autre rive

  • Voir le compte rendu de Jacqueline (clic)


Au cœur du Japon, Yusuke convie sa compagne Mizuki à un périple à travers les villages et les rizières. A la rencontre de ceux qu'il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis ce moment où il s'est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort. Pourquoi être revenu ?

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Par Louis Guichard
La logique des rêves est superbement restituée par cette alternance de moments suaves et de brusques accès de noirceur. (...) Si le film brille dans la zone frontalière entre la réalité et l'inconscient, il impressionne aussi par l'entre-deux qu'il suggère entre la vie et la mort.

Par Caroline Vié
C’est avec un mélange de tendresse et de poésie remarquable que le réalisateur de "Real" (2014) et de "Tokyo Sonata" (2009) évoque le deuil, celui que doit faire un noyé revenu rendre visite à ceux qui ont peuplé sa vie de son vivant.

Par Philippe Lagouche
L’impossible deuil, l’absolue nécessité pour les protagonistes de se résigner à la perte et à l’absence, Kurosawa les filme avec une simplicité et un naturel déconcertants. Mise en scène décharnée.

- Très bien
Dans le cadre de l’option facultative Cinéma-Audiovisuel (du lycée Rodin), nous avons eu la chance d’aller voir "Vers l'autre rive" de Kiyoshi Kurosawa (2015). Ce film fait partie de la sélection "Un certain regard" du festival de Cannes 2015. Le cinéma "Reflet Medicis" retransmet tous les films de cette sélection, qui est d'ailleurs le seul cinéma parisien à le faire. La séance a débuté par la présentation du réalisateur en personne. Il définit son propre film comme un film qui s'émancipe totalement du genre pour traiter d'un thème qui est celui du couple. Mizuki, jeune femme Japonaise, retrouve son compagnon Yusuke chez elle, après que ce dernier soit mort en se noyant dans la mer. Yusuke lui propose alors de parcourir le Japon retrouver ses anciennes vies d’avant sa mort. Kiyoshi Kurosawa s’est fait remarqué auparavant par la réalisation d’une série en 5 épisodes (qui s’est remodelé en deux longs métrages pour les diffusions en salle) qui se nomme Shokuzai. Le film peut paraitre "bizarre" (même si je déteste employer ce mot) car certaines scènes manque de cohérences (il ne faut pas chercher à comprendre), mais surtout parce que son propos atteint directement les spectateurs au plus profond de leur esprit et de leur conscience. On peut même être profondément gêné, car ce film a la force de percer notre intimité spirituelle. C'est d'ailleurs cela qui lui donne toute sa puissance et sa grandeur. Au-delà de traiter du couple, ce film tente de nous transmettre toute une philosophie sur les relations humaines et le rapport de l'être humain à la vie. Il transmet un idéal du rapport que l'on doit avoir avec l'Autre. La sélection dans laquelle se trouve ce film porte donc bien son nom. Cette "chose" que le film veut nous transmettre, trop géante, trop vaste, ne peut être captée dans sa totalité par le spectateur. Ce qui fait toute la singularité de ce film, c'est son abstraction absolue. K. Kurosawa nous a présenté ici une œuvre d'un purisme spirituel tel qu'on ne ressort pas indemne de la séance. C.Z

3 - Pas mal
Etrange film qui met en présence des morts et des vivants comme si cela allait de soi, comme si c'était simple et évident. Quand Mizuki voit apparaître chez elle Yusuke, son mari mort depuis trois ans, elle est si peu étonnée que la première chose qu'elle trouve à lui dire, c'est de retirer ses chaussures. Tous deux entreprennent ensuite un voyage à la rencontre d'autres fantômes. La plupart du temps, Kiyoshi Kurosawa filme ces scènes comme quelque chose de calme et de paisible, si calme et si paisible que l'on risque, par moments, de s'ennuyer un peu, je dois le dire. Mais c'est tout de même un beau film qui nous dit, d'un côté, que l'amour est plus fort que la mort et, de l'autre, qu'il cependant finir par accepter une nécessaire séparation. 7/10

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Commentaires : (voir absolument le compte rendu de Jacqueline M)

D’une façon ou d’une autre il me parait important de faire le nécessaire pour régler ses comptes. Une condition du deuil certainement, ce que l’on peut entreprendre en psychothérapie.



