Textes de Suzanne 



Atelier du 20/04/2009.
Consignes  :
Il fallait choisir un personnage puis un autre, et les décrire succinctement  Puis, écrire une phrase qui relie les deux personnages dans leur histoire.  Au préalable, on a écrit sur un papier deux états opposés.  On a tiré au sort un papier.  Le mien c'était: la vie-la mort. (Suzanne)
Textes : " Partir , ne pas partir" par Emmanuelle      Pierre et Anne par Suzanne

Pierre et Anne
Pierre est allongé sur son hamac, entre deux platanes, un livre à la main. Il regarde un bourgeon prêt à éclater.  Il prend son temps avec la lumière de la Provence, la tiédeur d’une brise, le rouge et le jaune des fleurs, sur un gazon tout neuf.  Encore une fois, la vie fait sa loi.
Et pourtant, c’est comme si toute cette vie ne le concernait pas.

Anne n’aurait pas cru que le printemps reviendrait.  Mais un oiseau est venu picorer quelques miettes devant sa porte. La plage, devant ses yeux, est dorée comme en été, au lever du jour. Le vent apporte des odeurs d’Afrique. 
Anne ferme les yeux. Elle sait que le miracle a eu lieu encore une fois, dans ce lieu magique. Sa fatigue et son chagrin se sont envolés dans la nuit, et tout à l’heure elle ira courir sur la plage. Elle finira bien par oublier Pierre, un jour, peut-être.
Oui, Anne sait que la vie lui repousse de l’intérieur comme une graine.  Elle entend encore son père lui dire en souriant : « regarde bien, une petite feuille est en train de sortir de la terre, elle s’est fait  un chemin toute seule et elle deviendra une belle plante »…
Quand Anne ne croit crois plus en rien, au plus profond de ses chagrins, elle n’imagine pas cette sève de vie. Tout se passe la nuit. Qui est donc responsable de cette mutation ?  Une fée clochette ? Comment Anne passe-t elle du noir, du néant, du lourd, du refus de tout, à cet élan, à ce désir pour tout et de tout petits riens ? 
Au bout du sommeil, quelques fourmillements dans les jambes, un bond pour sauter du lit et ouvrir la fenêtre, un oiseau et l’odeur de la mer… et surtout quelque chose qui a grandi dans le corps, qui a coulé dans les veines, et qui donne l’envie de courir sur une plage.

Quand Pierre a décidé de rompre, il savait que le chagrin d’Anne serait grand. Il savait que la blessure ne se refermerait jamais. Mais Pierre comptait sur cette vitalité qui le fascinait depuis le premier jour. Combien de fois lui as t’il dit « tu me rends vivant » ?  …
Pierre imagine Anne sur la plage.  Il l’espère ! Il sait que c’est là qu’elle reprendra vie.
Il a pris un jour le risque de l’accompagner.  Un mensonge pour pouvoir ensuite l’imaginer la bas, avec tous les détails : la maison, le sentier au bord de l’eau, le footing sur la plage, les couleurs, les odeurs, le bain glacé en hiver.  Il se souvient : elle se jette à l’eau en poussant un cri de joie. Pierre veut qu’il en soit encore ainsi. Il veut qu’Anne vive sans lui, puisqu’elle ne peut pas vivre avec lui. Il veut se rassurer de toutes ces images  qui lui permettaient de vivre intensément par la pensée, avec elle.
Pierre ne bouge plus dans sa montagne, dans sa famille, dans son hamac. Il n’ira plus jamais courir avec Anne sur le sable, ni rêver avec elle de voyages qu’elle faisait pour deux. Il n’ira même plus chanter en public.  C’est elle qui lui donnait l’envie de chanter.  Il disait, comme le boulanger de Pagnol : « puisque j’y suis, je chante aussi pour les autres ».
 On a besoin de lui, à la maison. Sa belle mère se perd de plus en plus dans son monde Eiseimer, sa femme se heurte de plus en plus à ses filles.  Lui, il est là pour porter, pour supporter, les douleurs, les craintes les peurs. Au fond, il a un peu le sentiment d’attendre la mort dans sa maison. 
En regardant le printemps bourgeonner, Pierre espère que cette rupture brutale poussera Anne vers un autre homme, un autre amour, bien réel, bien vivant, avant qu’il ne soit trop tard. Il ne supporterait pas qu’elle soit seule, s’il lui arrivait quelque chose, plus tard… Il le lui a dit souvent. Pierre espère avoir fait le bon choix pour Anne.  En ce début de printemps, il l’imagine en train de courir sur la plage.  Il imagine avec elle un homme qui partagera tout ce que lui n’a jamais pu partager réellement. Ces pensées le soulagent autant qu’elles sont douloureuses.


