Juste la fin du monde

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La fin du monde
Les plus malades ne sont pas toujours ceux qu’on croit. En aurions-nous douté, le film de Xavier Dolan, Juste la fin du monde, le montre de façon spectaculaire. Il s’agit, comme son titre le laisse ironiquement entendre, d’un film catastrophe, mais sans guerre intergalactique. Aucun des personnages n’y tue directement personne, mais chacun est pris dans un mouvement où la vraie vie ne peut qu’être absente. Pas d’effusion de sang mais la mise en scène impitoyable du désastre auquel renvoie le fait que, comme aurait dit Rilke, « l’amour n’est pas appris », et que la mort ne peut être ni apprivoisée ni même nommée. Une fin du monde sans explosion atomique, dont nous devinons qu’elle est à la fois l’expression et le prélude d’autres saccages.

C’est dans cette famille malade, où l’agression (voire l’insulte) fait office de parole, que Louis vient annoncer à des « proches », qu’il a fuis depuis douze ans, sa mort imminente, d’une maladie que le réalisateur a choisi de ne pas nommer, alors que, dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, dont le scénario est issu, le « héros » est frappé par le sida. Mais inutile de préciser ici l’étiologie d’un mal qui ne pourra de toute façon être dit. Car le jeune homme, qui porte à son insu la partie saine d’une famille où l’essentiel est perpétuellement éludé, sera, en tous les sens possibles, refoulé. Que ne risque-t-il en effet, lorsque, prenant son courage à deux mains pour franchir le silence mortifère d’un milieu qui lui fait peur, il déclare : « J’ai quelque chose à vous dire » ! S’ensuit une scène d’anthologie au cours de laquelle une muraille de résistance est érigée séance tenante pour que l’annonce n’ait pas lieu. On a pu, ici ou là, trouver l’épisode surjoué, là où cette exagération (que les comédiens portent avec un brio époustouflant !) est à la mesure du « trop » nécessaire au rejet radical de la vérité que nul n’est ici en mesure d’affronter.

Ce qui importe n’apparaît d’ailleurs à chaque fois qu’au terme d’un flot de propos délirants qui ne se présentent rétrospectivement que comme la préparation du coup qui doit assommer leur destinataire. Ainsi de la scène où la mère évoque les dimanches autrefois passés en famille sur un ton plus proche de l’hystérie que de la nostalgie, pour finalement conclure à l’adresse de sa fille : « Puis tu es née, et ça a été fini » ! Ainsi encore de la logorrhée par laquelle le frère de Louis lui reproche son arrivée matinale comme s’il s’agissait d’une affaire d’État, alors que l’annonce de la mort récente de son ami de jeunesse le plus proche lui est balancée comme un uppercut final. Non seulement les mots ne sont pas porteurs de sens, mais ils constituent le cordon sanitaire tiré jusqu’à se rompre pour empêcher son émergence, ou au contraire l’arme fatale des révélations brutales. Ils ne circulent que comme les oiseaux pris en cage d’une prison familiale, sur les barreaux de laquelle ils se brisent tout autant qu’ils détruisent ceux qui les énoncent.

Juste la fin du monde est un film puissamment éthique qui montre qu’il n’est de séjour (tel est le sens d’ethos) proprement humain, sans que soit établi un lien authentique avec la mort, l’amour et la parole.

Danielle Moyse, chercheuse associée à l’Iris, au CNRS et à l’EHESS


SYNOPSIS ET DÉTAILS

Après douze ans d’absence, un écrivain retourne dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine. 
Ce sont les retrouvailles avec le cercle familial où l’on se dit l’amour que l’on se porte à travers les éternelles querelles, et où l’on dit malgré nous les rancoeurs qui parlent au nom du doute et de la solitude.

 

     

Marion Cotillard dans la femme d’Antoine et Vincent Kassel dans Antoine

Commentaires des correspondants :

Je suis allée voir ce film,surtout intéressée par le huit clos, film pouvant être joué au théâtre..  et l'art ,pour l'acteur principal, d'exprimer, sans rien dire .... ses sentiments..  au début du film,on apprend qu'il va mourir et son désir de revoir sa famille.