Mia Madre


MIA MADRE  Cahiers du Cinéma   Par Laura Tuillier
"Mia madre" est un film dont l’émotion emporte tout sur son passage, de ceux qui laissent chancelant, en larmes, hanté.

Critikat.com
Nanni Moretti a déjà beaucoup raconté que la mort de sa mère après une longue maladie est survenue pendant le montage d’Habemus Papam. Il a repris alors sans délai le chemin de l’écriture pour raconter ce récit intime. Le cinéaste s’est souvent écrit des rôles sur mesure incarnant lui même son engagement et ses doutes politiques, sa joyeuse paternité ou la peur de la maladie. Dans Mia Madre, Moretti raconte certes le moment intime des derniers instants de sa mère, mais il choisit de se représenter dédoublé. D’un côté, le rôle qu’il joue lui-même, celui de Giovanni, qui remplit son devoir filial à la perfection et n’a d’existence qu’au chevet de sa mère, ayant renoncé à tout le reste. De l’autre, la sœur Margherita (Margherita Buy), cinéaste accaparée par le tournage d’un film politique sur la violence du monde du travail peine à trouver sa place. Elle observe avec une pointe d’envie son frère qui offre le repas simple qu’il a lui-même préparé (quand elle n’a pu qu’acheter en vitesse un plat mal réchauffé en passant chez le traiteur) ou avec un peu de découragement face au calme dont il fait preuve avec les médecins. Cette réalisatrice impatiente et exigeante ressemble évidemment beaucoup plus aux avatars que le cinéaste italien a lui-même incarnés dans ses films précédents, mais la force de Mia Madre est de donner, à travers la relation de ces deux personnage à sentir l’écart entre l’enfant qu’on aimerait être, et celui que les contingences de la vie nous amènent à être. Margherita n’est pas que l’enfant de sa mère ; elle est aussi cinéaste, divorcée, mère, en pleine rupture amoureuse. Cette diffraction s’applique tout autant au film, qui n’est pas qu’un journal de deuil, mais aussi une comédie, un film sur la société, sur le cinéma.
Ce n’est d’ailleurs pas dans l’intimité de la chambre d’hôpital que s’ouvre le film, mais au cœur d’une manifestation d’ouvriers qui contestent leurs licenciements. Ou plutôt la mise en scène de cette confrontation que Margherita tourne pour son film, puisque le montage se plaît à brouiller les différents degrés de réalité du récit entre cette fiction en cours de réalisation, la maladie, et les souvenirs ou rêves. La cinéaste arrête brutalement la prise pour s’en prendre à son cadreur auquel elle reproche de se tenir trop près de l’action. « Je ne veux pas que le spectateur détourne les yeux de mon film », dit-elle. Si la question théorique de la distance morale de la caméra est posée au sujet de la violence physique, elle peut bien entendu se voir comme le memorandum que le cinéaste inclut à son propre film : ne jamais filmer la maladie, la douleur intime, la détresse du deuil en s’approchant de trop près. Toujours conserver la distance bienséante qui permet d’émouvoir sans voyeurisme ou impudeur. Strictement observée par le montage du film, cette règle fait que chaque séquence est contrebalancée par son envers. Au gros plan intime à l’hôpital immédiatement suit une scène sociale, par un plan d’ensemble de l’usine en carton pâte, une situation dramatique précédée cabotinage du cuistre acteur américain qui tient le premier rôle du film de Margherita (l’hilarant John Turturro). Mais c’est aussi dans la durée que Moretti refuse de laisser s’installer l’émotion, au point que chaque plan qui pourrait s’avérer tire larme est coupé à ras.
Si la bonne distance sert de boussole à la mise en scène du deuil, elle est aussi le bon outil pour la vie familiale. En témoigne la séquence où Margherita et son ex-mari regardent avec bienveillance leur fille Livia dessiner des trajectoires de l’un à l’autre pour apprend à conduire le scooter qu’ils viennent de lui offrir.
Briser le cours du temps
Apprendre à s’éloigner de sa mère, c’est aussi le cheminement que doit faire Margherita, en slalomant entre les événements plus ou moins importants de la vie quotidienne. « Sono stanco » (je suis fatigué), ne cessent de répéter tous les personnages à l’unisson, façon de dire l’empathie avec laquelle tous les corps d’une même famille s’usent à l’approche de la disparition de l’un d’eux. Si le montage nous perd dans des brusques raccords entre le jour et la nuit, c’est que les derniers instants d’une vie s’écoulent si singulièrement qu’ils ne se fondent qu’inconfortablement dans le rythme continu de la vie quotidienne. La nuit paraît plus longue en cette période qui précède le deuil, les rêves plus intenses, au point que Margherita a souvent le besoin d’allumer la lumière, dans de fréquents décrochages du récit entre le présent du tournage calamiteux et des visites à l’hôpital et le temps mental des souvenirs, cauchemars et divagations.
C’est au cri de « Lavoro per tutti » (Du travail pour tous) que s’ouvre le film, comme si le travail était ce le seul antidote possible à la fatigue. Le travail est ce qui vient empêcher Mia Madre de verser dans le pathos, ce qui le ramène toujours de la chambre intime à l’espace public. C’est par cette question du travail, vécue de façon intimement différente par chacun (revendication, devoir, renoncement) que Moretti noue ensemble les deux fils avec lesquels il a tissé son œuvre : cinéma intime et cinéma engagé. À quoi sert le latin ? demande à plusieurs reprises la fille qui peine sur ses versions. Margharita avoue qu’hormis la logique, elle ne se souvient plus très bien ce que cela apprend. On comprend doublement l’utilité de cette langue morte à la fin. Alors qu’Ada (dont on découvre le prénom uniquement à ce moment là) est rentrée chez elle pour ses derniers instants, elle ôte son respirateur pour aider sa petite fille à l’analyse logique d’une phrase de version ; puis d’anciens élèves rendent visite à leur enseignante alors qu’elle vient juste de mourir, et racontent comment ils pensent souvent à elle. L’utilité du latin, ce serait donc ce lien social ce qui relie au passé, à l’histoire commune, celui qui permet de retrouver un prénom et de n’être pas seulement une mère. On repense alors à La Chambre du fils, dans lequel le moment où Andréa cassait en morceaux le fossile qu’il avait volé au lycée, agissait comme une annonce de ce qui allait se briser dans la cellule familiale. Briser cet objet du passé, c’était rompre le cours normal du temps. On peut penser Mia Madre comme l’envers de ce mélodrame qui voyait le fils dans la force de l’âge disparaître brutalement dans un accident de plongée. Dans Mia Madre, on prend congé tout en douceur et avec pudeur en se disant « À demain ».