Anne a bien failli mourir de chagrin avant ce printemps. Puis il y eut d’autres printemps pleins de fourmis dans les jambes et de couleurs sur la mer.  Il y eut d’autres hommes.  Mais jamais aucun n’a donné à Anne le désir de se jeter à l’eau en plein hiver. Aucun n’était le clone de Pierre.  Elle l’a toujours su : aucun regard ne la rendrait aussi vivante que le regard de Pierre.

 Pierre, comme à chaque printemps, entend le rire d’une femme qui se jette dans l’eau glacée. Il l’entend, comme si il y était encore, il y a si longtemps, pourtant ! Il l’entend en souriant, comme si cet instant était le seul réellement vivant de toute son existence.

 

Marc
Consignes : Dans la glace de la salle de bains, un matin, je vois... 
(Chaque participant donne des éléments qu'un autre membre du groupe va mettre en texte)
•    La maison
•    « Mon » visage
•    Le détail qui rappelle un passage difficile
•    Dans l’éclat du regard un bonheur

Marc sort de la salle de bain. Il aime bien cette sensation d’être « remis à neuf » juste après un bain. Ce n’est pas tous les jours qu’il prend un bain, mais ce soir il en a eu le temps et l’envie, avant d’aller au théâtre. Pendant que Françoise se prépare, il la connaît par cœur, il peut encore prendre son temps.

Il s’approche du miroir de la chambre en marchant, torse nu. Hé hé, se dit-il, en se tapotant les biceps, pas mal encore pour mon âge !  Il fait deux pas en tournant sur lui-même et se retrouve près du miroir. Qu’elle  est agréable cette sensation d’éternelle jeunesse quand on se fait tout beau ! Ne va-t-il pas courir encore au bout du monde pour vivre des aventures que beaucoup de jeunes ne pourraient pas endurer …

Marc met un peu d’ordre dans sa chevelure et lisse les poils de sa barbe qu’il faudra retailler. Les lunettes à montures noires, pour voir de près, sont indispensables. Lorsque son image perd de son flou, Marc s’immobilise, saisi par le visage de son père qui vient de se refléter dans le miroir. La barbe blanche, les cheveux qui se battent pour ne pas perdre la place…et la tonsure…il a beau la camoufler par un savant coup de peigne gominé, rien n’y fait. « La tonsure gagne du terrain », se dit-il en caressant sa barbe. Mais le front est large, les yeux clairs et rieurs.

Qui suis-je se dit Marc en souriant, le fils de mon père ou mon père lui-même ? Le fils de mon père ou le père de mon fils ? C’est un éternel enfant qui se repère dans ce manège du temps qui passe. Un enfant éternel dans l’éclat des yeux bleus et le sourire canaille. Il est même présent dans le grand père que les petits ont élu comme compagnon de jeu. C’est avec lui que les amis aiment partir au bout du monde. Marc ne perdra jamais son enfance, et ne perdez pas de temps à lui en faire le reproche.

Et pourtant… trois rides profondes sillonnent son front juste au dessus des yeux rieurs.
Trois rides pour chaque perte douloureuse de sa vie.  Le miroir devient flou. Marc aperçoit au loin la silhouette puis le visage de cet être cher qui n’a jamais vraiment quitté la maison.
« Y aura t-il encore des deuils à faire avant que moi aussi je passe de l’autre côté du miroir ? »
Au plus profond de lui, Marc sait qu’il n’en aurait plus la force.

« Marc, tu devrais cesser la lecture des Mémoires d’outre tombe, se dit-il » !
Les trois sillons sur le front se transforment aussitôt en grimace de clown dont il a la spécialité.
Ce soir, il est beau, Marc, c’est certain ! Et sans ses lunettes, il se voit comme à 20 ans.


