Melle Marguerite
avait le même prénom que ma mère. Je m’en suis rendu compte assez tard car
je ne me suis jamais soucié du prénom de Maman avant sept ans. Ma mère, c’était
"Maman", un point, c’est tout. Quand j’ai réalisé que Maman s’appelait
Marguerite, j’ai pensé à une fleur et je trouvais ça ridicule. Je me souviens
d’avoir vu des lettres de mon oncle Jean, des lettres que ma mère ouvraient
devant moi et qui commençaient par « Ma chère Marguerite. » Il n'était
pas bien l'oncle Jean ...
Pour moi il n’y avait qu’une personne au monde qui pouvait s’appeler
Marguerite c’était ma maitresse de l'école Pasteur, cette jolie demoiselle
blonde avec de longs cheveux rassemblés en deux grandes tresses ou parfois
même en une seule, épaisse, qui lui descendait le long de la colonne vertébrale.
Il me semble qu’elle avait une voix un peu rauque qui m’évoquait une certaine
sensualité à laquelle j’étais sensible, déjà.
A y repenser, elle était gentille, Melle Marguerite, elle ne se mettait
pas en colère ; je n’ai aucun souvenir de sa méthode pour nous apprendre
à lire mais je sais que c’est la tendresse qu’elle me manifestait qui m’a
permis de prendre confiance en moi et de regarder mon entourage avec amour.
« Ne t’inquiète pas, me disait elle, si tu n’arrives pas à lire tout
seul, je t’aiderai ; viens demain pendant la récréation. » Cette proposition
me faisait rêver et c’est avec empressement que je me rendais auprès d’elle
le lendemain. J’ouvrais mon livre de lecture à la page qui me posait des
problèmes et elle s’installait à côté de moi. Tout le temps que je lisais,
elle me caressait la nuque doucement pour que je sente sa présence. Alors
je mettais mon index droit sur chaque mot et je n’éprouvais aucune difficulté
à comprendre. Il a suffit d’une récréation avec la main de Melle Marguerite
tranquillement posée sur ma nuque et je suis parti dans la vie avec une
nouvelle énergie pour affronter les problèmes et les résoudre.
Mais voilà Melle Marguerite n’était pas partout. Une fois rentré à la
maison, j’étais beaucoup plus tenté d’aller jouer dehors ou donner à manger
aux lapins que de me replonger dans mes livres de lecture ou de calcul. Ma
sœur la plus proche avait bien pour mission de me guider mais elle n’avait
pas la tendresse de Melle Marguerite, elle me dirigeait d’un ton bourru,
trouvant dans cette tâche qui lui était attribuée et dont elle n’était guère
gratifiée par ailleurs, de quoi montrer son importance. J’avais donc l’impression
de ne rien comprendre à ses explications et d’être nul. Je n’avais qu’une
hâte c’était de retrouver mon copain Charles André, mon train électrique
et de reconstituer les circuits de mon cousin Jean Jacques.
L’année suivante, la maitresse avait changé et malgré l’intérêt des nouvelles
matières abordées je rêvais aux doux moments passés avec Melle Marguerite,
ce qui ne m’aidait pas à me concentrer.
Melle Marguerite m’a appris à aborder les problèmes par la tendresse
jusqu’à les toucher, doucement, sans crainte, avec les mains. Savoir trouver
le petit geste qui sauve, le regard qui caresse, le mot qui calme, fait exister
son interlocuteur.
Plus tard j’ai retrouvé ces éléments dans l’atelier Théâtre de l'ami
Alain Simon. qui m’a montré lui aussi comment lire mais surtout comment
donner à entendre ce que je lisais.
Quand j’étais petit, dans l’insouciance, je pouvais être malheureux,
ne rien comprendre, je savais que demain le soleil se lèverait et que tout
serait possible.
Aujourd’hui, « Je », n’entends et ne comprends plus très bien. C’est
tout ce que "Je" laisse derrière lui après avoir fixé son empreinte qui
transforme la vie. Tout ce qui n’est pas "Je" devient important. "Je" se
contente d'agir, de regarder, d’apprécier, d’aimer avec tendresse comme
le faisait Melle Marguerite.