Télérama
Avec “Mia Madre”, Nanni Moretti se remet en scène, littéralement et via un alter-ego féminin. Un film très personnel, pudique, et avec un John Turturro souvent irrésistible.
Mettre en scène pour Moretti a longtemps été se mettre en scène. On a parfois oublié à quel point il fut un pionnier de l'autofiction cinématographique, dès la fin des années 70. Depuis quelques années, cette part de « journal intime » s'était un peu effacée, devant l'urgence de la crise politique en Italie et la perversité du berlusconisme. Mia Madre revient aux sources : le personnage principal lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Il est cinéaste, il rouspète et s'inquiète, en proie au doute, fragilisé par la mort annoncée de sa mère, naguère enseignante de latin très estimée. Fait marquant : ce n'est plus Moretti qui interprète ce personnage obsessionnel et irascible, mais un alter-ego au féminin, Margherita Buy, comédienne devenue régulière, qui a tourné deux fois avec lui. On la voit ici en plein tournage d'un film autour d'une usine en lutte, avec des ouvriers refusant les licenciements. Dedans joue un acteur américain (John Turturro) qui s'avère vite très lourdingue, pas vraiment pro et capricieux. Entre les visites à l'hôpital pour voir sa mère, les insatisfactions liées au tournage, la fin d'une relation amoureuse, le quotidien de Margherita s'avère compliqué.
On retrouve ici condensés des thèmes chers à Moretti : les épreuves de la vie face au travail, la difficile harmonie entre son désir individuel et le collectif, l'engagement et le désengagement. Ce qui est savoureux, c'est de voir l'auteur atrabilaire se donner le beau rôle : celui du frère discret, un brin mélancolique, mais dévoué, posé, rassurant, irréprochable presque. A l'opposé de la sœur, égotiste, capricieuse, et qui fait du mal aux autres avec ses angoisses.
Il y a des moments irrésistibles dans Mia Madre, comme cette scène maintes fois recommencée et loupée à chaque fois, de Turturro filmé au volant d'une voiture. Ou cette autre, où il est incapable de dire deux répliques simples comme bonjour. Mais ce qu'on préfère encore, ce sont ces moments de grâce où la caméra circule comme en rêve, dans les couloirs, l'appartement de la mère, arpenté, caressé comme un lieu riche de mémoire, rempli de livres, d'objets personnels chargés d'histoire. Des rêves ou des divagations, il y en a d'ailleurs, dont un magnifique, sur une ballade mythique de Leonard Cohen (Famous Blue Raincoat), où Margherita longe lentement une file de spectateurs qui semble infinie, devant un cinéma où l'on projette Les Ailes du désir de Wim Wenders.
Moretti a bien fait de ne pas être au premier plan. En misant sur le face à face entre Marguerita Buy (toujours juste) et Guilia Lazzarini (une grande dame du théâtre italien), il parvient à témoigner de choses très personnelles, avec le souci constant de les recouvrir d'universalité. Tout ce qui touche aux premiers signes du déclin, au séjour à l'hôpital, aux souvenirs et à l'oubli, est traité de manière à la fois simple et sensible. Sans faux pas. A la fin, il est difficile de réprimer ses larmes. Les premières de ce festival.