                              Baignade

    Évidemment il aurait fallu que je naisse et que je passe mes vacances à la mer. Ce n'est qu'en été que ma famille se rendait au bord de l'eau avec tous les habitants du quartier.
J'habitais un coin de campagne où tout le monde se connaissait et tout le monde se parlait avec accent et galéjades. Le problème de l'un était l'affaire de tous et se discutait à haute voix entre boulanger et charcutier. L'été, donc, le quartier louait un bus pour la baignade  à la mer.
Je m'embarquais pour a journée avec famille, voisins et copains d'école.
Zè, le coiffeur, montait dans le bus en tenue de bain et casquette marseillaise. Il racontait des blagues que je ne comprenais pas, mais j'en ai gardé le plaisir des rires collectifs.
Fanfan, le boucher, poussait la chansonnette avec un répertoire approprié : « un petit cabanon;  une partie de pétanque... » Le refrain était repris en cœur. Mon père jouait au chef d'orchestre pour inciter les plus discrets à lever la voix. Le comité des fêtes était constitué sans protocole associatif, par les têtes du quartier. Le trajet était toujours une fête. Arrivés à la calanque de Port d'Alon, nous étions tous déjà dans le bain.  Les enfants se jetaient à l'eau en faisant la course. Pendant ce temps le pique nique était déposé sur une immense nappe colorée. Le repas était un vrai banquet. Les oursins sortant de l'eau s'étalaient sur un rocher. J'en ai gardé pour toujours le goût sucré et iodé des petites lamelles rouges.
Ma passion pour la mer me vient certainement de ces journées colorées d'accent et de soleil.
Même en hiver, lorsque je marche au bord de l'eau, je deviens plus légère. En apesanteur, au pays des oursins, les rayons de soleil me chantent encore les chansons que mon père orchestraient avec l'accent marseillais.
                                     


                     Aventure

    Effectivement, le chemin parcouru depuis que je suis née est teinté d'aventure. Un aventurier n'a peur de rien et je dirais même qu'il se réjouit de la situation incertaine qui se présente. Il se met alors à imaginer des solutions, à trouver des détours loin des sentiers battus. Moi même je me grise souvent de ce plaisir créatif qui consiste à dépasser l'obstacle. J'aime m'adapter à toutes les situations inconfortables matériellement et même pire ! Je me fais plaisir à emprunter des voix tortueuses jusqu'au but à priori inaccessible. Quand je me demande d'où me vient ce plaisir, je me vois toute petite, la bouche pleine d'une cuillerée de soupe enfournée par ma mère. Mon père est à côté. Il me présente une allumette que je dois souffler, en espérant que j'avale. Moi, je cherche la solution pour souffler sans avaler, car,il est hors de question que j'avale ! Alors je coince la soupe sous la langue et je réussis à  éteindre la petite flamme.
Plus tard j'ai parcouru les collines avec mes cousins. J'ai grimpé aux arbres, j'ai escaladé les rochers, j'ai dompté les gros lézards verts. Il fallait que je sois aussi forte que les garçons pour faire partie de la bande.  En camping sauvage je me plais à inventer un confort avec des bouts de ficelles, des pierres et des rondins de bois. J'ai toujours préféré le voyage d'aventure au voyage organisé. Mes plus beaux souvenirs sont les moments les moins programmés à l'avance.
C'est pour ce goût des situations inconfortables que l'on m'a attribué des missions professionnelles qui ressemblaient souvent à des causes perdues. Ainsi,je me suis souvent attachée aux élèves en échec, aux étudiants découragés et même aux chagrins d'amour de mes jeunes en formation.
C'est sans doute à cause de ce penchant pour la difficulté que ma vie affective ressemble à un parcours de galère.
                                       


                     Amour

        Paradoxalement,il ne m'a pas semblé rater ma vie amoureuse. J'y suis toujours entrée comme on plonge d'un rocher la tête première.
Paradoxalement, ce n'est jamais la tête qui a dirigé les opérations. J'aurais du avant de m'élancer, prendre le temps de repérer les fonds sableux ou rocheux, évaluer la profondeur du bain...
Mais non, Il me suffisait de quelques images positives pour prendre mon élan. Je n'ai jamais pris un instant pour deviner les défauts de mes partenaires. Plus tard, le personnage élu se révélait en négatif.
L'amour , selon Cyrulnik, est une communication qui prend racine dans l'enfance en puisant dans des réserves de sourires, d'odeurs de peaux inoubliables. Un processus qui n'a rien à voir  avec   la réflexion. Cette pensée me rassure mais elle ne met pas à l'abri des galères.
Paradoxalement, je continue de plonger de mon rocher la tête première. Je prends le positif et j'ignore le négatif.
Et tant que je plonge encore aveuglément, sans peur, j'ai le sentiment de ne pas vraiment vieillir.


Le 28/06/2010.
Suzanne