Rien ne semble avoir changé pour eux: chacun , enfermé dans sa misère, morale , ne semble disposé  à l'écouter et à savoir pourquoi il est revenu après 12 ans.. tous  lui en veulent d'avoir abandonné la famille:la rancune du frère est poussé à l’extrême  par l'interprétation magnifique de Vincent Cassel.

Les hésitations et bégaiements de Marion Cottillard ont voulu nous  rendre la belle sœur plus" humaine" dans cette maison où les femmes sont, disjonctée pour la mère ( quel beau rôle de composition d'Isabelle Huppert, si c'est bien elle *) et défoncée pour la jeune sœur...

Pendant tout le film ,l'acteur principal nous fait ressentir combien ils sont loin de lui combien il se sent seul parmi les siens...A quoi bon leur dire!!!!

Ne rien déranger..

Venait il chercher un peu de chaleur?un peu d'amour?,de compassion et de la compréhension de leur part? En venant leur annoncer,lui l'homo, (sous entendu par la mère) avait le sida(c'est moi qui le pense )  et qu'il allait mourir?

L'acteur était merveilleux dans tout le jeu de son visage, de ses yeux,pratiquement toujours  filmé en gros plans... très peu de paroles mais quel rôle!!!A nous d'imaginer !

Marc, voilà comment j'ai ressenti ce film...


PS: depuis que j'ai vu ce film j'ai appris que cette histoire est réelle, que le Garçon est mort très jeune(il avait 33 ans quand l'histoire s'est passée) et son ami(le cinéaste) a voulu faire ce film en sa mémoire.. Mais tu le sais certainement... 

* en me réveillant ce matin, je me rappelle que le rôle de la mère dans le film est joué par Nathalie Bayle......

Colette
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Nous avons enfin pu voir le superbe film de Xavier Dolan.
Je viens de lire les commentaires qui t'ont été envoyés qui sont pertinents et justes. Je te remercie de m'avoir fait part également de l'activité de ce groupe,où j'ai lu les critiques d'autres films (que j'ai tous vus, sauf un). Sache que je fais partie d'une Association qui, entre autres, rédige des fiches sur les films qui sortent sur les écrans (et dont je suis un des rédacteurs)!
Le style de Dolan, avec ses gros plans permanents, les mouvements circulaires en plan rapproché, les champs-contre-champs également très serrés- aboutit à transmettre au spectateur une proximité si forte avec les personnages, tellement fortes que l'air en devient irrespirable..Nous voudrions sortir de ce microcosme névrotique, mais non, nous ne le pouvons pas car se met en place la fascination due aux images, aux couleurs en demi-teinte, presque ternes, saturées. Les séquences baignent dans une lumière teintée d'irréel, aux couleurs subtiles, qui, avec le concours de la bande sonore (très travaillée elle aussi), dégage une aura de fin de vie, de "fin du monde" en effet, ou en tout cas d'un monde familial en implosion. Tous disparaissent de l'image, sauf Louis, qui sortira aussi du champ, laissant derrière lui le petit oiseau agonisant sur la moquette. Dans la dernière image, la maison est vide. Poignante et (provisoire?) conclusion de Xavier, 28 ans un homme au début de sa vie!
Admirablement filmé, le visage de Louis (souvent en sueur) exprime le drame d'une Parole qui ne pourra pas s'exprimer. Et c'est cela qui personnellement m'a bouleversé dans ce film hors du commun !
Alain LG



Sur Internet :


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE :

« Je suis allée voir ce film avec quelques à priori. Tout d’abord à cause du battage fait par une certaine presse qui voit en cet opus le chef-d’œuvre absolu et une autre qui pointe du doigt sa totale indigence. Trop de trop ne pouvait manquer d’aiguiser ma curiosité et m’inciter à me forger ma propre opinion. Que Xavier Dolan soit un jeune cinéaste doué, nous le savions depuis ses débuts à l’âge de 20 ans. Il en a aujourd’hui 27 et s’affirme avec plus de maturité, façonnant son style non sans quelques maladresses mais un souci constant d’originalité et une quête soucieuse du dire vrai et de l’image juste.