Le Nouvel Observateur

c’est en prenant ses distances qu’il crée l’émotion.
-    C’est ainsi : Giovanni fait toujours tout comme il faut.(la pizza), et Margherita fait ce qu’elle peut
-    Giovanni entend les mots des médecins, qui disent que leur mère va mourir bientôt, Margherita refuse de comprendre.
-    Il ne travaille plus depuis deux mois, il s’est mis en disponibilité. Elle est cinéaste, et réalise un film qui montre l’affrontement des gentils ouvriers et des patrons méchants.
-    Livia, que sa grand-mère aidera, dans une scène magnifique, à composer sa version latine. Grand-mère, professeur de latin, très appréciée de ses élèves
-    Distance avec les personnages, en calquant les failles et les manques de Margherita sur les siens propres, en attribuant à Giovanni, qu’il incarne lui-même, les vertus qu’il sait ne pas posséder. Distance avec l’histoire qu’il raconte, celle des derniers jours de sa mère, qui, comme Ada, enseignait les lettres au lycée Visconti de Rome. Distance avec son métier de cinéaste, et avec lui-même.
   Et c’est en prenant ses distances qu’il crée l’émotion : ainsi quand il filme Livia réveillée par la sonnerie du téléphone et qui, grâce à la conversation dont elle perçoit l’écho à travers le mur, comprend que sa grand-mère n’est plus. Et, tandis que la vieille dame peine à trouver ses mots, elle qui a vécu par et pour les textes, l’acteur, qu’incarne avec superbe John Turturro, se révèle incapable de mémoriser ses répliques, de retenir les traits d’un visage. A l’écran, tout paraît simple, tout semble aller de soi, c’est en cela que Moretti est un maître, c’est pour cela que "Mia madre" est grand.
Voir aussi : clic

Mon commentaire (Marc)
J’ai bien apprécié ce film qui expose paisiblement la problématique de la fin de vie vue par les descendants « en activité ». J’ai été ému, on ne peut pas se fermer les yeux sur ce que pourra être la nôtre.
J’ai revu les moments douloureux que j’ai vécus moi-même et imaginé ceux que qui ont pu être l’expérience de tel ou telle dans ma famille.
Les acteurs Margherita, Giovani (ou Moretti lui-même) sont excellents ainsi que le bouffon « d’acteur », (l’hilarant John Turturro)  mais je trouve qu’ils n’ont pas forcément le physique du rôle attribué.


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