Cette dernière réalisation, bien qu’inégale, recèle des moments d’une vraie et profonde beauté et une exigence dans l’expression de l’incommunicabilité entre les êtres, les désordres intérieurs, l’incapacité de chacun à vivre une relation, à établir un dialogue, à sortir de son emmurement. Le silence est sans doute la plus grande liberté de l’homme, dont il sait si peu faire bon usage. Les personnages du film apparaissent tous, à l’exception du visiteur, comme les prisonniers d’eux-mêmes, les victimes de leur égo, les invalides de l’existence, partageant un huis clos où ils n’ont pour pires ennemis qu’eux-mêmes. Tous vivent dans une agitation permanente, un onirisme sans consistance ; tous sont les victimes de la dictature du bruit et de l’éphémère, de la fébrilité et de l’inquiétude. Alors ils crient, ils fument, ils s’apostrophent avec violence, chacun est l’ennemi de chacun et pire encore : l’ennemi de lui-même.
Le bruit est le pire fléau de notre actualité. Il nous mutile et nous prive de l’essentiel : notre silence intérieur où s’épanouissent les fleurs de notre pensée, les fruits de notre réflexion. Alors, lorsque le silence survient dans ce désordre et plonge au cœur de ce chaos psychologique, tous les excès sont possibles et la tragédie se joue à coups d'estoc, de mots qui blessent, de formules éculées et misérables. Nous ne sommes plus en quête du mot juste, du mot vrai, mais du mot qui tue, œuvre d’un monde décervelé en totale déliquescence, un monde malade tout simplement. Le film de Dolan, inspiré de la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce, est un concentré de ce vide abyssal dans lequel nous évoluons. Mais ce qui est intéressant, ce qui pose question et fait l’intérêt du film, est Louis, ce fils qui n’a pas revu les siens depuis 12 ans, ce jeune écrivain-dramaturge de 34 ans qui apparaît comme l’ange visiteur, silencieux et souriant, et pose sur eux – sa mère, sa sœur, son frère et sa belle-sœur comme l’écho émouvant de l’expérience du désert, la douceur intérieure de la certitude, le sourire de la grâce. Gaspard Ulliel est magnifique dans ce rôle où tout son jeu se résume à quelques paroles sobres, à cette gravité du regard qui concrétise l’approche du silence éternel. Ce qu’il était venu dire, il ne le dira pas et qu’importe : personne n’était en mesure de l’entendre. A la fin, un oiseau s’envole de la vieille horloge qui sonne encore les heures et se cogne contre les murs avant de trouver l’issu vers la lumière, la porte ouverte vers l’ineffable.

Symphonie des regards, monologues tronqués, jugements hâtifs, mots vains, colères puériles, tout cela est soudainement absorbé par les visages qui disent leur désarroi face au questionnement muet du visiteur dont ils perçoivent vaguement l’exigence et la fatalité. Un film qui pose les questions essentielles, se focalise sur les expressions inquiètes, les met en images de belle façon avec leur plein et leur vide, leurs interrogations et leurs dénis et bénéficie d’une parfaite interprétation de la part des comédiens. A ne pas douter, Dolan n’a pas fini de nous interroger sur nos finitudes. »

 

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Le film laisse rêveur, bien joué avec de très bons acteurs, Vincent Cassel, Marion Cotillard etc ... Il nous laisse perplexe car rien n'est clair, il faut tout imaginer (ou bien je n'ai pas entendu les passages importants). Mais les images sont belles, gros plans et créativité impressionnants. Il mérite d'être examiné et débattu en groupe. Moi j'ai vu un film admirable et je suis curieux de savoir ce que le réalisateur avait dans la tête. (Marc)

 

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